Aymon (Les quatre fils) (Larousse - G.D.U. XIXe siècle)

De Wicri Chanson de Roland
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Cet article est extrait du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle.

L'article

    1. AYMON (LES QUATRE FILS) ##

AYMON (les quatre fils). On donne ce nom à quatre chevaliers fameux dont les aventures merveilleuses sont racontées dans une vieille chanson de gestes du xiiie siècle, et servirent de texte à une suite de poèmes et de romans légendaires du moyen âge. Aymon, prince des Ardennes, Saxon d’origine, fut chargé par Charlemagne de gouverner le pays dont Alby était la capitale, et prit le titre de duc de Dordon ou de Dordogne. Il eut pour fils les quatre preux Renaud ou Reynauld, Guichard ou Guiscard, Alard ou Adélard, et Richard ou Richardet, que Charlemagne arme chevaliers. Renaud, dans cette circonstance, avait juré à Charlemagne une fidélité à toute épreuve, en son nom et au nom de ses frères. Mais ensuite le duc d’Aigremont, frère d’Aymon, s’étant attiré la colère de Charlemagne, celui-ci envoya des troupes contre lui ; il ne voulait que le vaincre et lui imposer des conditions, mais Ganeron, moins scrupuleux, le tua dans la bataille. Alors Renaud et ses frères vinrent trouver Charlemagne pour lui demander justice du meurtre de leur oncle. N’ayant pu rien obtenir, ils se considérèrent comme déliés de leur serment, puis, aidés par le magicien Maugis, leur cousin, ils se frayèrent, l’épée à la main, un passage à travers les soldats du grand roi, et plus d’une fois ils ne durent leur salut qu’à leur unique cheval Bayard, que leur avait donné la fée Orlande. C’est alors que commence la merveilleuse série de leurs prouesses : combats sanglants, sièges de forteresses, retraite chez le roi d’Aquitaine, qui donne sa sœur, la belle Clarisse, en mariage à Renaud pour prix de la vaillance avec laquelle il avait combattu les Sarrasins ; construction du château de Montalban ou Montauban sur les bords de la Dordogne ; refus du roi d’Aquitaine de livrer ses hôtes à Charles ; siège du château de Montauban par ce dernier, assisté de Roland, son neveu, et de Richard de Normandie ; défense héroïque de la place ; combat singulier de Roland et de Renaud décrit à grands traits comme les combats de l’Iliade ; sortilège de Maugis, qui transporte au milieu de Montauban le roi Charles endormi ; instances de Renaud pour obtenir la paix ; refus de Charles, qui exige avant tout que Maugis lui soit livré : sortie nocturne de la garnison, et capture de Richard de Normandie par Renaud, qui menace de mettre à mort son prisonnier si le roi s’obstine à repousser ses propositions de paix : préparatifs du supplice ; opiniâtreté de Charles et générosité de Renaud, qui donne spontanément la liberté à Richard. Les douze pairs menacent alors le roi de quitter son service s’il ne conclut la paix avec les fils Aymon. Charles ouvre les yeux : il reconnaît qu’il a été trompé par quelques courtisans, entre autres par Pinabel, et il envoie celui-ci, pieds et mains liés, aux douze pairs, afin qu’ils en disposent à leur gré. Il accorde ensuite la paix aux fils Aymon, à condition qu’ils lui remettront leur cheval, le fameux Bayard, et que Renaud partira pour la Terre sainte. En effet, Renaud, suivi de Maugis, se met en route pour Jérusalem. Après avoir contribué à délivrer la ville sainte, qui était au pouvoir des Perses, il revient en Europe, distribue ses biens à ses enfants, et, revêtu d’habits de pèlerin, erre à l’aventure dans les bois, se nourrissant de fruits sauvages. Il arrive alors à Cologne, où l’on travaillait à bâtir la fameuse cathédrale qui n’est pas encore terminée ; il offre ses services à l’architecte, qui les accepte, mais les manœuvres le tuent pendant qu’il est endormi et le jettent dans le Rhin. Son corps fut ensuite retrouvé miraculeusement, et on lui éleva un riche tombeau. Enfin, la légende rapporte que le vaillant chevalier fut canonisé sous le nom de saint Regnault.

M. Paulin-Pâris, dans ses belles études sur les chansons de gestes, est parvenu à dégager du fond primitif de cette légende toutes les additions qu’y ont faites ceux qui l’ont gâtée en voulant l’étendre, entre autres les troubadours. Il a établi que l’histoire des quatre fils Aymon a pris naissance dans les pays du nord, qu’elle appartient soit à la Flandre, soit à la Belgique ou à la Westphalie, et qu’elle a peut-être pour fondement des faits réels que l’imagination des poètes a rendus très-difficiles à discerner. Renaud a réellement été mis au nombre des saints ; sa canonisation est confirmée par le passage suivant du sceptique Bayle : « L’histoire de Luxembourg, composée par Jean Bartels, abbé d’Epternach, nous apprend que Renaud a été martyrisé pour le nom de Jésus-Christ, qu’il a été canonisé, que l’Église célèbre sa fête et qu’on lui a consacré des temples, entre autres l’église de Saint-Renaud, dans le pays de Cologne, à laquelle est annexé un couvent de filles. On voit aussi à Cologne l’église du même saint, auprès de celle de Saint-Maurice, et, dans cette église, l’image des quatre frères sur la muraille. »

Nous avons déjà parlé d’une chanson de gestes du xiiie siècle, qui est le plus ancien monument bibliographique de la légende, et dont l’auteur supposé est Huon de Villeneuve ; la Bibliothèque impériale en possède un exemplaire manuscrit. Elle possède aussi un autre manuscrit d’un poëme du xve siècle, où la même légende forme une épopée de trente mille vers. L’histoire des Quatre fils Aymon fut imprimée pour la première fois en 1493, et M. Brès en a publié, en 1820, une nouvelle édition d'où il a fait disparaître tout ce qui lui a paru s’écarter de la légende primitive. Cest en 1619 que parut à Anvers la Chronique des quatre fils Aymon, imprimée sur papier brouillard en gros caractères ; cette même chronique se vend encore aujourd’hui dans les foires de la Belgique et dans plusieurs de nos départements, avec une image grossière où l’on voit les quatre frères juchés les uns derrière les autres sur le robuste cheval Bayard. Ces petits livres, faits pour les enfants et pour les simples habitants des campagnes, s’impriment encore en très-grand nombre à Épinal, à Montbéliard et à Limoges. Enfin, tout le monde sait que l’Arioste, dans son Roland furieux, a rendu immortel le nom de Renaud de Montauban et celui de sa sœur Bradamante, dont il a évidemment emprunté les types originaux à notre légende nationale.


Voir aussi

Source
https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Larousse_-_Grand_dictionnaire_universel_du_XIXe_si%C3%A8cle_-_Tome_1,_part._4,_Au-Az.djvu/196