Histoire naturelle (Buffon)/Tome 7/Le renard
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Sommaire
Avant-propos
D'un point de vue historique, la partie rédigée par Buffon est la plus intéressante, celle de Daubenton étant nettement plus technique (et donc plutôt réservée aux spécialistes).
La partie de Buffon sera donc corrigée et indexée en détail.
La partie de Daubenton contient un exemple de traitement de tableau avec transcription. les autres tableaux sont laissés en l'état.
Le renard (par Monsieur de Buffon)
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Le renard[1]
Le Renard est fameux par ses ruses, et mérite en partie sa réputation ; ce que le loup ne fait que par la force, il le fait par adresse, et réussit plus souvent. Sans chercher à combattre les chiens ni les bergers, sans attaquer les troupeaux, sans traîner les cadavres, il est plus sûr de vivre. Il emploie plus d’esprit que de mouvement, ses ressources semblent être en lui-même : ce sont, comme l’on fait, celles qui manquent le moins. Fin autant que circonspect, ingénieux et prudent, même jusqu’à la patience, il varie sa conduite, il a des moyens de réserve qu’il fait n’employer qu’à propos. Il veille de près à sa conservation ; quoiqu’aussi infatigable, et même plus léger que le loup, il ne se fie pas entièrement à la vîtesse de sa course ; il sait se mettre en sûreté en se pratiquant un asyle où il se retire dans les dangers pressans, où il s’établit, où il élève ses petits : il n’est point animal vagabond, mais animal domicilié.
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Cette différence, qui se fait sentir même parmi les hommes, a de bien plus grands effets, et suppose de bien
plus grandes causes parmi les animaux. L’idée seule du domicile présuppose une attention singulière sur
soi-même ; ensuite le choix du lieu, l’art de faire son manoir, de le rendre commode, d’en dérober
l’entrée, sont autant d’indices d’un sentiment supérieur. Le renard en est doué, et tourne tout à
son profit ; il se loge au bord des bois, à portée des hameaux ; il écoute le chant des coqs et le cri des
volailles ; il les savoure de loin, il prend habilement son temps, cache son dessein et sa marche, se glisse,
se traîne, arrive, et fait rarement des tentatives inutiles. S’il peut franchir les clôtures, ou passer
par dessous, il ne perd pas un instant, il ravage la basse-cour il y met tout à mort, se retire ensuite
lestement en emportant sa proie, qu’il cache sous la mousse, ou porte à son terrier ; il revient quelques
momens après en chercher une autre, qu’il emporte et cache de même, mais dans un autre endroit, ensuite
une troisième, une quatrième, etc. jusqu’à ce que le jour ou le mouvement dans la maison l’avertisse
qu’il faut se retirer et ne plus revenir. Il fait la même manœuvre dans les pipées et dans les boquetaux
où l’on prend les grives et les bécasses au lacet ; il devance le pipeur, va de très-grand matin, et
souvent plus d’une fois par jour, visiter les lacets, les gluaux, emporte successivement les oiseaux qui se
sont empêtrés, les dépose tous en différens endroits, sur-tout au bord des chemins, dans les
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ornières, sous de la mousse, sous un genièvre, les y laisse quelquefois deux ou trois jours, et sait
parfaitement les retrouver au besoin. Il chasse les jeunes levreaux en plaine, saisit quelquefois les lièvres
au gîte, ne les manque jamais lorsqu’ils sont blessés, déterre les lapreaux dans les garennes, découvre
les nids de perdrix, de cailles, prend la mère sur les œufs, et détruit une quantité prodigieuse de
gibier. Le loup nuit plus au paysan, le renard nuit plus au gentilhomme.
La chasse du renard demande moins
d’appareil que celle du loup ; elle est plus facile et plus amusante. Tous les chiens ont de la répugnance
pour le loup, tous les chiens au contraire chassent le renard volontiers, et même avec plaisir. Car
quoiqu’il ait l’odeur très-forte, ils le préfèrent souvent au cerf, au chevreuil et au lièvre. On peut
le chasser avec des bassets, des chiens courans, des briquets : des qu’il se sent poursuivi, il court à son
terrier ; les bassets à jambes torses sont ceux qui s’y glissent le plus aisément : cette manière est
bonne pour prendre une portée entière de renards, la mère avec les petits ; pendant qu’elle se défend et
combat les bassets, on tâche de découvrir le terrier par dessus, et on la tue ou on la saisit vivante avec
des pinces. Mais comme les terriers sont souvent dans des rochers, sous des troncs d’arbres, et quelquefois
trop enfoncés sous terre, on ne réussit pas toûjours. La façon la plus ordinaire, la plus agréable et la
plus sûre de chasser le renard, est de commencer par boucher les terriers ; on place les tireurs
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à portée, on quête alors avec les briquets ; dès qu’ils sont tombés sur la voie, le renard gagne son
gîte, mais en arrivant il essuie une première décharge : s’il échappe à la balle, il fuit de toute sa
vîtesse, fait un grand tour, et revient encore à son terrier, où on le tire une seconde fois, et où
trouvant l’entrée fermée, il prend le parti de se sauver au loin en perçant droit en avant pour ne plus
revenir. C’est alors qu’on se sert des chiens courans, lorsqu’on veut le poursuivre : il ne laissera pas
de les fatiguer beaucoup, parce qu’il passe à dessein dans les endroits les plus fourrés, où les chiens
ont grand peine à le suivre, et que quand il prend la plaine il va très-loin sans s’arrêter.
Pour
détruire les renards, il est encore plus commode de tendre des piéges, où l’on met de la chair pour
appât, un pigeon, une volaille vivante, etc. Je fis un jour suspendre à neuf pieds de hauteur sur un arbre
les débris d’une halte de chasse, de la viande, du pain, des os ; dès la première nuit les renards
s’étoient si fort exercés à sauter, que le terrein autour de l’arbre étoit battu comme une aire de
grange. Le renard est aussi vorace que carnassier ; il mange de tout avec une égale avidité, des œufs, du
lait, du fromage, des fruits, et sur-tout des raisins : lorsque les levreaux et les perdrix lui manquent, il
se rabat sur les rats, les mulots, les serpens, les lézards, les crapaux, etc. il en détruit un grand nombre ; c’est-là le seul bien qu’il procure. Il est très-avide de miel, il attaque les abeilles sauvages, les
guêpes, les frelons,
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qui d’abord tâchent de le mettre en suite, en le perçant de mille coups d’aiguillon ; il se retire en
effet, mais c’est en se roulant pour les écraser, et il revient si souvent à la charge, qu’il les oblige
à abandonner le guêpier ; alors il le déterre et en mange et le miel et la cire. Il prend aussi les
hérissons, les roule avec ses pieds, et les force à s’étendre. Enfin il mange du poisson, des
écrevisses, des hannetons, des sauterelles, etc.
Cet animal ressemble beaucoup au chien, sur-tout par les parties intérieures ; cependant il en diffère par la tête, qu’il a plus grosse à proportion de son corps
- il a aussi les oreilles plus courtes, la queue beaucoup plus grande, le poil plus long et plus touffu, les
yeux plus inclinés ; il en diffère encore par une mauvaise odeur très-forte qui lui est particulière, et
enfin par le caractère le plus essentiel, par le naturel ; car il ne s’apprivoise pas aisément, et jamais
tout-à-fait : il languit lorsqu’il n’a pas la liberté, et meurt d’ennui quand on veut le garder trop
long-temps en domesticité. Il ne s’accouple point avec la chienne[2]; s’ils ne sont pas
antipathiques, ils sont au moins indifférens. Il produit en moindre nombre, et une seule fois par an ; les
portées sont ordinairement de quatre ou cinq, rarement de six, et jamais moins de trois. Lorsque la femelle
est pleine, elle se recèle, sort rarement de son terrier, dans lequel elle prépare un lit à ses petits.
Elle devient en chaleur en hiver, et l’on trouve déjà de petits renards
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au mois d’avril : lorsqu’elle s’aperçoit que sa retraite est découverte, et qu’en son absence ses
petits ont été inquiétés, elle les transporte tous les uns après les autres, et va chercher un autre
domicile. Ils naissent les yeux fermés, ils sont, comme les chiens, dix-huit mois ou deux ans à croître, et
vivent de même treize ou quatorze ans.
Le renard a les sens aussi bons que le loup, le sentiment plus fin, et
l’organe de la voix plus souple et plus parfait. Le loup ne se fait entendre que par des hurlemens affreux,
le renard glapit, aboie, et pousse un son triste, semblable au cri du paon ; il a des tons différens selon
les sentimens différens dont il est affecté ; il a la voix de la chasse, l’accent du desir, le son du
murmure, le ton plaintif de la tristesse, le cri de la douleur, qu’il ne fait jamais entendre qu’au moment
où il reçoit un coup de feu qui lui casse quelque membre ; car il ne crie point pour toute autre blessure,
et il se laisse tuer à coup de bâton, comme le loup, sans se plaindre, mais toûjours en se défendant avec
courage. Il mord dangereusement, opiniâtrément, et l’on est obligé de se servir d’un ferrement ou
d’un bâton pour le faire démordre. Son glapissement est une espèce d’aboiement qui se fait par des sons
semblables et très-précipités. C’est ordinairement à la fin du glapissement qu’il donne un coup de
voix plus fort, plus élevé, et semblable au cri du paon. En hiver, sur-tout pendant la neige et la gelée,
il ne cesse de donner de la voix, et il est au contraire presque muet en été. C’est dans cette saison que
son poil
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Notes de la partie rédigée par Buffon
- ↑ [page 75 note * ]
- Le Renard ; en Grec, Α'λὦπηξ ; en Latin, Vulpes ; en Italien, Volpe ; en Espagnol, Raposa ; en Allemand, Fuchss ; en Anglois, Fox ; en Suédois, Raef ; en Polonois, Liszka.
- Vulpes. Gesner. Icon. animal. quadrup. pag. 88.
- Vulpes. Ray. Synops. animal. quadrup. pag. 177.
- Canis caudâ rectâ. Linnæus.
- Vulpes vulgaris. Klein. Hist. nat. quadr. pag. 71.
- Canis fulvus, pileis cinereis intermixtis. Brisson. Regn. animal. pag. 239.
- ↑ [ page 79, note * ] Voyez les expériences que j’ai faites à ce sujet, Vol. V de cet ouvrage, article du chien.
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