Le Buffon choisi de Benjamin Rabier/Domestiques/Chien
Le chien
Cette page introduit le chapitre dédiée au chien dans la partie dédiée aux animaux domestiques du Buffon choisi de Benjamin Rabier.
Sommaire
Le chien
Le chien, indépendamment de la beauté de [sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards de l'homme. Un naturel ardent, colère, même,féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage redoutable à tous les animaux, et cède dans le chien domestique aux sentiments les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire. Il vient en rempant mettre aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talents ; il attend ses ordres pour en faire usage, il le consulte, il 1 interroge, il le supplie: un coup d œil suffit, il entend les signes de sa volonté. Sans avoir, comme l'homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment : il a de plus que lui la fidélité, la cons- tance dans ses affections : nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle de déplaire, il est tout zèle, tout ardeur et tout obéis- sance. Plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les [mauvais traitements, il les subit, les oublie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davan-
tage; loin de s'irriter ou de fuir, il s'expose lui-même à de nou- velles épreuves, il lèche cette main instrument de douleur qui vient de le frapper, il ne lui oppose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission.
Plus docile que l'homme, plus souple qu'aucun des animaux, non seulement le chien s'instruit en peu de temps, mais même il se conforme aux mouvements, aux manières, à toutes les habitudes de ceux qui lui commandent; il prend le ton de la maison qu'il habite ; comme les autres domestiques, il est dédaigneux chez les grands et rustre à la campagne : toujours empressé pour son maître et prévenant pour ses seuls amis, il ne fait aucune attention aux
gens indifférents et se déclare contre ceux qui par état ne sont faits
que pour importuner ; il les connaît aux vêtements, à la voix, à leurs gestes et les empêche d'approcher. Lorsqu'on
lui a confié pendant la nuit la garde de la maison,il devient plus ifer, et quelquefois féroce ; il veille, il fait la
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ronde; il sent de loin les étrangers et pour peu qu'ils s'arrêtent ou tentent de franchir les barrières, il s'élance, s'oppose,
et par des aboiements réitérés, des efforts et des cris de colère, il donne r alarme, avertit et combat: aussi furieux
contre les oiseaux de proie que contre les animaux carnassiers, il se précipite sur eux, les blesse, les déchire, leur
ôte ce qu'ils s'efforçaient
d'enlever ; mais content d'avoir vaincu, il se repose sur les dépouilles, n'y tou- che pas, même pour satis- faire son appétit, et donne en même temps des exemples de courage, de tempérance et de fidélité.
On sentira de quelle importance cette espèce est dans l'ordre de la nature, en suppo- sant un instant qu'elle n'eût jamais existé. Com- ment l'homme aurait-il pu, sans le secours du
chien, conquérir, domp- ter, réduire en esclavage les autres animaux? Comment pourrait-il encore aujourd'hui découvrir, chasser, détruire les i bêtes sauvages et nuisibles? Pour se mettre en sûreté, et pour se rendre maître de l' univers vivant, il a fallu com-
mencer par se faire un parti parmi les animaux, se concilier avec douceur et par caresses ceux qui se sont trouvés capables de s'attacher et d'obéir, afin de les opposer aux autres : le premier art de l'homme a donc été l'éducation du chien, et le fruit de cet art, la conquête et la possession paisible de la terre.
Le chien, fidèle à l'homme, conservera toujours une portion de l'empire, un degré de supériorité sur les autres animaux ; il leur commande, il règne lui- même à la tête d'un troupeau, il s'y fait mieux en- tendre que la voix du berger ; la sûreté, l'ordre et
la discipline sont les fruits de sa vigilance et de son activité ; c'est un peuple qui lui est soumis, qu'il conduit, qu'il protège, et contre lequel il n'emploie jamais la force que pour y maintenir la
paix.
L'on peut dire que le chien est le seul ainmal dont la fidélité soit à l'épreuve, le seul qui connaisse toujours son maître et les amis de la maison ; le seul qui, lorsqu'il arrive un inconnu, s'en aperçoive ; le seul qui entende son nom et qui reconnaisse la voix domestique ; le seul qui ne se confie point à lui-même : le seul qui, lorsqu'il a perdu ~sot maître et qu'il ne peut le retrouver, l'appelle par ses gémissements ; le seul qui, dans un voyage long
qu'il n'aurait fait qu'une fois, se souvienne du chemin et retrouve la route: le seul enfin dont les talents naturels soient évidents et l'éducation toujours heureuse.
Et de même que, de tous les animaux, le chien est celui dont le naturel est le plus susceptible d'impression, et