Le Buffon choisi de Benjamin Rabier/Domestiques/Cheval
Le cheval
Le Buffon choisi de Benjamin Rabier (1924) L'homme - Animaux domestiques - Animaux sauvages - Oiseaux - Poissons - Cétacés - Tables |
Le cheval
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La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal qui partage avec
lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats ; aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril
et l'affronte, il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche et s'anime à la même ardeur. Il partage
aussi ses plaisirs : à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle ; mais docile autant que courageux,
il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvements ; non seulement il fléchit sous la
main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou
s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire. C'est
une créature qui renonce à son être pour
n exister que par la volonté d'un autre, qui sait
même la prévenir, qui, par la promptitude et la
précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute, qui sent autant qu'on le désire, et ne rend
qu'autant qu'on veut ; qui, se livrant sans réserve,
ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces,
s'excède et même meurt pour mieux obéir.
Les chevaux sont naturellement doux et très disposés à se familiariser avec l'homme et à s'attacher à lui : aussi n'arrive-t-il jamais qu'aucun d'eux quitte nos maisons pour se retirer dans les forêts ou dans les déserts ; ils marquent au contraire beaucoup d'empressement pour revenir au gîte, où cependant ils ne trouvent qu'une nourriture grossière, toujours la même, et ordinairement mesurée sur l'économie beaucoup plus que sur leur appétit; mais la douceur de l'habitude leur tient lieu de ce qu'ils perdent d'ailleurs. Après avoir été excédés de fatigue, le lieu de repos est un lieu de délices ; ils le sentent de loin, ils savent le reconnaître au milieu des plus grandes villes, et semblent préférer en tout l'esclavage à la liberté ; ils se font même une seconde nature des habitudes auxquelles on les a forcés ou soumis, puisqu'on a vu des chevaux, abandonnés dans les bois, hennir continuellement pour se faire entendre, accourir à la voix des hommes, et en même temps maigrir et dépérir en peu de temps, quoiqu'ils eussent abondamment de quoi varier leur nourriture et satisfaire leur appétit.
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Le cheval est de tous les animaux celui qui, avec une grande taille, a le plus de proportion et
d'élégance dans les parties de son corps. Le grand allongement des mâchoires est la principale cause de la
différence entre la tête des quadrupèdes et celle de l'homme. Cependant, quoique les mâchoires du cheval
soient fort allongées,
la régularité des proportions de sa tête
lui donne un air de
légèreté qui est bien
soutenu par la beauté
de son encolure. Le
cheval semble vouloir se mettre au-dessus de son état
de quadrupède en
élevant sa tête; dans
cette noble attitude
il regarde l'homme
face à face ; ses yeux
sont vifs et bien ouverts, ses oreilles sont
bien faites et d'une
juste grandeur, sa
crinière accompagne
bien sa tête, orne
son cou et lui donne
un air de force et
de fierté ; sa queue
traînante et touffue
couvre et détermine
avantageusement l'extrémité de son corps : elle est formée par des crins épais et longs qui semblent sortir de
la croupe, parce que le tronçon dont ils sortent est fort court ; il ne peut relever sa queue comme le lion,
mais elle lui sied mieux quoique abaissée : et comme il peut la mouvoir de côté, il s'en sert pour chasser
les mouches qui l'incommodent ; car quoique sa peau soit très ferme, et qu'elle soit garnie partout d'un poil
épais et serré, elle est cependant très sensible.
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