Les chats (1727) Moncrif/Lettre 1
Première lettre
PREMIÈRE LETTRE,
A MADAME
LA M. DE B * * *
Le cœur ne vous a-t-il point battu toute cette soirée, Madame ? On a parlé des Chats dans une maison d'où je sors ; on s'est déchaîné contre eux, et vous savez combien cette injustice-là coûte à supporter. Je ne vous rapporterai point tous les ridicules et tous les vices dont les Chats ont été accusés.
Je serais bien fâché de les avoir redis. (1)
J'ai tenté de défendre leur cause, il me semble que j'ai parlé raison ; mais dans les disputes, est-ce avec cela qu'on persuade ? Il aurait fallu de l'esprit. Où étiez-vous. Madame ? J'ai soutenu d'abord la sortie qu'on m'a faite avec ce sang froid & cette modération qu'on doit garder en exposant les opinions les plus raisonnables, quand elles ne sont pas encore bien établies dans les esprits : mais il est survenu un incident qui m'a absolument déconcerté. Un Chat a paru, et d'abord une de mes adversaires a eu la présence d'esprit de s'évanouir. On s'est mis en colère contre moi ; on m'a déclaré que tous les raisonnements de la philosophie ne pourraient rien contre ce qui venait de se passer ; que les Chats n'ont été, ne sont et ne seront jamais que des animaux dangereux, insociables. Ce qui m'a pénétré de douleur, est que la plupart de ces conjurés sont gens de beaucoup d'esprit.
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