Le Buffon choisi de Benjamin Rabier/Sauvages/Carnassiers/Loutre
La loutre
La loutre
La loutre est un animal vorace, plus avide de poisson que de chair, qui ne quitte guère le bord des rivières ou des lacs, et qui dépeuple quelquefois les étangs ; elle a plus de facilité qu'un autre pour nager. Elle nage presque aussi vite qu'elle marche; elle ne va point à la mer, mais elle parcourt les eaux douces et remonte ou descend les rivières à des distances considérables : souvent elle nage entre deux eaux et y demeure assez longtemps; elle vient aussi à la surface, afin de respirer.
A parler exactement, elle n'est point animal amphibie, c'est-à-dire animal qui peut vivre également dans l'air et dans l'eau; elle a besoin de respirer à peu près comme tous les autres animaux terrestres : si même il arrive qu'elle s'engage dans une nasse à la poursuite d'un poisson, on la trouve noyée. Elle a les dents comme la fouine, mais plus grosses et plus fortes relativement au volume de son corps. Faute de poissons, d'écrevisses, de grenouilles, de rat d'eau ; ou d'autre nourriture, elle coupe les jeunes rameaux et mange l'écorce des arbres aquatiques; elle mange aussi de l'herbe nouvelle au printemps: elle ne craint pas plus le froid que l'humidité.
Ordinairement les jeunes animaux sont jolis; les jeunes loutres sont plus laides que les vieilles. La tête mal faite, les oreilles placées bas, des yeux trop petits et couverts, l'air obscur, les mouvements gauches, toute la figure ignoble, informe, un cri qui apparaît machinal, et qu'elles répètent à tout moment, sembleraient annoncer un animal stupide; cependant la loutre devient industrieuse avec l'âge, au moins assez pour faire la guerre avec grand avantage aux poissons, qui, pour l'instinct et le sentiment, sont très inférieurs aux autres animaux.
Les loutres ne creusent point leur domicile elles-mêmes ; elles se gîtent dans le premier trou qui se présente, sous les racines des peupliers, des saules, dans les fentes des rochers, et même dans les piles de bois à flotter; elles y posent aussi leurs petits sur un lit fait de bûchettes et d'herbes; l'on trouve dans leur gîte des têtes et des arêtes de poisson; elles changent souvent de lieu; elles emmènent ou dispersent leurs petits au bout de six semaines ou de deux mois.
La loutre est, de son naturel, sauvage et cruelle; quand elle peut entrer dans un vivier, elle y fait ce que putois fait dans un poulailler; elle tue beaucoup plus de poissons qu'elle ne peut en manger, ensuite elle en emporte un dans sa gueule. Le poil de la loutre ne mue guère ; sa peau d'hiver est cependant plus brune et se vend plus cher que celle d'été ; elle fait une bonne fourrure.
Cette espèce, sans être en très grand nombre, est généralement répandue en Europe, depuis la Suède jusqu'à Naples, et se retrouve dans l'Amérique septentrionale.