Collection ALS/1975/Maubeuge Maillet

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Homme de science lorrain : le naturaliste Benoît de Maillet


 

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Titre : Homme de science lorrain : le naturaliste Benoît de Maillet
Auteur : Pierre-Louis Maubeuge
In : Bulletin de l'Académie lorraine des sciences, Série 7, Tome 14, numéro 4.
Dates: création : 1975, mise en lecture 29 janvier 2025

Ce texte est en fait la deuxiéme partie d'un article intitulé :

Iconographie introductive

Benoît de Maillet.jpg Portret van Benoit de Maillet, RP-P-1908-4502.jpg

Le naturaliste Benoît De Maillet

PDF file icon.svg[141] Le cas de De Maillet est différent de celui de Calinon(Blason du Grand Est.svg), bien entendu, d'une part, du fait qu'il est de souche purement lorraine ; de l'autre, attendu que, s'il est à peu près inconnu des Lorrains, il a eu son heure de célébrité et a été tiré, ces années dernières, de l'obscurité de l'histoire scientifique par Carozzi. Ce dernier a publié, en américain, une traduction de l'ouvrage posthume de De Maillet et attiré l'attention à nouveau à son propos avec un bel article dans Endeavour. Si Calinon était un Lorrain d'adoption, par contre, De Maillet a abandonné très tôt sa province et il n'est pas illogique de rapprocher les deux hommes en tant que gens de science lorrains, de ce fait.

Benoît De Maillet est né à St-Mihiel, dans la Meuse, le 12 avril 1656, de famille noble, ayant par là, une éducation poussée. On n'a pratiquement pas de renseignements détaillés à son propos quant à sa vie en Lorraine. Aussi, son cas étant signalé, il n'est pas impossible, encore que la première guerre mondiale ait ravagé St-Mihiel, que l'on trouve un jour, quelque part en Lorraine, des documents intéressants à ce sujet. A 33 ans, en 1692, nous le trouvons nommé Consul général du Roi de France en Égypte, grâce au Chancelier De Pontchartrain qui le protégeait. Il resta en Égypte jusqu'en 1708, profitant de son séjour et de ses voyages pour faire de nombreuses observations et rédiger ses travaux. Riche et avec les prérogatives de son poste, il fit beaucoup de voyages et des recherches ; il chargea même des relations de faire des observations là où il le souhaitait. La connaissance totale de l'arabe lui permit d'aller aux sources-mêmes, archives et manuscrits. En 1708, il est consul à Livourne qu'il quitte en 1714 pour prendre de 1715 à 1720 la fonction d'Inspecteur des établissements français dans le Levant et sur les côtes de Barbarie. Il fit ainsi son ultime voyage en Égypte en 1718. En 1720, il revient en France et fuit l'épidémie de peste de Marseille pour rester de 1720 à 1721 à Paris. Il allait trahir sa patrie lorraine pour se retirer en 1721 sur les rives tièdes de la Méditerranée, à Marseille, où il mourut à l'âge respectable et enviable de 82 ans, le 30 janvier 1738. Pendant toutes ces pérégrinations et PDF file icon.svg[142] son exil provençal, il tramait avec lui le manuscrit d'un travail considérable qu'il reprenait sans cesse, y ajoutant retouches et observations nouvelles. On dispose d'une gravure qui nous montre un gentilhomme en tenue guerrière avec cuirasse et évidemment perruque qui change quelque peu la physionomie ; la figure respire l'intelligence et l'énergie, et l'œil est scrutateur, l'ensemble faisant oublier la poussée de chair sur la lèvre.

Dix ans après sa mort, seulement en 1748, paraît à Amsterdam un ouvrage où les gens avertis retrouvent dans l'anagramme Telliamed le nom de De Maillet et la confirmation de la paternité du travail. Le long titre, abrégé, est : « Telliamed, ou Entretiens d'un philosophe indien avec un missionnaire français sur le retrait de la mer, la formation de la terre, l'origine de l'homme » . L'abbé Jean-Baptiste Le Mascrier assurait dans les années suivantes, de 1749 à 1797, une série d'éditions à Bâle, La Haye, Paris, Londres, Baltimore. L'idée était de trouver une conciliation entre le système développé et le dogme catholique. En fait l'ouvrage impliquait un univers éternel et subissant les effets et changements du hasard, avec élimination d'un Dieu personnifié architecte et ordonnateur souverain. Le pauvre abbé se fourvoyait.

L'auteur a un système cosmique de la pluralité des mondes habités, appuyé par la théorie cartésienne des tourbillons. Les astres passent par des phases où ils sont soleils pour devenir, refroidis, des planètes obscures. La Terre est dans une telle phase d'obscurité et la mer ayant toutefois occupé tout le globe diminue par évaporation pour disparaître finalement. Pour De Maillet, la mer est responsable du façonnement du globe et de ses caractères lithologiques et structuraux. Pensons bien à l'époque et à ce qu'est la Science quand on lit qu'il a fallu deux milliards d'années pour engendrer ce que nous voyons aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'intuitions, mais de raisonnements et l'ordre de grandeur admis, révolutionnaire, est une vue géniale en soi, vu le moment. Plantes, animaux, et homme sont issus de la mer et par transformisme devinrent terrestres à la suite de l'émersion du globe. On conçoit qu'il fallait la protection et l'alibi d'un pseudo-philosophe indien pour sortir de telles nouveautés à cette époque, malgré les remous avant-coureurs d'une révolution générale de la pensée.

Fort de ses observations en Égypte, De Maillet formule une théorie expérimentale du retrait des mers et pose des fondements de la géologie, sédimentologie, stratigraphie et paléoécologie dirions-nous aujourd'hui. Les aperçus océanographiques s'accompagnent de la description de l'ancêtre des appareils de plongée sous-marine. Il Modèle:Corps article/Page PDF[143] y a œuvre scientifique car, non seulement les théories que l'on peut opposer à la conception nouvelle sont discutées, mais aussi analysés les travaux des naturalistes antérieurs, Les difficultés d'estimer la vitesse du retrait de la mer sont expliquées et les 7,5 cm séculaires de retrait marin sont basés sur des observations de puits liés à la mer. Il y a des plans de stations océanographiques proposés et dessinés. Un seul domaine a donné libre cours à la fantaisie, celui de la propagation des espèces par les semences. Toutes les conceptions de De Maillet rassemblées dans les trois entretiens de l'ouvrage participent à une synthèse cosmique axée sur le retrait de la mer. La position de la Terre par rapport aux autres astres est clairement considérée comme un fait dynamique, en relation avec des conditions, passées, présentes, et à prévoir.

Dans les années qui suivirent, la diffusion du travail suscita des réactions violentes de naturalistes, révolta les savants présumés orthodoxes et indigna les gens d'église. Des essais de réfutation furent publiés, par contre, un sieur J. F. M. Voltaire Arouet, plus connu sous le premier nom, y vit, avec une étonnante déduction, malgré sa propre forme de polémiste, l'annonce de l'expression de la tendance scientifique matérialiste débouchant sur l’Évolutionnisme décrit par Lamarck et Darwin. Voltaire s'est longuement ébaudi et diverti des théories de notre compatriote. N'oublions pas de noter que ce grand esprit national, ricanait aussi sur les théories voulant que les coquilles (que nous appelons fossiles) trouvées dans les montagnes de France prouvent le caractère marin des dépôts ; il s'agissait simplement de vestiges alimentaires, spécialement de pèlerins se rendant à Saint-Jacques de Compostelle. On ne saurait être... plus perspicace et précis dans ses déductions !

Buffon et Cuvier furent influencés et inspirés par l'œuvre de De Maillet, comme les naturalistes de l'époque amenés à penser, revoir leurs conceptions. L'Histoire Naturelle de Buffon (en fait Louis Leclerc G., Comte de) en 44 volumes, parue de 1749 à 1804, était commencée dès 1744, début rédigé. La parution débuta après celle des pensées du « philosophe indien ». Buffon apparaît dès le premier volume comme le successeur de Bernard DE PALISSY dont on sait le rôle de pionnier en stratigraphie ; mais il l'est autant de DE Maillet. Et Carozzi rappelle justement que LAMOIGNON DE MALESHERBES a posé crûment la question de la paternité des idées de Buffon dans sa théorie de la terre. PDF file icon.svg[144] Buffon n'a jamais cité une fois le nom de De Maillet, mais vu les dates, les manuscrits circulant, il est certain qu'il les a consultés.

Cuvier se déclara contre les idées de De Maillet, citant abondamment cet auteur, et s'attachant en de longues pages à tenter de le réfuter. Cuvier rend hommage à De Maillet comme premier auteur imprimé ayant énoncé l'idée du transformisme du monde vivant. II rend l'auteur responsable de l'apparition de théories analogues, simples, dérivées, et il tonnait contre J. B. De Lamark, le qualifiant de « sectateur De Maillet » par son Hydrogéologie et sa Philosophie zoologique.

Près d'un siècle, l'ouvrage subit des attaques à boulets rouges de toute parts jusqu'à ce que le transformisme fut acquis comme fait scientifique. De Maillet a trouvé dans tous les travaux traitant du transformisme hommage légitime à ses vues prophétiques.

Par contre, si nous ne sommes pas en face d'un inconnu [1] ou méconnu exhumé de l'histoire des sciences, sa paternité du transformisme généralisé étant établie, en géologie marine et sédimentologie, De Maillet a été un méconnu. Carozzi a justement insisté sur ce fait.

Pour De Maillet, les courants marins remaniant les sédiments et les pierres d'origine extraterrestre, ont constamment redistribué ces différents éléments de base, engendré des montagnes primitives. Ce sont actuellement les plus hautes de la Terre et leurs couches sont horizontales. Ces roches sont sans fossiles car la mer était trop profonde pour permettre la vie. C'est là la description des roches métamorphiques formant le cœur de nombreuses chaînes de montagnes, encadrées de parties plus basses, sédimentaires. Les matériaux étaient durcis par action du sel marin, émergeant au retrait des océans, mais déjà avec leurs caractéristiques principales de relief et morphologie ; il y avait simples retouches ultérieures. De Maillet décrit l'érosion, le transport et la sédimentation fluviale mais ne sait pas en voir la portée générale. Il voit ce que sont les chenaux marins, les estuaires avec mouvement des eaux, mais extrapole en voulant que toutes les vallées fluviatiles soient des anciens chenaux marins. Ce qui est curieux, c'est qu'un esprit aussi analyste, par ailleurs arabisant averti, ait ignoré qu'en 1021 Ibn Sina dit Modèle:Corps article/Page PDF[145] Avicenne[2], avec d'ailleurs publication en latin. AGRÍCOLA en 1546, N. STENON, 1669 , avaient parfaitement montré le rôle propre des rivières dans l'érosion et la morphologie. Il était victime de sa théorie exclusive du retrait des mers ; car aucun esprit n'est capable de ne pas se tromper dans une partie de son œuvre.

L'émersion entraînant des altérations, la vie apparaît dans le fond des mers et le roman de la vie s'écrit. Les apports, surtout les limons, et l'action du soleil déclenchent les processus car DE MAILLET, tenant de ce que l'on appelle la panspermie cosmique, admet l'apport des germes de vie extérieurs. Ces germes existent autour de toutes les planètes. Les mers et leurs régressions, la surrection des continents, tous faits constants, imposent aux formes de vie une évolution régulière par adaptation. Les plantes marines deviennent terrestres, les poissons deviennent tétrapodes et les oiseaux apparaissent pour coloniser le milieu aérien. Tritons et sirènes quittant la vie marine, abominable blasphème pour les croyants à la lettre des livres saints, deviennent à leur tour des humains. Cette idée l'amenait à l'incroyable notion d'une apparition très primitive de l'homme, au milieu même de l'histoire de la terre. Il avait pourtant saisi l'effroyable et surhumaine durée des temps géologiques et le concept d'évolution. Mais il croyait trouver des preuves, des faits lui imposant ses conclusions, avec des interprétations erronées : si les outils préhistoriques de l'époque du bronze et du fer sont bien interprétés des vertèbres tertiaires sont considérées comme reste de squelettes humains (et ceci rappelle la Salamandre fossile de SCHEUCHZER considérée comme « fossile de l'Homme témoin du Déluge », biblique) ; les fragments de schistes rouges parfaitement notés dans des conglomérats sont des débris de poteries humaines, les bois silicifiés Modèle:Corps article/Page PDF[146] des dépôts continentaux sont des débris de bois appartenant à des bateaux pétrifiés !

Des montagnes secondaires viennent flanquer et compléter les primaires, mais ceci par sédimentation et érosion des courants de fond et les vagues des eaux peu profondes sur les rivages en régression. Les montagnes secondaires auront des cycles à leur tour avec des générations de montagnes de plus en plus basses aussi longtemps que l'assèchement ne sera pas établi sur le globe terrestre, par apport de l'érosion littorale régressive. Ce que nous considérons com- me des déformations tectoniques est pour De Maillet le résultat des perturbations de la sédimentation sur le fond marin pendant les violentes tempêtes (les tectoniciens contemporains parlent de tempêtes orogéniques, notons-le tout de même ! ).

Tous les humains sont tributaires d'un patrimoine commun de pensée depuis qu'un quelconque anthropoïde se mit à considérer un objet devenu outil ; et ceci ramène à la modestie le plus grand savant. C'est très justement que, en fait, Carozzi souligne que De Maillet n'a pas été le premier à exprimer toutes ses idées. Déjà LUCRÈCE et EPICURE soutenaient l'éternité de la matière et la transformation de l'Univers ; et des inconnus y ont pensé très vraisemblablement avant eux. L'influence des idées arabes est importante dans l'œuvre de De Maillet, Déjà ANAXIMANDRE DE MILET (610 - 547 avant J.C.), DIOGENE D'APPOLONIE (vers 435 avant J.C.) , XANTHUS DE LYDIE (vers 480 avant J.C.) , OMAR AL-KHAYYAM (vers 1100 ) soutenaient la théorie du retrait des mers et du mouvement des océans. Depuis fort longtemps, de confuses idées s'exprimaient dans l'Antiquité quant à un transformisme. Mais c'est bel et bien avec De Maillet que fut exprimée pour la première fois la notion d'un système cohérent à ce propos, ouvrant la voie à une interprétation du monde vivant.

Les Lorrains seraient des ingrats à oublier trop souvent, comme ils le font, le rôle de précurseur de l'un des leurs avec l'évolutionnisme, tentative d'établissement par les voies scientifiques d'une vue synthétique et acceptable pour l'esprit humain dans les sciences de la vie.

BIBLIOGRAPHIE

Siostedt CE. — L e Axiome de Parallèles, 1968 Lund, 940 pp. Ed Interlingue-Fondation (en « Interlingue » ) .

Carozzi A. — Etude sur B . De Maillet dans « Endeavour » ; bibliographie incluse.

Note
Je remercie très vivement mon collègue M . Albert V . Carozzi, professeur de Géologie à l'Université de l'Illinois pour m'avoir permis d'utiliser sa documentation et autorisé à reproduire le portrait de De Maillet illustrant son article. (Document Library of Congress).

Notes de l'article

  1. Le tome X , Paris 1873 du Grand Dictionnaire Universel de Pierre Larousse, consacre un article à De Maillet.
  2. Non sans arrière-pensée de propagande culturelle, les historiens russes de la science ont exhumé Al Biruni qui vivait dans les régions Nord de l'Afghanistan, actuellement en URSS. Né en 973 , mort vers 1050, Al Biruni, à 17 ans discutait déjà ARISTOTE et des atomes. Il a polémiqué avec ce même AVICENNE, plus jeune de 7 ans, dont il paraît avoir tenté de minimiser la portée des travaux, dans ses œuvres, en le celant (AVICENNE était médecin et philosophe). Il envisageait l'héliocentrisme se référant aux livres antiques hindous ; admettait un mobilisme de la Terre, rochers et arbres ne tom- bant pas c a r attirés vers le centre de la Terre. Il y avait donc idée de la gravitation bien avant Newton. La mesure du diamètre de la Terre était faite par Al Biruni à 110 km près des résultats actuels. Il admet en géologie qu'il y a « très très longtemps » il y a eu des changements de climat nous d e meurant inconnus. Des changements géologiques ont eut lieu avant la création de l'homme et durant l'existence de l'humanité. Il dit « la mer est devenue terre et la terre est devenue mer » ; « le désert d'Arabie était une mer », etc. Il donne comme preuve que quand on creuse des puits, on trouve des traces d'animaux conservés, donc ce que nous appelons des fossiles. VOLTAIRE ignorant ses idées, Al Biruni a échappé aux sarcasmes du grand Frençais .

Voir aussi

Dans le réseau Wicri :

La page de référence « Collection ALS/1975/Maubeuge Maillet » est sur le wiki Wicri/Soc Grand Est.