CIDE 13 Paris Le Crosnier

De Wicri SIC
Révision datée du 18 décembre 2010 à 18:27 par imported>Jacques Ducloy (Bibliographie)
Attention : page en cours de création, voir la page de discussion
Webdesign, normalisation & stratégie des firmes
Auteurs
herve@info.unicaen.fr
 
jml@info.unicaen.fr
Affiliations
(1) GREYC (Groupe de recherche en Informatique, Image, Automatique et Instrumentation de Caen) – CNRS UMR 6072 – Université de Caen Basse-Normandie
(2) ISCC (Institut des Sciences de la Communication du CNRS, Paris
Mots-clés 
documents numériques, diffusion, internet, stratégie, vidéo, web mobile, eBook, HTML5, webdesign
Keywords
document, broadcast, internet, competition, strategy, video, mobile web, eBook, HTML5, webdesign
Résumé 
Les conséquences pour les webdesigners de la première « guerre des navigateurs » de la fin des années 90 avaient montré l'importance de la normalisation, aboutissant à la création du W3C. L'indépendance des documents vis-à-vis des firmes verticales qui produisent terminaux, outils de composition et plate-formes de diffusion est-elle encore garantie dans la nouvelle période ouverte avec HTML5 et le web mobile ?
Abstract 
At the end of the nineties, the first « Browser war » underlined the central role for specifications and the newly created W3C. Nowadays, with the arrival of HTML5 and mobile web, are digital documents still independant from major firms who control and produce terminals, tools, broadcasting platforms?

Introduction

Étant donné la multiplicité des moyens d'accès au web et aux documents, l'acte de création ne suffit plus pour construire un document numérique afin de le présenter au public. Il convient de l'accompagner d'une ingénierie de composition, de lui associer diverses formes de contenu (images, vidéos, animations) et le décliner pour de multiples dispositifs de lecture, depuis les écrans des mobiles jusqu'aux ordinateurs de bureau, et dorénavant les tablettes. Une fois rédigé, avec toutes ces complexités, le document numérique doit encore trouver un chemin parmi les divers modèles de diffusion, entre l'exposition web, le streaming, la circulation de livres numériques ou les Apps pour terminaux mobiles.

Engagé au début des années 90, le travail de normalisation avait pour objectif de réduire la pression sur les créateurs, les compositeurs et les éditeurs de contenus numériques afin de permettre l'accès le plus universel à leurs productions. Cette nécessité relevait de deux objectifs : en finir avec la « guerre des navigateurs » et redonner au document numérique une capacité à construire la mémoire collective, en garantissant l'archivage, et la diffusion la plus étendue. Ces objectifs restent l'apanage de toutes les tentatives de normalisation autour du document numérique, on les retrouve actuellement dans l'adoption du format ePub pour le livre numérique par le consortium IDPF[1], ou la mise au point de normes de métadonnées pour les bibliothèques numériques telles METS.

Cependant, le numérique est aussi un vaste champ de bataille économique pour les firmes technologiques. Dans ce cadre, les documents numériques deviennent des produits d'appel pour toute une série de produits (mobiles, smartphones, tablettes, liseuses, nouvelles consoles de jeux, télévision numérique,...). Proposer une large gamme de contenus devient essentiel pour lancer de nouveaux appareils sur le marché. On pourrait penser que cela favoriserait la normalisation, rendant les documents indépendants des outils de lecture. Mais c'est sans compter avec la tendance de l'économie des réseaux à favoriser les monopoles autour de l'effet de réseau : maîtriser toute la chaîne de production-diffusion-lecture et avoir les moyens d'en évincer les concurrents reste la stratégie principale des firmes du secteur. Elles créent pour cela des systèmes fermés d'achat (les Apps stores) et valorisent des formats propriétaires, notamment en les défendant par des brevets puisque certains pays, en particulier les États-Unis et le Japon, acceptent le dépôt de brevets sur le logiciel, les algorithmes et les formats de données.

L'ouverture des échanges dans un réseau universel et normalisé, l'usage élargi des logiciels libres, la définition de tests reconnus pour juger l'adéquation des outils aux normes (test ACID3 ), la rédaction de guides de meilleures pratiques (notamment les règles pour l'accessibilité – WCAG -, les règles mobileOK et la logique des cool-URIs ) penchent vers la mise au point de solutions collectives, sur lesquelles les webdesigners peuvent construire les documents numériques et les lancer sur le grand terrain de l'économie de l'attention. À cette ouverture et ces solutions s'opposent les stratégies commerciales, les guerres d'influence, la soumission des choix techniques aux rivalités de groupes hyperconcentrés, et la volonté des acteurs industriels de capter à leur profit les développeurs et les designers, en les incitant à se focaliser sur une technologie spécifique pour emballer les contenus dont ils ont la responsabilité. Une stratégie de segmentation du monde documentaire qui fait porter sur les webdesigners les effets de la recomposition permanente des rapports de force industriels, mais aussi les risques concernant la pérennité des documents. Sans parler de l'augmentation du « ticket d'entrée » pour produire des documents qui pourront circuler largement, multiplate-formes et lisibles avec divers dispositifs.

Vers une nouvelle guerre des navigateurs

« Browser war » est le terme communément utilisé sur le web pour décrire les conflits entre entreprises qui empoisonnaient la vie des webdesigners à la fin des années 90. Netscape possède alors 80% des parts de marché, Internet Explorer 3 environ 10%. Inquiet de sa faiblesse dans le domaine, Microsoft se lance dans le développement de la version 4 de son logiciel. Son lancement en octobre 1997 déclenche la guerre. Fort de son avance, Netscape imagine pouvoir tenir tête au géant. L'installation automatique de IE4 avec Windows98 signe l'arrêt de mort de Nestcape et assure l'écrasante domination de Internet Explorer qui atteignit jusqu'à 90% de parts de marché. Racheté par AOL, le code source du navigateur Netscape est passé en open source via la création de la Fondation Mozilla, créant ainsi l'ancêtre du navigateur actuel Firefox. C'est grâce à ses qualités techniques, et notamment à son strict respect des normes du W3C que Firefox doit son retour sur la scène. Les webdesigners ont besoin d'un outil ayant un comportement cohérent, les formateurs et les rédacteurs de tutoriels aussi, qui peuvent alors expliquer des principes et non lister des « trucs et astuces ». Cependant, l'installation automatique de IE4, puis celle du lecteur multimédia Media Player, avec Windows déclenche une autre bataille, juridique cette fois. Si la procédure menée aux États-Unis par treize États contre Microsoft est abandonnée sur pressions fédérales, la Commission Européenne décide de poursuivre Microsoft pour abus de position dominante. Ce procès, aboutissant à des amendes record qui firent la Une des médias, contraint Microsoft à présenter une version différente de son système d'exploitation en Europe. Pour autant, le navigateur Internet Explorer reste « pré-installé » sur les ordinateurs tournant sous Windows, continuant ainsi à représenter « l'internet » pour les usagers néophytes. C'est ce qui a conduit l'éditeur norvégien du navigateur Opera à déposer en 2007 une autre plainte [1], moins médiatisée, mais qui va raviver la nouvelle « guerre des navigateurs ». Opera reproche à Microsoft la vente liée du système d'exploitation et du navigateur Internet Explorer. Pour éviter une nouvelle bataille juridique et le risque de nouvelles amendes record, Microsoft négocie une solution alternative. L'accord conclu entre la Commission Européenne et la firme de Redmond prévoit un « écran de choix » (ballot screen) du navigateur qui est proposé à l'installation de Windows7 et pour les mises à jour de Windows Vista et XP. Cet écran met plus de 100 millions d'utilisateurs européens devant le choix entre 5 navigateurs : Explorer, Firefox, Opera, Safari et Chrome . Fort de ses récents succès, on pouvait imaginer que la Fondation Mozilla et son produit phare Firefox seraient les grands gagnants de ce nouveau mode d'installation du navigateur. Mais c'est compter sans les nouveaux acteurs, en particulier Chrome, le navigateur de Google. Au départ motivés par ce nouveau concurrent, et fiers de leurs prouesses informatiques, les développeurs de Firefox ont un peu oublié que la bataille ne se joue pas principalement sur le plan technique. Car Google a sorti l'artillerie lourde dans des campagnes de publicité massives et impressionnantes pour son navigateur Chrome dès la fin 2009. Combien d'utilisateurs sélectionneront Chrome au moment du choix du navigateur, simplement parce que Google fait « forcément de bons produits » et que les annonces Chrome, partout dans le métro ou dans la presse, auront inscrit la « marque » dans l'esprit des débutants ? En tout cas les statistiques de navigateurs montrent que les quelques 7% de parts de marché perdues par Internet Explorer depuis janvier 2010 ont bénéficié uniquement à Google Chrome, les autres navigateurs ayant aussi perdu des parts de marché ou au mieux stagné (Opéra). Le choix du navigateur devient donc un moment stratégique pour les éditeurs de logiciels. Cette nouvelle opportunité pour l'évolution des navigateurs renforce par ailleurs le changement de statut de cet outil au sein du système informatique. Avec le développement d'une approche répartie de l'internet et de l'accès à distance aux logiciels et aux documents (Software as a service, Cloud Computing), le navigateur est en passe de devenir le logiciel central pour l'utilisateur. Certains pensent même qu'il pourrait détrôner les systèmes d'exploitation graphiques. C'est en tout cas l'option choisie dans les développements d'un « Google OS », un système d'exploitation qui combinerait la machine « locale » et les services répartis sur le web, les données et les programmes étant stockés (et sauvegardés) sur le réseau ou dans des caches temporaires. Une conception en phase avec le développement de HTML5 comme une API sur les pages web et avec la construction de data centers redondants et hyperpuissants [2]. Les produits de Google sont dans ce domaine les plus représentatifs de cette tendance. Microsoft étant difficilement détrônable sur le terrain des systèmes d'exploitation, la société de Mountain View déplace la bataille sur Internet. La suite logicielle Google Docs est pensée comme une alternative simple et gratuite à Microsoft Office. Couplée au navigateur de Google, elle est aussi utilisable hors connexion (grâce à Google Gears). Un type d'applications mixte qui va se généraliser lorsque les navigateurs implémenteront en standard les possibilités de travail hors ligne prévues avec HTML5. Car HTML 5 est aujourd'hui le nœud autour duquel s'articulent tous les affrontements entre les firmes de l'internet, mais aussi tous les espoirs des webdesigners pour enrichir l'expérience utilisateur. HTML5 est accompagné par de nombreuses API qui transforment la page web en une application web qui travaille sur un ou plusieurs documents. C'est un changement radical d'approche [3] qui donne une nouvelle place à la fois aux webdesigners (construction de pages et de services appuyés sur des documents) mais aussi aux programmeurs (les « informations » ont tendance à être envoyées directement au navigateur, par exemple sous forme d'objets JSON, charge à un programme local de les organiser dans des pages présentées au lecteur). Les « documents » ne précèdent ainsi plus la circulation de l'information, mais sont recomposés à l'arrivée à partir de données plus ou moins brutes. La rapidité d'exécution de Javascript d'une part et la mise à disposition d'API sur le contenu des pages HTML5 d'autre part sont des facteurs clés de ce bouleversement. On voit ainsi les test de comparaison des navigateurs inclure de plus en plus un benchmark sur des opérations javascript, autant que la conformité avec les tests ACID3 pour le respect des normes HTML et CSS.

Navigateurs et Vidéo

La diffusion de la vidéo est le domaine où la dépendance au logiciel utilisé est la plus marquante. Le passage de la diffusion télévisuelle sur internet (convergence) et l'arrivée de la vidéo à la demande s'accompagnent d'une délinéarisation : l'internaute décide du moment, du lieu et de l'outil avec lequel il va accéder au programme. Une pratique renforcée par l'accès au travers des mobiles. La technique d'encodage vidéo et l'usage au travers du navigateur deviennent des questions clé. Jusqu'à présent, les technologies Flash (rachetées par Adobe en 2005) étaient la seule solution pour mettre en ligne des vidéos, via divers « players ». Avec HTML5, le navigateur prend directement en charge la lecture de l'audio et la vidéo. Pour que ces médias puissent être lus sur tous les navigateurs, la norme HTML5 doit définir le codec vidéo qui sera utilisé en standard. La guerre des navigateurs se déplace ici sur ces questions de format et de codec. Un domaine où pullulent de nombreux brevets. Fin 2009, restaient dans la course les formats H.264 sur lequel Apple Microsoft et Adobe possèdent des brevets, Ogg Theora en format libre, et FLV qui reste d'usage principal pour la vidéo en basse définition. Au sein du groupe de travail HTML5, chacun défend donc « son » format. Pas étonnant dans ces conditions que Safari, le navigateur d'Apple, choisisse le codec H.264. Confrontée à une licence annuelle [4] de 5 millions de dollars pour utiliser le format mpeg4 et le codec H.264, il est logique que la Fondation Mozilla, qui refuse ce système de royalties en contradiction avec les principes du logiciel libre, défende le format Ogg Theora. Jusqu'à présent, Google n'avait pas pris parti et Chrome utilise les deux formats. Mais les relations entre Google et Apple se dégradant depuis le lancement du système d'exploitation Android pour les smartphones, Google acquiert début 2010 la société ON2 Technologies qui développe des codecs de compression vidéo, en particulier le codec VP8. Et le 19 mai 2010, Google, Mozilla et Opera lancent le projet WebM dont l'objectif est de créer un format vidéo optimisé pour le web, ouvert et sans royalties. Celui-ci est en fait le codec VP8, que Google s'engage à rendre public au sein de WebM. En mettant sa force de frappe dans la bataille, notamment en assurant que les vidéos YouTube seront disponibles au format WebM, Google fait d'une pierre deux coups en mettant Apple et Adobe plus ou moins hors jeu dans ce domaine. Reste à voir quel choix fera le W3C pour la norme HTML5. Dans une note faisant le point sur HTML5 et la vidéo [5], Philippe Le Hégaret, Interaction Domain Leader au W3C, explique que le problème n°7 (ISSUE-7) du choix du codec associé à l'élément <video> de HTML est retiré de la discussion faute de consensus. Dès l'annonce WebM faite, P. Le Hégaret estime que ce nouveau codec est susceptible de faire avancer le problème n°7, tout en restant compatible avec la politique « Royalty-Free » du W3C [6]. En effet il semble essentiel qu'un codec intégré à la norme HTML5 soit ouvert et libre de droit, de façon à assurer un accès pérenne et équitable aux données. Quels webmestres utiliseront les possibilités audio/video de HTML5 sans ces garanties ? Web, documents & terminaux mobiles Apple est devenu l'acteur central dans le domaine du web mobile et des livres électroniques, grâce à ses produits phares iPhone, iTouch et iPad. Et dans ce domaine son avance lui permet de pousser hors de la route un concurrent, et non des moindres, en l'occurrence Adobe, en refusant d'intégrer un lecteur Flash dans le navigateur Safari et sur tous ses terminaux mobiles. Steve Jobs estime que le logiciel d'Adobe est trop gourmand en ressources et finalement aussi dépassé que les disquettes. Pire pour Adobe et les outils de Microsoft .NET ou C#, Apple modifie la licence de développement et stipule que les applications destinées à être distribuées sur iStore ne doivent pas être créées par adaptation d'applications ou en ajoutant une surcouche [7]. Cette règle vise directement la suite logicielle Adobe Flash CS5 qui inclut un outil pour exporter des applications Flash en applications iPhone, tuant définitivement les espoirs de Adobe de s'imposer dans la téléphonie mobile, même si une très récente modification de la licence du iPhone redonne un peu d'ouverture pour les applications externes, en raison de l'accentuation de la concurrence avec Android. [8] La consultation de sites via des dispositifs mobiles est en pleine explosion et risque de rapidement devenir le premier moyen d'accès au web. Ceci donne aux mobiles un caractère central dans la guerre des navigateurs, que l'on retrouve dans l'affrontement entre Google/Android et Apple/iPhone. Une situation qui contraint Opera et Mozilla à proposer des versions mobiles de leurs navigateurs, profitant du retard de Microsoft dans ce domaine. Une guerre du mobile que l'on retrouve au centre du modèle de distribution de contenu et d'applications. Le choix d'un contrôle strict par Apple sur tout ce qui peut être installé sur ses dispositifs de lecture, ou celui d'Amazon de lancer un format propriétaire pour sa liseuse Kindle, sont des modèles loin de faire l'unanimité. Non content d'éliminer Adobe, Apple veut désormais exclure Google du terrain de jeu des produits Apple. Le refus en 2009 de deux applications pour iPhone proposées par Google, en particulier Google Voice, déclenche les hostilités. Le 7 juin 2010, Apple présentait les règles régissant la publicité sur iPhone. Des règles qui excluent Google et AdMob, sa dernière acquisition spécialisée dans la publicité pour mobiles, du marché de la publicité sur les terminaux Apple. Règles pour le moins discutables puisque leur but principal semble en effet d'être l'élimination de la concurrence en stipulant que les données sur le comportement des utilisateurs d'applications iPhone ne peuvent être transmises qu'aux seules agences indépendantes dont l'activité principale est de diffuser des publicités sur mobile, et qui ne soient pas liées à un constructeur mobile ou fournisseur de système d'exploitation mobile. Règles qui excluent de fait Google et Microsoft. L'agence de publicité iAd créée le 1er juillet 2010 devient alors la principale source de publicité sur les produits mobiles Apple, et tente d'amadouer les développeurs en leur promettant 60% des revenus publicitaires produites par leurs applications. Cependant, ces règles risquent de déclencher une enquête de la Federal Trade Commission ou du département de Justice américain pour abus de position dominante. Le problème du modèle de distribution d'Apple ne s'arrête pas à la publicité. En choisissant le modèle d'agence pour son service de livres électroniques iBook Store (liberté du prix laissé à l'éditeur et partage des revenus en pourcentages), Apple a choisi de mettre les éditeurs de son côté pour contrer Amazon. Ce dernier, leader sur le marché des livres numériques, avait mis les éditeurs en grogne en imposant un « prix unique » de 9,99 dollars pour tout livre numérique. L'arrivée d'Apple et son modèle d'agence donne aux éditeurs une alternative à Amazon et donc des arguments contre le prix unique jugé trop faible. Une reprise temporaire, car dans le déroulé de cet affrontement entre deux modèles de distribution, on a bien vu que le contenu (les livres disponibles) pouvait être mis délibérément en danger par les entreprises de distribution, comme lorsque Amazon a menacé de retirer l'éditeur Macmillan de son catalogue... de livres imprimés comme numériques [9] ; ou quand Apple estime qu'une bande dessinée réalisée à partir d'Ulysse de James Joyce est « pornographique » et ne peut être distribuée sur son réseau [10]. Le document numérique pris au piège des stratégies commerciales On voit ainsi que les créateurs de contenus numériques se retrouvent dépendants des stratégies commerciales des grandes firmes, et cela jusque dans la définition même des compositions numériques et des formats de données. Une tendance qui incite ces firmes à proposer des SDK adaptés à leurs visions, sans tenir compte de l'interopérabilité. C'est en ce sens qu'il faut lire l'affrontement entre Apple et Adobe dont nous avons parlé plus haut qui touche au processus de production lui-même. À l'autre bout de la chaîne, le plugin Google Chrome Frame permet d'installer un équivalent de navigateur Chrome à l'intérieur d'Internet Explorer. Une satisfaction évidemment pour les webdesigners qui rejettent profondément les multiples manquements à la normalisation d'IE, mais un marché faustien, car les designers deviennent alors ceux qui pilotent, à partir de leur site, l'installation de Google, et de ses cookies de traçage, chez l'usager. Car au fond, tout ces combats entre firmes n'auraient guère d'importance si des organismes forts pouvaient imposer des normes solides, pérennes, garantissant l'indépendance des producteurs de contenu et des webdesigners. Or c'est au contraire que l'on assiste. Les firmes souhaitent gagner à leur service les producteurs de contenu, avec des arguments tantôt techniques (qualité, rapidité), tantôt commerciaux (partage des revenus, de la vente ou de la publicité), tantôt de facilité d'usage (les nombreuses API proposées aux développeurs de sites qui les lient ensuite à leur fournisseur, notamment dans le domaine de la cartographie en ligne). Le rêve d'une instance se positionnant au delà des guerres commerciales a certainement été celui présidant à la création du W3C, qui associait à côté des entreprises du secteur des universités et des centres de recherches. Devons-nous admettre que ce rêve n'est plus d'actualité, et qu'un faisceau convergent d'intérêts, de complicités et de marchés vont balkaniser la production de contenu elle-même ? Il ne semble plus gère possible aujourd'hui pour les webdesigners et les développeurs d'application de rester en dehors de ce questionnement. Les nouveaux sujets, comme les polices de caractères embarqués (webfont), l'évolution des CSS, l'évolution du format ePub pour les livres numériques multimédias, les métadonnées embarquées (microdata et RDFa),... viennent reposer à chaque fois ces questions. Dans tous ces domaines, on assiste aussi à la volonté des grandes firmes de maîtriser la chaîne de production/diffusion/lecture de bout en bout. La guerre à laquelle nous assistons aujourd'hui est à l'échelle du volume de données et des moyens de diffusion actuels. L'affaire des négociations secrètes entre Google et Verizon au cours de l'été 2010 [10] montre bien la volonté des grandes firmes de contrôler la chaîne de bout en bout. Les difficultés des instances à réguler ces processus devrait inciter les chercheurs, les web designers et les éditeurs à réagir, à l'image de ce qui a été fait lors de la création du W3C pour en finir avec la nouvelle « guerre des navigateurs ». L'indépendance réelle du contenu vis-à-vis des plate-formes de diffusion, des outils de lecture, et des modèles d'affaire des grands acteurs du secteur devient une extension indispensable de la normalisation et de l'interopérabilité. La recherche en ce domaine ne peut plus se limiter à l'aspect technique, mais inclure les approches issues des sciences économiques, humaines et sociales.

Bibliographie

[1] Opera Press Releases, Opera files antitrust complaint with the EU. , 2007 http://www.opera.com/press/releases/2007/12/13/ Accédé le 16 juin 2010 [2] Hervé Le Crosnier, A l'ère de l'informatique en nuages, Le Monde Diplomatique, Août 2008 http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/LE_CROSNIER/16174 Accédé le 19 juin 2010 [3] J-M. Lecarpentier, H. Le Crosnier et J. Madelaine, Évolutions de l'architecture du web et des documents numériques, Traitements et Pratiques Documentaires. Vers un changement de paradigme? Actes de la deuxième conférence Document Numérique et Société, pages 13-30, ADBS éditions, Paris 2008 [4] Summary of AVC/H.264 License terms http://www.mpegla.com/main/programs/AVC/Documents/AVC_TermsSummary.pdf Accédé le 23 juin 2010 [5] Philippe Le Hégaret, ISSUE-7: codec support and the <video> element. W3C, 14 mai2010 http://www.w3.org/QA/2010/05/html5_video.html Accédé le 23 juin 2010 [6] W3C Patent Policy, February 2004 http://www.w3.org/Consortium/Patent-Policy-20040205/ Accédé le 22 juin 2010 [7] J. Kincaid, Apple Gives Adobe The Finger With Its New iPhone SDK Agreement, TechCrunch, 8 avril 2010 http://techcrunch.com/2010/04/08/adobe-flash-apple-sdk/ Accédé le 17 juin 2010 [8] David Feugey, Apple assouplit les règles d’accès à l’App Store : Flash et Mono de nouveau acceptés, 10 septembre 2010, Silicon.fr http://www.silicon.fr/apple-assouplit-les-regles-d%E2%80%99acces-a-l%E2%80%99app-store-flash-et-mono-de-nouveau-acceptes-41846.html Accédé le 16 septembre 2010. [9] K. Auletta, Publish or Perish : Can the iPad topple the Kindle, and save the book business?, The New Yorker, 26 avril 2010 http://www.newyorker.com/reporting/2010/04/26/100426fa_fact_auletta Accédé le 21 juin 2010 [10] J. Bosman, Joyce Found Too Graphic, This Time by Apple, The New York Times, 13 juin 2010 http://www.nytimes.com/2010/06/14/technology/14ulysses.html Accédé le 15 juin 2010 [11] Le Crosnier, Hervé Google et la neutralité du réseau, Les Puces Savantes, 9 août 2010. http://blog.mondediplo.net/2010-08-09-Google-et-la-neutralite-du-reseau Accédé le 16 septembre 2010

Notes