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Revue Ametist
Numéro 1 - avril 2007

Bibliothèques académiques et publication scientifique numérique
la médiation réinterrogée

Chérifa Boukacem-Zeghmouri.i
boukacemc@yahoo.fr
  • i - Université de Lille 3.


Mots-clés 
bibliothèques académiques, auto-archivage, archives institutionnelles, communication scientifique, édition électronique, archives ouvertes, archive institutionnelle, bibliothèque enseignement supérieur, rôle professionnel, chercheur, assistance utilisateur, médiation, relation utilisateur intermédiaire
Keywords 
institutional repository, scientific communication, electronic publishing, open archives, academic library, occupational role, research worker, user assistance, mediation, intermediation
Résumé 
Le sujet de l’article que nous proposons consiste à identifier, à travers deux terrains distincts, un terrain nord américain et un terrain français, comment les bibliothèques académiques mettent en place de nouvelles formes de médiations leur permettant de jouer un rôle dans les modalités de publication numérique. Plus particulièrement, il s’agit d’analyser comment ces nouvelles formes de médiations s’articulent autour d’un rapprochement sensible entre le monde des bibliothèques et le monde des chercheurs, au travers de l’institutionnalisation progressive des archives ouvertes.

Introduction et problématique

Cet article se situe dans la continuité d’une réflexion autour de l’évolution du rôle des bibliothèques académiques face aux modalités renouvelées de la communication scientifique. Plus précisément, il prolonge la réflexion sur l’émergence d’un rôle éditorial chez les bibliothèques académiques. Celle-ci a fait l’objet d’une communication lors de la conférence Document et Société à la semaine du Document numérique à Fribourg (Suisse), en Septembre 2006. (BOUKACEM-ZEGHMOURI, Chérifa 2006) [6].

Il existe aujourd’hui une multitude de réservoirs d’archives, de bibliothèques numériques, de dépôts institutionnels, d’information publiée et/ou de littérature grise. Ils sont disponibles librement sur le Web, proposant des savoirs rétrospectifs ou courants, à caractère scientifique et technique. Le tableau 1, ci-dessous (VAN WESTRIENEN, 2005) [19] présente, ventile les réservoirs institutionnels de 13 pays, et donne une idée de l’ampleur de la propagation de ce mouvement en relation avec l’action des universités de ces mêmes pays.

Pour compléter la lecture de ce tableau, nous retiendrons que du point de vue de l’évolution du nombre de ces réservoirs, le site du « Registry of open access repositories »[1] recense à ce jour 830 archives. Pour reprendre l’intitulé du travail d’Hélène Bosc (BOSC, 2005) [5], en une quinzaine d’années d’histoire, il est assez remarquable de noter la démultiplication de ces contenus sur la toile.

Pays Nbre de dépôts instit Nbre d’universités % d’univ. ayant un dépôt instit Nbre moyen de doc. / dépôt instit
Australie 37 39 95 n.r.
Belgique 8 15 53 450

Canada

31 n.r. - 500
Danemark 6 12 50 n.r.
Finlande 1 21 5 n.r.
France 23 85 27 1000
Allemagne 103 80 100 300
Italie 17 77 22 300
Norvège 7 6 100 n.r.
Suède 25 39 64 400

Hollande

16 13 100 3,000 / 12,500

Royaume-Uni

31 144 22 240

Etats-Unis

n.r. 261 - n.r.
n.r.: non renseigné

Tableau 1 : Dépôts institutionnels académiques : recensement fait autour de 13 pays, juin 2005

Cependant, un bémol doit être mis. La modestie du nombre de documents disponibles dans ces archives et les pratiques d’auto-archivages - à stimuler, voire à instituer - décrites dans certains travaux (L’Hostis, 2006) montrent qu’il faut garder un discours prudent sur la masse critique disponible dans ces réservoirs.

Pour autant, l’objectif reste la mise à disposition de l’information scientifique le plus largement possible pour les usagers. Les bibliothèques académiques s’investissent activement dans cette dynamique et proposent aujourd’hui des contenus éditoriaux qu’elles mettent à disposition de leurs publics. Notre définition des contenus éditoriaux rejoint celle de Marc Minon et de Ghislaine Chartron (CHARTRON, 2005) [7] comme « tout contenu à destination des étudiants ou des enseignants-chercheurs soumis à une procédure de sélection et de validation interne ou externe aux institutions »[2]. Les bibliothèques contribuent par ce fait à la réalisation de la société d’information dont on souligne plus que jamais le déploiement (AIGRAIN, 2005) [2].

L’ouvrage coordonné par Fabrice Papy (PAPY, 2005) [12] sur les bibliothèques numériques montre que l’engagement des bibliothèques dans un rôle éditorial n’est pas inédit : l’édition universitaire existe en effet depuis le début du 20e siècle. Jean-Michel Salaün (SALAÜN, 2005) [17] ajoute que la diffusion libre des documents est un rôle fondamental des bibliothèques. Ce qui est nouveau en revanche, c’est le renouvellement de la technologie, du rôle de l’université dans la diffusion de l’information scientifique, et de la place que les bibliothèques comptent y prendre.

La problématique de l’article que nous proposons est de savoir vers quelles formes de médiations les bibliothèques se dirigent-elles pour prendre pied dans un contexte en renouvellement permanent et duquel elles souhaiteraient saisir l’opportunité de se construire un rôle à forte valeur ajoutée ?

Répondre à cette question passe nécessairement par une interrogation des médiations mises en œuvres par les bibliothèques. C’est pourquoi, à travers deux terrains distincts, un terrain nord américain et un terrain français, nous souhaiterions identifier les savoir-faire et les services mis en œuvre par les bibliothèques académiques pour construire de nouvelles formes de médiations leur permettant de gagner une posture plus engagée. Plus particulièrement, nous souhaiterions tester l’hypothèse selon laquelle les nouvelles formes de médiations analysées s’articulent autour d’un rapprochement sensible entre le monde des bibliothèques et le monde des chercheurs.

1 Méthodologie et modèle d’analyse

1.1 Méthodologie

Notre méthodologie est organisée en deux temps :

  • Une analyse de la littérature professionnelle et scientifique tant française qu’internationale : les thématiques que nous avons privilégiées ont relevé essentiellement de l’évolution du rôle et des missions des bibliothèques, des enjeux politiques et économiques du libre accès dans le monde scientifique et universitaire, d’approches théoriques sur le modèle global de la bibliothèque et d’études d’usages. Cette analyse s’est également nourrie de journées, de séminaires ainsi que de colloques auxquels nous avons assisté et qui ont permis d’aiguiser notre raisonnement. Nous ajouterons que dans le cadre de cette étude, nous n’avons pas pris en compte la dimension disciplinaire et que nous nous sommes attachés à rendre les tendances générales tous domaines confondus.
  • L’étude de cas de la bibliothèque américaine de Cornell et l’appréciation globale des bibliothèques françaises que nous suivons régulièrement. Les sites Web des bibliothèques (qui présentent les services, les comptes rendus de travail ainsi que les projets à venir) ont représenté la première source d’information. En outre, des échanges de courriel ainsi que des rencontres de responsables de ces bibliothèques lors de colloques, cités ci-dessus, ont été l’occasion de discussions complétant les données recueillies sur les sites Web.

1.2 Modèle d’analyse

Comme le montre le tableau 1, l’usager a aujourd’hui un accès direct à une multitude de réservoirs de documents sur le Web, en tant qu’auteur et en tant que lecteur. Entre les deux activités, un certain nombre d’acteurs, intermédiaires, se positionnent traditionnellement en proposant certaines valeurs ajoutées, et constituant par ce fait ce que Hans Roosendaal (ROOSENDAAL, 2004) [15] (ROOSENDAAL, 2005) [16] appelle la « chaîne de la valeur » de l’information scientifique, représentée dans le modèle traditionnel de la publication de la manière suivante :

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Les acteurs impliqués dans cette chaîne œuvrent à fournir à l’usager l’information la plus pertinente, de la manière la plus directe, afin qu’il puisse à son tour en proposer une nouvelle. L’objectif commun de ces acteurs est de permettre que « les auteurs publient davantage et que les lecteurs lisent moins » (ROOSENDAAL, 2005) [16].

Le modèle de la « chaîne de la valeur » de Roosendaal subordonne la réalisation de cet objectif à la coexistence de ces acteurs dont la valeur ajoutée de chacun est étroitement liée. Or, face à la concurrence des accès au texte intégral, les bibliothèques doivent faire la démonstration de leur valeur ajoutée, au même titre que les autres acteurs de la société d’information (éditeurs, moteurs de recherche …). C’est donc ce modèle de la « chaîne de la valeur » que nous avons retenu comme modèle d’analyse pour faire la démonstration d’une évolution vers un renforcement du rôle des bibliothèques auprès de leurs publics chercheurs.

2 Les bibliothèques et la « chaîne de la valeur » de l’information

La « chaîne de la valeur » permet de concentrer la réflexion sur l’usager qui est à la l’origine et à l’issue d’un cheminement linéaire d’une information destinée à être enrichie par l’apport et le savoir-faire de chaque acteur. En faisant partie de cette chaîne, le modèle de la bibliothèque gagne à dépasser la notion centrale de la collection pour mieux appréhender l’usager dans la diversité de ses statuts : auteur, lecteur, étudiant, enseignant, chercheur (ROOSENDAAL, 2005) [16].

Le rapport « Cour des comptes : Rapport au président de la république »[3], diffusé en 2005, souligne l’urgence d’une approche par la demande à développer, car « en définitive, la politique des BU est avant tout l’affaire des conservateurs, des présidents d’université et des directeurs d’UFR ». De fait, comme le souligne Claude Poissenot (POISSENOT, 2002) [14] on passe d’un point de vue centré sur le document, vers un point de vue centré sur l’usager. La littérature se fait justement l’écho de ce déplacement de point de vue et marque l’intérêt de connaître les besoins des publics afin de mieux y répondre (MARESCA, 2005) [10] (NICHOLAS, 2005) [11].

Les bibliothèques académiques sont aujourd’hui impliquées dans la mise à disposition de contenus scientifiques et pédagogiques, à partir de leurs collections traditionnelles, mais également à partir de réservoirs institutionnels dont elles prennent en charge la gestion, en association avec leur université. Cela leur permet, au même titre que les autres acteurs, de rester sur le marché en mettant l’usager au centre de leurs prérogatives de contenus et de services. La mise en résonance de notre modèle d’analyse et des études de cas réalisées révèle un certain nombre de facteurs structurants, que nous présentons dans les parties qui suivent, pour la démonstration de la valeur ajoutée des bibliothèques dans la « chaîne de la valeur » de l’information.

3 Un contexte favorable : l’institutionnalisation des archives ouvertes

On note depuis une dizaine d’années une montée en charge significative de la mise en ligne de ressources académiques couvrant une typologie de document qui se veut élargie. Cette démarche est pointée par les travaux de plusieurs auteurs (ACCART, 2005) [1] (THOMAS, 2006) [18] (BANKS, 2005) [3] (ROOSENDAAL, 2005) [16] qui soulignent que l’élargissement de l’offre de ressources académiques proposées par les bibliothèques entre clairement en jeu pour la définition de leur valeur ajoutée.

En effet, le tableau 1 peut être complété par un aperçu de contenus, tant pédagogiques qu’académiques sur le Web, inscrits d’abord dans une volonté de valorisation du patrimoine mettant en ligne des contenus éditoriaux marchands numérisés, puis beaucoup plus largement des contenus communautaires et libres.

Pour ces derniers, notre problématique trouve une pertinence particulière dans l’actualité des archives ouvertes qui, après une quinzaine d’années d’existence, sont entrées dans une deuxième phase d’évolution, celle d’une institutionnalisation progressive que l’on observe en Amérique du Nord autant qu’en Europe. Dès lors, l’augmentation de la masse critique des réservoirs, et donc des dépôts, devient un enjeu majeur et le rôle des bibliothèques académiques est clairement souligné. Il est question de former et d’inciter les chercheurs à déposer leurs travaux.

Un nouvel espace inédit se définit donc entre les bibliothèques académiques et les chercheurs. Les premières ne sont plus, dans ce contexte, dans une situation d’offre documentaire pour ces derniers. Elles vont plutôt puiser dans leur rôle de médiateurs les moyens par lesquels elles invitent les chercheurs à intégrer leurs travaux dans une offre plus globale.

4 Les chercheurs comme partenaires

Les bibliothèques académiques sont habituées à avoir pour partenaires des acteurs du marché de l’information scientifique que l’on peut qualifier de traditionnels : éditeurs scientifiques, agences d’abonnements, bibliothèques, fournisseurs de documents, etc.

Ce qui est nouveau pour elles dans le contexte d’une institutionnalisation des archives ouvertes, est qu’elles sont amenées à envisager les chercheurs, non plus seulement comme un public auquel elles sont habituées à fournir des services, mais également comme un public partenaire. Ceci induit un changement culturel significatif dans la profession. La littérature récente, principalement anglo-saxonne, évoque cette question sous l’aspect de la nécessité de dépasser le cadre de raisonnement habituel hérité du papier pour mieux penser et tenter de définir les termes d’un nouveau rapport entre les bibliothèques et les chercheurs.

La construction de ce nouveau rapport de partenariat entre les bibliothèques et les chercheurs est par ailleurs liée au caractère de plus en plus concurrentiel du marché de l’information scientifique et pousse les bibliothèques à réagir et à réinterroger leurs missions au quotidien.

D’abord avec la pédagogie, avec pour exemple le système LMD[4], qui permet et encourage la mobilité des étudiants et qui met les universités et leurs bibliothèques en concurrence les unes avec les autres au niveau européen. Mais aussi avec la recherche, qui s’appuie désormais sur des réservoirs institutionnels proposant la diffusion de l’excellence de la production scientifique d’une université et de l’expertise dont fait preuve sa bibliothèque à recenser, gérer des contenus validés et de qualité.

Ensuite, ce rapport se construit également avec d’autres acteurs, de type commercial, tels que des éditeurs, ou plus récemment des moteurs de recherche, Google Scholar[5] pour citer le plus actif. On observe une alliance se constituer, qui vise à donner de la visibilité à des contenus, tels que des contenus patrimoniaux dont jusque là, la valeur commerciale était jugée faible (PEDAUQUE, 2005) [13].

Ainsi, l’engagement des bibliothèques dans une nouvelle forme de médiation avec leurs chercheurs se construit dans la concurrence avec des intermédiaires traditionnels mais aussi en partenariat avec de nouveaux acteurs pour déterminer la masse critique des contenus proposés, leur qualité, la largeur de leur diffusion et leur visibilité.

  • A la bibliothèque de Cornell[6], les chercheurs, en tant qu’auteurs, sont également considérés comme des partenaires, car ils font partie des institutions académiques au service desquelles la bibliothèque travaille. Elle est à l’écoute de leurs besoins pour développer une « diffusion scientifique innovante ». En outre, elle s’appuie sur un réseau de partenaires. D’abord avec l’université de Cornell, dont elle relève et avec laquelle elle réalise par concertation scientifique et technique, la sélection, l’organisation et la diffusion des contenus éditoriaux. Le partenariat se formalise notamment avec le Digital Consulting & Production Services (DCAPS)[7], un agglomérat de chercheurs experts avec qui elle constitue des collections numériques en relation avec les activités d’enseignement et de recherche.
  • Pour les bibliothèques françaises, actuellement, l’enjeu est de se positionner au cœur des dispositifs de recherche. On a vu ainsi des rapprochements inédits se faire entre les écoles doctorales et les Services Communs de Documentation (SCD) pour une réflexion commune permettant d’envisager une meilleure coordination des objectifs de chacun. Ce rapprochement peut se mesurer à l’un des services proposés pour un usager lecteur-auteur. Un parcours des sites Web des bibliothèques universitaires des principales villes de France (33 sites) permet de voir que la tendance des nouveaux services proposés s’organise autour de la formation (recherche d’information, feuilles de style, dépôt de documents), de diffusion d’information en mode « Push », et du recensement, de la sélection et de l’organisation de sites, liens et signets thématiques. L’exemple le plus abouti mais aussi le plus suivi est celui de la Bibliothèque Inter-Universitaire de Médecine (BIUM). Par ailleurs, les bibliothèques, sur le terrain français, revisitent leurs relations avec leur premier partenaire, l’université, avec qui elles travaillent à la définition d’une politique de recherche dans laquelle elles prennent part. La réforme de la recherche en cours en France met la constitution de pôles d’excellence dans ses priorités et souligne l’importance de la fonction documentaire. La bibliothèque subordonnée à l’objectif d’excellence de son université, devient donc un « point d’accès » spécialisé organisé en réseau, mais surtout un véritable outil concurrentiel dans l’espace européen et pourquoi pas international.

4.1 Informer et sensibiliser les chercheurs

L’étude de cas réalisée dans le cadre de cet article montre que même si l’on observe un rapprochement entre les bibliothèques et les communautés des chercheurs pour trouver de nouvelles formes de partenariats, il n’est pas encore question de raisonnement stratégique, sans doute parce que trop récente. Néanmoins, il est toutefois possible de dégager les tendances communes mises en œuvre pour répondre à un besoin de plus en plus exigeant de médiation.

  • La bibliothèque de Cornell, aussi célèbre que son université pluridisciplinaire, s’est investie dès les années 1990 dans la constitution de bibliothèques numériques. La présentation de la bibliothèque de Cornell peut donc s’appréhender par son implication étroite dans l’engagement de son université, son dynamisme et son financement dans la diffusion de ressources numériques académiques. Dès le début des années 1990, la bibliothèque s’est d’abord préoccupée de la diffusion de ses collections patrimoniales avec le « Historical Mathematics Monographs »[8] , une collection d’ouvrages anciens numérisés (1800 vol.). Elle enchaîne en 2000 avec EUCLID[9] , une bibliothèque numérique de périodiques (plus de 45 titres, une antériorité allant jusqu’à 1995), dont les accès sont libres pour certains sur un principe de barrière mobile ou bien payants après négociation avec les éditeurs. Enfin, plus récemment, arXiv[10], réservoir précurseur de prépublications en libre accès (plus de 400 000 prépublications), a rejoint l’université de Cornell qui en a confié la gestion à sa bibliothèque. Dans le discours de la responsable[11], l’information est une priorité déjà ancienne et établie pour permettre aux générations de chercheurs qui se renouvellent et à celles plus anciennes non encore informées, de prendre connaissance des possibilités du libres accès de ses différentes configurations. A ce titre, arXiv est présentée comme un prolongement des collections pérennes de la bibliothèque de Cornell. La sensibilisation et l’information sont relayées aussi bien par les professionnels des bibliothèques que par les enseignants-chercheurs qui sont impliqués dans cette démarche et qui apportent un éclairage dit de « praticiens ».
  • L’engagement du terrain français à la mise à disposition de contenus éditoriaux académiques revient à « Grisemine » en 2001[12] (Service Commun de Documentation, Lille 1), proposant des contenus de littérature grise francophone scientifique. Cette première initiative a été suivie par d’autres projets portés par les bibliothèques et qui visent à valoriser la production scientifique de l’université, tels que Cyberthèses[13] en 2002 pour les thèses (Lyon 2). La numérisation rétrospective de fonds spécialisés va également s’inscrire dans cette dynamique avec notamment le projet Numdam[14] en 2003 de la cellule MathDoc[15], le fonds ancien de médecine de la BIUM[16] ou bien CEFAEL[17], en 2003, pour les ouvrages anciens de l’Ecole française d’Athènes. Parallèlement, en rapport avec l’actualité internationale du libre accès, des réservoirs voient le jour dans différents domaines, grâce à l’implication d’institutions de recherche à rayonnement national. Le Centre pour la Communication Scientifique Directe (CCSD)[18] du CNRS[19] met à la disposition de la communauté scientifique une plateforme ouverte permettant le dépôt, l’archivage et la diffusion de documents. Des archives ouvertes de postpublications dans différents domaines naîtront de cette initiative : @rchiveSic[20], Edutice[21], ArtXiker[22]. Elles rejoignent d’autres réservoirs, majoritairement du secteur des sciences de la nature, pour former une offre récemment répertoriée (GALLEZOT, 2005) [8]. Avec le déploiement de la plateforme nationale HAL[23] (Hyper Article en Ligne) censée centraliser – avec interopérabilité - toutes les initiatives, la sensibilisation des chercheurs et leur information restent cependant un pari à gagner. Les professionnels s’accordent à dire que ces projets ainsi que le mouvement du libre accès (dans ses principes et dans ses objectifs) sont peu connus des chercheurs, particulièrement des chercheurs des sciences humaines et sociales. Dans les lieux de débats professionnels, on parle de campagne de communication, de la nécessité d’organiser des séminaires pour susciter aussi bien l’intérêt que le retour des chercheurs sur les évolutions en cours.

4.2 Les chercheurs et l’auto-archivage : le rôle incitatif des bibliothèques

La sensibilisation et l’information des chercheurs ne sont qu’un préalable pour les engager à un rôle plus participatif, et en particulier celui d’effectuer le dépôt de leurs travaux dans les archives institutionnelles. Le premier argument avancé réside dans la possibilité de donner davantage de visibilité aux travaux en les proposant dans des réservoirs libres d’accès et d’en recueillir les retombées positives en terme de reconnaissance et de valorisation.

De fait, dépôt et diffusion s’articulent dans une même opération, ce qui rejoint l’idée selon laquelle dans la société d’information les auteurs souhaitent un maximum de diffusion et adhèrent eux-mêmes à la libre diffusion de leurs documents en les déposant dans les réservoirs institutionnels. Les éditeurs commerciaux montrent à cet effet de plus en plus de flexibilité et adhèrent au principe de permettre le dépôt des documents dans des réservoirs, le plus souvent 6 à 12 mois après publication comme le montre le site RoMEO (Rights MEtadata for Open archiving)[24] .

Pour les deux terrains abordés dans le cadre de ce travail, le nombre de dépôt en augmentation dans arXiv et HAL atteste du travail réalisé par les professionnels des bibliothèques académiques dans ce sens. Elles accomplissent un travail d’accompagnement qu’aucun autre acteur du marché de l’information scientifique n’est prêt ou disposé à faire et qui évoque le terme d’archithèque[25] à Jean-Michel Salaün.

  • Pour inciter les chercheurs à l’auto-archivage de leurs travaux, la bibliothèque de Cornell présente cette démarche d’abord comme leur contribution à l’excellence de Cornell qui rejaillit à son tour sur leurs travaux. Une excellence qui n’est donc pas étrangère à la motivation de la communauté des chercheurs. En outre, dans le discours des professionnels qualifié de « presque militant », l’argument de la reconnaissance et de la valorisation des travaux des chercheurs par leur visibilité est certainement le plus significatif.
  • En France, les lieux de débats professionnels se font l’écho des lenteurs et des difficultés rencontrées pour convaincre les chercheurs de l’intérêt de l’auto-archivage. Aux dires des professionnels, l’argument de la visibilité de leurs travaux sur la toile semble les séduire mais ne les mobilise pas suffisamment pour effectuer un dépôt systématique de leur production intellectuelle. Par ailleurs, contrairement à la bibliothèque de Cornell où cette question n’a pas été évoquée, on note chez les professionnels français une préoccupation pour la nécessité de formation des chercheurs à l’auto-archivage, tout particulièrement sur les aspects juridiques de leurs dépôts (périodes d’embargo, choix des métadonnées, etc.) ou bien face à la question délicate du multi-dépôt institutionnel (L’HOSTIS, 2006) [9]. Cette formation est envisagée comme un facteur incitatif au dépôt tout autant qu’un service de plus, intégrée à la gamme élargie des services des bibliothèques académiques.

4.3 La médiation instrumentalisée ( ?)

Les parties précédentes de cet article montrent que les nouvelles formes de médiations mises en place par les bibliothèques leur permettent de se situer plus en amont dans la chaîne de la valeur proposée par Roosendaal et se concentrent sur une mise en visibilité de la production intellectuelle des chercheurs. Cette mission est renforcée par des archives dont l’institutionnalisation devient une tendance dominante.

Or, rendre visible la production intellectuelle d’une institution, c’est également la valoriser et décupler ses possibilités de citations. C’est donc aussi rendre possible l’évaluation de cette production intellectuelle collective et/ou individuelle. Celle-ci menée par des acteurs politiques qui sont souvent à l’origine du pilotage des archives elles-mêmes.

En même temps, il y a un consensus selon lequel l’évaluation n’est pertinente que si l’auto-archivage se rapproche des 100%. Ceci est encore loin d’être le cas, car une étude récente montre que sur 465 archives institutionnelles recensées dans le monde, seules 15% représentaient la production scientifique de leurs institutions en moyenne (L’HOSTIS, 2006) [9].

Cet aspect permet de souligner la dépendance des archives ouvertes et de leur succès vis-à-vis des bibliothèques académiques, particulièrement lorsqu’elles font la démonstration de leur valeur ajoutée dans l’interface entre les politiques publiques de la recherche et les communautés de chercheurs (pour permettre un accès gratuit et direct aux résultats de l’activité scientifique).

L’idée d’une obligation de dépôt est avancée dès le début du mouvement des archives ouvertes, par des pionniers tels que Steven Harnad. Mais cet appel à la nécessité de l’auto- archivage prend un relief plus particulier ces dernières années. Récemment, des voix se sont élevées (WALTERS, 2006) [20] (L’HOSTIS, 2006) [9] pour avancer l’idée de la nécessité d’une politique qui instaurerait « l’obligation » de l’auto-archivage. Des initiatives internationales se sont mises en place récemment à commencer par le Wellcome Trust[26] et plus particulièrement des universités européennes et anglo-saxonnes (Portugal, Australie, USA) (L’HOSTIS, 2006) [9].

Il est surtout intéressant de voir que cette proposition ne rencontre pas toujours un accueil favorable, y compris par des chercheurs impliqués dans des questions de libre accès. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : d’abord, le caractère contraignant même du dépôt (temps, disponibilité…) ; ensuite le caractère précisément obligatoire, qui ne répond plus à « l’esprit du libre accès » mais plutôt à des logiques « gestionnaires » ; enfin parce que même si les archives ouvertes ont aujourd’hui un peu plus de 15 années, les habitudes et les règles d’avancement de carrières des chercheurs dépendent encore considérablement du processus traditionnel de la communication scientifique. Dans la suite de ce raisonnement et de ce débat, les bibliothèques académiques seraient instrumentalisées pour jouer un rôle qualifié de « subversif » qui alimente la traçabilité par les acteurs politiques.

Aucun de nos deux terrains n’est encore concerné par l’obligation de dépôt même si des cadres de négociation et de coopération semblent se mettre en place depuis l’été 2006 (L’HOSTIS, 2006) [9]. Pour le moment, les bibliothèques sont envisagées comme un « dispositif d’accompagnement » dont on attend des services à forte valeur ajoutée pour « incorporate online scientometric performance-indicating tools in library Web interfaces » (BOSC, 2005) [4].

On voit donc bien que les avis sont partagés et qu’il est encore un peu tôt pour répondre à l’énoncé interrogatif de cette sous-partie surtout lorsqu’on entend la volonté des bibliothèques académiques se prononcer fermement : « We are commited to developing strategies and systems that promote discovery and facilitate worldwide scholarly communication » (THOMAS, 2006) [18].

Conclusion

Le modèle d’analyse utilisé pour réaliser notre démonstration permet d’observer que sous l’angle où nous l’avons interrogé, la valeur ajoutée de la bibliothèque se trouve déplacée en amont de la chaîne de la valeur de l’information. De cette manière, la bibliothèque est davantage impliquée dans l’univers du chercheur et se positionne comme un partenaire.

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En outre, notre approche comparée révèle que ce positionnement, plus en amont dans la chaîne de la valeur de l’information, semble être commun aux bibliothèques de nos deux terrains. Pourtant, nous n’avons pas identifié chez nos interlocuteurs une vision claire et construite de la manière avec laquelle ce positionnement doit se faire. Il s’agit davantage d’un cheminement par « touches successives » qui se réalise en situations d’expérimentations permanentes, à mesure que le contexte global évolue.

Nous avons également noté le fruit de la maturation d’une réflexion sur leur rôle, leur pertinence, leur utilité en regard de l’actualité, qui peut-être leur permettra de dépasser la « métaphore étouffante de la bibliothèque » (AIGRAIN, 2005) [2].

Sur ce dernier point, un travail soumis très récemment à la revue « Etudes de communication » nous permettra d’élargir ces éléments de conclusion. Il s’intéressera au discours des professionnels quant à l’évolution de la vision qu’ils ont de leur métier, de leurs pratiques, de ce qu’est leur bibliothèque dans le contexte en évolution de la publication scientifique numérique.

Bibliographie

  • [1]. ACCART, Jean-Philippe et MOUNIER, Evelyne, (2005). Archives ouvertes et documentation : rôle et responsabilité des professionnels de l’information. In Les Archives Ouvertes : enjeux et pratiques. Guide à l’usage des professionnels de l’information, C. Aubry, J. Janik (eds.), Paris : ADBS, pp. 245 – 268.
  • [2]. AIGRAIN, Philippe, (2005). Cause commune : l’information entre bien commun et propriété. Paris: Fayard, 283 p.
  • [3]. BANKS, Marcus, (2005). Toward a continuum of scholarship : the eventual collapse of the distinction between grey and non grey literature ? GL7 Conference Proceedings. Seventh International Conference on Grey Literature: Open Access to Grey Resources. Nancy, 5-6 Decembre 2005, (document en ligne sur <http://www.greynet.org/greytextarchive.html>)
  • [4]. BOSC, Hélène et HARNAD, Steven (2005). In a paperless world a new role for academic libraries : providing open access, in : Learned Publishing, n°18, pp.95-99.
  • [5]. BOSC, Hélène. (2005), Archives ouvertes : quinze ans d’histoire. In : Les Archives Ouvertes : enjeux et pratiques. Guide à l’usage des professionnels de l’information, C. Aubry, J. Janik (eds.), Paris : ADBS, pp. 27-54 <http://cogprints.org/4408/02/Ouvragearchive.htm>
  • [6]. BOUKACEM-ZEGHMOURI, Chérifa (2006). Une relecture du champ de la bibliothèque académique par ses potentialités éditoriales. In : Document numérique et société, 1ère édition, sous la dir. de Ghislaine Chartron et Evelyne Broudoux. Actes de la conférence organisée dans le cadre de la Semaine du document numérique à Fribourg (Suisse) les 20 et 21 septembre 2006. ADBS Éditions, 2006. 344 p. (Collection Sciences et techniques de l’information).
  • [7]. CHARTRON, Ghislaine et MINON, Marc, (2005). Quelle offre éditorial numérique pour l’usager « virtuel » des universités françaises ? In Les bibliothèques Numériques. Fabrice Papy. Paris : Hermès-Lavoisier, pp.191-204.
  • [8]. GALLEZOT, Gabriel, (2005). Les archives ouvertes en France. In Les archives ouvertes, enjeux et pratiques : guide à l’usage des professionnels de l’information. Christine Aubry. Paris : ADBS éditions, pp. 97 - 115
  • [9]. L’HOSTIS, Dominique et AVENTURIER, Pascal (2006). – Archives ouvertes – vers une obligation de dépôt ? Synthèse sur les réalisations existantes, les pratiques des chercheurs et le rôle des institutions. <http://www.revues.org/cost/images/7/7f/Note-AO-version2-051206-diff Externe.pdf>
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(Tous les liens ont été consultés jusqu’au 28 décembre 2006).

Notes