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* [[CIDE (2016) Tosi|L'authenticité à l'épreuve du numérique - Le cas des cahiers de laboratoire]]
 
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::[[A pour intervenant::Lorraine Tosi]] et [[A pour intervenant::Aurélien Bénel]] (Université de Technologie de Troyes)  
 
::[[A pour intervenant::Lorraine Tosi]] et [[A pour intervenant::Aurélien Bénel]] (Université de Technologie de Troyes)  
    Résumé : S'intéresser à la question de l'authenticité des documents numériques revient à s'interroger sur le statut des connaissances de notre époque. Si, à première vue, on pourrait croire que l'épistémologie s'occupe d'abord de vérité, ce serait négliger son rapport à l'authenticité.
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;Résumé : S'intéresser à la question de l'authenticité des documents numériques revient à s'interroger sur le statut des connaissances de notre époque. Si, à première vue, on pourrait croire que l'épistémologie s'occupe d'abord de vérité, ce serait négliger son rapport à l'authenticité.
 
      
 
      
 
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:Comme chacun sait, il n'y a pas de production scientifique sans références bibliographiques, mais c'est plus particulièrement dans les Sciences de l'Homme et de la Société que le recours au document prend toute son importance : le sociologue recueille des témoignages, le linguiste, des formes attestées, le philologue, des testimonia, l'historien, des sources. Tous, à la suite de Dilthey (et dans la tradition herméneutique initiée par Origène), montrent qu'il est possible de développer une pratique scientifique en prenant pour matériaux des discours d'hommes et de femmes, pourtant parfaitement subjectifs, à condition de les considérer non pas comme des descriptions exactes d'une réalité, mais justement comme des discours, sans prétention à la vérité, et dont seule l'authenticité doit nous importer (Bénel et Lejeune, 2009). Pour autant, établir l’authenticité d’un document numérique ne va pas de soi. La plupart des indices que relevaient les historiens et les philologues à l’intérieur des documents anciens n’existent plus dans les documents créés de manière numérique (Iacovella, 2007). Pour le numérique, la preuve d’origine est externe. L’horodatage certifié et la signature numérique nécessitent un tiers de confiance et l’exécution d’un algorithme. Cette preuve, si elle est incomparablement plus sûre, est aussi beaucoup plus fragile sur le long terme. La gouvernance de cette confiance envers les tiers, assez oligarchique, est de plus en plus remise en question. La complexité des algorithmes doit régulièrement être revue à la hausse pour faire face à l’augmentation des moyens de calcul. Par ailleurs, contrairement aux indices philologiques qui pouvaient être découverts a posteriori, ces preuves numériques d’origine doivent être mises en place au moment de la production des documents. Or, trop souvent incompris par les producteurs de documents, contraignants à utiliser et coûteux à mettre en place dans une organisation, ces dispositifs ne sont guère utilisés que là où ils représentent des « gains de productivité » (réponses à appel d'offres, factures, déclarations fiscales, bulletins de paye...). L'incapacité de tous nos autres « documents » numériques à devenir des documents au sens fort pourrait nous faire douter que les générations futures puissent écrire l'histoire de notre époque (Iacovella, 2007). Face à cette question, un peu étourdissante, le sujet des cahiers de laboratoire numérique fournit un champ d'expérimentation, certes beaucoup plus modeste, mais cependant emblématique puisque combinant la constitution de documents authentiques et la pratique scientifique.
Comme chacun sait, il n'y a pas de production scientifique sans références bibliographiques, mais c'est plus particulièrement dans les Sciences de l'Homme et de la Société que le recours au document prend toute son importance : le sociologue recueille des témoignages, le linguiste, des formes attestées, le philologue, des testimonia, l'historien, des sources. Tous, à la suite de Dilthey (et dans la tradition herméneutique initiée par Origène), montrent qu'il est possible de développer une pratique scientifique en prenant pour matériaux des discours d'hommes et de femmes, pourtant parfaitement subjectifs, à condition de les considérer non pas comme des descriptions exactes d'une réalité, mais justement comme des discours, sans prétention à la vérité, et dont seule l'authenticité doit nous importer (Bénel et Lejeune, 2009). Pour autant, établir l’authenticité d’un document numérique ne va pas de soi. La plupart des indices que relevaient les historiens et les philologues à l’intérieur des documents anciens n’existent plus dans les documents créés de manière numérique (Iacovella, 2007). Pour le numérique, la preuve d’origine est externe. L’horodatage certifié et la signature numérique nécessitent un tiers de confiance et l’exécution d’un algorithme. Cette preuve, si elle est incomparablement plus sûre, est aussi beaucoup plus fragile sur le long terme. La gouvernance de cette confiance envers les tiers, assez oligarchique, est de plus en plus remise en question. La complexité des algorithmes doit régulièrement être revue à la hausse pour faire face à l’augmentation des moyens de calcul. Par ailleurs, contrairement aux indices philologiques qui pouvaient être découverts a posteriori, ces preuves numériques d’origine doivent être mises en place au moment de la production des documents. Or, trop souvent incompris par les producteurs de documents, contraignants à utiliser et coûteux à mettre en place dans une organisation, ces dispositifs ne sont guère utilisés que là où ils représentent des « gains de productivité » (réponses à appel d'offres, factures, déclarations fiscales, bulletins de paye...). L'incapacité de tous nos autres « documents » numériques à devenir des documents au sens fort pourrait nous faire douter que les générations futures puissent écrire l'histoire de notre époque (Iacovella, 2007). Face à cette question, un peu étourdissante, le sujet des cahiers de laboratoire numérique fournit un champ d'expérimentation, certes beaucoup plus modeste, mais cependant emblématique puisque combinant la constitution de documents authentiques et la pratique scientifique.
 

Version du 11 septembre 2016 à 21:14

Lorraine Tosi et Aurélien Bénel (Université de Technologie de Troyes)
Résumé 
S'intéresser à la question de l'authenticité des documents numériques revient à s'interroger sur le statut des connaissances de notre époque. Si, à première vue, on pourrait croire que l'épistémologie s'occupe d'abord de vérité, ce serait négliger son rapport à l'authenticité.
Comme chacun sait, il n'y a pas de production scientifique sans références bibliographiques, mais c'est plus particulièrement dans les Sciences de l'Homme et de la Société que le recours au document prend toute son importance : le sociologue recueille des témoignages, le linguiste, des formes attestées, le philologue, des testimonia, l'historien, des sources. Tous, à la suite de Dilthey (et dans la tradition herméneutique initiée par Origène), montrent qu'il est possible de développer une pratique scientifique en prenant pour matériaux des discours d'hommes et de femmes, pourtant parfaitement subjectifs, à condition de les considérer non pas comme des descriptions exactes d'une réalité, mais justement comme des discours, sans prétention à la vérité, et dont seule l'authenticité doit nous importer (Bénel et Lejeune, 2009). Pour autant, établir l’authenticité d’un document numérique ne va pas de soi. La plupart des indices que relevaient les historiens et les philologues à l’intérieur des documents anciens n’existent plus dans les documents créés de manière numérique (Iacovella, 2007). Pour le numérique, la preuve d’origine est externe. L’horodatage certifié et la signature numérique nécessitent un tiers de confiance et l’exécution d’un algorithme. Cette preuve, si elle est incomparablement plus sûre, est aussi beaucoup plus fragile sur le long terme. La gouvernance de cette confiance envers les tiers, assez oligarchique, est de plus en plus remise en question. La complexité des algorithmes doit régulièrement être revue à la hausse pour faire face à l’augmentation des moyens de calcul. Par ailleurs, contrairement aux indices philologiques qui pouvaient être découverts a posteriori, ces preuves numériques d’origine doivent être mises en place au moment de la production des documents. Or, trop souvent incompris par les producteurs de documents, contraignants à utiliser et coûteux à mettre en place dans une organisation, ces dispositifs ne sont guère utilisés que là où ils représentent des « gains de productivité » (réponses à appel d'offres, factures, déclarations fiscales, bulletins de paye...). L'incapacité de tous nos autres « documents » numériques à devenir des documents au sens fort pourrait nous faire douter que les générations futures puissent écrire l'histoire de notre époque (Iacovella, 2007). Face à cette question, un peu étourdissante, le sujet des cahiers de laboratoire numérique fournit un champ d'expérimentation, certes beaucoup plus modeste, mais cependant emblématique puisque combinant la constitution de documents authentiques et la pratique scientifique.