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(Critique du crowdsourcing)
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res traditionnels (Fort et al., 2011). D’autres, moins radicaux  
 
res traditionnels (Fort et al., 2011). D’autres, moins radicaux  
 
dans leur critique, promettent toutefois de fiscaliser les données afin de rendre à la population et au  
 
dans leur critique, promettent toutefois de fiscaliser les données afin de rendre à la population et au  
 +
contribuable une partie de la valeur des données qu’ils ont librement produites, sous la
 +
forme de «
 +
travail invisible », pour YouTube, Facebook ou Google.
 +
Du strict point de vue des résultats, le crowdsourcing pourrait ne pas être l’annonciateur promis de
 +
s
 +
lendemains qui chantent. Avec la numérisation participative, par exemple, des documents
 +
numérisés
 +
de  très  mauvaise  qualité  sont  susceptibles  de  dégrader  le  niveau  général  et  la  cohérence  des
 +
bibliothèques  numériques.  Le  point  de  vue  égocentré  ou  pire,  malveillant  des  contributeurs
 +
anonymes  pourrait,  quant  à  lui,  être  considéré  d’avantage  com
 +
me  une  menace  que  comme  une
 +
réelle  opportunité.  Les  indexations  obtenues,  n’obéissant  à  aucune  structuration  risquent  d’être
 +
inexploitables,  n’obéissant  à  aucune  règle  et  à  aucune  hiérarchie.  Ainsi,  des  analyses  des  tags
 +
obtenus via le jeu Waisda? d'indexa
 +
tion des documents audiovisuels de l’Institut néerlandais du son
 +
et  de  l’image  montrent  que  seulement  5,8  %  des  tags  ont  une  occurrence  dans  le  thésaurus  de
 +
l’institut  et  que  seulement  23,6  %  d’entre  eux  sont  présents  dans  la  base  Cornetto  des  mots  de  la
 +
l
 +
angue  néerlandaise  (Oomen  et  al.,  2010).  Un  travail  important  de  contrôle,  de  modération  et  de
 +
correction  risque  donc  de  remplacer le  travail  bibliothéconomique  traditionnel et,  le  crowdsourcing
 +
ne  représenter,  finalement,  ni  une  économie  de  moyens  ni  une
 +
optimisation  de  résultats.  Enfin,  du
 +
point de vue des professionnels des institutions culturelles, le crowdsourcing pourrait aussi signif
 +
ier
 +
l’appropriation individuelle du patrimoine collectif par quelques internautes se permettant de tague
 +
r
 +
ou de donner
 +
leurs points de vues profanes, informels, personnels, intimes, centrés sur eux
 +
-
 +
mêmes,
 +
banals, lambdas, triviaux et médiocres.
 +
Cependant,  l’internaute  qui  consulte  un  document  numérisé  connaît  souvent  bien  mieux  son
 +
contenu  intellectuel  puisqu’il  en  est  l’u
 +
sager,  l’utilisateur  et  parfois  même  l’auteur,  que  le
 +
bibliothécaire,  malgré  sa  bonne  culture  générale,  le  plus  souvent  littéraire.  Il  est,  en  tous  cas,
 +
généralement  plus  qualifié  pour  le  faire  que  le  sous
 +
-
 +
traitant  d’un  pays  à  bas  salaires  comme
 +
Madagascar
 +
,  le  Viêt  Nam  ou  l’Inde  et  qui  a  finalement  été  chargé  du  travail.  La  qualité  de
 +
l’information  que  l’internaute  est  susceptible  d’apporter  est  donc  loin  d’être  négligeable  comme  le
 +
suggèrent, d’ailleurs, quelques études comparatives (Rorissa, 2010).
 +
Les pr
 +
ojets de crowdsourcing et les bibliothèques numériques
 +
Dans  le  domaine  des  bibliothèques  numériques,  quasiment  chaque  étape  de  la  chaine  de
 +
numérisation  est  susceptible  d’être  effectuée  par  des  internautes  bénévoles.  Ainsi,  la  politique
 +
documentaire de sélection, d’acquisition et de numérisation peut être exte
 +
rnalisée auprès de la foule
 +
des internautes, comme cela est réalisé, par exemple, sur Internet Archive, Commons Wikimedia ou
 +
Europeana 1914
 +
-
 +
1918. C’est le cas aussi de la numérisation à la demande grâce à des financements
 +
participatifs,  ou  crowdfunding,  ex
 +
périmentés  par  Ebooks  on  Demand,  les  amis  de  la  BnF  ou  plus
 +
récemment, en France, par le projet Numalire. La correction participative de l’OCR a, quant à elle,
 +
été
 +
expérimentée par de trop nombreux projets pour pouvoir tous les évoquer. Nous pouvons toutef
 +
ois
 +
mentionner Distributed Proofreader, Wikisource (Wikipedia), TROVE, Digitalkoot, ReCaptcha. Dans la
 +
mesure  où  la  reconnaissance  de  caractères  par  des  logiciels  OCR  donne  des  résultats  très  variables
 +
selon  les  typographies  et  l’état  des  documents  origina
 +
ux  et  selon  les  qualités  de  numérisation,  ces
 +
projets  participatifs  permettent,  par  correction,  d’obtenir  des  textes  de  meilleure  qualité,  mieux
 +
indexés par les moteurs de recherche et surtout, des fichiers compatibles avec la lecture sur liseus
 +
es.
 +
Ils  évi
 +
tent  aussi  de  recourir  à  des  prestataires  pour  corriger  l’OCR  brute  et  qui  font  généralement
 +
appel  à  des  pays  dont  les  travailleurs  ont  des  salaires  faibles  relativement  à  ceux  des  pays
 +
occidentaux.  Enfin,  la  redocumentarisation,  l’indexation  participative
 +
ou  folksonomie  peuvent
 +
également  être  demandées  aux  internautes  comme  cela  est  proposé,  par  exemple  par  le
 +
steve.museum, Filckr the commons, Google Image Labeler , ESP Game, Metadata Games...
 +
Parmi  tous  ces  projets,  certains  comme  Digitalkoot,  Google  Imag
 +
e  Labeler  ou  ESP  Game  font
 +
participer les internautes sous la forme de jeux sur le web. Il pourra s’agir, par exemple, avec le
 +
jeu
 +
Digitalkoot,  de  ressaisir  convenablement  chaque  mot provenant  de  l’OCR  afin  de  construire  chaque
 +
brique d’un pont permettant
 +
à  une armée de petites taupes de pouvoir  traverser une rivière et ce,
 +
en  évitant  un  maximum  de  noyades  et  le  maximum  d’erreurs  invariablement  sanctionnés  par
 +
l’explosion  d’une  brique  du  pont  (Chrons  et  Sundell,  2011).  D’autres  jeux,  comme  Google  Image
 +
Lab
 +
eler,  consisteront  à  chercher  à  deviner  et  à  trouver  le  même  mot  clé  qu’un  autre  internaute
 +
partenaire  sur  le  web  pour  décrire  et  indexer  une  même  image  afin  de  marquer  un  maximum  de
 +
points,  et  ce,  tout  en  ayant  l’impossibilité  d’utiliser  certains  mots  tab
 +
ous  car  déjà  validés  lors  de
 +
parties  précédentes  et  car  cela  a  pour  effet  de  récolter  des  indexations  plus  utiles  et  plus  précise
 +
s
 +
(Von Ahn, 2006). Ce faisant, par un système de confrontation des saisies des internautes, on obtient
 +
une  indexation  de  qualit
 +
é  optimale.  Ce  type  de  projets  fait  appel  à  une  démarche  qualifiée  de
 +
gamification, terme proposé en 2002 par Nick Pelling et qui pourrait être traduit en français par ce
 +
lui
 +
de  ludification.  D’autres  auteurs  comme  Luis  Von  Ahn  parlent  aussi  de  «  games  with
 +
a  puropose  »,
 +
expression qui pourrait être traduite par « jeux avec une finalité ». Von Ahn évoque aussi l’express
 +
ion
 +
de  «  human  computation  »  pour  désigner  la  possibilité  d’utiliser  les  cerveaux  humains  comme  des
 +
processeurs dans un système distribué au
 +
sein duquel chacun pourrait contribuer à générer un calcul
 +
massif  et  obtenir  des  résultats  inimaginables  auparavant  (Von  Ahn,  2006).  Le  projet  scientifique
 +
fold.it,  a  ainsi  permis  d’améliorer  considérablement  la  connaissance  du  repliement  des  protéines
 +
grâ
 +
ce  à  l’intelligence  humaine  collective  mobilisée  autour  de  jeux  de  puzzles.  La  gamification
 +
permettrait  d’améliorer  considérablement  la  participation  des  internautes  dans  le  cadre  de  projets
 +
de  crowdsourcing  et  représenterait  un  potentiel  important  si  on  c
 +
onsidère  que  65  %  des  ménages
 +
américains  jouent  aux  jeux  vidéos  et  qu’un  américain  moyen  a  déjà  joué  10  000  heures  à  des  jeux
 +
vidéo lorsqu’il a atteint l'âge de 21 ans (McCarthy, 2012). Selon Luis Von Ahn, l’intégralité des im
 +
ages
 +
de  Google  Images  aurait  a
 +
insi  pu  être  indexée  en  seulement  31  jours  par  5000  personnes  qui
 +
joueraient continuellement à ESP Game (Von Ahn et Dabbish, 2004).
 +
D’autres  projets,  comme  reCaptcha,  bénéficient  de  la  contribution  involontaire  des  internautes  («
 +
crowdsourcing  implicite  »)
 +
qui  doivent  ressaisir  les  images  distordues  de  deux  mots  pour  prouver
 +
qu’ils ne sont pas des robots malveillants (Human Interactive Proof) et pouvoir ainsi créer un compt
 +
e
 +
sur un site web. Ce faisant, ils participent à corriger du texte océrisé par Google
 +
Books, l’un des deux
 +
mots  à  recopier  étant  un  mot  océrisé  dans  le  cadre  du  célèbre  projet  de  numérisation  et  non
 +
reconnu  par  un  dictionnaire  tandis  que  l’autre  mot  est  effectivement  utilisé  pour  des  raisons  de
 +
sécurité.  Avec  son  slogan  «  Stop  span,  read  b
 +
ooks  »,  reCaptcha  permet  à  environ  100  millions  de
 +
mots  douteux  d’être  ainsi  astucieusement  corrigés  chaque  jour  par  les  internautes  (Von  Ahn  et  al.,
 +
2008),  par  confrontation  de  leurs  saisies  et  au  bénéfice  de  projets  comme  Google  Books,  Google
 +
Maps et pro
 +
chainement aussi, Internet Archive.
 +
D’autres  projets  enfin  font  appel  à  d’autres  types  de  ressources  des  internautes  :  leurs  ressources
 +
financières. On parle dans ce cas de crowdfunding pour le projet européen Ebooks on Demand (EOD)
 +
ou  pour  le  projet  expér
 +
imental  Numalire  de  la  société  Yabé.  A  partir  des  catalogues  en  ligne  des
 +
bibliothèques  ou  de  vastes  plateformes  de  métadonnées  bibliographiques  bien  référencées  par  les
 +
moteurs  de  recherche,  le  financement  participatif  de  la  numérisation  des  livres  libres
 +
de  droits  est
 +
proposée  aux  internautes,  aux  institutions  et  aux  mécènes  qui  peuvent  en  commander  la
 +
numérisation  via  des  liens  renvoyant  vers  une  interface  de  paiement.  Les  documents  dont  la
 +
numérisation est financée sont ensuite numérisés sur place par u
 +
n opérateur, ou acheminés vers un
 +
atelier de numérisation, par navette ou par courrier. Une fois numérisés et mis en ligne ils pourron
 +
t
 +
porter la mention de leurs sponsors et leur offrir un retour sur investissement en termes de publici
 +
 +
et  de  trafic  web
 +
vers leurs  propres  sites  qui  compensera  les  coûts  investis  dans  la  numérisation. Ce
 +
retour sur investissement pourra être particulièrement intéressant dans le cas de livres susceptible
 +
s
 +
d’être  consultés  plusieurs  millions  de  fois,  comme  c’est  le  cas,  par  e
 +
xemple,  de  quelques  livres
 +
diffusés  sur  Internet  Archive.  L’argent  public  peut  ainsi  se  concentrer  sur  des  documents  dont  la
 +
numérisation  présente  un  intérêt  patrimonial  ou  scientifique  et  laisser  l’argent  privé  financer  la
 +
numérisation de livres présentan
 +
t un intérêt commercial et susceptibles d’attirer le grand public. De
 +
leur  côté,  les  bibliothèques  sont  désormais  en  mesure  d’offrir  à  leurs  usagers,  des  services  de
 +
reprographie  numérique,  sans  avoir  à  en  supporter  le  coût,  et  de  compléter  leur  programmes
 +
de
 +
numérisation.  Elles  peuvent  aussi  désormais  externaliser  le  difficile  travail  d’identification  et  de
 +
sélection des documents qui, au sein de leurs patrimoines documentaires, méritent d’être numérisés
 +
et ainsi, ouvrir et partager auprès du grand public,
 +
leur politique documentaire.
 +
Les  contributeurs  de  tous  ces  projets  culturels  faisant  appel  au  crowdsourcing  ressemblent
 +
d’avantage  à  une  communauté  définie  de  bénévoles  dont  le  profil  est  d’ailleurs  plutôt  celui  de
 +
retraités  passionnés  de  généalogie  ou  d’
 +
histoire  locale  et  familiale,  ou  de  jeunes  diplômés  en
 +
recherche  d’emploi,  qu’à  une  foule  d’internautes  indifférenciés.  Dans  ces  conditions,  il  serait  donc
 +
plus  approprié  de  parler  de  nichesourcing  ou  de  communitysourcing  plutôt  que  de  crowdsourcing,
 +
comme
 +
le  suggère  certains  auteurs  (Causer,  2012).  Lorsque  ces  internautes  sont  volontaires,  ils
 +
peuvent l’être pour des raisons aussi bien intrinsèques qu’extrinsèques. Certains cherchent ainsi à
 +
se
 +
sentir  utile  pour  un groupe,  pour  la  société,  pour  le  pays,  po
 +
ur  la science,  pour  l’intérêt général,  ou
 +
pour  une  cause,  ou  encore  faire  quelque  chose  de  désintéressé,  dans  un  esprit  d’altruisme  et  de
 +
philanthropie  ou  avec  un  sentiment  de  redevabilité.  Rose  Holley  (Holley  2010)  mentionne  ainsi  les
 +
catégories suivantes
 +
:
 +
-
 +
Recherchent plutôt leur développement personnel, à se cultiver et à apprendre, à satisfaire leur soi
 +
f
 +
de connaissance.
 +
-
 +
Cherchent à s’amuser, à se distraire, à jouer ou à tester une démarche innovante.
 +
-
 +
Stimulés par l’esprit de compétition, le chall
 +
enge ou par le besoin de se prouver quelque chose.
 +
-
 +
Veulent avoir une bonne estime de soi, avoir l’impression d’avoir du pouvoir sur les choses, d’être
 +
auteur et acteur ou, tout simplement, cherchent à améliorer leur e
 +
-
 +
reputation sur le web.
 +
Dans  tous  le
 +
s  cas,  pour  les  institutions  culturelles  qui  bénéficient  de  travail  bénévole,  le
 +
développement de ce type de projets nécessite des investissements importants pour communiquer,
 +
recruter,  faire  du  community  management,  alimenter  régulièrement  la  plateforme  e
 +
n  contenu,
 +
motiver,  récompenser,  former  les  contributeurs,  modérer,  contrôler,  évaluer  la  qualité  et  surtout,
 +
réintégrer  les  données  produites  dans  les  bibliothèques  numériques  car,  dans  le  cas  contraire,  le
 +
crowdsourcing n’obéirait qu’à une logique de com
 +
munication institutionnelle superficielle.
 +
En  France,  quelques  projets  de  transcriptions  participatives  ont  déjà  été  conduits  dans  les  Archives
 +
(Alpes  Maritimes,  Cantal,  Ain,  Seine  Maritime,  Normandie...),  ou  dans  quelques  bibliothèques  en
 +
partenariat  avec  W
 +
ikisource  (en  2008,  à  l’Ecole  Nationale  Vétérinaire  de  Toulouse  pour  100  thèses
 +
numérisées,  puis  en  2010,  à  la  Bibliothèque  nationale  de  France  pour  un  peu  plus  de  1400  livres
 +
numérisés). Mais le développement du crowdsourcing y demeure particulièrement di
 +
fficile, dans un
 +
pays  où  les  modes  de  fonctionnement  participatifs  ont  parfois  du  mal  s’imposer.  Ainsi,  la  grande
 +
étude menée par l’Online Computer Library Center (OCLC) en 2012 sur le sujet (Smith
 +
-
 +
Yoshimura et
 +
Holley, 2012) ne mentionne aucun projet franç
 +
ais sur 76 sites audités dans le monde et il aura fallu
 +
attendre février 2013 pour qu’une première étude (Moirez et al., 2013) soit publiée en France sur le
 +
sujet,  par  la  Bibliothèque  nationale  de  France  dans  le  cadre  du  projet  Ozalid.  Le  crowdsourcing  est
 +
pourtant utilisé dans un nombre croissant de projets culturels dans le monde et est mentionné dans
 +
un nombre exponentiel de publications scientifiques.
 +
Comme  le  montre  une  récente  étude  de  Deloitte  pour  Google  datée  de  2013,  11  %  des  salariés
 +
français  uti
 +
lisent  des  outils  collaboratifs  contre  25  %  en  Hollande.  La  France  semble,  en  effet,
 +
éprouver  une  difficulté  à  passer  d'une  culture  de  l'information  individualiste,  fermée,  corporatiste
 +
,
 +
centralisée, procédurière, complexe, hiérarchique et verticale à une
 +
culture plus collective, ouverte,
 +
partagée et transversale. D’un certain point de vue, la France pourrait apparaître comme demeurant
 +
encore  largement  prisonnière  d'une  théorie  quasi  malthusienne  de  la  valeur  de  l'information  qui
 +
considère que moins de gens
 +
ont accès à la connaissance, plus elle a de valeur. Le culte pour le secret
 +
qui  enferme  l'information  dans  les  seuls  réseaux  d’initiés  y  demeure  assez  répandu  malgré  le
 +
développement de la société de l’information, de l’open access et de l’ouverture des d
 +
onnées. Dans
 +
les  bibliothèques  françaises,  parfois  nostalgiques  du  monopole  d’accès  à  l’information  et  craintives
 +
de  se  faire  piller  par  des  intérêts  privés,  le  crowdsourcing  implique  une  évolution  majeure  dans  la
 +
culture  de  travail  d’une  corporation  assez
 +
conservatrice.  Cette  corporation  pourrait  se  sentir
 +
dévalorisée  si  son  travail  était  effectué  gratuitement  et  bénévolement  par  des  amateurs,  le  grand
 +
public,  les  profanes,  le  secteur  privé  ou  pire,  marchand.  Cette  évolution  serait  susceptible  de
 +
remettre
 +
en question l’autorité, les compétences bibliothéconomiques et le statut de professionnels
 +
déjà sur la défensive.
 +
Conclusions
 +
Si  la  France  envisage  tardivement  d’expérimenter  le  crowdsourcing  dans  le  cadre  de  projets  de
 +
numérisation  du  patrimoine,  d’autres
 +
pays,  comme  l’Australie  et  son  projet  TROVE  (Ayres,  2013)
 +
constatent,  de  leur  coté,  qu’un  seuil  aurait  été  atteint  et  qu’il  devient  difficile  de  développer
 +
d’avantage  cette  piste,  d’autant  que  les  progrès  dans  les  logiciels  de  reconnaissance  de  caractère
 +
pourraient  rendre  caduque,  à  l’avenir,  la  correction  participative  de  l’OCR,  en  particulier.  Pour  sa
 +
part,  le  géant  Google,  s’il  continue  à  bénéficier  de  la  correction  involontaire  de  l’OCR  par  les
 +
internautes via les reCaptcha, il a néanmoins abandonné so
 +
n projet d’indexation des images dans le
 +
cadre du jeu Google Image Labeler.
 +
En tout état de cause, les organisations qui mettent en place, les premières, des fonctionnements de
 +
type crowdsourcing pourront en tirer un avantage concurrentiel, mais lorsque ce
 +
tte pratique se sera
 +
généralisée, il est probable que la gamification et la rétribution deviennent l’un des seuls moyens
 +
de
 +
capter  la  participation  des  internautes.  Dans  le  cadre  du  travail  de  recherche  doctorale  dont  cet
 +
article  est  issu,  des  expérimentat
 +
ions,  réalisées  en  collaboration  avec  le  projet  de  crowdfunding
 +
Numalire, sont en cours afin d’en évaluer la faisabilité.
 +
La participation des internautes est vitale pour des institutions qui ont grandement besoin d’existe
 +
r
 +
sur  le  web,  de  communiquer  et  de
 +
mobiliser  autour  de  leurs  collections.  L’ouverture  sur  l’amateur
 +
peut  représenter,  pour  elles,  comme  pour  les  entreprises,  une  source  importante  d’innovations  et
 +
d’inventions  car  ne  cherchant  pas  à  reproduire  les  modèles  établis  du  métier  avec  lesquels  le
 +
s
 +
professionnels  ont  été  formés,  ils  sont  susceptibles  de  provoquer  des  ruptures  innovantes.  Ainsi,
 +
selon  Von  Hippel,  46  %  des  entreprises  américaines  dans  des  domaines  innovants  et  qui  se
 +
maintiennent  au  moins  5  ans  ont  pour  origine  un  simple  utilisateur
 +
(Guillaud,  2012).  Mais  cette
 +
ouverture, dans les institutions culturelles françaises, nécessitera des investissements importants
 +
en
 +
conduite du changement.
 +
Bibliographie
 +
Andro,  M.  (2013).  “Faire  appel  à  la  charité”  :  Trove,  les  journaux  australiens  et  la  f
 +
oule  des
 +
internautes.
 +
Traduction française de : Ayres, M.
 +
-
 +
L. (2013). ‘Singing for their supper’: Trove, Australian
 +
newspapers, and the crowd. In IFLA World Library and Information Congress. Singapore.
 +
Causer,  T.  (2012).  Building  A  Volunteer Community:  Resu
 +
lts  and  Findings  from  Transcribe  Bentham.
 +
Digital Humanities Quaterly, vol. 6, num. 2, 26 p.
 +
Chrons,  O.  Sundell  S.  (2011).  Digitalkoot:  Making  Old  Archives  Accessible  Using  Crowdsourcing.  3rd
 +
Human Computation Workshop, HCOMP 2011.
 +
Estellés
 +
-
 +
Arolas,  E.  Gonz
 +
ález
 +
-
 +
Ladrón
 +
-
 +
de
 +
-
 +
Guevara,  F.  (2012).  Towards  an  integrated  crowdsourcing
 +
definition. Journal of Information Science, vol. 38, num. 2, 189
 +
-
 +
200.
 +
Fort,  K.,  Adda,  G.,  Cohen,  K.  B.  (2011).
 +
Amazon  Mechanical  Turk:  Gold  Mine  or  CoalMine?
 +
Computational Linguistics,
 +
vol. 37, num. 2, 413
 +
-
 +
420.
 +
Guillaud,  H.  (2012).  Von  Hippel  :  le  paradigme  de  l’innovation  par  l’utilisateur.  InternetActu.net,
 +
disponible  à  :  http://www.internetactu.net/2012/06/28/von
 +
-
 +
hippel
 +
-
 +
le
 +
-
 +
paradigme
 +
-
 +
de
 +
-
 +
linnovation
 +
-
 +
par
 +
-
 +
lutilisateur
 +
Holley,  R.  (2010).  C
 +
rowdsourcing:  How  and  Why  Should  Libraries  Do  It?.
 +
D
 +
-
 +
Lib  Magazine,  vol.  16,
 +
num. 3
 +
-
 +
4.
 +
Loveluck,  B.  (2012).  La  liberté  par  l'information  :  généalogie  politique  du  libéralisme informationn
 +
el
 +
et des formes de l'auto
 +
-
 +
organisation sur internet. Thèse de doctora
 +
t de l’Ecole des Hautes Etudes en
 +
Sciences Sociales, EHESS.
 +
Mccarthy  S.  (2012).  Using  gamification  as  an  effective  OCR  crowdsourcing  motivator.
 +
Disponible  à
 +
http://sjmccarthy.com/?portfolio=research
 +
-
 +
proposal
 +
-
 +
using
 +
-
 +
gamification
 +
-
 +
as
 +
-
 +
an
 +
-
 +
effective
 +
-
 +
ocr
 +
-
 +
crowdsour
 +
cing
 +
-
 +
motivator.
 +
Moirez,  P.  Moreux,  J.P.  Josse,  I.  (2013).  Etat  de  l’art  en  matière  de  crowdsourcing  dans  les
 +
bibliothèques  numériques.  Livrable  L
 +
-
 +
4.3.1  du  projet  de  R&D  du  FUI  12  pour  la  conception  d’une
 +
plateforme collaborative de correction et d'enrichis
 +
sement des documents numérisés.
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Version du 4 septembre 2016 à 17:58

Bibliothèques numériques et crowdsourcing : une synthèse de la littérature académique et professionnelle internationale sur le sujet


 
 

 
Titre
  • Bibliothèques numériques et crowdsourcing, une synthèse de la littérature académique et professionnelle internationale sur le sujet
Auteurs
Affiliations
  • (1) DV IST, Institut National de la Recherche Agronomique
  • (2) Laboratoire Paragraphe
In
CIDE.17 (Fès 2014)
En ligne
Résumé
Cet article est la synthèse d’une thèse doctorale en sciences de l’information et de la communication, commencée en 2012, sur le sujet du crowdsourcing appliqué aux projets de numérisation du patrimoine culturel et, en particulier, de constitution de bibliothèques numériques. C’est dans ce cadre qu’un état de l’art préalable à toute expérimentation, a été réalisé, à partir de la littérature académique et professionnelle sur le sujet, rassemblée au sein d’un corpus de 120 publications, le plus souvent en anglais. Cet article résume et synthétise, dans une première partie théorique, les publications relatives à la définition, à la taxonomie, à la philosophie et à la critique du crowdsourcing et, dans une deuxième partie, les publications sur la conduite de projets, la communication, les motivations des contributeurs et sur des initiatives spécifiques de crowdsourcing, de gamification et de crowdfunding appliquées à des projets de numérisation du patrimoine culturel.

Les humains passent de plus en plus de temps sur Internet. Avec le développement du web 2.0, ils sont désormais en capacité de contribuer activement au développement de contenus au lieu d’en être les consommateurs passifs. Si on considère, d’une part, que l’encyclopédie participative Wikipédia a bénéficié de près de 100 millions d’heures bénévoles en 2011 et, d’autre part, que les américains regardent la télévision 200 billions d’heures par an, ils pourraient donc créer 2000 projets comme Wikipédia chaque année plutôt que de regarder la télévision (Shirky, 2010).

De leur côté, les bibliothèques disposent de moins en moins de ressources pour effectuer le travail nécessaire à l’achèvement de leurs projets documentaires. Elles pourraient donc, au lieu de sous-traiter une partie de leurs tâches auprès de prestataires ayant recours à de la main d’œuvre dans des pays à bas coûts, externaliser auprès de la foule des internautes, les tâches qui ne peuvent être exécutées automatiquement par des programmes et des algorithmes. Cette foule d’internautes compte des spécialistes dans tous les domaines et des individus susceptibles de s’engager pour des raisons aussi diverses que le développement personnel, la distraction, le jeu, l’autopromotion ou l’altruisme. Ces individus pourraient répondre aux appels à participation des bibliothèques qui bénéficient d’une bonne image, et disposent d’une tradition de bénévolat au service de l’intérêt général. Ils pourraient ainsi apporter travail, compétences, connaissances, créativité mais aussi argent et contribuer au développement de projets de numérisation pour la sélection des documents à numériser, pour la numérisation elle-même, pour la correction de l’OCR, le catalogage, l’indexation et la valorisation éditoriale. Ils pourraient même remplir des objectifs qu’il aurait été impossible d’imaginer et d’atteindre auparavant.

Origines du mot et définition

Le terme de crowdsourcing, qui pourrait être traduit en français par approvisionnement ou externalisation par la foule des internautes a été proposé par Jeff Howe en juin 2006 dans la revue Wired Magazine. Il pourrait être défini, en s’inspirant des travaux d’une étude spécifique sur ses diverses définitions comme un type d’activité participative en ligne pour laquelle un individu, une institution, une organisation à but non lucratif ou une société propose à un groupe hétérogène et indéfini d’individus de compétences variables, à travers un appel ou vert, la volontaire ou involontaire sous-traitance d’une tâche ou de micro tâches. L’externalisation de cette tâche, et pour laquelle, une foule d’internautes pourraient participer, apportant leur travail, leur argent, leurs connaissances et / ou expériences bénéficie toujours mutuellement à tous les associés. Les usagers recevront la satisfaction d’un type donné de besoins, qu’ils soient économiques, basés sur la reconnaissance sociale, l’estime de soi, ou le développement de compétences individuelles (inspiré de Estellés- Arolas, 2012 et González-Ladrón-de-Guevara).

Le crowdsourcing ressemble donc à de l’externalisation d’autant qu’il fait suite à un appel à participation qui est une sorte d’appel d’offres, mais il est non contractuel et ses travailleurs ne sont pas définis. Il se distingue à la fois de l’open innovation car il fait appel à l’extérieur de l’entreprise, du user innovation car l’initiative vient de l’entreprise, non de l’usager et de l’open source car il peut tout aussi bien fonctionner sur un mode collaboratif que sur un mode compétitif.

Historiquement, le crowdsourcing peut trouver sa filiation dans divers évènements comme le Longitude Act de 1714 qui proposait 20000 livres à qui permettrait de déterminer la longitude d’un navire en pleine mer, ou comme le concours lancé par Toyota en 1936 afin de définir le dessin le plus pertinent pour le choisir comme logo de sa marque, ou encore comme l’Opéra de Sydney qui fût construit à la suite d’un concours public en 1955 ou enfin, comme le guide de restaurants Zagat rédigé de manière participative en 1979 par un nombre important de collaborateurs.

L’origine philosophique du crowdsourcing visant à réhumaniser Internet et à rendre à l’humain une place centrale sur le web comme origine et finalité, peut aussi bien être considérée comme relevant de l’humanisme chrétien et de l’amour de son prochain, de l’altruisme positiviste, du socialisme et de son slogan « de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins », de l’anarchisme libertaire et son rejet de l’autorité puisque la contribution de l’amateur et de l’autodidacte devient égale à celle du professionnel et de l’expert, ou encore du libéralisme et de son amour des libertés individuelles et de son esprit d’initiative et d’entreprise d’autant que Internet est aussi parfois qualifié de «  libéralisme informationnel  » (Loveluck, 2012). Cette confusion des origines philosophiques du crowdsourcing est particulièrement évidente dans le domaine de la gamification. La gamification consiste à récolter les contributions et les données des internautes et à encourager leur participation en les faisant jouer sur le web. La gamification est tout autant l’héritière du stakhanovisme et de l’émulation socialiste qui organise une compétition entre les ateliers et la récompense avec des médailles et des titres que du grand capitalisme américain, du « weasure », mélange du travail (work) et du loisir (leasure) avec son slogan de «  fun at work  » et qui récompense ses meilleurs employés avec toutes sortes de cadeaux (Nelson, 2012). Selon certains théoriciens, le crowdsourcing permettrait même l’émergence d’une économie participatiste de la contribution, la fin du salariat, la disparition de la séparation entre amateurs et professionnels, entre loisirs et travail, le loisir devenant un travail et le travail un loisir, entre consommation et production, la consommation devenant elle-même productive de valeur, et entre vie privée et vie publique.

Critique du crowdsourcing

D’autres penseurs, moins enthousiastes face à ces perspectives, considèrent que derrière le développement de l’idéologie du web 2.0 et la passion déterministe de ceux qui rêvent de modéliser le monde grâce au « big data », se cacherait un nouveau cauchemar totalitaire où la sphère publique nierait toute vie priv ée et intime et bafouerait les libertés individuelles. Ce mouvement participerait au relativisme nihiliste et à la négation de toute autorité. Il engendrerait l’exploitation du travail gratuit ou sous payé, qualifié de servuction, car échappant à toute règ le, comme sur l’Amazon Mechanical Turk Marketplace qui permet à des sociétés de vendre des micro tâches, pour des «  micro salaires », à des travailleurs connectés au réseau en dehors de tout cadre juridique et faisant une concurrence déloyale aux prestatai res traditionnels (Fort et al., 2011). D’autres, moins radicaux dans leur critique, promettent toutefois de fiscaliser les données afin de rendre à la population et au contribuable une partie de la valeur des données qu’ils ont librement produites, sous la forme de «  travail invisible », pour YouTube, Facebook ou Google. Du strict point de vue des résultats, le crowdsourcing pourrait ne pas être l’annonciateur promis de s lendemains qui chantent. Avec la numérisation participative, par exemple, des documents numérisés de très mauvaise qualité sont susceptibles de dégrader le niveau général et la cohérence des bibliothèques numériques. Le point de vue égocentré ou pire, malveillant des contributeurs anonymes pourrait, quant à lui, être considéré d’avantage com me une menace que comme une réelle opportunité. Les indexations obtenues, n’obéissant à aucune structuration risquent d’être inexploitables, n’obéissant à aucune règle et à aucune hiérarchie. Ainsi, des analyses des tags obtenus via le jeu Waisda? d'indexa tion des documents audiovisuels de l’Institut néerlandais du son et de l’image montrent que seulement 5,8  % des tags ont une occurrence dans le thésaurus de l’institut et que seulement 23,6  % d’entre eux sont présents dans la base Cornetto des mots de la l angue néerlandaise (Oomen et al., 2010). Un travail important de contrôle, de modération et de correction risque donc de remplacer le travail bibliothéconomique traditionnel et, le crowdsourcing ne représenter, finalement, ni une économie de moyens ni une optimisation de résultats. Enfin, du point de vue des professionnels des institutions culturelles, le crowdsourcing pourrait aussi signif ier l’appropriation individuelle du patrimoine collectif par quelques internautes se permettant de tague r ou de donner leurs points de vues profanes, informels, personnels, intimes, centrés sur eux - mêmes, banals, lambdas, triviaux et médiocres. Cependant, l’internaute qui consulte un document numérisé connaît souvent bien mieux son contenu intellectuel puisqu’il en est l’u sager, l’utilisateur et parfois même l’auteur, que le bibliothécaire, malgré sa bonne culture générale, le plus souvent littéraire. Il est, en tous cas, généralement plus qualifié pour le faire que le sous - traitant d’un pays à bas salaires comme Madagascar , le Viêt Nam ou l’Inde et qui a finalement été chargé du travail. La qualité de l’information que l’internaute est susceptible d’apporter est donc loin d’être négligeable comme le suggèrent, d’ailleurs, quelques études comparatives (Rorissa, 2010). Les pr ojets de crowdsourcing et les bibliothèques numériques Dans le domaine des bibliothèques numériques, quasiment chaque étape de la chaine de numérisation est susceptible d’être effectuée par des internautes bénévoles. Ainsi, la politique documentaire de sélection, d’acquisition et de numérisation peut être exte rnalisée auprès de la foule des internautes, comme cela est réalisé, par exemple, sur Internet Archive, Commons Wikimedia ou Europeana 1914 - 1918. C’est le cas aussi de la numérisation à la demande grâce à des financements participatifs, ou crowdfunding, ex périmentés par Ebooks on Demand, les amis de la BnF ou plus récemment, en France, par le projet Numalire. La correction participative de l’OCR a, quant à elle, été expérimentée par de trop nombreux projets pour pouvoir tous les évoquer. Nous pouvons toutef ois mentionner Distributed Proofreader, Wikisource (Wikipedia), TROVE, Digitalkoot, ReCaptcha. Dans la mesure où la reconnaissance de caractères par des logiciels OCR donne des résultats très variables selon les typographies et l’état des documents origina ux et selon les qualités de numérisation, ces projets participatifs permettent, par correction, d’obtenir des textes de meilleure qualité, mieux indexés par les moteurs de recherche et surtout, des fichiers compatibles avec la lecture sur liseus es. Ils évi tent aussi de recourir à des prestataires pour corriger l’OCR brute et qui font généralement appel à des pays dont les travailleurs ont des salaires faibles relativement à ceux des pays occidentaux. Enfin, la redocumentarisation, l’indexation participative ou folksonomie peuvent également être demandées aux internautes comme cela est proposé, par exemple par le steve.museum, Filckr the commons, Google Image Labeler , ESP Game, Metadata Games... Parmi tous ces projets, certains comme Digitalkoot, Google Imag e Labeler ou ESP Game font participer les internautes sous la forme de jeux sur le web. Il pourra s’agir, par exemple, avec le jeu Digitalkoot, de ressaisir convenablement chaque mot provenant de l’OCR afin de construire chaque brique d’un pont permettant à une armée de petites taupes de pouvoir traverser une rivière et ce, en évitant un maximum de noyades et le maximum d’erreurs invariablement sanctionnés par l’explosion d’une brique du pont (Chrons et Sundell, 2011). D’autres jeux, comme Google Image Lab eler, consisteront à chercher à deviner et à trouver le même mot clé qu’un autre internaute partenaire sur le web pour décrire et indexer une même image afin de marquer un maximum de points, et ce, tout en ayant l’impossibilité d’utiliser certains mots tab ous car déjà validés lors de parties précédentes et car cela a pour effet de récolter des indexations plus utiles et plus précise s (Von Ahn, 2006). Ce faisant, par un système de confrontation des saisies des internautes, on obtient une indexation de qualit é optimale. Ce type de projets fait appel à une démarche qualifiée de gamification, terme proposé en 2002 par Nick Pelling et qui pourrait être traduit en français par ce lui de ludification. D’autres auteurs comme Luis Von Ahn parlent aussi de «  games with a puropose  », expression qui pourrait être traduite par « jeux avec une finalité ». Von Ahn évoque aussi l’express ion de «  human computation  » pour désigner la possibilité d’utiliser les cerveaux humains comme des processeurs dans un système distribué au sein duquel chacun pourrait contribuer à générer un calcul massif et obtenir des résultats inimaginables auparavant (Von Ahn, 2006). Le projet scientifique fold.it, a ainsi permis d’améliorer considérablement la connaissance du repliement des protéines grâ ce à l’intelligence humaine collective mobilisée autour de jeux de puzzles. La gamification permettrait d’améliorer considérablement la participation des internautes dans le cadre de projets de crowdsourcing et représenterait un potentiel important si on c onsidère que 65  % des ménages américains jouent aux jeux vidéos et qu’un américain moyen a déjà joué 10 000 heures à des jeux vidéo lorsqu’il a atteint l'âge de 21 ans (McCarthy, 2012). Selon Luis Von Ahn, l’intégralité des im ages de Google Images aurait a insi pu être indexée en seulement 31 jours par 5000 personnes qui joueraient continuellement à ESP Game (Von Ahn et Dabbish, 2004). D’autres projets, comme reCaptcha, bénéficient de la contribution involontaire des internautes («  crowdsourcing implicite  ») qui doivent ressaisir les images distordues de deux mots pour prouver qu’ils ne sont pas des robots malveillants (Human Interactive Proof) et pouvoir ainsi créer un compt e sur un site web. Ce faisant, ils participent à corriger du texte océrisé par Google Books, l’un des deux mots à recopier étant un mot océrisé dans le cadre du célèbre projet de numérisation et non reconnu par un dictionnaire tandis que l’autre mot est effectivement utilisé pour des raisons de sécurité. Avec son slogan «  Stop span, read b ooks  », reCaptcha permet à environ 100 millions de mots douteux d’être ainsi astucieusement corrigés chaque jour par les internautes (Von Ahn et al., 2008), par confrontation de leurs saisies et au bénéfice de projets comme Google Books, Google Maps et pro chainement aussi, Internet Archive. D’autres projets enfin font appel à d’autres types de ressources des internautes  : leurs ressources financières. On parle dans ce cas de crowdfunding pour le projet européen Ebooks on Demand (EOD) ou pour le projet expér imental Numalire de la société Yabé. A partir des catalogues en ligne des bibliothèques ou de vastes plateformes de métadonnées bibliographiques bien référencées par les moteurs de recherche, le financement participatif de la numérisation des livres libres de droits est proposée aux internautes, aux institutions et aux mécènes qui peuvent en commander la numérisation via des liens renvoyant vers une interface de paiement. Les documents dont la numérisation est financée sont ensuite numérisés sur place par u n opérateur, ou acheminés vers un atelier de numérisation, par navette ou par courrier. Une fois numérisés et mis en ligne ils pourron t porter la mention de leurs sponsors et leur offrir un retour sur investissement en termes de publici té et de trafic web vers leurs propres sites qui compensera les coûts investis dans la numérisation. Ce retour sur investissement pourra être particulièrement intéressant dans le cas de livres susceptible s d’être consultés plusieurs millions de fois, comme c’est le cas, par e xemple, de quelques livres diffusés sur Internet Archive. L’argent public peut ainsi se concentrer sur des documents dont la numérisation présente un intérêt patrimonial ou scientifique et laisser l’argent privé financer la numérisation de livres présentan t un intérêt commercial et susceptibles d’attirer le grand public. De leur côté, les bibliothèques sont désormais en mesure d’offrir à leurs usagers, des services de reprographie numérique, sans avoir à en supporter le coût, et de compléter leur programmes de numérisation. Elles peuvent aussi désormais externaliser le difficile travail d’identification et de sélection des documents qui, au sein de leurs patrimoines documentaires, méritent d’être numérisés et ainsi, ouvrir et partager auprès du grand public, leur politique documentaire. Les contributeurs de tous ces projets culturels faisant appel au crowdsourcing ressemblent d’avantage à une communauté définie de bénévoles dont le profil est d’ailleurs plutôt celui de retraités passionnés de généalogie ou d’ histoire locale et familiale, ou de jeunes diplômés en recherche d’emploi, qu’à une foule d’internautes indifférenciés. Dans ces conditions, il serait donc plus approprié de parler de nichesourcing ou de communitysourcing plutôt que de crowdsourcing, comme le suggère certains auteurs (Causer, 2012). Lorsque ces internautes sont volontaires, ils peuvent l’être pour des raisons aussi bien intrinsèques qu’extrinsèques. Certains cherchent ainsi à se sentir utile pour un groupe, pour la société, pour le pays, po ur la science, pour l’intérêt général, ou pour une cause, ou encore faire quelque chose de désintéressé, dans un esprit d’altruisme et de philanthropie ou avec un sentiment de redevabilité. Rose Holley (Holley 2010) mentionne ainsi les catégories suivantes

- Recherchent plutôt leur développement personnel, à se cultiver et à apprendre, à satisfaire leur soi f de connaissance. - Cherchent à s’amuser, à se distraire, à jouer ou à tester une démarche innovante. - Stimulés par l’esprit de compétition, le chall enge ou par le besoin de se prouver quelque chose. - Veulent avoir une bonne estime de soi, avoir l’impression d’avoir du pouvoir sur les choses, d’être auteur et acteur ou, tout simplement, cherchent à améliorer leur e - reputation sur le web. Dans tous le s cas, pour les institutions culturelles qui bénéficient de travail bénévole, le développement de ce type de projets nécessite des investissements importants pour communiquer, recruter, faire du community management, alimenter régulièrement la plateforme e n contenu, motiver, récompenser, former les contributeurs, modérer, contrôler, évaluer la qualité et surtout, réintégrer les données produites dans les bibliothèques numériques car, dans le cas contraire, le crowdsourcing n’obéirait qu’à une logique de com munication institutionnelle superficielle. En France, quelques projets de transcriptions participatives ont déjà été conduits dans les Archives (Alpes Maritimes, Cantal, Ain, Seine Maritime, Normandie...), ou dans quelques bibliothèques en partenariat avec W ikisource (en 2008, à l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse pour 100 thèses numérisées, puis en 2010, à la Bibliothèque nationale de France pour un peu plus de 1400 livres numérisés). Mais le développement du crowdsourcing y demeure particulièrement di fficile, dans un pays où les modes de fonctionnement participatifs ont parfois du mal s’imposer. Ainsi, la grande étude menée par l’Online Computer Library Center (OCLC) en 2012 sur le sujet (Smith - Yoshimura et Holley, 2012) ne mentionne aucun projet franç ais sur 76 sites audités dans le monde et il aura fallu attendre février 2013 pour qu’une première étude (Moirez et al., 2013) soit publiée en France sur le sujet, par la Bibliothèque nationale de France dans le cadre du projet Ozalid. Le crowdsourcing est pourtant utilisé dans un nombre croissant de projets culturels dans le monde et est mentionné dans un nombre exponentiel de publications scientifiques. Comme le montre une récente étude de Deloitte pour Google datée de 2013, 11  % des salariés français uti lisent des outils collaboratifs contre 25  % en Hollande. La France semble, en effet, éprouver une difficulté à passer d'une culture de l'information individualiste, fermée, corporatiste , centralisée, procédurière, complexe, hiérarchique et verticale à une culture plus collective, ouverte, partagée et transversale. D’un certain point de vue, la France pourrait apparaître comme demeurant encore largement prisonnière d'une théorie quasi malthusienne de la valeur de l'information qui considère que moins de gens ont accès à la connaissance, plus elle a de valeur. Le culte pour le secret qui enferme l'information dans les seuls réseaux d’initiés y demeure assez répandu malgré le développement de la société de l’information, de l’open access et de l’ouverture des d onnées. Dans les bibliothèques françaises, parfois nostalgiques du monopole d’accès à l’information et craintives de se faire piller par des intérêts privés, le crowdsourcing implique une évolution majeure dans la culture de travail d’une corporation assez conservatrice. Cette corporation pourrait se sentir dévalorisée si son travail était effectué gratuitement et bénévolement par des amateurs, le grand public, les profanes, le secteur privé ou pire, marchand. Cette évolution serait susceptible de remettre en question l’autorité, les compétences bibliothéconomiques et le statut de professionnels déjà sur la défensive. Conclusions Si la France envisage tardivement d’expérimenter le crowdsourcing dans le cadre de projets de numérisation du patrimoine, d’autres pays, comme l’Australie et son projet TROVE (Ayres, 2013) constatent, de leur coté, qu’un seuil aurait été atteint et qu’il devient difficile de développer d’avantage cette piste, d’autant que les progrès dans les logiciels de reconnaissance de caractère pourraient rendre caduque, à l’avenir, la correction participative de l’OCR, en particulier. Pour sa part, le géant Google, s’il continue à bénéficier de la correction involontaire de l’OCR par les internautes via les reCaptcha, il a néanmoins abandonné so n projet d’indexation des images dans le cadre du jeu Google Image Labeler. En tout état de cause, les organisations qui mettent en place, les premières, des fonctionnements de type crowdsourcing pourront en tirer un avantage concurrentiel, mais lorsque ce tte pratique se sera généralisée, il est probable que la gamification et la rétribution deviennent l’un des seuls moyens de capter la participation des internautes. Dans le cadre du travail de recherche doctorale dont cet article est issu, des expérimentat ions, réalisées en collaboration avec le projet de crowdfunding Numalire, sont en cours afin d’en évaluer la faisabilité. La participation des internautes est vitale pour des institutions qui ont grandement besoin d’existe r sur le web, de communiquer et de mobiliser autour de leurs collections. L’ouverture sur l’amateur peut représenter, pour elles, comme pour les entreprises, une source importante d’innovations et d’inventions car ne cherchant pas à reproduire les modèles établis du métier avec lesquels le s professionnels ont été formés, ils sont susceptibles de provoquer des ruptures innovantes. Ainsi, selon Von Hippel, 46  % des entreprises américaines dans des domaines innovants et qui se maintiennent au moins 5 ans ont pour origine un simple utilisateur (Guillaud, 2012). Mais cette ouverture, dans les institutions culturelles françaises, nécessitera des investissements importants en conduite du changement. Bibliographie Andro, M. (2013). “Faire appel à la charité”  : Trove, les journaux australiens et la f oule des internautes. Traduction française de : Ayres, M. - L. (2013). ‘Singing for their supper’: Trove, Australian newspapers, and the crowd. In IFLA World Library and Information Congress. Singapore. Causer, T. (2012). Building A Volunteer Community: Resu lts and Findings from Transcribe Bentham. Digital Humanities Quaterly, vol. 6, num. 2, 26 p. Chrons, O. Sundell S. (2011). Digitalkoot: Making Old Archives Accessible Using Crowdsourcing. 3rd Human Computation Workshop, HCOMP 2011. Estellés - Arolas, E. Gonz ález - Ladrón - de - Guevara, F. (2012). Towards an integrated crowdsourcing definition. Journal of Information Science, vol. 38, num. 2, 189 - 200. Fort, K., Adda, G., Cohen, K. B. (2011). Amazon Mechanical Turk: Gold Mine or CoalMine? Computational Linguistics, vol. 37, num. 2, 413 - 420. Guillaud, H. (2012). Von Hippel  : le paradigme de l’innovation par l’utilisateur. InternetActu.net, disponible à  : http://www.internetactu.net/2012/06/28/von - hippel - le - paradigme - de - linnovation - par - lutilisateur Holley, R. (2010). C rowdsourcing: How and Why Should Libraries Do It?. D - Lib Magazine, vol. 16, num. 3 - 4. Loveluck, B. (2012). La liberté par l'information  : généalogie politique du libéralisme informationn el et des formes de l'auto - organisation sur internet. Thèse de doctora t de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, EHESS. Mccarthy S. (2012). Using gamification as an effective OCR crowdsourcing motivator. Disponible à http://sjmccarthy.com/?portfolio=research - proposal - using - gamification - as - an - effective - ocr - crowdsour cing - motivator. Moirez, P. Moreux, J.P. Josse, I. (2013). Etat de l’art en matière de crowdsourcing dans les bibliothèques numériques. Livrable L - 4.3.1 du projet de R&D du FUI 12 pour la conception d’une plateforme collaborative de correction et d'enrichis sement des documents numérisés.