CIDE (2009) Slodzian : Différence entre versions

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===L’information est une relation===
 
===L’information est une relation===
La construction formelle que présupposait la science unitaire des positivistes logiques reposait notamment sur le concept de relation, au point que l'on pourrait suivre Barlow (Barlow, 1994, p.13) et poser que "l'information est une relation". Les controverses sur la taxinomie et le nombre de relations logiques depuis l'élaboration de la Classification décimale universelle (DCU) montre bien le succès de cette formule lapidaire: d'une vingtaine pour Coates (Coates,1960), on passe à quelque 5000 relations dans le système CYC 1 . La polémique sur le statut épistémique des métadonnées proposées par le Dublin Core Metadata Initiative trouve ici sa place 2 . En effet, les relations classiques qui structuraient les systèmes de classification bibliographiques relevaient de l'empirisme logique et de l'heuristique de la vérité scientifique, tandis que les relations de CYC concernent des connaissances de sens commun et, plus paradoxal encore, les métadonnées du Dublin Core s'adressent aux connaissances illimitées du Web sémantique. Les folksonomies ne seraient-elles pas en dernière instance le symptôme de l'impuissance intrinsèque de tout système de métadonnées à structurer une masse illimitée de données?
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La construction formelle que présupposait la science unitaire des positivistes logiques reposait notamment sur le concept de relation, au point que l'on pourrait suivre Barlow (Barlow, 1994, p.13) et poser que "l'information est une relation". Les controverses sur la taxinomie et le nombre de relations logiques depuis l'élaboration de la Classification décimale universelle (DCU) montre bien le succès de cette formule lapidaire: d'une vingtaine pour Coates (Coates,1960), on passe à quelque 5000 relations dans le système CYC <ref>Base de connaissances issues du sens commun ayant pour but le développement d’un système intelligent.</ref> . La polémique sur le statut épistémique des métadonnées proposées par le Dublin Core Metadata Initiative trouve ici sa place <ref>Référence sur ladite polémique.</ref> . En effet, les relations classiques qui structuraient les systèmes de classification bibliographiques relevaient de l'empirisme logique et de l'heuristique de la vérité scientifique, tandis que les relations de CYC concernent des connaissances de sens commun et, plus paradoxal encore, les métadonnées du Dublin Core s'adressent aux connaissances illimitées du Web sémantique. Les folksonomies ne seraient-elles pas en dernière instance le symptôme de l'impuissance intrinsèque de tout système de métadonnées à structurer une masse illimitée de données?
En fin de compte, la difficulté théorique et pratique de concevoir des ontologies générales institutionnellement prédéfinies pour classer la masse d’informations hétérogènes aboutit à une substitution de  paradigme :  on  passe  du  paradigme  de  l’information  à  celui  de     la
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En fin de compte, la difficulté théorique et pratique de concevoir des ontologies générales institutionnellement prédéfinies pour classer la masse d’informations hétérogènes aboutit à une substitution de  paradigme :  on  passe  du  paradigme  de  l’information  à  celui  de la communication (Web 2.0). La notion de web horizontal exprime ce renversement en invitant les usagers à indexer eux-mêmes le web à l’aune de leurs intérêts propres. Classification traditionnelle et folksonomie correspondraient ainsi à deux options philosophiques opposées. La première répondrait à une structure hiérarchique top-down adossée à l’objectivité supposée des technosciences, la seconde assumerait la subjectivité d’un étiquetage sui generis issu d’un filtrage collectif.
  
1 Base de connaissances issues du sens commun ayant pour but le développement d’un système intelligent.
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===Entre l’expert et la sagesse des foules, quelle place pour l’objectivité ?===
2 Référence sur ladite polémique.
 
 
 
communication (Web 2.0). La notion de web horizontal exprime ce renversement en invitant les usagers à indexer eux-mêmes le web à l’aune de leurs intérêts propres. Classification traditionnelle et folksonomie correspondraient ainsi à deux options philosophiques opposées. La première répondrait à une structure hiérarchique top-down adossée à l’objectivité supposée des technosciences, la seconde assumerait la subjectivité d’un étiquetage sui generis issu d’un filtrage collectif.
 
 
 
2.2 Entre l’expert et la sagesse des foules, quelle place pour l’objectivité ?
 
 
Cependant, l’opposition entre « stockage de l’information hiérarchique » et « filtrage collaboratif » (Origgi, 2008) mérite d’y regarder de plus près. S’ils se distinguent par leur intentionnalité (informer vs communiquer), il reste à prouver qu’ils procèdent d’épistémologies différentes et qu’ils se situent de part et d’autre de la ligne référentiel /non référentiel, autrement dit qu’ils ne procèdent pas également de l’empirisme logique. L’activité de connaissance présupposée dans les deux cas n’est-elle pas conçue comme le transcodage d’un langage-objet en un métalangage et réciproquement (Rastier, 1995) ? C’est en tout cas ce que suggère l‘idée de monde comme « catalogue » (Olivier Ertzscheid, 2008) qui laisse entendre que l’on peut accéder directement aux objets, l’univers de référence étant induit par l’objet lui-même. Il s’agit de saisir les mots par la dénotation et donc de représenter la relation des objets au monde. Cette vision néo-platonicienne du rapport des objets –virtuels et réels- au monde à travers  le  médium  technologique  est  théorisée  sous  le  nom d’ « Internet des objets » et certains de ses tenants se risquent à présenter l’informatique comme le socle de la structure du monde (Wolfram,  2001). Leurs propositions viennent en droite ligne des travaux des positivistes, Russel, Whitehead et en particulier Carnap, dont La Construction logique du Monde peut être considérée à cet égard  comme préfigurant la philosophie du Web.
 
Cependant, l’opposition entre « stockage de l’information hiérarchique » et « filtrage collaboratif » (Origgi, 2008) mérite d’y regarder de plus près. S’ils se distinguent par leur intentionnalité (informer vs communiquer), il reste à prouver qu’ils procèdent d’épistémologies différentes et qu’ils se situent de part et d’autre de la ligne référentiel /non référentiel, autrement dit qu’ils ne procèdent pas également de l’empirisme logique. L’activité de connaissance présupposée dans les deux cas n’est-elle pas conçue comme le transcodage d’un langage-objet en un métalangage et réciproquement (Rastier, 1995) ? C’est en tout cas ce que suggère l‘idée de monde comme « catalogue » (Olivier Ertzscheid, 2008) qui laisse entendre que l’on peut accéder directement aux objets, l’univers de référence étant induit par l’objet lui-même. Il s’agit de saisir les mots par la dénotation et donc de représenter la relation des objets au monde. Cette vision néo-platonicienne du rapport des objets –virtuels et réels- au monde à travers  le  médium  technologique  est  théorisée  sous  le  nom d’ « Internet des objets » et certains de ses tenants se risquent à présenter l’informatique comme le socle de la structure du monde (Wolfram,  2001). Leurs propositions viennent en droite ligne des travaux des positivistes, Russel, Whitehead et en particulier Carnap, dont La Construction logique du Monde peut être considérée à cet égard  comme préfigurant la philosophie du Web.
 
On se demandera, par ailleurs, si le filtrage collaboratif à l’origine des folksonomies échappe à un modèle communicationnel inférant un lexique mental qui s’enracinerait lui-même dans des universaux cognitifs donnant accès à une vérité-évidence. La « sagesse des foules » dont procéderait le PageRank de Google signifierait que, selon Adam Bosworth cité par Ertzscheid, pour tout élément donné (texte, image, document), on aurait une série de mots et de termes composant le plus petit lexique commun (expression d’un consensus conceptuel) permettant de décrire l’objet ou  le document. Ainsi, l’indexation sociale, dont FlikR par exemple serait le parangon, consiste à rechercher le consensus sur des valeurs phénoménologiques (opinions consensuelles) qui présupposent qu’on  tient le monde pour un « pan-catalogue » d’objets. Peut-on être plus référentialiste ?
 
On se demandera, par ailleurs, si le filtrage collaboratif à l’origine des folksonomies échappe à un modèle communicationnel inférant un lexique mental qui s’enracinerait lui-même dans des universaux cognitifs donnant accès à une vérité-évidence. La « sagesse des foules » dont procéderait le PageRank de Google signifierait que, selon Adam Bosworth cité par Ertzscheid, pour tout élément donné (texte, image, document), on aurait une série de mots et de termes composant le plus petit lexique commun (expression d’un consensus conceptuel) permettant de décrire l’objet ou  le document. Ainsi, l’indexation sociale, dont FlikR par exemple serait le parangon, consiste à rechercher le consensus sur des valeurs phénoménologiques (opinions consensuelles) qui présupposent qu’on  tient le monde pour un « pan-catalogue » d’objets. Peut-on être plus référentialiste ?

Version du 5 juillet 2016 à 10:00

Connaissances prescrites ou connaissances décrites ? L’apport de la sémantique des textes.


 
 

 
titre
Connaissances prescrites ou connaissances décrites ? L’apport de la sémantique des textes.
auteurs
Monique Slodzian (1), Mathieu Valette (2).
Affiliations
(1):CRIM-ERTIM (EA 2520) INaLCO, Paris
(2) :ATILF (UMR 7118) CNRS, Art Diagnosis Centre, 63071 Ormylia, Greece
In
CIDE.12 (Montréal), 2009
En PDF 
CIDE (2009) Slodzian.pdf
Mots-clés 
Connaissances prescrites, Vérité forte/vérité faible, Systèmes d’organisation des connaissances, Sémantique des textes, Parcours interprétatif, Planification de l’information, Forme sémantique, Thématisation, Lexicalisation.
Keywords
Prescriptive knowledge, Strong/weak truth, Knowledge Organisation Systems, Text Semantics, Interpretative path, Information planification, Semantic form, thematisation, lexicalisation.
Résumé
L’article vise à montrer que le modèle collaboratif de communication des connaissances revendiqué par le Web 2.0 ne rompt pas de manière significative avec le modèle épistémologique antérieur, issu du positivisme logique, notamment par son primat référentialiste prescriptif. En postulant in fine l’existence de concepts primitifs partagés, il est conduit à reproduire les mêmes limites que le Web sémantique fondé sur un socle de métadonnées réputées universelles. Par ailleurs, une acceptabilité indiscutée des connaissances de vérité faible pose des problèmes de fiabilité et de garantie susceptibles de compromettre le succès du modèle. L’article entend démontrer dans une deuxième partie en quoi la sémantique des textes peut contribuer à objectiver les connaissances par la description de parcours interprétatifs. Considérant que les textes relèvent d’une planification de l’information, l’article explicite la notion de forme sémantique, entre le texte et le concept, et envisage la possibilité de faire émerger des préconnaissances non encore lexicalisées. Cette proposition théorique est illustrée à partir de discours de prévention contre le tabagisme issus du Web.