CIDE (2007) Rousseaux

De CIDE
Révision datée du 24 mai 2012 à 11:04 par imported>Ali Tebbakh (La fascination des artistes pour les régimes de la collection)

Parcourir et constituer nos collections numériques


 
 


 
Titre
Parcourir et constituer nos collections numériques
Auteurs
Francis RousseauxetAlain Bonardi.
francis.rousseaux@ircam.fr
alain.bonardi@ircam.fr
Affiliation
STMS,IRCAM-CNRS, Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique 1, place Igor-Stravinsky – 75004 Paris
Mots-clés
informatique orientée objet ; collections figurales ; collections non-figurales ; ontologies.
Résumé 
L’informatique « à objets » a été inventée pour simuler nos activités de rangement d’objets dans des structures de classes identifiées et étiquetées, et son succès fut, comme l’on sait, immédiat. Une tendance innovante se fait jour depuis peu, caractérisée par la mobilisation de l’informatique « à objets » pour ranger nos collections, considérées comme des amas d’objets en attente de rangement dans des classes ad hoc, qu’il s’agirait cette fois de construire dans le même mouvement. En effet, faire collection est une activité plus originaire que classer, dans la mesure où elle autorise l’expérimentation concurrentielle des concepts 1° en extension (dans le cadre d’une disposition spatiotemporelle, même provisoire et éphémère) et 2° en intension (dans la perspective d’un ordre abstrait de similarités, même métastable). Reste que l’on fait toujours collection de quelque chose, ce qui interdit un typage de l’activité indépendant de ses objets et trouble ainsi les habitudes du modélisateur.

L'étrange statut des collections

La fascination des artistes pour les régimes de la collection

Les artistes ont toujours été très sensibles à l’aspect rebelle des collections, et l’ont évoqué à leur façon. Aussi Walter Benjamin [2], Gérard Wajcman [19] et d’autres [14][18] ont-ils pu esquisser un portrait différentiel des collections, qui contraste étrangement avec la peinture qu’en ferait le sens commun.

Voici par exemple les analyses de Gérard Wajcman (Catalogue de l'exposition inaugurale de la Maison rouge) sur le statut de l'excès dans la collection :

« L'excès dans la collection ne signifie pas accumulation désordonnée ; il est un principe constituant : pour qu'il y ait collection — aux yeux même du collectionneur — il faut que le nombre des œuvres dépasse les capacités matérielles d'exposer et d'entreposer chez soi la collection entière. Ainsi celui qui habite un studio peut parfaitement avoir une collection : il suffira qu'il ne puisse pas accrocher au moins une œuvre dans son studio. Voilà pourquoi la réserve fait partie intégrant des collections. L'excès se traduit tout autant au niveau des capacités de mémorisation : il faut, pour qu'il y ait collection, que le collectionneur ne puisse pas se souvenir de toutes les œuvres en sa possession […]. En somme il faut qu'il y ait assez d'œuvres pour qu'il y en ait trop, que le collectionneur puisse oublier une de ses œuvres, ou qu'il doive en laisser une part hors de chez lui. Disons-le d'une autre façon : pour qu'il y ait collection, il faut que le collectionneur ne soit plus tout à fait maître de sa collection. »

Comme le dit encore Gérard Wajcman, pensant sans doute à Gertrude Stein (Collection), « Si jamais personne ne regarde une collection, c'est qu'une collection n'est pas un tout d'œuvres, mais une série indéfinie d'objets singuliers, une œuvre + une œuvre + une œuvre … ».

La collection, en alternative à l'ontologie formelle, apparaît comme un équilibre métastable émanant d'une tension productive entre structures catégoriques et singularités. À l’opposé du tout organique, la collection n'existerait que pour chacune de ses parties (à l'image de la figure du troupeau dans l'évangile selon Matthieu) et, contrairement à l'ensemble, elle n'existe pas comme unité normative et égalisatrice.

La donation de la collection (sa réception au visiteur ou au collectionneur lui-même, que ce soit en acte d’acquisition ou même de recollection) apparaît en effet sous les espèces paradoxales de l’impossibilité d’une donation comme un tout cohérent, hormis sous le régime réducteur de la gestion. Car de ce point de vue, même le fatras se donne comme un tout cohérent : les objets éparses rejoignent le fatras à partir du prédicat être différent, mais ils deviennent semblables dans un second temps en tant qu'ils ont en commun d'être différents, formant ainsi ce que Jean-Claude Milner appelle une classe paradoxale.

Les collections numériques, entre ordre et désordre

L’informatique « à objets » a été inventée pour simuler nos activités de rangement d’objets dans des structures de classes identifiées et étiquetées [9] [5] [1]. Son succès fut, comme l’on sait, immédiat.

Une tendance innovante se fait jour depuis peu, caractérisée par la mobilisation de l'informatique « à objets » pour ranger nos collections, considérées comme des amas d’objets en attente de rangement dans des classes ad hoc, qu’il s’agirait cette fois de construire en parallèle [16]. Comme le remarque François Pachet [7], « les problèmes nourriciers de l’informatique évoluent avec la société qui les a créés », et l’industrie de l’entertainment, désormais complètement numérique nous stimule par ses problématiques de classification, de recherche, voire de création.

C’est que les collections semblent être plus proches de l’ordre classificatoire que du désordre (qu’il se donne comme tas, amas, cohorte, vrac ou autres fatras) : à tout le moins une collection paraît-elle toujours viser un ordre, même s’il reste provisoirement incomplet et inachevé [13]. Le cabinet de curiosité des savants n’est-il pas exemplaire de la destination des collections, qui est de tomber sous une classification, sous le coup d’une procédure de catégorisation et, finalement, de tri ? Quant aux collections de timbres (pour prendre un autre exemple), n’attendent-elles pas leur complétude catégorielle par l’achèvement des séries commencées ?

En un certain sens donc, il était inévitable qu’on finisse par rapprocher les collections des classes, car à bien des égards elles en paraissent de pâles imitations. Pourtant, quelque chose résiste à ce rapprochement, et quelque part les collections demeurent sournoisement rebelles à l’idée même de classification. C’est ainsi qu’elles peuvent se trouver repoussées jusqu’à côtoyer les singularités, partageant avec elles l’étrange sortilège d’échapper définitivement à toute tentative de rangement (voir, développés dans [15], les exemples du voyage, de l’opéra, du donjuanisme et du troupeau évangélique).

Comment les informaticiens traitent-ils les collections ?