CIDE (2015) Stassin

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La blogosphère infodoc : entre médiations documentaires et médiations identitaires


 
 

 
Titre
La blogosphère infodoc : entre médiations documentaires et médiations identitaires
Titre (anglais) 
'
Auteurs
Bérengère Stassin
Affiliation
In
CIDE'18 (Montpellier 2015)
Résumé 
Cet article présente les résultats d'une étude de la médiation de l’information au sein du réseau formé par les blogs français en information-documentation. Ce réseau est envisagé comme une communauté de savoir en ligne rassemblée autour d'un dispositif documentaire permettant à la fois la production de documents, mais également leur traitement documentaire. L'analyse discursive menée sur les billets produits au cours de l’année 2011 par 62 blogueurs permet de rendre compte de la nature et de la fonction des documents produits ainsi que de la manière dont les blogueurs construisent leur identité numérique à travers leurs contributions.

Introduction

Cette étude s’inscrit dans la problématique générale de la circulation des savoirs et des nouvelles formes de production et de médiation de l’information engendrées par le numérique et plus particulièrement par le Web 2.0. Elle porte sur le terrain des blogs et vise à analyser leur rôle dans l’émergence de réseaux informationnels dans le domaine de l’information-documentation (infodoc), et ce, à partir de l’étude des pratiques info-communicationnelles d’une communauté de blogueurs évoluant dans ce domaine. L’étude se focalise essentiellement sur les blogs tenus de manière non institutionnelle par des praticiens de l’information (archivistes, bibliothécaires, documentalistes) mais dédiés à l’activité documentaire. Dans ces blogs d’ « experts » (Cardon, Delaunay-Teterel, 2006), les auteurs publient des contenus ancrés dans leurs activités professionnelles, cherchent à s’inscrire dans une communauté d’intérêt dont les membres ont le même profil, à échanger et partager des ressources et des connaissances en lien avec un centre d’intérêt commun tout en cherchant à valoriser et faire reconnaître leur expertise dans un domaine particulier. Nous ne nous intéressons pas ici aux thématiques et problématiques abordées par les blogueurs, cela ayant été réalisé antérieurement (Stassin, Chaudiron, 2011 ; Stassin, 2015), mais à la nature des documents qu’ils produisent et aux formes de médiations qu’ils exercent à travers leurs productions.

Cadre théorique

Communauté de savoir en ligne

Le recours aux concepts de « communauté en ligne » (Proulx, 2006) et de « communauté de savoir » (Cointet, 2009) s’avère opérant pour l’étude et l’analyse d’un ensemble de blogueurs regroupés autour d’un intérêt commun pour un domaine particulier, engagés dans des relations durables et soutenues ainsi que dans des échanges réciproques, et dont le projet vise le partage et la production de connaissances en lien avec le domaine d’intérêt. Une communauté de savoir en ligne se définit donc comme une communauté dont les membres partagent et échangent des informations et des connaissances autour d’un intérêt ou d’une activité, une communauté au sein de laquelle la matière première échangée est le savoir. Lorsque le savoir est plutôt d’ordre « expérimental » et les connaissances « tacites », on parle de « communauté de pratique » (Wenger, 1998) et lorsque le savoir est plutôt d’ordre « théorique » et les connaissances « explicites », on parle de « communauté épistémique » (Haas, 1992). La frontière est cependant très fine entre les deux formes et il n’est pas rare de trouver au sein d’une même communauté en ligne des traits de chacune d’entre elles (Heaton et al. 2011). De plus, il existe parmi les communautés de pratique, regroupant généralement des membres exerçant le même métier ou la même profession, des communautés de type « constellaire ». Ces dernières rassemblent en leur sein des membres qui exercent des professions différentes (des constellations de pratiques) mais qui ont des points de convergence et se regroupent autour d’objets-frontières, à l’instar de la blogosphère infodoc qui rassemble des bibliothécaires, des archivistes et des documentalistes ayant des intérêts communs pour des objets comme la numérisation, le Web et les médias sociaux, les outils de veille ou encore le blogging (Stassin, 2011).

Au sein de ce type de communauté, les processus cognitifs revêtent une dimension sociale, située et distribuée. Les connaissances sont construites à travers les échanges et les interactions entre les différents membres (processus social), l’apprentissage et l’échange de connaissances sont ancrés dans le contexte dans lequel ils s’opèrent (processus situé) et la cognition est distribuée sur l’ensemble des membres de la communauté, membres humains et non humains (artefacts, documents, discours, etc.). Les membres humains sont liés par une interdépendance cognitive (Conein, 2004) au sens où ils sont tour à tour producteurs et acquéreurs de connaissances et que ces dernières ne sont ni produites individuellement ni détenues totalement par un individu. En d’autres termes, chaque membre détient une portion de connaissances dont les autres ont besoin pour réaliser une tâche commune.

De la médiation documentaire…

La réalisation du projet cognitif d’une communauté de savoir en ligne (formalisation de connaissances tacites, partage de savoir-faire, partage de connaissances explicites) passe par un processus de réification consistant à produire des documents qui se font le support des connaissances. Cette production est réalisée au sein d’un réseau de blogs qui présente toutes les caractéristiques d’un dispositif documentaire (Couzinet, 2011). En effet, les blogs sont à la fois des dispositifs d’ « accès à » et de « diffusion de » l’information permettant aux auteurs de produire et de publier des contenus et exerçant, du fait de fonctionnalités qui leur sont inhérentes, une médiation technique et automatique (archivage et classement par ordre antéchronologique des billets, attribution d’une URL permanente à chacun d’entre eux, signalement des contenus nouvellement publiés par flux RSS ou par tweet automatique). Ils favorisent en outre une médiation documentaire émanant des blogueurs qui ont alors la possibilité de décrire, à l’aide de tags (mots-clés), le contenu intellectuel des contenus qu’ils produisent ou des contenus publiés par d’autres, mais dont ils se font l’écho à travers une activité de redocumentarisation (Zacklad, 2007) ou de curation (Mesguish, 2012).

… à la médiation identitaire

À mesure que les blogueurs « médient » leurs propres productions ou qu’ils « redocumentarisent » celles des autres, ils exercent une « médiation identitaire » (Merzeau, 2012) au sens où ils œuvrent à la construction de leur identité numérique et asseyent leur présence en ligne. En choisissant, pour la plupart, de bloguer de manière non anonyme, ils se présentent sous une facette de leur identité sociale qu’ils souhaitent valoriser. Le blog peut donc également être pensé comme dispositif de construction de l’identité numérique. Cette dernière, définie comme l’ensemble des traces laissées par un internaute au cours de son activité en ligne, revêt trois dimensions (Georges, 2009) : une dimension « déclarative » qui correspond à la présentation que le blogueur fait de lui-même (cf. rubrique « Qui suis-je ? » ou « À propos » du blog); une dimension « calculée » qui correspond aux statistiques de production, à la place dans les classements, au nombre de visites, de citations, de tweets, de commentaires reçus par les productions, ou encore aux nombres de blogs « amis » présents dans le blogroll ; une dimension « agissante » qui correspond à ce que « fait » le blogueur, à sa production et au contenu thématique de celle-ci (les thèmes de prédilection, les niches d’expertise). Un autre aspect peut également être pris en compte : l’expression de la subjectivité au sein des billets. Cette dernière, participant de l’identité déclarative, peut être très forte dans des billets où le blogueur est amené à donner son avis ou à prendre position, à rendre compte de son expérience, et plus modérée dans des prescriptions de lecture ou dans des restitutions de veille, mais, dans un cas comme dans l’autre, elle permet au lecteur de mesurer les opinions, la pensée, ou encore les « goûts » du blogueur.

Corpus et méthode

Un corpus de 62 blogs a été constitué, parmi lesquels se trouvent 18 blogs de bibliothécaires exerçant en bibliothèque d’étude et de recherche, 19 blogs de bibliothécaires exerçant en bibliothèque de lecture publique, 8 blogs d’archivistes, 14 blogs de documentalistes exerçant en entreprise, 3 blogs de professionnels de l’édition. Pour être collectés, les blogs devaient être ancrés dans le domaine de l’information-documentation, être tenus de manière non institutionnelle par des praticiens de l’information et avoir publié au moins un billet au cours de la période étudiée, c’est-à-dire entre le 1er janvier et le 31 décembre 2011. L’intégralité des billets publiés au cours de cette période a été extraite, formant alors un corpus de 1281 billets sur lesquels une analyse du discours a été effectuée.

Pour ce faire, nous nous sommes dans un premier temps appuyée sur les typologies de billets de blogs dressées par Orban de Xivry et al. (2007) et Lehti (2011).

Orban de Xivry et al. (2007) étudient l’implication de l’énonciateur dans ses énoncés et l’interaction qu’il propose au récepteur. Lorsque la personne du blogueur est elle-même l’objet de l’énoncé, les auteurs parlent d’ « implication confondue » et lorsqu’elle est extérieure à l’énoncé, elles parlent d’ « implication distanciée ». Lorsque le récepteur est interpellé, invité à réagir, elles parlent d’ « interaction forte », mais lorsque l’énoncé s’adresse à tout le monde et à personne en particulier, lorsque les commentaires ne sont pas attendus, elles parlent d’ « interaction faible ». Ainsi, en fonction de l’implication du blogueur dans ses énoncés et du degré d’interaction qu’il choisit de mettre en place avec ses lecteurs, quatre types de billets sont identifiés :

  • Le billet « correspondance » au sein duquel il parle de lui-même, de ses sentiments et états d’âme (implication confondue) et invite le lecteur à faire de même (interaction forte) ;
  • Le billet « témoignage » où il insère dans l’énoncé des éléments de son vécu, rend compte de choses dont il a fait l'expérience (implication confondue), mais ne cherche pas à faire réagir et n'attend pas vraiment de retour sur les propos qu'il tient (interaction faible) ;
  • Le billet « interpellation » où il traite d'un sujet qui lui tient à cœur (implication distanciée), exprime son point de vue, ses opinions, parfois dans un registre polémique. Des marques d'adresse au lecteur et des requêtes d'avis sont perceptibles dans l'énoncé (interaction forte) ;
  • Le billet « informatif » où il diffuse des informations, partage des ressources en lien avec un sujet précis (implication distanciée), mais n’attend pas de retour de la part du lectorat (interaction faible).

Lotta Lehti (2011), qui a étudié les genres discursifs présents au sein de la blogosphère politique, propose une approche complémentaire à la précédente. Elle ne se focalise pas sur l’implication de l’énonciateur dans l’énoncé, mais sur le degré d’expression de sa subjectivité et met en avant cinq types de billets :

  • Le journal extime (diary) dans lequel les politiciens rendent compte de leur vie quotidienne, et plus précisément du quotidien de leur vie professionnelle, des activités auxquelles ils ont pris part, des visites qu’ils ont effectuées ou encore des événements culturels auxquels ils ont assisté ;
  • Le billet vitrine (scrapbook) qui consiste à signaler des contenus parus et publiés ailleurs en reproduisant parfois tout ou partie de ces contenus ;
  • Le billet d’annonce (notice-board) qui consiste à annoncer dans un billet les invitations à participer à un événement, les projets de construction à venir au sein de la ville ou de la région du politicien, etc.
  • Le billet de réflexion (essay) : dans lequel le politicien fait part de son point de vue sur un sujet politique, philosophique, sociologique, etc.
  • Le billet polémique (polemic) : dans lequel il fait également part de son point de vue avec des prises de position plus fortes qu’au sein du type de billet précédent et avec des provocations ou attaques dirigées à l’encontre d’adversaires ciblés.

Nous avons donc cherché à notre tour à dresser une typologie des billets rédigés par les blogueurs infodoc. Pour ce faire, nous avons dans un second temps fait appel aux travaux de Jean-Michel Adam (2011) pour identifier les différents types de textes que représentaient ces billets (argumentatif, informatif, prescriptif, descriptif, didactique, etc.). Si l’on se réfère aux typologies de billets présentées ci-dessus, nous pouvons dire que les billets de correspondance, les billets de témoignage et les billets « extimes » sont de type narratif, les billets informatifs et les billets d’annonce sont de type informatif, les billets d’interpellation, de réflexion et polémiques sont quant à eux de type argumentatif.

Dans un troisième et dernier temps, nous avons fait appel à la typologie des articles rédigés par les praticiens de l’information dans la revue Documentaliste-Sciences de l’information réalisée par Viviane Couzinet (2000) : comptes-rendus d’expérience, articles de point de vue, synthèse sur un sujet, descriptifs, visites guidées, comptes-rendus de réunion ou de colloque, études comparatives, applications ou comptes-rendus de recherche. Il nous a semblé intéressant d’étudier la manière dont l’information et les savoirs professionnels étaient mis en forme et en circulation au sein d’un support autre que le blog pour avoir, d’une part, un guide supplémentaire pour l’élaboration de notre grille d’analyse et pour voir, d’autre part, si les genres discursifs des praticiens différaient véritablement d’un support à un autre.

La grille d’analyse élaborée pour notre étude a donc été réalisée à partir des travaux et typologies que nous venons de présenter et dont le rapprochement nous a permis de lister les différents critères à prendre en compte pour l’analyse de chaque billet du corpus en vue de l’identification du type de texte et du genre discursif dans lequel il s’inscrit, mais également de la manière dont l’énonciateur se met en scène. Ces critères sont les suivants :

  • Type de texte : s’agit-il d’un texte argumentatif, descriptif, explicatif, prescriptif, etc. ?
  • Implication de l’énonciateur dans l’énoncé : est-elle confondue ou distanciée ?
  • Interaction avec le lecteur : est-elle forte ou faible ?
  • Degré de subjectivité : est-il fort, intermédiaire ou faible ?
  • Indices linguistiques : il s’agit de relever les indices linguistiques (procédés de modélisation, verbes d’état, d’action, registre, procédés stylistiques, vocatif, etc.) qui ont permis d’identifier le type de texte, le type d’implication de l’énonciateur dans l’énoncé, l’interaction avec le lecteur, et le degré de subjectivité.
  • Équivalence Lehti : le billet équivaut-il à un type de billet identifié par Lotta Lehti ? Billet extime ? Vitrine ? Annonce ? Essai ? Polémique ?
  • Équivalence Couzinet : le billet peut-il être rapproché d’un type d’article de revue identifié par Viviane Couzinet ? Article de point de vue ? Descriptif outil ? Synthèse sur un sujet ? Exposé de mise au point ?


Bibliographie

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