CIDE (2009) Noël : Différence entre versions

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Les technologies du web amènent à prendre en compte non plus seulement le niveau individuel, mais aussi le niveau collectif. Plutôt que des interfaces homme-machine, ce sont des interfaces homme(s)- logiciel(s) que le designer web doit concevoir. Si le web 2.0 a été caractérisé de « web social », c'est en partie parce qu'il a été caractérisé par des applications, telles que les blogs et les plateformes de collaborative, qui ont été réalisées de manière à faciliter la participation des utilisateurs et la construction de ce web social. Ces applications ont été définies en intégrant, durant le processus de conception, la vision des communautés sociales qu'elles permettent de tisser (Hendler et. Al, 2008). Lors de la conception des interfaces, il faut donc à la fois prendre en compte l'utilisateur en tant qu'individu mais aussi en tant que membre d'une  communauté.  Il  faut  penser  non  seulement  à  la  façon  dont cet individu peut interagir avec le système, mais aussi aux actions qu'un groupe d'utilisateurs peut réaliser de manière collaborative. De manière parallèle, il faut penser la conception d'une ressource web, non pas de manière isolée, mais en prenant en compte le fait que celui-ci peut être connectée à d'autres applications et que les objets qu'elle contient peuvent être partagés par plusieurs applications.
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Les technologies du web amènent à prendre en compte non plus seulement le niveau individuel, mais aussi le niveau collectif. Plutôt que des interfaces homme-machine, ce sont des interfaces homme(s)- logiciel(s) que le designer web doit concevoir. Si le web 2.0 a été caractérisé de « web social », c'est en partie parce qu'il a été caractérisé par des applications, telles que les blogs et les plateformes de collaborative, qui ont été réalisées de manière à faciliter la participation des utilisateurs et la construction de ce web social. Ces applications ont été définies en intégrant, durant le processus de conception, la vision des communautés sociales qu'elles permettent de tisser ({{CIDE lien citation|Hendler et. al, 2008}}). Lors de la conception des interfaces, il faut donc à la fois prendre en compte l'utilisateur en tant qu'individu mais aussi en tant que membre d'une  communauté.  Il  faut  penser  non  seulement  à  la  façon  dont cet individu peut interagir avec le système, mais aussi aux actions qu'un groupe d'utilisateurs peut réaliser de manière collaborative. De manière parallèle, il faut penser la conception d'une ressource web, non pas de manière isolée, mais en prenant en compte le fait que celui-ci peut être connectée à d'autres applications et que les objets qu'elle contient peuvent être partagés par plusieurs applications.
  
 
==Conclusion==
 
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Version actuelle datée du 5 décembre 2016 à 20:46

Design d'interfaces homme(s)-logiciel(s) : pouvoir transmettre et savoir transmettre


 
 

 
titre
Design d'interfaces homme(s)-logiciel(s) : pouvoir transmettre et savoir transmettre
auteurs
Laurence Noël(1) et Ghislaine Azémard(1).
Affiliations
(1) :Laboratoire Paragraphe, Université de Paris 8 - Vincennes - Saint Denis, France
In
CIDE.12 (Montréal), 2009
En PDF 
CIDE (2009) Noël.pdf
Mots-clés 
 : Design, interface, transmission, communication, formulation
Keywords
Design, interface, transmission, communication, formulation
Résumé
L'évolution des moyens de communication a non seulement un impact sur la nature de ce qui peut être transmis mais elle implique aussi une redistribution des rôles au sein de la chaine de médiation. Dans cet article, nous analysons le rapport existant entre activité de conception et formulation de l'information. Nous décrivons le rôle joué par le designer dans le cadre de la conception d'un système d'interfaces et nous analysons la façon dont les technologies du web et du numérique étendent le champ des ressources que le designer analyse et peut exploiter.
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Introduction

Les développements liés aux technologies du numérique et de l'internet ont fait évoluer l'ensemble des ressources que nous pouvons utiliser pour partager nos savoirs, nos idées, nos expériences. Ces changements entraînent parallèlement des modifications au niveau des compétences et des savoirs requis pour pouvoir exploiter pleinement ces ressources lors du processus de médiation ainsi qu'au niveau des acteurs intervenant pendant ce processus. Si nous parlons de processus de médiation, c'est que la transmission d'information implique qu'il y ait création d'un artefact médiateur. L'interface correspond à la partie émergente des complexes artificiels que les technologies du numérique et du web nous permettent de créer. Une interface est un espace qui est interprété de manière double : elle est constituée d'objets hypermédias perçus et manipulables par l'utilisateur, mais ces objets hypermédias correspondent eux-mêmes à des données qui ont été interprétées par une application logicielle. Dans cet article, nous proposons tout d'abord d'analyser le processus de conception de manière à pouvoir décrire la formation d'objets et la formulation d'un énoncé selon un même paradigme, la conception d'objets hypermédias relevant tout autant de l'un de que de l'autre. Nous analysons ensuite le rôle joué par le designer d'interfaces, son intervention étant selon nous liée au fait qu'un système d'interfaces est une construction complexe, constituée d'éléments qui entretiennent des relations d'interdépendance, et qu'il faut apprendre à exploiter.

L'activité de conception : de la formation d'objets à la formulation d'énoncés

Mots et choses, artefacts sémiotiques et artefacts usuels, signes et objets : ce qui est finalement le plus difficile à faire, ce n'est pas tant de trouver les points communs mais l'opposition pertinente qui permet de différencier les deux ensembles d'entités auxquels ces termes font référence puisque tout objet fait signe et que tout signe a une dimension matérielle, et que l'on utilise les artefacts sémiotiques, tout autant que l'on est amené à interpréter les artefacts usuels. Parallèlement et inversement, la formation d'objets et la formulation d'un énoncé restent des processus qui sont analysés selon des modèles différents, alors qu'au regard d'un certain niveau d'abstraction, ils relèvent d'une activité de conception similaire (Simon, 1969). Dans cette partie, nous proposons d'analyser l'activité conceptuelle et de monter que c'est à travers l'analyse de ce processus commun que l'on peut établir une opposition pertinente entre nos deux ensembles de départ. Pour cela, nous proposons tout d'abord de revenir sur les notions de forme et de de fonction, qui sont pour nous, deux notions au coeur l'activité de conception, puis nous décrivons ce processus et le rôle que le designer, en tant que praticien professionnel, peut venir jouer au cours de ce processus.

Forme et fonction

Si la notion de forme est souvent employée dans les réflexions sur le design, c'est parce qu'à travers elle, on peut non seulement faire référence à l'aspect d'une entité, mais aussi à l'ensemble des traits caractéristiques qui nous permettent de la reconnaître. Selon Merleau-Ponty (Merleau-Ponty, 1945), « la forme des objets n'en est pas le contour géométrique : elle a un certain rapport avec leur nature propre et parle à tous nos sens en même temps qu'à la vue. La forme d'un pli dans un tissu de lin ou de coton nous fait voir la souplesse ou la sécheresse de la fibre, la froideur ou la tiédeur du tissu. » En considérant la forme d'une entité (ou ses propriétés formelles), on s'intéresse à ce qui fait son unité, à ce qui rend son être concret (cet objet est de forme creuse, allongée, transparente, lisse), alors qu'en considérant ses fonctions (ou ses propriétés fonctionnelles), on se positionne sur l'axe des relations, du faire et on cette entité considère en sa qualité de médium, d'entité intermédiaire permettant de réaliser une action (je peux utiliser cet objet pour planter un clou). Examiner un élément au regard de ses fonctions, c'est donc analyser les rapports d'interaction que cet élément peut avoir avec son environnement et les rapports d'interaction qu'il peut nous permettre d'établir avec cet environnement[1].

Forme et fonction sont donc à considérer comme étant deux perspectives distinctes qui peuvent être communément adoptées pour caractériser une même réalité et qui entretiennent entre elles un rapport d'interdépendance : le réel est un tissu complexe d'interactions entre entités, et ce sont ces relations entre entités qui déterminent leur état, leur forme, de manière dynamique, tout comme la forme d'un élément à un instant t définit le champ potentiel des interactions qu'il peut nous permettre d'établir avec notre environnement.

L'activité de conception : traduction et transformation

Dans le cadre de la théorie de l'activité (Kaptelinin & Nardi, 2006), la notion d'artefact médiateur permet d'englober aussi bien les « outils physiques » que les « outils psychologiques ». Selon cette approche, la conception d'artefacts est lié à un processus d'extériorisation des connaissances, mais cette expression ne nous paraît pas appropriée puisque c'est justement parce que nous ne pouvons pas extérioriser nos schémas d'activité cognitive ou intérioriser directement ceux d'autrui que nous devons utiliser et transformer des ressources qui sont elles communément perceptibles.

Pour caractériser l'activité de conception, nous préférons donc parler d'activité traductrice puisque l'entité est conçue au regard de l'ensemble des fonctions qu'elle doit pouvoir remplir et en prenant en compte un ensemble défini de ressources. Si l'activité de conception peut être considérée comme une activité de traduction du point de vue du sujet effecteur, elle implique par ailleurs un processus de transformation du point de vue des ressources utilisées pour traduire un schéma d'idées.

Cette transformation peut aller du simple ré-agencement d'un ensemble formé par des ressources, à l'hybridation ou bien encore à la fusion partielle ou globale de certaines ressources entre elles. Deux types de ressources sont alors à distinguer : les ressources transformables qui interviennent en tant que composant de la future entité et les ressources transformatrices qui permettent d'agir sur les ressources transformables. Pour créer une statue, un sculpteur va par exemple utiliser un outil de taille (ressource transformatrice) et du bronze (ressource transformable) pour donner forme à un objet qui est la traduction d'un schéma d'idées. De la même manière, lorsque nous discutons, nous utilisons notre appareil phonatoire (ressource transformatrice) pour agir sur l'air (ressource transformable) afin de produire un flux organisé de formes sonores dont l'interprétation dépend de la connaissance d'un code qui est lui-même une construction sociale (ressource transformable). Lorsque nous communiquons par écrit, le stylo (ressource transformatrice) nous permet d'agir sur un flux d'encre et un support papier (ressources transformables) pour produire un document écrit qui est le résultat global du processus de traduction/transformation et qui est interprété dans son ensemble tout autant qu'au regard des différents niveaux d'interprétation que ces composants offrent.

Les fonctions n'étant pas de l'ordre du tangible, la forme de l'entité finale est ce qui est généralement perçu comme étant le résultat du processus de conception, mais en spécifiant cette entité, on s'intéresse tout autant au contexte de la forme qu'à la forme , (Alexander, 1964), (Burdek, 2005) au milieu associé qu'à l'objet technique (Simondon, 1989). Un objet peut être détourné dans son usage[2] , et il peut avoir des propriétés autres que celles qui ont été initialement prévues, mais l'objectif, du point de vue du concepteur, est que l'artefact final respecte au moins l'ensemble des fonctions qui doivent pouvoir lui être attribuées : il est nécessaire qu'il puisse être interprété et utilisé de la façon initialement prévue, ce qui n'empêche pas que l'utilisateur puisse l'utiliser autrement. De la même manière qu'un phonème peut avoir plusieurs allophones, on peut considérer que plusieurs réalisations allomorphiques peuvent répondre aux objectifs fixés, les différences qui séparent chacune de ces réalisations étant alors considérées comme non pertinentes par rapport à un système déterminé de valeurs.

Si ces spécifications sont nombreuses, définir une entité finale qui les respecte peut représenter un défi en soi. On peut choisir d'utiliser une ressource parce qu'elle possède une certaine propriété mais il faut aussi considérer ses autres propriétés et s'assurer qu'elles ne sont pas conflictuelles avec les spécifications initiales : si on veut créer un objet brillant mais pas cher, on ne pourra pas utiliser l'or comme ressource transformable puisque cette matière répond à l'un des objectifs de conception mais est en contradiction avec l'autre. Pour Lawson (Lawson, 2006), c'est le développement des technologies et leur complexification croissante qui a conduit à faire émerger la profession de designer. Parler de complexe technologique, c'est souligner que les ressources artificielles dont nous disposons ne sont pas indépendantes les unes des autres mais qu'elles appartiennent à des ensembles techniques évolutifs, constitués de composants matériellement distincts mais fonctionnellement liés entre eux, ce qui accroît le nombre des rapports d'interdépendance que le concepteur doit analyser. Si, selon les dires de Simons [1], « quiconque imagine quelque disposition visant à changer une situation existante en une situation préférée est concepteur », tout le monde n'a cependant pas pour profession d'être designer et la question est alors de savoir ce qui permet de caractériser le savoir-faire de ce dernier et de délimiter son champ d'intervention.

Le savoir-faire du designer

Selon Krippendorff (Krippendorff, 2005), le designer a en fait pour mission de définir une entité réalisable - ou un prototype - au regard des spécifications qui lui ont été fournies. Si l'idée initiale du projet n'est pas forcément la sienne, c'est cependant lui qui doit être capable de développer et d'enrichir cette idée, grâce au savoir qu'il possède concernant les ressources qui peuvent être utilisées et les processus de transformation qu'elles peuvent subir et en prenant en compte les contraintes et des demandes qui ont été formulées. C'est lui qui doit être en mesure de faire la part entre ce que le commanditaire souhaite et imagine, et ce qui est concrètement réalisable : créer un objet qui réponde à l'ensemble des exigences initiales d'un commanditaire n'est pas toujours possible puisque les ressources utilisées ont des propriétés multiples et qu'elles peuvent entretenir des relations conflictuelles. Le rôle du designer est alors de voir avec le commanditaire comment les spécifications fonctionnelles peuvent être hiérarchisées : il a alors pour mission d'analyser quelles fonctions doivent prioritairement pouvoir être attribuées à un objet de manière à ce que celui-ci puisse effectivement être réalisé en respectant une cetaine hiérarchie fonctionnelle. Le designer est donc celui qui définit ce qui peut être réellement créé et qui définit les limites du champ des possibles, tout en s'assurant que l'univers du réalisable a bien été complètement exploré et pris en compte.

Si la notion d'esthétisme est souvent associée au design dans les esprits, c'est qu'un designer porte effectivement une attention particulière à l'aspect extérieur des objets, non seulement parce que « la laideur se vend mal » (Loewy, 1990), mais aussi parce que pour qu'un objet puisse être utilisé, il faut aussi que sa forme permette à l'utilisateur de comprendre comment cet objet peut être utilisé. Tout objet faisant l'objet d'un processus d'interprétation, le designer est nécessairement amené à analyser la fonction informative que l'interprétant-utilisateur peut potentiellement attribuer à un objet. Dans le cas où l'entité à créer a pour fonction principale de permettre à une personne d'agir sur un autre objet du monde extérieur, la fonction informative sera donc prise en compte mais sera de traitée de manière secondaire, au regard de l'ensemble hiérarchisée des spécifications à respecter. Les artefacts informationnels sont alors ceux, parmi l'ensemble plus large des artefacts médiateurs, qui ont une fonction informative pour fonction principale, c'est à dire ceux qui sont conçus pour agir sur le champ cognitif d'autrui de manière à ce que les schémas cognitifs activés permettent d'évoquer un même référent entre les deux communicants.

Concevoir la partie émergente d'un complexe artificiel

Si la conception d'un système d'information peut nécessiter l'intervention d'un designer d'interface, c'est que l'interface est en elle-même une construction dynamique et correspond à la partie émergente d'un complexe artificiel. Elle n'est réalisée que si un ensemble de composants sont communément activés et peuvent être utilisés de manière combinée. Le terme d'interface utilisateur permet de faire référence à l'ensemble des artefacts créés pour permettre à l'homme de communiquer et d'interagir avec une application logicielle (clavier, écran, souris peuvent par exemple faire partie de cet ensemble). Nous nous intéressons ici plus particulièrement à la partie numérique de l'interfaçage, à sa partie programmable. Un iceberg possède une partie visible et une partie immergée mais il n'est finalement constitué que de glace et il est en de même pour les applications logicielles qui ont une interface utilisateur : elle sont entièrement constituées de données, mais une partie de ces données est invisible pour l'être humain tandis que l'autre partie vise justement à rendre l'application perceptible, appréhendable par ce dernier. Les technologies du numérique et du web étendent notre « pouvoir transmettre » : le rôle du designer est alors de savoir exploiter ce champ des possibles de manière à faciliter l'appropriation de l'information par l'utilisateur.

Extension des formes possibles de représentation

Si un être humain est capable de percevoir des couleurs, des textures, des sons et de multiples autres types de phénomènes, ses capacités corporelles ne lui permettent pas de les reproduire directement. Communiquer par l'intermédiaire d'objets hypermédias devient donc un moyen de ré-établir un certain équilibre entre l'ensemble des formes que nous pouvons percevoir et l'ensemble des formes que nous pouvons produire pour transmettre une idée. L'activité perceptive relève d'un phénomène d'intégration de sensations plurielles, et cette activité perceptive laisse une trace multiple (Hintzman, 1986), (Whittlesea, 1987) dans notre mémoire. En nous permettant de reproduire des formes du réel, et donc de nous exprimer à travers des formes qui vont permettre d'activer directement le schéma d'activité correspondant à l'ensemble des sensations perçues, et non à ceux qui correspondent aux concepts que nous leur avons associé suite à notre apprentissage du système linguistique, les technologies du numérique invitent donc à opérer à décentrement par rapport à ce modèle de l'expression linguistique qui place la notion de code en son cœur : les formes d'expression dont nous disposons s'étendent alors le long d'un continuum défini par le degré de motivation existant entre la forme construite pour représenter un référent et ce référent (l'apprentissage d'un code étant nécessaire lorsque la forme est immotivée).

Si l'expression linguistique garde un place importante dans la communication hypermédia, c'est qu'elle nous permet de tout décrire, que ce soit des événements, un raisonnement, ou bien encore une expérience. Celle-ci n'est cependant pas toujours le mode d'expression qui est le plus adapté pour transmettre un schéma d'idées : plutôt que de décrire un itinéraire, on peut par exemple proposer un mode de représentation cartographique qui permettra à l'interprétant de mieux appréhender les relation spatiales entre les objets. Décrire, raconter, montrer, faire écouter : chaque mode de représentation permet de faire découvrir un objet selon une certaine perspective. Formuler par l'hypermédia, c'est alors apprendre à utiliser différentes modalités d'expression dans leur complémentarité, et savoir choisir quel mode de représentation sera le plus adapté pour tel usage.

La question de la représentation ne se pose cependant pas seulement du point de vue des contenus, mais aussi du point de vue des contenants. Dans le cas d'un document papier, le support d'inscription est un bloc, et les possibilités qu'une personne a d'interagir avec le contenu sont définies par ce support. La forme de ce support est pré-définie, elle n'est que peu modifiable par l'énonciateur, et l'ensemble des formes d'inscription contenues par le support font donc partie d'un seul et même contenant. En utilisant les technologies du numérique, on a la possibilité de définir la forme des contenants tout autant que la forme des contenus, et il est d'ailleurs nécessaire de représenter les possibilités que l'utilisateur à d'interagir avec ce contenu. Le designer a alors pour rôle de spécifier une structure dynamique multi-componentielle, et pour chacun des composants de cette structure, la question du mode de représentation se pose selon des critères multiples : elle peut ainsi varier en fonction du type de média utilisé, du rapport entre la quantité de données à afficher et l'espace qui est alloué pour afficher ces données au sein de la page, de l'usage qui est prévu pour ces données, etc.

Extension des opérations logiques que la machine peut effectuer à partir des données

Lorque le designer conçoit des interfaces, il est amené à considérer de manière conjointe deux types d'interprétants différents - l'interprétant logiciel et l'interprétant humain. Les codes et langages qui sont utilisés par l'un et par l'autre sont cependant différents : pour étendre l'espace d'intercompréhension entre les deux et donc améliorer les échanges qui peuvent être effectués au niveau de l'interface, une des possibilités est d'essayer de faire en sorte que l'interprétant logiciel soit en mesure de comprendre le “sens des données.” Parler du sens des données, c'est en fait ici faire référence à la signification que l'être humain attribue à une forme d'inscription qui est considérée au regard des relations qu'elle entretient avec d'autres formes au sein d'un système de représentation. Pour que l'interprétant logiciel puisse lui-même réaliser des opérations logiques en se basant sur le sens que l'homme attribue aux données, il faut donc que les relations sémantiques que ce dernier est capable d'établir entre ces données soient elles-mêmes formulées. C'est en se basant sur ces schémas de relation entre données que les opérations de traitement de l'interprétant logiciel peuvent être programmées pour se rapprocher du type d'opérations cognitives que l'être humain effectue à partir de ses propres connaissances : la machine devient alors capable non pas de comprendre les données, mais de suivre un fil de raisonnement qui se rapproche de celui suivi par l'être humain.

Extension de l'espace interactionnel

Les technologies du web amènent à prendre en compte non plus seulement le niveau individuel, mais aussi le niveau collectif. Plutôt que des interfaces homme-machine, ce sont des interfaces homme(s)- logiciel(s) que le designer web doit concevoir. Si le web 2.0 a été caractérisé de « web social », c'est en partie parce qu'il a été caractérisé par des applications, telles que les blogs et les plateformes de collaborative, qui ont été réalisées de manière à faciliter la participation des utilisateurs et la construction de ce web social. Ces applications ont été définies en intégrant, durant le processus de conception, la vision des communautés sociales qu'elles permettent de tisser (Hendler et. al, 2008). Lors de la conception des interfaces, il faut donc à la fois prendre en compte l'utilisateur en tant qu'individu mais aussi en tant que membre d'une communauté. Il faut penser non seulement à la façon dont cet individu peut interagir avec le système, mais aussi aux actions qu'un groupe d'utilisateurs peut réaliser de manière collaborative. De manière parallèle, il faut penser la conception d'une ressource web, non pas de manière isolée, mais en prenant en compte le fait que celui-ci peut être connectée à d'autres applications et que les objets qu'elle contient peuvent être partagés par plusieurs applications.

Conclusion

Dans cet article, nous avons décrit le savoir-faire du designer comme correspondant à un savoir-traduire et à un savoir-transformer. Ce que le designer conçoit, c'est une forme fonctionnelle, c'est à dire une entité dont la formation dépend du champ d'action qu'on souhaite lui voir attribuer. Selon cette approche, l'échange d'informations entre deux personnes passe par la transformation de ressources communément perceptibles et c'est au regard des propriétés de l'ensemble formé par transformation de ces ressources que l'on élabore le contenu d'un message. Pour le designer, il est tout aussi important d'adopter une perspective communicationnelle que d'avoir une attitude technologique, parce que les interfaces qu'il doit concevoir sont interprétées de manière double – par des interprétants humains et des interprétants logiciels. Lors de son analyse, le designer doit donc prendre en compte le fait que les ressources dont il dispose ne sont pas indépendantes les unes des autres, mais qu'elles appartiennent à des ensembles techniques évolutifs, constitués de composants matériellement distincts mais fonctionnellement liés entre eux : il ne peut ré-assembler ces ressources, les combiner entre elles qu'en comprenant les rapports d'interactions existants au sein des complexes artificiels qu'elles contribuent à former. C'est en analysant et en prenant en compte l'évolution des ressources dont nous disposons pour communiquer que l'on peut espérer traduire un schéma d'idées avec une efficience informationnelle accrue et faciliter leur appropriation par l'interprétant- utilisateur.


Références bibliographiques

[H. Simon (1969)] « The Sciences of the Artificial » MIT Press, Cambridge.

[M. Merleau-Ponty (1945)] « Phénoménologie de la perception » Gallimar, Paris.

[J. Gibson (1977)] « The theory of affordances », Shaw r., Bransford J., (eds.), Perceiving, Acting, and Knowing. Towards an Ecological Psychology. Hoboken, John Wiley & Sons, pp; 67-82.

[V. Kaptelinin, et B. Nardi (2006)] « Acting with Technology », Activity Theory and Interaction Design. MIT Press, Cambridge.

[C. Alexander (1964)] « Notes on the Synthesis of Form »,HUP. Harvard, 1964.

[B. Burdek (2005)] « Design : History, Theory and Practise of Product Design »,Birkhaüser. Berlin, 2005.

[G. Simondon (1989)] « Du mode d'existence des objets techniques », Aubier, Paris. 1989.

[J. Perriault (1989)] « La logique de l'usage. Essai sur les machines à communiquer », Flammarion, Paris, 1989.

[B. Lawson (2006)] « How Designers Think: The Design Process Demystified », Elsevier, 2006.

[K. Krippendorff (2005)] « The Semantic Turn: a New Foundation for Design », CRC, 2005.

[R. Loewy (1990)] « La laideur se vend mal », Gallimard, Paris, 1990.

[D. Hintzman (1986)] « Schema abstraction in a multiple-trace memory model », Psychological Review, Vol. 93, pp. 411-428. 1986.

[B. Whittlesea (1987)] « Preservation of specific experiences in the representation of general knowledge », Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition,Vol. 13, pp. 3-17. 1987

[J. Hendler et. al (2008)] « Web Science: An interdisciplinary approach to understanding the World Wide Web », In Communications of the ACM , Vol. 51, No 7, pp 60-69. 2008

Notes

  1. La notion de fonction peut paraître proche du concept d'affordance de Gibson (Gibson, 1977), elle renvoie aux « propriétés actionnables » de l'objet. Mais Gibson postule que ces affordances sont propres à l'objet : elles existeraient indépendamment du fait qu'elles soient perçues ou non, alors que selon notre perspective, les fonctions sont attribuées par le sujet interprétant et dépendent de la relation d'interaction entre l'interprétant-utilisateur et l'objet.
  2. Perriault (Perriault, 1989) s'est ainsi intéressé aux pratiques déviantes, qui correspondent à une volonté de la part de l'usager de détourner un instrument de son usage initial. Il distingue notamment les usages prescrits des usages effectifs et qualifie d'usages conformes ceux qui correspondent aux prescriptions du concepteur.