CIDE (2009) Bachimont : Différence entre versions

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1 Introduction de l’article
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==Introduction de l’article==
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Alors que l'on parle habituellement de gestion des connaissances, on évoque plutôt la préservation des contenus. En effet, la connaissance serait cet actif immatériel qu'il faudrait seulement gérer, alors que les contenus sont des objets matériels dont il faut assurer l'intégrité physique.
 
Alors que l'on parle habituellement de gestion des connaissances, on évoque plutôt la préservation des contenus. En effet, la connaissance serait cet actif immatériel qu'il faudrait seulement gérer, alors que les contenus sont des objets matériels dont il faut assurer l'intégrité physique.
  
 
Mais les connaissances s'expriment à travers des inscriptions qui les matérialisent, et les contenus s'interprètent par des connaissances qui les actualisent. Les opposer est donc artificiel, les traiter séparément stérile. Or, ces deux domaines restent étonnement indépendants, la gestion des connaissances ignorant la longue durée, la préservation la connaissance. La proposition de cet article est de les articuler, chacun pouvant apporter à  l'autre  ce  qui  lui  manque. La  préservation  nous  apprend  que  la connaissance ne s'entretient que par son usage et sa mise en pratique : l'usage permet la conservation, non l'inverse. La gestion nous apprend qu'il faut expliciter les différents savoirs dont on dispose pour permettre leur formulation et transmission.
 
Mais les connaissances s'expriment à travers des inscriptions qui les matérialisent, et les contenus s'interprètent par des connaissances qui les actualisent. Les opposer est donc artificiel, les traiter séparément stérile. Or, ces deux domaines restent étonnement indépendants, la gestion des connaissances ignorant la longue durée, la préservation la connaissance. La proposition de cet article est de les articuler, chacun pouvant apporter à  l'autre  ce  qui  lui  manque. La  préservation  nous  apprend  que  la connaissance ne s'entretient que par son usage et sa mise en pratique : l'usage permet la conservation, non l'inverse. La gestion nous apprend qu'il faut expliciter les différents savoirs dont on dispose pour permettre leur formulation et transmission.
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Nous proposons donc une approche de la préservation par l'accès où les connaissances sont capitalisées, préservées et transmises à travers une pratique entretenue et permanente, reposant sur une instrumentation des contenus. Dans le contexte numérique contemporain, les contenus matérialisant les connaissances sont en effet soumis à des transformations permanentes, que ce soit pour les lire ou les exploiter, si bien que tout accès devient dès lors une transformation des contenus. La préservation par l'usage devient une herméneutique des avatars documentaires créés par l'usage.
 
Nous proposons donc une approche de la préservation par l'accès où les connaissances sont capitalisées, préservées et transmises à travers une pratique entretenue et permanente, reposant sur une instrumentation des contenus. Dans le contexte numérique contemporain, les contenus matérialisant les connaissances sont en effet soumis à des transformations permanentes, que ce soit pour les lire ou les exploiter, si bien que tout accès devient dès lors une transformation des contenus. La préservation par l'usage devient une herméneutique des avatars documentaires créés par l'usage.
  
  
2 Une approche patrimoniale pour la capitalisation
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==Une approche patrimoniale pour la capitalisation==
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===Gestion des connaissances et inscription documentaire===
  
2.1 Gestion des connaissances et inscription documentaire
 
 
La gestion des connaissances se définit essentiellement aujourd’hui comme le fait d’expliciter, rassembler et diffuser les savoirs et savoir  faire d’une organisation ou d’une communauté. Ses principales difficultés relèvent alors de la difficulté de formuler et formaliser ces savoirs et savoir faire pour pouvoir les collecter, et d’autre part de les adapter et les convertir pour les diffuser et partager. Formulée ainsi, la problématique  se pose essentiellement en terme de transcription, de l’implicite à l’explicite, de l’informel au formel, du pratique au théorique,  du  spontané au rationalisé. Cela étant, la gestion des connaissances bute sur deux difficultés :
 
La gestion des connaissances se définit essentiellement aujourd’hui comme le fait d’expliciter, rassembler et diffuser les savoirs et savoir  faire d’une organisation ou d’une communauté. Ses principales difficultés relèvent alors de la difficulté de formuler et formaliser ces savoirs et savoir faire pour pouvoir les collecter, et d’autre part de les adapter et les convertir pour les diffuser et partager. Formulée ainsi, la problématique  se pose essentiellement en terme de transcription, de l’implicite à l’explicite, de l’informel au formel, du pratique au théorique,  du  spontané au rationalisé. Cela étant, la gestion des connaissances bute sur deux difficultés :
 
L’ancrage documentaire des contenus rassemblés et formulés
 
L’ancrage documentaire des contenus rassemblés et formulés
 
La gestion dans le temps de la vie de ces contenus, pour préserver tant leur intégrité que leur intelligibilité.
 
La gestion dans le temps de la vie de ces contenus, pour préserver tant leur intégrité que leur intelligibilité.
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Le premier problème correspond au fait de pouvoir instrumenter les contenus de manière à permettre leur exploration, comparaison et exploitation. En particulier, il est nécessaire de pouvoir mettre en résonance  des  contenus  différents  mobilisant  des  formats hétérogènes
 
Le premier problème correspond au fait de pouvoir instrumenter les contenus de manière à permettre leur exploration, comparaison et exploitation. En particulier, il est nécessaire de pouvoir mettre en résonance  des  contenus  différents  mobilisant  des  formats hétérogènes
  
 
comme le texte, la vidéo, le son, etc. Une problématique générale du dossier de la connaissance émerge, où le lecteur / utilisateur se trouve confronté à une multiplicité de contenus devant lesquels il doit être capable d'abstraire une connaissance et de la mobiliser.
 
comme le texte, la vidéo, le son, etc. Une problématique générale du dossier de la connaissance émerge, où le lecteur / utilisateur se trouve confronté à une multiplicité de contenus devant lesquels il doit être capable d'abstraire une connaissance et de la mobiliser.
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Le second problème correspond au fait que le numérique est un support par nature instable permettant la transformation et la manipulation des contenus. Comme en témoigne les ressources bureautiques, un même fichier se donne à lire de manière différente selon les traitements de texte et outils utilisés. La question est alors de savoir en quoi un contenu vu différemment selon différentes vues produites par différents outils reste le même ; en quoi peut-il garder son authenticité à travers les accès à chaque fois modifiés qu'on peut en avoir. De même, les outils numériques permettent de généraliser une logique du remploi, de la réutilisation, de la ré-éditorialisation. Nombre de contenus sont originaux par leur intention, moins par leur composition qui peut reprendre force d'éléments préexistants. Un nouveau problème émerge ainsi de suivre la généalogie des contenus à travers leur leur mutation documentaire. La problématique est donc la suivante:
 
Le second problème correspond au fait que le numérique est un support par nature instable permettant la transformation et la manipulation des contenus. Comme en témoigne les ressources bureautiques, un même fichier se donne à lire de manière différente selon les traitements de texte et outils utilisés. La question est alors de savoir en quoi un contenu vu différemment selon différentes vues produites par différents outils reste le même ; en quoi peut-il garder son authenticité à travers les accès à chaque fois modifiés qu'on peut en avoir. De même, les outils numériques permettent de généraliser une logique du remploi, de la réutilisation, de la ré-éditorialisation. Nombre de contenus sont originaux par leur intention, moins par leur composition qui peut reprendre force d'éléments préexistants. Un nouveau problème émerge ainsi de suivre la généalogie des contenus à travers leur leur mutation documentaire. La problématique est donc la suivante:
d'une part, on a différents contenus renvoyant à une synthèse à construire et abstraire;
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d'autre part, on a différentes vues de « mêmes » contenus qu'il faut confronter et discuter pour déterminer et étudier l'authenticité et l'identité des contenus.
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*d'une part, on a différents contenus renvoyant à une synthèse à construire et abstraire;
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*d'autre part, on a différentes vues de « mêmes » contenus qu'il faut confronter et discuter pour déterminer et étudier l'authenticité et l'identité des contenus.
 
Le parti pris de cet article est de mettre en avant l'utilisation et la réutilisation des contenus comme approche générale de la capitalisation et de la préservation. D'une part on ne capitalise que ce dont on a besoin et l'on ne préserve que ce que l'on utilise ; et d'autre part l'accès aux  contenus pour leur usage est une garantie de leur gestion continue et de leur préservation.
 
Le parti pris de cet article est de mettre en avant l'utilisation et la réutilisation des contenus comme approche générale de la capitalisation et de la préservation. D'une part on ne capitalise que ce dont on a besoin et l'on ne préserve que ce que l'on utilise ; et d'autre part l'accès aux  contenus pour leur usage est une garantie de leur gestion continue et de leur préservation.
 
Ainsi, il faut prendre acte et non le regretter que le numérique confère  une mutabilité intrinsèque aux contenus. Le problème n'est plus de conserver un contenu identique à lui-même, mais de le suivre et le reconnaître à travers ses différents avatars et représentations qu'il adopte au cours du temps. L'utiliser, c'est donc le transformer, le laisser identique à lui-même, c'est l'oublier. Cette mutabilité se retrouve tant sur le plan de la forme que du fond :
 
Ainsi, il faut prendre acte et non le regretter que le numérique confère  une mutabilité intrinsèque aux contenus. Le problème n'est plus de conserver un contenu identique à lui-même, mais de le suivre et le reconnaître à travers ses différents avatars et représentations qu'il adopte au cours du temps. L'utiliser, c'est donc le transformer, le laisser identique à lui-même, c'est l'oublier. Cette mutabilité se retrouve tant sur le plan de la forme que du fond :
un contenu numérique doit posséder une lisibilité technique car il repose sur une instrumentation donnée pour être lu ;
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*un contenu numérique doit posséder une lisibilité technique car il repose sur une instrumentation donnée pour être lu ;
un contenu en général doit reposer sur une lisibilité culturelle car il s'inscrit dans un système de normes et de codes pour être compris et interprété.
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*un contenu en général doit reposer sur une lisibilité culturelle car il s'inscrit dans un système de normes et de codes pour être compris et interprété.
  
 
Par conséquent, gérer la connaissance, capitaliser pour la transmettre et la réutiliser, sont des tâches qui se définissent sur le fond de cette  mutabilité. Pour se souvenir, il faut transformer, pour comprendre il faut interpréter. La capitalisation des connaissances doit donc s'effectuer comme une herméneutique des avatars documentaires créés par l'usage.
 
Par conséquent, gérer la connaissance, capitaliser pour la transmettre et la réutiliser, sont des tâches qui se définissent sur le fond de cette  mutabilité. Pour se souvenir, il faut transformer, pour comprendre il faut interpréter. La capitalisation des connaissances doit donc s'effectuer comme une herméneutique des avatars documentaires créés par l'usage.
  
2.2 La gestion patrimoniale des contenus
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=== La gestion patrimoniale des contenus===
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L’approche est ici de considérer ce qui a fait le succès de la transmission des connaissances, pratiques ou théoriques, dans le temps, voire la longue durée, pour l’adapter à la gestion des connaissances et de leur inscription documentaire. Le problème abordé sous l'angle de la transmission peut se résumer de la manière suivante :
 
L’approche est ici de considérer ce qui a fait le succès de la transmission des connaissances, pratiques ou théoriques, dans le temps, voire la longue durée, pour l’adapter à la gestion des connaissances et de leur inscription documentaire. Le problème abordé sous l'angle de la transmission peut se résumer de la manière suivante :
Des contenus documentaires expriment certaines connaissances, savoir faire ou pratiques ;
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Ces contenus, au moment de leur production, sont encore plongés dans un environnement, une tradition de lecture et d’interprétation, qui permet de recouvrer leur signification et d’accéder à leur mise en œuvre, pratique ou théorique.
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*Des contenus documentaires expriment certaines connaissances, savoir faire ou pratiques ;
Avec le temps cependant, ces contenus se décontextualisent progressivement : un fossé d’intelligibilité se creuse si bien qu’ils deviennent illisibles et incompréhensibles.
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*Ces contenus, au moment de leur production, sont encore plongés dans un environnement, une tradition de lecture et d’interprétation, qui permet de recouvrer leur signification et d’accéder à leur mise en œuvre, pratique ou théorique.
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* Avec le temps cependant, ces contenus se décontextualisent progressivement : un fossé d’intelligibilité se creuse si bien qu’ils deviennent illisibles et incompréhensibles.
 
Afin d'éviter le creusement de ce fossé, il faut donc que le contexte d'interprétation des contenus soit maintenu au fil du temps. Pour cela il faut que les contenus soient utilisés (lu, annotés, rééditorialisé, etc.) et  que les modalités de cet usage soit contrôlé par un dispositif qui permettent et maintiennent les conditions de l'usage dans le temps. La solution élaborée par la tradition occidentale repose sur les éléments suivants :
 
Afin d'éviter le creusement de ce fossé, il faut donc que le contexte d'interprétation des contenus soit maintenu au fil du temps. Pour cela il faut que les contenus soient utilisés (lu, annotés, rééditorialisé, etc.) et  que les modalités de cet usage soit contrôlé par un dispositif qui permettent et maintiennent les conditions de l'usage dans le temps. La solution élaborée par la tradition occidentale repose sur les éléments suivants :
Une conservation des supports physiques des contenus. C’est le rôle traditionnel des bibliothèques, qui rassemblent, inventorient et préservent les contenus dont elles ont la charge.
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*Une conservation des supports physiques des contenus. C’est le rôle traditionnel des bibliothèques, qui rassemblent, inventorient et préservent les contenus dont elles ont la charge.
Une interprétation permanente et dynamique des contenus, qui maintient l’intelligibilité de ces derniers, au besoin en les enrichissant de commentaires, gloses, explicitations, venant faciliter la recontextualisation des contenus dans l’environnement social et intellectuel du moment. C’est traditionnellement le rôle de l’université.
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*Une interprétation permanente et dynamique des contenus, qui maintient l’intelligibilité de ces derniers, au besoin en les enrichissant de commentaires, gloses, explicitations, venant faciliter la recontextualisation des contenus dans l’environnement social et intellectuel du moment. C’est traditionnellement le rôle de l’université.
Quand les contenus ont une dimension performative, comme les outils  techniques  ou  les  instruments  de  musique,  on  ajoute    un
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*Quand les contenus ont une dimension performative, comme les outils  techniques  ou  les  instruments  de  musique,  on  ajoute    un
 
« conservatoire » qui a pour but de répéter et transmettre les pratiques associées aux instruments : elles répliquent en leur sein  la
 
« conservatoire » qui a pour but de répéter et transmettre les pratiques associées aux instruments : elles répliquent en leur sein  la
  

Version du 7 juillet 2016 à 12:11

La préservation des connaissances : instrumentation de contenus et interprétation des vues documentaires


 
 

 
titre
La préservation des connaissances : instrumentation de contenus et interprétation des vues documentaires
auteurs
Bruno Bachimont (1), Stéphane Crozat (2).
Affiliations
(1):Université de Technologie de Compiègne, UMR CNRS Heudiasyc
Université de Technologie de Compiègne, Unité Recherche Action
(2) :Ingénierie des contenus et des savoirs
In
CIDE.12 (Montréal), 2009
En PDF 
CIDE (2009) Bachimont.pdf.pdf
Mots-clés 
Préservation, connaissance, gestion, OAIS, chaîne éditoriale, herméneutique, philologie
Keywords
Preservation, knowledge, management, OAIS, editorial chain, hermeneutics, philology
Résumé
La gestion des connaissances tente d'expliciter la connaissance pour la rendre capitalisable sour la formes de documents. La préservation des contenus vise à maintenir l'intégrité et l'authenticité des contenus au cours du temps et de la longue durée. Or, la gestion des connaissances doit prendre en compte le transmission dans le temps des contenus qui capitalisent la connaissance, et la préservation ne s'effectue qu'en entretenant les connaissances associées aux contenus. L'approche proposée ici consiste à croiser ces deux points de vue pour la préservation des connaissances.