CIDE (2009) Kanellos : Différence entre versions

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Un genre de lecture est une codification des normes de réception en vigueur dans une communauté. Il permet le déclenchement des stratégies de lecture adaptées à une écriture donnée. Il permet, en un sens, de réunir dans le même projet écriture et lecture. Cette normativité a une incidence particulière sur l’organisation des informations ; elle prend la forme  d’une surdétermination de structures glanées dans divers points de vue. Ces idées, qui ne concernent certainement pas que le musée virtuel, ont été maintenues au centre de nos préoccupations lors du design du musée que nous avons développé. Plus précisément, nous avons choisi trois formes de visite, qui nous ont semblé fondamentales, pour illustrer le concept de genres de lecture :
 
Un genre de lecture est une codification des normes de réception en vigueur dans une communauté. Il permet le déclenchement des stratégies de lecture adaptées à une écriture donnée. Il permet, en un sens, de réunir dans le même projet écriture et lecture. Cette normativité a une incidence particulière sur l’organisation des informations ; elle prend la forme  d’une surdétermination de structures glanées dans divers points de vue. Ces idées, qui ne concernent certainement pas que le musée virtuel, ont été maintenues au centre de nos préoccupations lors du design du musée que nous avons développé. Plus précisément, nous avons choisi trois formes de visite, qui nous ont semblé fondamentales, pour illustrer le concept de genres de lecture :
  
La visite « Plaisir ou Découverte ». Elle est bâtie sur le profil de l’amateur de l’art. La temporalité s’y trouve sans contraintes. L’interruption peut s’opérer à tout moment sans nuire l’intention globale. La collection entière est organisée en sous-collections autour d’un prototype. Le visiteur entre par le prototype et procède à la visite d’une partie du musée en évoluant  d’une œuvre à une autre suivant son goût et son désir, essentiellement par association. La notion structurante de cette approche de la collection du musée est la similitude ; cette dernière reste modulable au sens où les critères de sa définition et leur combinatoire sont laissés au goût du visiteur. L’information sur les œuvres est ici volontairement réduite ; elle concerne le lieu et l’époque  de  l’œuvre,  le  cycle  iconographique  dans  lequel elle
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* La visite « Plaisir ou Découverte ». Elle est bâtie sur le profil de l’amateur de l’art. La temporalité s’y trouve sans contraintes. L’interruption peut s’opérer à tout moment sans nuire l’intention globale. La collection entière est organisée en sous-collections autour d’un prototype. Le visiteur entre par le prototype et procède à la visite d’une partie du musée en évoluant  d’une œuvre à une autre suivant son goût et son désir, essentiellement par association. La notion structurante de cette approche de la collection du musée est la similitude ; cette dernière reste modulable au sens où les critères de sa définition et leur combinatoire sont laissés au goût du visiteur. L’information sur les œuvres est ici volontairement réduite ; elle concerne le lieu et l’époque  de  l’œuvre,  le  cycle  iconographique  dans  lequel elle
  
 
appartient, le support de réalisation, le courant artistique, le peintre, le type thématique et les prototypes lui étant associés. La reconfiguration de la visite suivant un autre prototype ou suivant d’autres critères de visite est à tout moment possible.
 
appartient, le support de réalisation, le courant artistique, le peintre, le type thématique et les prototypes lui étant associés. La reconfiguration de la visite suivant un autre prototype ou suivant d’autres critères de visite est à tout moment possible.
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Figure 3 : Une étape de la visite « Découverte ». Le visiteur aborde ici l’œuvre sous l’aspect de son rapport à la narration. Des exemples des cycles iconographiques de son appartenance ainsi qu’un exemple de la place qu’elle possède dans la réalisation des fresques d’une église sont données à titre d’exemple.
 
Figure 3 : Une étape de la visite « Découverte ». Le visiteur aborde ici l’œuvre sous l’aspect de son rapport à la narration. Des exemples des cycles iconographiques de son appartenance ainsi qu’un exemple de la place qu’elle possède dans la réalisation des fresques d’une église sont données à titre d’exemple.
La visite « Étude ». Elle est conçue sur le profil de l’étudiant. Contrairement à la précédente, qui se met en place de manière incrémentale, ici le visiteur aborde les œuvres par classes qui sont produites par des topiques d’étude prédéterminées. Par exemple, on pose des questions concernant le thème de l’Annonciation diachroniquement, diatopiquement, historiquement, contextuellement (suivant le peintre, le support, l’école et le  style, le type thématique, le cycle iconographique et narratif d’appartenance etc.), des éléments descriptifs, esthétiques, etc. Autrement dit, alors que la précédente était une visite personnalisable pendant laquelle l’accent était mis sur l’individualité de l’œuvre et l’idiosyncrasie du parcours, ici c’est l’interpicturalité (le rapport des tableaux entre eux) qui organise la lecture suivant plusieurs catégories. La visite « Étude » vise, en quelque sorte, la reconquête d’une identité de l’œuvre à travers les formes de sa « socialité » textuelle et picturale qui lui assignent une place et un rôle dans l’histoire de la production artistique.
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* La visite « Étude ». Elle est conçue sur le profil de l’étudiant. Contrairement à la précédente, qui se met en place de manière incrémentale, ici le visiteur aborde les œuvres par classes qui sont produites par des topiques d’étude prédéterminées. Par exemple, on pose des questions concernant le thème de l’Annonciation diachroniquement, diatopiquement, historiquement, contextuellement (suivant le peintre, le support, l’école et le  style, le type thématique, le cycle iconographique et narratif d’appartenance etc.), des éléments descriptifs, esthétiques, etc. Autrement dit, alors que la précédente était une visite personnalisable pendant laquelle l’accent était mis sur l’individualité de l’œuvre et l’idiosyncrasie du parcours, ici c’est l’interpicturalité (le rapport des tableaux entre eux) qui organise la lecture suivant plusieurs catégories. La visite « Étude » vise, en quelque sorte, la reconquête d’une identité de l’œuvre à travers les formes de sa « socialité » textuelle et picturale qui lui assignent une place et un rôle dans l’histoire de la production artistique.
  
  
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Figure 4 : Une étape dans la visite « Étude ». Le visiteur aborde généralement le contenu de l’œuvre comme la résultante d’un « topos inter-iconique ». Ici, il a demandé les œuvres avec le même thème conservées au monastère de Sainte Catherine au Sinaï (Égypte).
 
Figure 4 : Une étape dans la visite « Étude ». Le visiteur aborde généralement le contenu de l’œuvre comme la résultante d’un « topos inter-iconique ». Ici, il a demandé les œuvres avec le même thème conservées au monastère de Sainte Catherine au Sinaï (Égypte).
La visite « Approfondissement ». Elle est construite sur le profil du spécialiste (le peintre, le restaurateur, le conservateur, l’expert en Histoire de l’Art, etc.). Elle a surtout une visée paradigmatique. On propose, en effet, des cas typiques d’étude qui ont été poussés bien plus loin que les précédents. L’information, sur tous les points de vue, se voulait ainsi aussi riche que possible et toujours susceptible de s’améliorer par des apports ultérieurs. On arrive ici même à des études physico- chimiques, des analyses plus étendues en matière d’esthétique, des développements historiques ou philosophiques soutenus, etc. Trois œuvres ont été choisies selon une  volonté  de diversification ; entre autres, parce qu’ils relèvent de traditions, de styles, d’époques ou des techniques différentes. Cette forme  de visite est, en un sens, l’aboutissement des deux précédentes. Elle constitue un véritable cours d’initiation à l’art de l’iconographie byzantine. Et permet, rétrospectivement, d’étudier les œuvres abordées par une visite de type « Découverte » ou
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* La visite « Approfondissement ». Elle est construite sur le profil du spécialiste (le peintre, le restaurateur, le conservateur, l’expert en Histoire de l’Art, etc.). Elle a surtout une visée paradigmatique. On propose, en effet, des cas typiques d’étude qui ont été poussés bien plus loin que les précédents. L’information, sur tous les points de vue, se voulait ainsi aussi riche que possible et toujours susceptible de s’améliorer par des apports ultérieurs. On arrive ici même à des études physico- chimiques, des analyses plus étendues en matière d’esthétique, des développements historiques ou philosophiques soutenus, etc. Trois œuvres ont été choisies selon une  volonté  de diversification ; entre autres, parce qu’ils relèvent de traditions, de styles, d’époques ou des techniques différentes. Cette forme  de visite est, en un sens, l’aboutissement des deux précédentes. Elle constitue un véritable cours d’initiation à l’art de l’iconographie byzantine. Et permet, rétrospectivement, d’étudier les œuvres abordées par une visite de type « Découverte » ou
 
« Étude » différemment.
 
« Étude » différemment.
  
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Les genres de lecture et les scénarios de visite sont des notions jumelées. Certes, un genre de lecture convoque des finesses qu’un scénario de visite, qui discrétise, fixe et opérationnalise, ne saurait capter. D’une certaine manière, les scénarios de visite ne sont que des particularisations de genres de lecture, réalisables dans une machine. Il ne reste pas moins que leur coordination est significative dans un musée virtuel. Dans le cas du musée sur l’Annonciation, les trois genres de lecture choisis se projettent à autant de scénarios de visite (Figure 6). Pour résumer :
 
Les genres de lecture et les scénarios de visite sont des notions jumelées. Certes, un genre de lecture convoque des finesses qu’un scénario de visite, qui discrétise, fixe et opérationnalise, ne saurait capter. D’une certaine manière, les scénarios de visite ne sont que des particularisations de genres de lecture, réalisables dans une machine. Il ne reste pas moins que leur coordination est significative dans un musée virtuel. Dans le cas du musée sur l’Annonciation, les trois genres de lecture choisis se projettent à autant de scénarios de visite (Figure 6). Pour résumer :
  
le genre de lecture traduit, d’un côté, les normes de réception culturelle, telles que nous aurions souhaité retrouver en nous promenant dans un musée virtuel ; il est le cadre d’une naturalité qui vient du respect des pratiques ;
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* le genre de lecture traduit, d’un côté, les normes de réception culturelle, telles que nous aurions souhaité retrouver en nous promenant dans un musée virtuel ; il est le cadre d’une naturalité qui vient du respect des pratiques ;
  
de l’autre, il sert de fondement pour la scénarisation de la collection, i.e. sa mise en valeur à travers des parcours de visite ; il s’agit d’une étape indispensable, aux sources d’un design ergonomique sans conflits avec nos habitudes sémiotiques.
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* de l’autre, il sert de fondement pour la scénarisation de la collection, i.e. sa mise en valeur à travers des parcours de visite ; il s’agit d’une étape indispensable, aux sources d’un design ergonomique sans conflits avec nos habitudes sémiotiques.
  
  
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En récapitulant :
 
En récapitulant :
  
le rapport au détail serait un rapport intrinsèque, un rapport, somme toute situant ; il procèderait d’une logique méréologique ; sorte de synecdoque picturale, il chercherait à éclairer le tout (voire un autre tout) à travers la partie et même l’élément singulier ;
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* le rapport au détail serait un rapport intrinsèque, un rapport, somme toute situant ; il procèderait d’une logique méréologique ; sorte de synecdoque picturale, il chercherait à éclairer le tout (voire un autre tout) à travers la partie et même l’élément singulier ;
le rapport à un espace interpictural, au contraire, témoignerait de l’inscription de l’œuvre à des globalités sémiotiques supérieures ; il procèderait d’une logique de l’identité sociale ; mais il resterait, lui aussi, cohérent avec le principe herméneutique de la détermination du local par le global.
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* le rapport à un espace interpictural, au contraire, témoignerait de l’inscription de l’œuvre à des globalités sémiotiques supérieures ; il procèderait d’une logique de l’identité sociale ; mais il resterait, lui aussi, cohérent avec le principe herméneutique de la détermination du local par le global.
 
Les trois visions semblent cependant nécessaires pour la lecture d’une œuvre. Elles se complètent et indexent le voir et le comprendre sur le projet de regard dynamique et mouvant. Il y a, certes, beaucoup de détails dans une œuvre ; virtuellement, une infinité. Il y a, aussi, beaucoup des sociétés interpicturales pour une œuvre ; virtuellement, une infinité, également. Parfois, même, détail et interpicturalité se renvoient mutuellement. En effet, on comprend souvent un détail à l’aide d’une mise en perspective de l’œuvre dans une société particulière d’œuvres (par exemple, la présence de l’enfant déjà formé dans le ventre de Marie au moment même de l’Annonciation) ; on légitime souvent une société d’œuvres parfois par un détail (la représentation du thème de l’Annonciation à l’intérieur d’une scène de théâtre à l’italienne).
 
Les trois visions semblent cependant nécessaires pour la lecture d’une œuvre. Elles se complètent et indexent le voir et le comprendre sur le projet de regard dynamique et mouvant. Il y a, certes, beaucoup de détails dans une œuvre ; virtuellement, une infinité. Il y a, aussi, beaucoup des sociétés interpicturales pour une œuvre ; virtuellement, une infinité, également. Parfois, même, détail et interpicturalité se renvoient mutuellement. En effet, on comprend souvent un détail à l’aide d’une mise en perspective de l’œuvre dans une société particulière d’œuvres (par exemple, la présence de l’enfant déjà formé dans le ventre de Marie au moment même de l’Annonciation) ; on légitime souvent une société d’œuvres parfois par un détail (la représentation du thème de l’Annonciation à l’intérieur d’une scène de théâtre à l’italienne).
  
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Peut-être une idée pour une direction en matière de développement. L’artisanat réclamera pour longtemps des outils qui préservent et pérennisent l’expertise acquise.
 
Peut-être une idée pour une direction en matière de développement. L’artisanat réclamera pour longtemps des outils qui préservent et pérennisent l’expertise acquise.
  
Remerciements : Nous remercions la Fondation Ormylia pour nous avoir permis la mise en place de ce musée, qui s’appuie sur un important travail mené en amont depuis plusieurs années. Nous remercions aussi Trinity Systems  pour avoir consacré beaucoup de temps de développement hors contrat pour améliorer le site.
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'''Remerciements :''' Nous remercions la Fondation Ormylia pour nous avoir permis la mise en place de ce musée, qui s’appuie sur un important travail mené en amont depuis plusieurs années. Nous remercions aussi Trinity Systems  pour avoir consacré beaucoup de temps de développement hors contrat pour améliorer le site.
  
  

Version du 25 novembre 2016 à 12:25

Le concept de musée virtuel thématique : la collection comme visite, la visite comme lecture, la lecture comme stratégie.


 
 

 
titre
Le concept de musée virtuel thématique : la collection comme visite, la visite comme lecture, la lecture comme stratégie.
auteurs
Ioannis Kanellos (1), Sister Daniilia (2).
Affiliations
(1):Telecom Bretagne, Département Informatique, CS 83818 29238 Brest cedex 3, France
(2) :Ormylia Foundation, Art Diagnosis Centre, 63071 Ormylia, Greece
In
CIDE.12 (Montréal), 2009
En PDF 
CIDE (2009) Kanellos.pdf
Mots-clés 
Musée virtuel thématique, ontologies locales, points de vue, représentation des connaissances à profondeur variable, stratégies de lecture, scénarios de visite, détail et interpicturalité.
Keywords
Thematic virtual museum, local ontologies, points of view, variable depth knowledge representation, reading strategies, visiting scenarios, detail and interpicturality.
Résumé
L’article discute les idées directives d’un musée virtuel thématique, en matière de représentation des connaissances (RC) et d’implémentation. Le cas d’étude est le musée sur l’Annonciation (www.annunciation.gr). Nous abordons le problème de la RC suivant plusieurs points de vue et à profondeur variable ainsi que le besoin d’une modélisation des ressources faisant la part tant au détail qu’à l’interpicturalité. Nous expliquons l’importance de reprendre la notion de visite d’un musée virtuel dans celle de lecture. Nous exposons enfin une structure des données susceptible de servir les stratégies qui sous-tendent trois genres de visite (découverte, étude et approfondissement). Nous concluons par une discussion sur quelques enjeux concernant le développement de musées virtuels aujourd’hui.