CIDE (2009) Kanellos : Différence entre versions

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Les problématiques du « e-Museum » ne sont pas encore stabilisées ; vraisemblablement, ne le seront-elles jamais, tant elles dépendent des technologies d’où elles tirent leur raisons d’être. Cependant, elles s’affichent d’emblée des volontés éducatives [6, 7] qui les rendent sensibles aux mêmes réfutations. Tout comme le « cours virtuel », le terme « musée virtuel » désigne prioritairement un domaine de mutation de plus de nos pratiques culturelles par l’avènement des technologies de l’information et de la communication. Il ne doit cependant pas être compris en termes exclusivement techniques. L’idée de musée virtuel va plus loin que la simple opportunité et les effets de mode, bien plus loin
 
Les problématiques du « e-Museum » ne sont pas encore stabilisées ; vraisemblablement, ne le seront-elles jamais, tant elles dépendent des technologies d’où elles tirent leur raisons d’être. Cependant, elles s’affichent d’emblée des volontés éducatives [6, 7] qui les rendent sensibles aux mêmes réfutations. Tout comme le « cours virtuel », le terme « musée virtuel » désigne prioritairement un domaine de mutation de plus de nos pratiques culturelles par l’avènement des technologies de l’information et de la communication. Il ne doit cependant pas être compris en termes exclusivement techniques. L’idée de musée virtuel va plus loin que la simple opportunité et les effets de mode, bien plus loin
 
1 Le texte entier est contenu dans 13 petites lignes dans la version du manuscrit grec et se trouve au seul évangile de Luc (ch. 1, lignes 26 à 38). On trouve aussi, dans la tradition islamique, un récit apparenté, dans la Sourate 19, intitulée « Marie (Maryam) » ; là, la description est encore plus courte : elle tient en 6 lignes au plus (16 à 21) !
 
 
 
que les préoccupations d’une ingénierie asservie à son temps. De façon minimaliste, le musée virtuel se veut, tout d’abord, un patrimoine numérique sur une collection d’œuvres ; il est souvent vitrine ou reproduction d’expositions réelles, transitoires ou permanentes ; il se transforme, parfois, en site éducatif ; il peut être un univers entièrement virtuel, même avec des œuvres virtuels ; il intègre des jeux pour petits et grands (les fameux « serious games »), etc. Ses multiples transfigurations recoupent nombre d’initiatives qui semblent centrales dans une société comme la nôtre, mieux comprise, désormais, comme une société de la Communication, de l’Information et de la Connaissance. Globalement, il désigne des enjeux complexes mais porteurs, relevant de l’héritage culturel, dans une économie numérique orientée par les services.
 
que les préoccupations d’une ingénierie asservie à son temps. De façon minimaliste, le musée virtuel se veut, tout d’abord, un patrimoine numérique sur une collection d’œuvres ; il est souvent vitrine ou reproduction d’expositions réelles, transitoires ou permanentes ; il se transforme, parfois, en site éducatif ; il peut être un univers entièrement virtuel, même avec des œuvres virtuels ; il intègre des jeux pour petits et grands (les fameux « serious games »), etc. Ses multiples transfigurations recoupent nombre d’initiatives qui semblent centrales dans une société comme la nôtre, mieux comprise, désormais, comme une société de la Communication, de l’Information et de la Connaissance. Globalement, il désigne des enjeux complexes mais porteurs, relevant de l’héritage culturel, dans une économie numérique orientée par les services.
  
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Cela ne serait peut-être pas fâcheux, ni même nuisible en matière de développement du concept si, même avec une telle limitation, l’opportunité virtuelle ne s’avérait décidément castrée. Certes, on voit ci et là des innovations technologiques séduisantes investir peu à peu un métier nouveau, celui de muséologue (et de muséographe) numériques : des bases de données multimédia, des jeux éducatifs [19, 22, 25, 26],  des
 
Cela ne serait peut-être pas fâcheux, ni même nuisible en matière de développement du concept si, même avec une telle limitation, l’opportunité virtuelle ne s’avérait décidément castrée. Certes, on voit ci et là des innovations technologiques séduisantes investir peu à peu un métier nouveau, celui de muséologue (et de muséographe) numériques : des bases de données multimédia, des jeux éducatifs [19, 22, 25, 26],  des
  
2 Rappelons la définition de l’UNESCO d’un musée : « une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l’homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d’études, d’éducation et de délectation ». Elle reste aussi valide dans le cas des musées virtuels. Bien entendu, le musée virtuel peut aussi concerner des objets de n’importe quelle nature, fonction et vocation.
 
  
 
plateformes de type 2.0 pour la création de nouvelles sociétés muséales [19, 20, 22, 26], de la réalité virtuelle [18, 21, 23, 24], des interfaces plus attractives, esthétiques [27] et plus ergonomiques, des techniques de traitement d’image attrayantes, de la synthèse de parole recevable [21, 28], des protocoles de recherche évolués, etc. Cependant,  l’ensemble reste globalement contenu dans des interrogations communes qui relèvent de la conception d’un site commercial plus ou moins  standard. Tristement, le thème de la visite, prioritaire pour un musée, qui deviendrait visite virtuelle dans le cas d’un musée virtuel, se voit dégradé, entièrement fondu qu’il apparaît dans une navigation usuelle. Même les standards émergents, plus ouverts à des réseaux sémantiques, ne lui réservent pas une place importante [3]. Par ailleurs, la conception de la structure des données ne permet pas une flexibilité suffisante pour opérer des changements significatifs. En fait, dans la quasi-totalité des musées virtuels calques, on rencontre, dirait-on, une pensée unique qui impose divers régimes de restriction :
 
plateformes de type 2.0 pour la création de nouvelles sociétés muséales [19, 20, 22, 26], de la réalité virtuelle [18, 21, 23, 24], des interfaces plus attractives, esthétiques [27] et plus ergonomiques, des techniques de traitement d’image attrayantes, de la synthèse de parole recevable [21, 28], des protocoles de recherche évolués, etc. Cependant,  l’ensemble reste globalement contenu dans des interrogations communes qui relèvent de la conception d’un site commercial plus ou moins  standard. Tristement, le thème de la visite, prioritaire pour un musée, qui deviendrait visite virtuelle dans le cas d’un musée virtuel, se voit dégradé, entièrement fondu qu’il apparaît dans une navigation usuelle. Même les standards émergents, plus ouverts à des réseaux sémantiques, ne lui réservent pas une place importante [3]. Par ailleurs, la conception de la structure des données ne permet pas une flexibilité suffisante pour opérer des changements significatifs. En fait, dans la quasi-totalité des musées virtuels calques, on rencontre, dirait-on, une pensée unique qui impose divers régimes de restriction :
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cadre qui fossilise les pratiques muséales en matière d’organisation d’une exposition, bâties traditionnellement sur la notion
 
cadre qui fossilise les pratiques muséales en matière d’organisation d’une exposition, bâties traditionnellement sur la notion
 
de visite. C’est comme si, dirions-nous, dans un musée traditionnel, on abattait les cloisons pour en faire un immense espace
 
de visite. C’est comme si, dirions-nous, dans un musée traditionnel, on abattait les cloisons pour en faire un immense espace
où tous les œuvres seraient ensemble et où tout parcours deviendrait possible. </ref>. Décidément, notre question inaugurale restera à jamais sans réponse dans la mesure où elle convoque un  niveau
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où tous les œuvres seraient ensemble et où tout parcours deviendrait possible. </ref>. Décidément, notre question inaugurale restera à jamais sans réponse dans la mesure où elle convoque un  niveau de lecture qui n’est pas envisageable dans un musée virtuel typique de notre époque.
 
 
 
 
3 Comme la rubrique des « Œuvres à la loupe » du musée du Louvre [24], le sous-menu « Masterpieces » du Rijksmuseum [21], la section « Explore » du British Museum [18], etc.
 
4 Remarquons que le paradigme d’un musée virtuel reçoit toujours de la plupart des muséographes et des muséologues une méfiance non dissimulée. Il n’est peut-être pas sans rapport avec notre analyse. La logique des bases de données impose un cadre qui fossilise les pratiques muséales en matière d’organisation d’une exposition, bâties traditionnellement sur la notion de visite. C’est comme si, dirions-nous, dans un musée traditionnel, on abattait les cloisons pour en faire un immense espace où tous les œuvres seraient ensemble et où tout parcours deviendrait possible.
 
 
 
de lecture qui n’est pas envisageable dans un musée virtuel typique de notre époque.
 
  
  
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Pour sa conception, notre départ était la notion, certes vague mais fondatrice, de pratique de visite [5]. Plus précisément, il s’agissait pour nous d’interroger, d’entrée en scène, le thème de la visite et de chercher à le revitaliser au sein d’une théorie de l’interprétation [16, 14]. Cet engagement vient du fait que nous avons toujours reconnu en la notion de visite d’un musée (réel certes, mais, à plus forte raison, virtuel) une déclinaison de plus de la notion de lecture [15]. Nous défendons une approche pleinement interprétative des affaires sémiotiques qui finit par rehausser le rôle de la réception dans toute écologie communicative. Par conséquent, nous avons essayé d’implémenter dans cette première  version du musée sur l’Annonciation des exigences de représentation et de présentation des connaissances commandées par le concept de  stratégie de lecture.
 
Pour sa conception, notre départ était la notion, certes vague mais fondatrice, de pratique de visite [5]. Plus précisément, il s’agissait pour nous d’interroger, d’entrée en scène, le thème de la visite et de chercher à le revitaliser au sein d’une théorie de l’interprétation [16, 14]. Cet engagement vient du fait que nous avons toujours reconnu en la notion de visite d’un musée (réel certes, mais, à plus forte raison, virtuel) une déclinaison de plus de la notion de lecture [15]. Nous défendons une approche pleinement interprétative des affaires sémiotiques qui finit par rehausser le rôle de la réception dans toute écologie communicative. Par conséquent, nous avons essayé d’implémenter dans cette première  version du musée sur l’Annonciation des exigences de représentation et de présentation des connaissances commandées par le concept de  stratégie de lecture.
  
La représentation numérique assure, on le sait, la transmutation de l’objet à  exposer  en  une  constellation  de  fragments  d’information.    L’objet
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La représentation numérique assure, on le sait, la transmutation de l’objet à  exposer  en  une  constellation  de  fragments  d’information.    L’objet matériel présenté, qui était hier encore contraint, et de façon non négociable, dans l’unité du lieu, du temps et de la visite, s’efface, dans un musée virtuel, devant ce qui le remplace et le « dit » dans un discours nouveau, généralement multimédia et, heureusement, partiellement à la portée de la machine. On a certes perdu l’objet mais son spectre, sa structure informationnelle, permet de définir plusieurs régimes de transition et d’intégration supplétifs. La dissociation entre substance et information, on le sait aussi, libère la structure des connaissances qui décrit un objet et ouvre, plus avant, à des possibilités d’évolution inédites, dans des espaces qualitatifs, indépendants et combinables à désir.
 
 
5 Il a été développé en commun par la Fondation Ormylia et TELECOM Bretagne. Le développement a été assuré par la société Trinity Systems (www.trinitysystems.gr). Il est le résultat de nombreux travaux menés depuis plusieurs années dans le Art Diagnosis Centre de cette Fondation et à TELECOM Bretagne.
 
 
 
matériel présenté, qui était hier encore contraint, et de façon non négociable, dans l’unité du lieu, du temps et de la visite, s’efface, dans un musée virtuel, devant ce qui le remplace et le « dit » dans un discours nouveau, généralement multimédia et, heureusement, partiellement à la portée de la machine. On a certes perdu l’objet mais son spectre, sa structure informationnelle, permet de définir plusieurs régimes de transition et d’intégration supplétifs. La dissociation entre substance et information, on le sait aussi, libère la structure des connaissances qui décrit un objet et ouvre, plus avant, à des possibilités d’évolution inédites, dans des espaces qualitatifs, indépendants et combinables à désir.
 
  
 
Précisément, dans le cas du musée sur l’Annonciation, l’importance que nous accordons aux interprétations normées tend à n’en retenir que des espaces qui restent en accord avec des pratiques attestées en Histoire de l’Art. Plus techniquement, les parcours de lecture sont bâtis sur cinq points de vue qui constituent autant d’espaces d’analyse d’une œuvre d’art <ref>Certes, d’autres auraient pu aussi bien convenir. La question n’est pas le nombre, ni même la qualité, mais la
 
Précisément, dans le cas du musée sur l’Annonciation, l’importance que nous accordons aux interprétations normées tend à n’en retenir que des espaces qui restent en accord avec des pratiques attestées en Histoire de l’Art. Plus techniquement, les parcours de lecture sont bâtis sur cinq points de vue qui constituent autant d’espaces d’analyse d’une œuvre d’art <ref>Certes, d’autres auraient pu aussi bien convenir. La question n’est pas le nombre, ni même la qualité, mais la
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L’art concerné dans cette tradition picturale est un art plutôt stylisé, maniéré souvent, généralement narratif, essentiellement figuratif et, bien sûr, fortement normé. On pourrait sans doute généraliser ces points de  vue à d’autres genres artistiques qui ne se reconnaissent pas nécessairement sous ces caractéristiques génériques. Contentons nous ici de remarquer simplement que ces points de vue ne sont rien d’autre que des ontologies locales, thématiques en fait, qui organisent de façon cohérente de grands domaines de connaissance et sont issues des pratiques d’analyse de ce genre pictural. Elles se ramifient immédiatement, et donnent naissance à diverses sous-ontologies de spécialité. Par exemple, le point de vue Esthétique décline quatre sous- ontologies au total : Composition, Expressions, Postures & Gestes, Couleurs & Lumière ; l’Exploration technique cinq : Support & Préparation, Dessin, Technique & Pigments, Stratigraphie et, enfin, Palette (cf. un aperçu sur la Figure 5 ci-dessous). Peu importe leur  nombre et leur nature, ce sont ces ultimes qui constituent le squelette de l’ontologie  du  domaine  tout  en  conditionnant  la  notion  de  parcours.
 
L’art concerné dans cette tradition picturale est un art plutôt stylisé, maniéré souvent, généralement narratif, essentiellement figuratif et, bien sûr, fortement normé. On pourrait sans doute généraliser ces points de  vue à d’autres genres artistiques qui ne se reconnaissent pas nécessairement sous ces caractéristiques génériques. Contentons nous ici de remarquer simplement que ces points de vue ne sont rien d’autre que des ontologies locales, thématiques en fait, qui organisent de façon cohérente de grands domaines de connaissance et sont issues des pratiques d’analyse de ce genre pictural. Elles se ramifient immédiatement, et donnent naissance à diverses sous-ontologies de spécialité. Par exemple, le point de vue Esthétique décline quatre sous- ontologies au total : Composition, Expressions, Postures & Gestes, Couleurs & Lumière ; l’Exploration technique cinq : Support & Préparation, Dessin, Technique & Pigments, Stratigraphie et, enfin, Palette (cf. un aperçu sur la Figure 5 ci-dessous). Peu importe leur  nombre et leur nature, ce sont ces ultimes qui constituent le squelette de l’ontologie  du  domaine  tout  en  conditionnant  la  notion  de  parcours.
 
6 Certes, d’autres auraient pu aussi bien convenir. La question n’est pas le nombre, ni même la qualité, mais la reconnaissance de régimes d’analyse cohérents, attestés par des discours d’analyse dans le domaine de l’Histoire de l’Art. Et, évidemment, leur potentiel de représentation dans une machine !
 
  
 
Globalement, la structure des connaissances se déploie suivant un schéma de représentation multi-niveau (Figure 1).
 
Globalement, la structure des connaissances se déploie suivant un schéma de représentation multi-niveau (Figure 1).

Version du 25 novembre 2016 à 12:00

Le concept de musée virtuel thématique : la collection comme visite, la visite comme lecture, la lecture comme stratégie.


 
 

 
titre
Le concept de musée virtuel thématique : la collection comme visite, la visite comme lecture, la lecture comme stratégie.
auteurs
Ioannis Kanellos (1), Sister Daniilia (2).
Affiliations
(1):Telecom Bretagne, Département Informatique, CS 83818 29238 Brest cedex 3, France
(2) :Ormylia Foundation, Art Diagnosis Centre, 63071 Ormylia, Greece
In
CIDE.12 (Montréal), 2009
En PDF 
CIDE (2009) Kanellos.pdf
Mots-clés 
Musée virtuel thématique, ontologies locales, points de vue, représentation des connaissances à profondeur variable, stratégies de lecture, scénarios de visite, détail et interpicturalité.
Keywords
Thematic virtual museum, local ontologies, points of view, variable depth knowledge representation, reading strategies, visiting scenarios, detail and interpicturality.
Résumé
L’article discute les idées directives d’un musée virtuel thématique, en matière de représentation des connaissances (RC) et d’implémentation. Le cas d’étude est le musée sur l’Annonciation (www.annunciation.gr). Nous abordons le problème de la RC suivant plusieurs points de vue et à profondeur variable ainsi que le besoin d’une modélisation des ressources faisant la part tant au détail qu’à l’interpicturalité. Nous expliquons l’importance de reprendre la notion de visite d’un musée virtuel dans celle de lecture. Nous exposons enfin une structure des données susceptible de servir les stratégies qui sous-tendent trois genres de visite (découverte, étude et approfondissement). Nous concluons par une discussion sur quelques enjeux concernant le développement de musées virtuels aujourd’hui.