CIDE (2009) Kanellos : Différence entre versions

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que les préoccupations d’une ingénierie asservie à son temps. De façon minimaliste, le musée virtuel se veut, tout d’abord, un patrimoine numérique sur une collection d’œuvres ; il est souvent vitrine ou reproduction d’expositions réelles, transitoires ou permanentes ; il se transforme, parfois, en site éducatif ; il peut être un univers entièrement virtuel, même avec des œuvres virtuels ; il intègre des jeux pour petits et grands (les fameux « serious games »), etc. Ses multiples transfigurations recoupent nombre d’initiatives qui semblent centrales dans une société comme la nôtre, mieux comprise, désormais, comme une société de la Communication, de l’Information et de la Connaissance. Globalement, il désigne des enjeux complexes mais porteurs, relevant de l’héritage culturel, dans une économie numérique orientée par les services.
 
que les préoccupations d’une ingénierie asservie à son temps. De façon minimaliste, le musée virtuel se veut, tout d’abord, un patrimoine numérique sur une collection d’œuvres ; il est souvent vitrine ou reproduction d’expositions réelles, transitoires ou permanentes ; il se transforme, parfois, en site éducatif ; il peut être un univers entièrement virtuel, même avec des œuvres virtuels ; il intègre des jeux pour petits et grands (les fameux « serious games »), etc. Ses multiples transfigurations recoupent nombre d’initiatives qui semblent centrales dans une société comme la nôtre, mieux comprise, désormais, comme une société de la Communication, de l’Information et de la Connaissance. Globalement, il désigne des enjeux complexes mais porteurs, relevant de l’héritage culturel, dans une économie numérique orientée par les services.
  
Curieusement, alors que le crédit technologique semble augurer des possibilités illimitées, une étude que nous avons menée en amont, portant sur plus de cinquante musées, a montré qu’environ 9 fois sur 10 on a affaire à des musées virtuels qui sont des calques de musées réels, i.e. de musées qui se trouvent physiquement implantés en un lieu et opèrent sur un mode plutôt classique. Étrange constatation alors que la notion de musée virtuel était censée nous délivrer des contraintes d’unité du lieu qui pèsent sur les collections. L’intérêt d’un musée virtuel, son essence même, est précisément cette ouverture qu’il permet en matière d’accessibilité diversifiée à des collections d’objets choisis, prioritairement pour leur caractère culturel2 . Or, aujourd’hui encore, le concept de collection reste majoritairement enfermé dans la logique de l’institution, probablement parce que le marché était déjà formaté et occupé par des musées classiques qui, naturellement, ont eu plus des moyens que d’autres pour développer des vitrines en ligne. Ces musées réels et plus ou moins fortunés, ont compris les TIC comme des moyens complémentaires pour promouvoir leurs actions culturelles ; incidemment, aussi, pour soutenir leur business et leur image à un moment où le monde muséal semblait subir des mutations profondes.
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Curieusement, alors que le crédit technologique semble augurer des possibilités illimitées, une étude que nous avons menée en amont, portant sur plus de cinquante musées, a montré qu’environ 9 fois sur 10 on a affaire à des musées virtuels qui sont des calques de musées réels, i.e. de musées qui se trouvent physiquement implantés en un lieu et opèrent sur un mode plutôt classique. Étrange constatation alors que la notion de musée virtuel était censée nous délivrer des contraintes d’unité du lieu qui pèsent sur les collections. L’intérêt d’un musée virtuel, son essence même, est précisément cette ouverture qu’il permet en matière d’accessibilité diversifiée à des collections d’objets choisis, prioritairement pour leur caractère culturel <ref>  Rappelons la définition de l’UNESCO d’un musée : « une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société
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et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l’homme et de son
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environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d’études, d’éducation et
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de délectation ». Elle reste aussi valide dans le cas des musées virtuels. Bien entendu, le musée virtuel peut aussi concerner
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des objets de n’importe quelle nature, fonction et vocation. </ref> . Or, aujourd’hui encore, le concept de collection reste majoritairement enfermé dans la logique de l’institution, probablement parce que le marché était déjà formaté et occupé par des musées classiques qui, naturellement, ont eu plus des moyens que d’autres pour développer des vitrines en ligne. Ces musées réels et plus ou moins fortunés, ont compris les TIC comme des moyens complémentaires pour promouvoir leurs actions culturelles ; incidemment, aussi, pour soutenir leur business et leur image à un moment où le monde muséal semblait subir des mutations profondes.
  
 
Cela ne serait peut-être pas fâcheux, ni même nuisible en matière de développement du concept si, même avec une telle limitation, l’opportunité virtuelle ne s’avérait décidément castrée. Certes, on voit ci et là des innovations technologiques séduisantes investir peu à peu un métier nouveau, celui de muséologue (et de muséographe) numériques : des bases de données multimédia, des jeux éducatifs [19, 22, 25, 26],  des
 
Cela ne serait peut-être pas fâcheux, ni même nuisible en matière de développement du concept si, même avec une telle limitation, l’opportunité virtuelle ne s’avérait décidément castrée. Certes, on voit ci et là des innovations technologiques séduisantes investir peu à peu un métier nouveau, celui de muséologue (et de muséographe) numériques : des bases de données multimédia, des jeux éducatifs [19, 22, 25, 26],  des
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4. Enfin, il ne peut pas toujours s’approcher des œuvres, pour examiner certains de leurs détails ; les œuvres, dans leur présentation picturale, sont données, le plus souvent, avec des résolutions qui correspondent à une vue plutôt lointaine, même après quelques agrandissements possibles permis par les outils de visualisation. De l’autre côté, il ne dispose pas non plus de moyens de (re)contextualisation des œuvres.
 
4. Enfin, il ne peut pas toujours s’approcher des œuvres, pour examiner certains de leurs détails ; les œuvres, dans leur présentation picturale, sont données, le plus souvent, avec des résolutions qui correspondent à une vue plutôt lointaine, même après quelques agrandissements possibles permis par les outils de visualisation. De l’autre côté, il ne dispose pas non plus de moyens de (re)contextualisation des œuvres.
  
L’intérêt semble, donc, dès la mise en place d’un tel musée virtuel, compromis ; la notion de visiteur reste au niveau de la métaphore pour parler d’un utilisateur d’un système de gestion de bases de données. On en saisit les raisons : de tels musées sont bâtis sur un modèle économique commun qui leur offre, certes, les fondations mais aussi les limitations. À part, donc, quelques cas d’approfondissement emblématiques, que l’on trouve dans certains musées calques disposant des moyens 3 , et qui proposent des études à part qui se surajoutent à la structure globale du site, le reste est souvent réduit à une base de données, plus ou moins étendue et soignée, plus ou moins conviviale et appropriable, plus ou moins renseignée et affinée, avec les fonctionnalités classiques en matière d’interrogation et de navigation. Le musée virtuel, pourrait-on dire, s’est également abandonné aux charmes de la pensée « BD » revenant du coup à une posture que l’on croyait à jamais révolue, somme  toute patrimoniale et conservatoire. Tout le reste doit s’inscrire dans le cadre de cette pensée. Qui fait office de norme.
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L’intérêt semble, donc, dès la mise en place d’un tel musée virtuel, compromis ; la notion de visiteur reste au niveau de la métaphore pour parler d’un utilisateur d’un système de gestion de bases de données. On en saisit les raisons : de tels musées sont bâtis sur un modèle économique commun qui leur offre, certes, les fondations mais aussi les limitations. À part, donc, quelques cas d’approfondissement emblématiques, que l’on trouve dans certains musées calques disposant des moyens <ref>Comme la rubrique des « Œuvres à la loupe » du musée du Louvre [24], le sous-menu « Masterpieces » du Rijksmuseum
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[21], la section « Explore » du British Museum [18], etc.</ref> , et qui proposent des études à part qui se surajoutent à la structure globale du site, le reste est souvent réduit à une base de données, plus ou moins étendue et soignée, plus ou moins conviviale et appropriable, plus ou moins renseignée et affinée, avec les fonctionnalités classiques en matière d’interrogation et de navigation. Le musée virtuel, pourrait-on dire, s’est également abandonné aux charmes de la pensée « BD » revenant du coup à une posture que l’on croyait à jamais révolue, somme  toute patrimoniale et conservatoire. Tout le reste doit s’inscrire dans le cadre de cette pensée. Qui fait office de norme.
  
 
La pensée « BD » est simple ; elle repose. Elle n’offre pas seulement une liberté hors normes mais aussi une liberté voulue hors les normes. O tempora ! O mores !
 
La pensée « BD » est simple ; elle repose. Elle n’offre pas seulement une liberté hors normes mais aussi une liberté voulue hors les normes. O tempora ! O mores !
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Ainsi, le concept de musée virtuel renvoie aujourd’hui, majoritairement et typiquement, à l’idée d’imitation. Il assure, assurément, son rôle de lieu d’émergence de réseaux sociaux, par la constitution de diverses commu- nautés d’intérêts notamment ; mais il reste faillible devant l’exigence de formuler une proposition respectueuse des volontés et des pratiques culturelles. Il rejoint les prérogatives d’un service facilitateur de commerce électronique ; mais il trahit les espoirs qui voulaient de lui un outil d’accès à la connaissance.
 
Ainsi, le concept de musée virtuel renvoie aujourd’hui, majoritairement et typiquement, à l’idée d’imitation. Il assure, assurément, son rôle de lieu d’émergence de réseaux sociaux, par la constitution de diverses commu- nautés d’intérêts notamment ; mais il reste faillible devant l’exigence de formuler une proposition respectueuse des volontés et des pratiques culturelles. Il rejoint les prérogatives d’un service facilitateur de commerce électronique ; mais il trahit les espoirs qui voulaient de lui un outil d’accès à la connaissance.
  
Le concept de visite, nous revenons, semble intéresser peu les  concepteurs des musées virtuels, qui restent dans une optique de communication et de démonstration. Le concept de lecture encore moins. En effet, l’organisation des documents se réalise généralement sans tenir compte des pratiques de lecture4. Décidément, notre question inaugurale restera à jamais sans réponse dans la mesure où elle convoque un  niveau
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Le concept de visite, nous revenons, semble intéresser peu les  concepteurs des musées virtuels, qui restent dans une optique de communication et de démonstration. Le concept de lecture encore moins. En effet, l’organisation des documents se réalise généralement sans tenir compte des pratiques de lecture <ref>Remarquons que le paradigme d’un musée virtuel reçoit toujours de la plupart des muséographes et des muséologues une
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méfiance non dissimulée. Il n’est peut-être pas sans rapport avec notre analyse. La logique des bases de données impose un
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cadre qui fossilise les pratiques muséales en matière d’organisation d’une exposition, bâties traditionnellement sur la notion
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de visite. C’est comme si, dirions-nous, dans un musée traditionnel, on abattait les cloisons pour en faire un immense espace
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où tous les œuvres seraient ensemble et où tout parcours deviendrait possible. </ref>. Décidément, notre question inaugurale restera à jamais sans réponse dans la mesure où elle convoque un  niveau
  
  

Version du 25 novembre 2016 à 11:54

Le concept de musée virtuel thématique : la collection comme visite, la visite comme lecture, la lecture comme stratégie.


 
 

 
titre
Le concept de musée virtuel thématique : la collection comme visite, la visite comme lecture, la lecture comme stratégie.
auteurs
Ioannis Kanellos (1), Sister Daniilia (2).
Affiliations
(1):Telecom Bretagne, Département Informatique, CS 83818 29238 Brest cedex 3, France
(2) :Ormylia Foundation, Art Diagnosis Centre, 63071 Ormylia, Greece
In
CIDE.12 (Montréal), 2009
En PDF 
CIDE (2009) Kanellos.pdf
Mots-clés 
Musée virtuel thématique, ontologies locales, points de vue, représentation des connaissances à profondeur variable, stratégies de lecture, scénarios de visite, détail et interpicturalité.
Keywords
Thematic virtual museum, local ontologies, points of view, variable depth knowledge representation, reading strategies, visiting scenarios, detail and interpicturality.
Résumé
L’article discute les idées directives d’un musée virtuel thématique, en matière de représentation des connaissances (RC) et d’implémentation. Le cas d’étude est le musée sur l’Annonciation (www.annunciation.gr). Nous abordons le problème de la RC suivant plusieurs points de vue et à profondeur variable ainsi que le besoin d’une modélisation des ressources faisant la part tant au détail qu’à l’interpicturalité. Nous expliquons l’importance de reprendre la notion de visite d’un musée virtuel dans celle de lecture. Nous exposons enfin une structure des données susceptible de servir les stratégies qui sous-tendent trois genres de visite (découverte, étude et approfondissement). Nous concluons par une discussion sur quelques enjeux concernant le développement de musées virtuels aujourd’hui.