CIDE (2015) Stassin : Différence entre versions
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Version du 1 juin 2018 à 13:59
La blogosphère infodoc : entre médiations documentaires et médiations identitaires
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Sommaire
- 1 Introduction
- 2 Cadre théorique
- 3 Corpus et méthode
- 4 Résultats
- 4.1 Les billets de point de vue
- 4.2 Le signalement de contenu
- 4.3 Les billets d’annonce et les notes d’information
- 4.4 Les comptes-rendus d’expérience
- 4.5 Synthèse sur un sujet
- 4.6 Les comptes-rendus de lecture
- 4.7 Les présentations d’outils
- 4.8 Les comptes-rendus de manifestation
- 4.9 Les comptes-rendus d’intervention dans une manifestation
- 5 Discussion et conclusion
- 6 Bibliographie
- 7 Notes
- Résumé
- Cet article présente les résultats d'une étude de la médiation de l’information au sein du réseau formé par les blogs français en information-documentation. Ce réseau est envisagé comme une communauté de savoir en ligne rassemblée autour d'un dispositif documentaire permettant à la fois la production de documents, mais également leur traitement documentaire. L'analyse discursive menée sur les billets produits au cours de l’année 2011 par 62 blogueurs permet de rendre compte de la nature et de la fonction des documents produits ainsi que de la manière dont les blogueurs construisent leur identité numérique à travers leurs contributions.
- Mots clés
- blog, communauté de savoir, identité numérique, médiation documentaire, médiation identitaire.
- Abstract
- This paper presents the findings of a study exploring the information mediation within the network formed by the French LIS blogs. This network is considered as a Knowledge community gathered around an information management system that allows document production and processing. The discourse analyze of the posts that 62 bloggers wrote in 2011 accounts for the nature and function of the documents created and for the way in which the bloggers develop their digital identity.
Introduction
Cette étude s’inscrit dans la problématique générale de la circulation des savoirs et des nouvelles formes de production et de médiation de l’information engendrées par le numérique et plus particulièrement par le Web 2.0. Elle porte sur le terrain des blogs et vise à analyser leur rôle dans l’émergence de réseaux informationnels dans le domaine de l’information-documentation (infodoc), et ce, à partir de l’étude des pratiques info-communicationnelles d’une communauté de blogueurs évoluant dans ce domaine. L’étude se focalise essentiellement sur les blogs tenus de manière non institutionnelle par des praticiens de l’information (archivistes, bibliothécaires, documentalistes) mais dédiés à l’activité documentaire. Dans ces blogs d’ « experts » (Cardon, Delaunay-Teterel, 2006), les auteurs publient des contenus ancrés dans leurs activités professionnelles, cherchent à s’inscrire dans une communauté d’intérêt dont les membres ont le même profil, à échanger et partager des ressources et des connaissances en lien avec un centre d’intérêt commun tout en cherchant à valoriser et faire reconnaître leur expertise dans un domaine particulier. Nous ne nous intéressons pas ici aux thématiques et problématiques abordées par les blogueurs, cela ayant été réalisé antérieurement (Stassin, Chaudiron, 2011 ; Stassin, 2015), mais à la nature des documents qu’ils produisent et aux formes de médiations qu’ils exercent à travers leurs productions.
Cadre théorique
Communauté de savoir en ligne
Le recours aux concepts de « communauté en ligne » (Proulx, 2006) et de « communauté de savoir » (Cointet, 2009) s’avère opérant pour l’étude et l’analyse d’un ensemble de blogueurs regroupés autour d’un intérêt commun pour un domaine particulier, engagés dans des relations durables et soutenues ainsi que dans des échanges réciproques, et dont le projet vise le partage et la production de connaissances en lien avec le domaine d’intérêt. Une communauté de savoir en ligne se définit donc comme une communauté dont les membres partagent et échangent des informations et des connaissances autour d’un intérêt ou d’une activité, une communauté au sein de laquelle la matière première échangée est le savoir. Lorsque le savoir est plutôt d’ordre « expérimental » et les connaissances « tacites », on parle de « communauté de pratique » (Wenger, 1998) et lorsque le savoir est plutôt d’ordre « théorique » et les connaissances « explicites », on parle de « communauté épistémique » (Haas, 1992). La frontière est cependant très fine entre les deux formes et il n’est pas rare de trouver au sein d’une même communauté en ligne des traits de chacune d’entre elles (Heaton et al. 2011). De plus, il existe parmi les communautés de pratique, regroupant généralement des membres exerçant le même métier ou la même profession, des communautés de type « constellaire ». Ces dernières rassemblent en leur sein des membres qui exercent des professions différentes (des constellations de pratiques) mais qui ont des points de convergence et se regroupent autour d’objets-frontières, à l’instar de la blogosphère infodoc qui rassemble des bibliothécaires, des archivistes et des documentalistes ayant des intérêts communs pour des objets comme la numérisation, le Web et les médias sociaux, les outils de veille ou encore le blogging (Stassin, 2011).
Au sein de ce type de communauté, les processus cognitifs revêtent une dimension sociale, située et distribuée. Les connaissances sont construites à travers les échanges et les interactions entre les différents membres (processus social), l’apprentissage et l’échange de connaissances sont ancrés dans le contexte dans lequel ils s’opèrent (processus situé) et la cognition est distribuée sur l’ensemble des membres de la communauté, membres humains et non humains (artefacts, documents, discours, etc.). Les membres humains sont liés par une interdépendance cognitive (Conein, 2004) au sens où ils sont tour à tour producteurs et acquéreurs de connaissances et que ces dernières ne sont ni produites individuellement ni détenues totalement par un individu. En d’autres termes, chaque membre détient une portion de connaissances dont les autres ont besoin pour réaliser une tâche commune.
De la médiation documentaire…
La réalisation du projet cognitif d’une communauté de savoir en ligne (formalisation de connaissances tacites, partage de savoir-faire, partage de connaissances explicites) passe par un processus de réification consistant à produire des documents qui se font le support des connaissances. Cette production est réalisée au sein d’un réseau de blogs qui présente toutes les caractéristiques d’un dispositif documentaire (Couzinet, 2011). En effet, les blogs sont à la fois des dispositifs d’ « accès à » et de « diffusion de » l’information permettant aux auteurs de produire et de publier des contenus et exerçant, du fait de fonctionnalités qui leur sont inhérentes, une médiation technique et automatique (archivage et classement par ordre antéchronologique des billets, attribution d’une URL permanente à chacun d’entre eux, signalement des contenus nouvellement publiés par flux RSS ou par tweet automatique). Ils favorisent en outre une médiation documentaire émanant des blogueurs qui ont alors la possibilité de décrire, à l’aide de tags (mots-clés), le contenu intellectuel des contenus qu’ils produisent ou des contenus publiés par d’autres, mais dont ils se font l’écho à travers une activité de redocumentarisation (Zacklad, 2007) ou de curation (Mesguish, 2012).
… à la médiation identitaire
À mesure que les blogueurs « médient » leurs propres productions ou qu’ils « redocumentarisent » celles des autres, ils exercent une « médiation identitaire » (Merzeau, 2012) au sens où ils œuvrent à la construction de leur identité numérique et asseyent leur présence en ligne. En choisissant, pour la plupart, de bloguer de manière non anonyme, ils se présentent sous une facette de leur identité sociale qu’ils souhaitent valoriser. Le blog peut donc également être pensé comme dispositif de construction de l’identité numérique. Cette dernière, définie comme l’ensemble des traces laissées par un internaute au cours de son activité en ligne, revêt trois dimensions (Georges, 2009) : une dimension « déclarative » qui correspond à la présentation que le blogueur fait de lui-même (cf. rubrique « Qui suis-je ? » ou « À propos » du blog); une dimension « calculée » qui correspond aux statistiques de production, à la place dans les classements, au nombre de visites, de citations, de tweets, de commentaires reçus par les productions, ou encore aux nombres de blogs « amis » présents dans le blogroll ; une dimension « agissante » qui correspond à ce que « fait » le blogueur, à sa production et au contenu thématique de celle-ci (les thèmes de prédilection, les niches d’expertise). Un autre aspect peut également être pris en compte : l’expression de la subjectivité au sein des billets. Cette dernière, participant de l’identité déclarative, peut être très forte dans des billets où le blogueur est amené à donner son avis ou à prendre position, à rendre compte de son expérience, et plus modérée dans des prescriptions de lecture ou dans des restitutions de veille, mais, dans un cas comme dans l’autre, elle permet au lecteur de mesurer les opinions, la pensée, ou encore les « goûts » du blogueur.
Corpus et méthode
Un corpus de 62 blogs a été constitué, parmi lesquels se trouvent 18 blogs de bibliothécaires exerçant en bibliothèque d’étude et de recherche, 19 blogs de bibliothécaires exerçant en bibliothèque de lecture publique, 8 blogs d’archivistes, 14 blogs de documentalistes exerçant en entreprise, 3 blogs de professionnels de l’édition. Pour être collectés, les blogs devaient être ancrés dans le domaine de l’information-documentation, être tenus de manière non institutionnelle par des praticiens de l’information et avoir publié au moins un billet au cours de la période étudiée, c’est-à-dire entre le 1er janvier et le 31 décembre 2011. L’intégralité des billets publiés au cours de cette période a été extraite, formant alors un corpus de 1281 billets sur lesquels une analyse du discours a été effectuée.
Pour ce faire, nous nous sommes dans un premier temps appuyée sur les typologies de billets de blogs dressées par Orban de Xivry et al. (2007) et Lehti (2011).
Orban de Xivry et al. (2007) étudient l’implication de l’énonciateur dans ses énoncés et l’interaction qu’il propose au récepteur. Lorsque la personne du blogueur est elle-même l’objet de l’énoncé, les auteurs parlent d’ « implication confondue » et lorsqu’elle est extérieure à l’énoncé, elles parlent d’ « implication distanciée ». Lorsque le récepteur est interpellé, invité à réagir, elles parlent d’ « interaction forte », mais lorsque l’énoncé s’adresse à tout le monde et à personne en particulier, lorsque les commentaires ne sont pas attendus, elles parlent d’ « interaction faible ». Ainsi, en fonction de l’implication du blogueur dans ses énoncés et du degré d’interaction qu’il choisit de mettre en place avec ses lecteurs, quatre types de billets sont identifiés :
- Le billet « correspondance » au sein duquel il parle de lui-même, de ses sentiments et états d’âme (implication confondue) et invite le lecteur à faire de même (interaction forte) ;
- Le billet « témoignage » où il insère dans l’énoncé des éléments de son vécu, rend compte de choses dont il a fait l'expérience (implication confondue), mais ne cherche pas à faire réagir et n'attend pas vraiment de retour sur les propos qu'il tient (interaction faible) ;
- Le billet « interpellation » où il traite d'un sujet qui lui tient à cœur (implication distanciée), exprime son point de vue, ses opinions, parfois dans un registre polémique. Des marques d'adresse au lecteur et des requêtes d'avis sont perceptibles dans l'énoncé (interaction forte) ;
- Le billet « informatif » où il diffuse des informations, partage des ressources en lien avec un sujet précis (implication distanciée), mais n’attend pas de retour de la part du lectorat (interaction faible).
Lotta Lehti (2011), qui a étudié les genres discursifs présents au sein de la blogosphère politique, propose une approche complémentaire à la précédente. Elle ne se focalise pas sur l’implication de l’énonciateur dans l’énoncé, mais sur le degré d’expression de sa subjectivité et met en avant cinq types de billets :
- Le journal extime (diary) dans lequel les politiciens rendent compte de leur vie quotidienne, et plus précisément du quotidien de leur vie professionnelle, des activités auxquelles ils ont pris part, des visites qu’ils ont effectuées ou encore des événements culturels auxquels ils ont assisté ;
- Le billet vitrine (scrapbook) qui consiste à signaler des contenus parus et publiés ailleurs en reproduisant parfois tout ou partie de ces contenus ;
- Le billet d’annonce (notice-board) qui consiste à annoncer dans un billet les invitations à participer à un événement, les projets de construction à venir au sein de la ville ou de la région du politicien, etc.
- Le billet de réflexion (essay) : dans lequel le politicien fait part de son point de vue sur un sujet politique, philosophique, sociologique, etc.
- Le billet polémique (polemic) : dans lequel il fait également part de son point de vue avec des prises de position plus fortes qu’au sein du type de billet précédent et avec des provocations ou attaques dirigées à l’encontre d’adversaires ciblés.
Nous avons donc cherché à notre tour à dresser une typologie des billets rédigés par les blogueurs infodoc. Pour ce faire, nous avons dans un second temps fait appel aux travaux de Jean-Michel Adam (2011) pour identifier les différents types de textes que représentaient ces billets (argumentatif, informatif, prescriptif, descriptif, didactique, etc.). Si l’on se réfère aux typologies de billets présentées ci-dessus, nous pouvons dire que les billets de correspondance, les billets de témoignage et les billets « extimes » sont de type narratif, les billets informatifs et les billets d’annonce sont de type informatif, les billets d’interpellation, de réflexion et polémiques sont quant à eux de type argumentatif.
Dans un troisième et dernier temps, nous avons fait appel à la typologie des articles rédigés par les praticiens de l’information dans la revue Documentaliste-Sciences de l’information réalisée par Viviane Couzinet (2000) : comptes-rendus d’expérience, articles de point de vue, synthèse sur un sujet, descriptifs, visites guidées, comptes-rendus de réunion ou de colloque, études comparatives, applications ou comptes-rendus de recherche. Il nous a semblé intéressant d’étudier la manière dont l’information et les savoirs professionnels étaient mis en forme et en circulation au sein d’un support autre que le blog pour avoir, d’une part, un guide supplémentaire pour l’élaboration de notre grille d’analyse et pour voir, d’autre part, si les genres discursifs des praticiens différaient véritablement d’un support à un autre.
La grille d’analyse élaborée pour notre étude a donc été réalisée à partir des travaux et typologies que nous venons de présenter et dont le rapprochement nous a permis de lister les différents critères à prendre en compte pour l’analyse de chaque billet du corpus en vue de l’identification du type de texte et du genre discursif dans lequel il s’inscrit, mais également de la manière dont l’énonciateur se met en scène. Ces critères sont les suivants :
- Type de texte : s’agit-il d’un texte argumentatif, descriptif, explicatif, prescriptif, etc. ?
- Implication de l’énonciateur dans l’énoncé : est-elle confondue ou distanciée ?
- Interaction avec le lecteur : est-elle forte ou faible ?
- Degré de subjectivité : est-il fort, intermédiaire ou faible ?
- Indices linguistiques : il s’agit de relever les indices linguistiques (procédés de modélisation, verbes d’état, d’action, registre, procédés stylistiques, vocatif, etc.) qui ont permis d’identifier le type de texte, le type d’implication de l’énonciateur dans l’énoncé, l’interaction avec le lecteur, et le degré de subjectivité.
- Équivalence Lehti : le billet équivaut-il à un type de billet identifié par Lotta Lehti ? Billet extime ? Vitrine ? Annonce ? Essai ? Polémique ?
- Équivalence Couzinet : le billet peut-il être rapproché d’un type d’article de revue identifié par Viviane Couzinet ? Article de point de vue ? Descriptif outil ? Synthèse sur un sujet ? Exposé de mise au point ?
Résultats
Notre étude a révélé la présence de 9 genres discursifs revenant chaque mois au sein des blogs de praticiens et représentant 95,88 % de la production [1]: billet de point de vue (23,58%), signalement de contenu (17,02%), billet d’annonce et note d’information (13,43%), compte-rendu d’expérience (9,06%), synthèse sur un sujet (7,81%), compte-rendu de lecture (7,65%), descriptif outil (6,48%), compte-rendu de manifestation (6,40%), compte-rendu d’intervention dans une manifestation (4,45%).
Les billets de point de vue
Dans ces billets, les praticiens se livrent à une réflexion personnelle sur un sujet en lien avec leur activité professionnelle (l’utilité des bibliothèques, les pratiques de veille en entreprise) ou sur une technologie, une loi (HADOPI, ACTA). Ils n’hésitent pas à prendre position, à laisser apparaître leurs opinions. Des traces d’expression de leur subjectivité sont donc perceptibles à travers des procédés de modalisation (« je crois que… », « je suis perplexe… »), mais également des titres des billets rédigés sous forme de question (« Quelle stratégie de diffusion numérique pour les archives ? Une nouvelle médiation ? »), ou sous forme d’injonction (« Boudons les catalogues des gros éditeurs cadenassés par des DRM »). Le lecteur est parfois invité à prendre part à la réflexion et à réagir en étant interpellé au cours ou à la fin du texte : « Et vous, qu’en pensez-vous ? ». Les billets de point de vue sont ceux qui reçoivent le plus de commentaires. En effet, ils reçoivent en moyenne 6 commentaires pour une moyenne « générale » (tous billets confondus) de 3 commentaires par billet. Ces derniers sont le plus souvent de l’ordre de l’approbation ou de la désapprobation et certains commentateurs n’hésitent pas, à leur tour, à développer leur point de vue.
Le signalement de contenu
Les billets de « signalement de contenu » rendent compte d’une activité de « veille » ou plutôt de « curation » réalisée par le blogueur. Ils sont le plus souvent présentés sous forme de « liste de liens » pointant vers des ressources en ligne dont le blogueur recommande la lecture. Les ressources jugées pertinentes sont sélectionnées et regroupées au sein d’un même billet, et ce, en fonction d’un ou de plusieurs thèmes. Ces listes sont généralement mises en page de deux manières : les liens sont présentés les uns à la suite des autres, sans commentaires, mais accompagnés d’un ou de plusieurs tags (figure 1); les liens sont accompagnés de commentaires ou contextualisés par une petite phrase d’introduction et regroupés selon les thèmes qu’ils abordent (figure 2).
Dans l’ esprit de la liste de liens, on trouve chaque semaine chez Paralipomènes, une « revue » des tweets que la blogueuse a envoyés à ses followers via son compte Twitter (« Mes tweets sur le droit de l’information » [2] ). Les liens, préalablement envoyés via le microblog, sont repris au sein d’un billet. Ils ont tous trait au droit de l’information, mais sont regroupés en sous-catégories : « droit d’auteur », « données personnelles », « gouvernance »… Ces billets sont accompagnés d’une photo représentant des oiseaux rappelant l’oiseau bleu de Twitter (figure 3).
Enfin, les billets de signalement peuvent parfois ne contenir qu’un seul lien pointant vers une ressource dont la lecture est recommandée ou reproduire tout ou partie du texte du billet vers lequel ils pointent. Qu’il s’agisse de la liste de liens ou du billet signalant une seule ressource, la visée de ces billets est à la fois informative et prescriptive. Des termes comme « je vous recommande » ou « je vous conseille » sont identifiables. Les commentaires, peu nombreux (1/billet), relèvent le plus souvent du remerciement émanant de l’auteur d’une ressource qui a été signalée.
Les billets d’annonce et les notes d’information
Ces billets, prenant principalement quatre formes, relèvent avant tout d’une fonction informative.
Les « annonces de manifestation à venir », identifiables par des expressions comme « J’ai le plaisir de vous annoncer la 4e édition du Bookcamp… », indiquent la nature (colloque, journée d’étude, congrès, etc.), la date, le lieu, le programme de la manifestation. Un lien vers le site ou le blog de la manifestation peut être proposé. Si le blogueur a l’intention d’assister à la manifestation et/ou s’il fait partie du comité d’organisation, il le signale et propose parfois à ses lecteurs de le suivre sur son compte Twitter où il twittera la manifestation en temps réel.
Dans les « annonces d’intervention dans une manifestation à venir », on retrouve également des éléments de présentation de la manifestation, mais ce qui est surtout mis en avant par le blogueur c’est sa participation, son intervention : « Je suis invité à inter¬ve¬nir dans une jour¬née d’étude… ».
Les « annonces de parution » annoncent la parution prochaine d’une revue, d’un ouvrage ou d’un article dont le blogueur souhaite informer ses lecteurs. Il peut parfois être l’auteur de l’ouvrage ou de l’article. Dans la « note d’information », le blogueur porte à la connaissance de ses lecteurs un fait d’actualité ou un événement (rachat de telle entreprise par telle autre, l’arrivée d’une organisation sur Twitter ou sur Facebook).
Les comptes-rendus d’expérience
Ces billets ont pour objectif de partager une expérience ou un savoir-faire le plus souvent relatifs à un outil ou à une expérimentation réalisée sur le terrain professionnel. Les comptes-rendus d’ « expérience outil » sont des billets dans lesquels les praticiens rendent compte de tests qu’ils ont effectués, en contexte professionnel ou sur leur temps libre et de leur propre initiative, sur un nouvel outil ou sur des fonctionnalités propres à un outil qu’ils connaissent et utilisent déjà (catalogue de bibliothèque, etc.). On retrouve assez souvent un texte structuré en différentes étapes : les blogueurs expliquent les différentes étapes qu’ils ont suivies, font part des difficultés techniques rencontrées et des solutions trouvées pour faire face à tel ou tel problème, délivrent des informations pratiques, le plus souvent accompagnées de schémas et/ou de copies d’écran, et indiquent les points forts et les points faibles de l’outil, son utilité (ou sa non-utilité)[3] . On retrouve des expressions comme « J’ai testé », mais également des termes comme « quelques retours », « astuces », « bidouilles »…
Ensuite, on distingue des billets relatant une expérimentation qui a eu lieu sur le lieu professionnel et à laquelle le praticien a pris part : un test de produit en vue d’un équipement prochain (test de liseuses par des bibliothécaires avant achat et mise à disposition des usagers), la mise en place d’un nouveau service (expérimentation du streaming musical dans les bibliothèques alsaciennes). Le contexte et les objectifs de l’expérimentation sont présentés et quelques conclusions sont tirées.
Enfin, nous avons relevé un troisième type d’ « expérience partagée », celle de la pratique de blogging (alimentation du blog, rédaction des billets, retour sur investissement) et/ou de la pratique de veille informationnelle réalisée au sein du web (choix des outils et mise en place d’un dispositif, retour d’expérience critique) afin ou non d’alimenter le blog. Ce type de billet reçoit en moyenne 3 commentaires. Leurs auteurs délivrent des messages de remerciement ou d’encouragement (notamment pour les expérimentations terrain), apportent des compléments d’information (pour les expériences outils) ou rendent compte, à leur tour, de leur propre expérience.
Synthèse sur un sujet
Les « billets de synthèse » sont de trois types. Certains proposent une définition ou une présentation synthétique d’une notion, d’un concept, d’une théorie (l’intelligence économique, les liens faibles) ou bien une mise au point sur une pratique (différence entre l’ « archivage » et le « versement aux archives »). D’autres proposent de retracer, de manière plus ou moins détaillée, l’historique d’un outil ou d’une technologie (le web sémantique, Linux). D’autres, encore, proposent une explication synthétique d’une norme ou d’une série de normes, d’un décret, d’une loi. Bien qu’on s’attende à ce que la position du locuteur soit relativement neutre, on trouve tout de même dans certains billets, notamment ceux traitant de norme ou de loi, des prises de position ou des avis personnels. Cependant, la visée principale de ces billets n’est pas polémique, comme l’est celle des billets de point de vue, mais pédagogique : le blogueur souhaite partager une connaissance ou faire le point sur l’état des connaissances relatives à un domaine ou un sujet particulier. Ce type de billets n’appelle pas vraiment le lecteur à réagir, les commentaires sont donc peu nombreux (3/billet) et sont généralement de l’ordre du remerciement, de la demande de précision ou apportent un complément d’information.
Les comptes-rendus de lecture
Les comptes-rendus de lecture prennent deux formes : le résumé (indicatif ou informatif) ou le compte-rendu critique ayant des allures de note de lecture et au sein duquel le blogueur analyse le document, donne son avis et en recommande la lecture (« L’étude me semble intéressante… », « Intéressant guide pratique… », « Un angle d’approche très intéressant… »).
Les présentations d’outils
Les billets dédiés aux outils (logiciels documentaires, outils de gestion bibliographique, plateformes de veille, médias sociaux, widgets, catalogues de bibliothèque, etc.) prennent deux formes : une simple présentation de l’outil, de son éditeur, des ses points forts, de ses points faibles ou une véritable description du fonctionnement avec des copies d’écran commentées.
Les comptes-rendus de manifestation
Dans ces billets, le praticien rend compte d’une manifestation à laquelle il a assisté : mise en ligne de ses notes prises au cours d’une conférence, synthèse du déroulement de l’événement et des interventions, présentation des lieux illustrée de quelques clichés photographiques, etc. Quant aux commentaires, ils sont de l’ordre de 2 par billet et expriment le plus souvent des messages de remerciement et délivrent parfois un compte-rendu de la manifestation lorsque leurs auteurs y ont également assisté.
Les comptes-rendus d’intervention dans une manifestation
Ces billets rendent compte d’une intervention que le blogueur a réalisée dans une journée d’étude, un séminaire, etc. Ils commencent généralement par « J’ai eu la chance de participer à … », « J’ai eu le plaisir de participer… ». L’ intervention est parfois relatée : le blogueur la contextualise, explique ce qu’il a vu. Le texte de leur intervention peut être repris, tout en étant coupé ou partiellement réécrit: « Je reprends ici, avec quelques coupes, le texte dont je me suis servi hier... ». Les supports utilisés lors de cette intervention et notamment les diaporamas sont dans la majeure partie des cas mis à disposition. Hébergés au sein de la plateforme Slideshare, plus rarement de Prezi, ils sont accessibles à partir du blog.
Discussion et conclusion
Notre étude a montré que le partage et la construction de connaissances au sein de la communauté de savoir que représente la blogosphère infodoc passe par la production de documents de différentes natures et de différentes fonctions : des documents primaires tels que les billets de point de vue qui ont avant tout une visée argumentative ou les comptes-rendus d’expérience qui ont une visée descriptive et vise à formaliser des connaissances tacites ou à partager un savoir-faire ; des documents secondaires comme les listes de liens à visée informative et prescriptive ou les synthèses sur un sujet à visée essentiellement didactique et visant à partager des connaissances plutôt explicites.
Si certains billets relèvent de genres discursifs propres à l’autopublication en ligne, à l’instar de la liste de liens hypertextes ou de la revue de tweets, d’autres billets s’inscrivent dans des genres qui traversent la frontière en ligne/hors ligne et qui pourraient très bien être accueillis dans une revue professionnelle. Dans son étude des genres discursifs présents dans la revue Documentaliste-Sciences de l’information, Viviane Couzinet (2000) a mis en exergue l’existence d’articles de point de vue, de descriptifs outil ou encore de synthèses sur un sujet auxquels font écho certains types de billets mis en exergue par notre étude. Cela montre que les habitudes discursives adoptées par les praticiens de l’information dans les revues professionnelles se déplacent au sein de leur blog. Ce dernier devient donc un moyen parmi tant d’autres de diffuser de l’information professionnelle, moyen plus rapide et plus souple puisque libéré des contraintes de la chaîne éditoriale classique.
Notre étude a également mis en avant l’existence de quatre grands projets info-communicationnels traversant la blogosphère infodoc. Le premier projet est un projet de réflexion et d’interpellation incarné principalement par les « billets de point de vue » dans lesquels les blogueurs développent une réflexion personnelle en lien avec leur activité professionnelle. Ils n’hésitent pas à faire part de leurs opinions, à prendre position et à interpeller le lecteur. Le deuxième projet est un projet de signalement : annonce de manifestation ou de parution d’ouvrage à venir, signalement de contenu publié au sein d’autres blogs ou d’autres sites. À cette fonction de signalement s’ajoute une dimension de prescription au sens où les blogueurs recommandent la lecture des billets ou parutions signalés. Le troisième projet est un projet didactique, perceptible à travers certains types de billets dont la fonction est de transmettre une connaissance : une connaissance plutôt tacite dans les comptes-rendus d’expérience et plutôt explicite dans les billets de synthèse. Enfin, le quatrième et dernier projet est un projet d’autopromotion au sens où les blogueurs font la publicité de leurs travaux, rendent visibles leurs différentes interventions lors de journées d’étude, de colloques ou de séminaires et tiennent régulièrement leurs lecteurs informés de leur actualité professionnelle. En prenant position sur des problématiques qui traversent leur profession, en partageant leurs savoirs et savoir-faire, en se mettant en scène à travers les contenus qu’ils publient, ils se positionnent sur des niches d’expertise et contribuent à la mise en visibilité de leur propre expertise. Ainsi, ce projet d’autopromotion participe de la construction de leur identité numérique et dépasse la seule blogosphère pour s’inscrire dans un véritable écosystème ou différents outils du Web sont mis en réseau : Twitter, Slideshare, Prezi, etc.
Pour conclure, nous pouvons dire que la blogosphère infodoc, à travers les différentes pratiques et les différents projets info-communicationnels de ses acteurs, exerce une mosaïque de médiations : médiations de documents primaires et secondaires, médiations documentaires visant à favoriser la circulation d’informations et de savoirs professionnels, médiations identitaires visant à une mise en visibilité de l’expertise de chacun, mais aussi des problématiques et des thématiques qui traversent actuellement les différents mondes de l’information-documentation.
Bibliographie
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CONEIN B. (2004). Communautés épistémiques et réseaux cognitifs : coopération et cognition distribuée. Revue d’économie politique, n°113, p. 141-159.
[COUZINET V] ↑ . (2000). Médiations hybrides. Le documentaliste et le chercheur en sciences de l’information. Paris : ADBS Éditons, 340 p.
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[Georges, 2009] ↑ GEORGES F. (2009). Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0. Réseaux, vol. 2, n° 154, p. 165-193.
HAAS P. (1992). Introduction: Epistemic Communities and International Policy Coordination. International Organization, vol. 46, n°1, p. 1-35.
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LEHTI L. (2011). Blogging politics in various ways: A Typology of French politicians blogs. Journal of Pragmatics, vol. 43, n° 6, p. 1610-1627.
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Notes
- ↑ Les 4,12% restant sont composés d’images ou de photos que le blogueurs souhaite partager, de traductions d’articles ou de billets en anglais, de comptes-rendus de visite (musée, bibliothèque) ou encore de présentations de vœux à l’occasion des fêtes de fin d’année.
- ↑ http://www.paralipomenes.net/archives/5508
- ↑ http://bibliotheques.wordpress.com/2011/02/01/dissemination-pour-faire-le-point/