CIDE (2009) Slodzian : Différence entre versions

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Sans entrer dans le détail d’une analyse textométrique qui n’est pas ici notre propos, nous tâcherons dans les paragraphes suivant de proposer  des grilles interprétatives générales destinées à mieux circonscrire d’un point de vue linguistique les différences de traitement de l’information et d’organisation ou de production des connaissances, pour une thématique semblable, dans ces deux types de discours. Nous aborderons tour à tour les statuts macroscopiques du texte, de l’information et de la connaissance.
 
Sans entrer dans le détail d’une analyse textométrique qui n’est pas ici notre propos, nous tâcherons dans les paragraphes suivant de proposer  des grilles interprétatives générales destinées à mieux circonscrire d’un point de vue linguistique les différences de traitement de l’information et d’organisation ou de production des connaissances, pour une thématique semblable, dans ces deux types de discours. Nous aborderons tour à tour les statuts macroscopiques du texte, de l’information et de la connaissance.
  
4.1.1 Le statut du texte
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====Le statut du texte====
  
 
Sites institutionnels
 
Sites institutionnels
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Exposition
 
Exposition
 
Construction
 
Construction
Figure 1. Statut différentiel des textes des deux sous-corpus
 
  
On observe que les sites institutionnels adoptent une perspective qui se présente comme objective. Ils mettent à distance l’objet. Ainsi, les différents actants des textes sont par exemple « les fumeurs »,  « le  fumeur », « le tabac », « la nicotine », des entités abstraites  correspondant éventuellement à des positions ontologiques. A l’inverse, les forums privilégient la subjectivité. On y relève de nombreux marqueurs identitaires et de coordonnées spatiotemporelles, tels que les pronoms personnels, des déictiques (« moi », « je »). Le tabac ou les substances sont peu actualisées, on leur préfère les objets « clope » ou
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« cigarette » qui correspondent à une pratique concrète (après le repas, on fume une cigarette, pas du tabac). La cigarette, enfin, est un objet personnel qui relève de l’identitaire ou, dans le cas du tabagisme socialisant, du proximal (la relation de soi à l’autre). Le tabac est à l’inverse vu comme une plante, une substance, sa conceptualisation est scientifique donc distale – elle ressortit à une mise à distance.
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[[Fichier:CIDE (2009) Slodzian fig 1.gif|center|400px|thumb|Figure 1. Statut différentiel des textes des deux sous-corpus]]
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On observe que les sites institutionnels adoptent une perspective qui se présente comme objective. Ils mettent à distance l’objet. Ainsi, les différents actants des textes sont par exemple « les fumeurs »,  « le  fumeur », « le tabac », « la nicotine », des entités abstraites  correspondant éventuellement à des positions ontologiques. A l’inverse, les forums privilégient la subjectivité. On y relève de nombreux marqueurs identitaires et de coordonnées spatiotemporelles, tels que les pronoms personnels, des déictiques (« moi », « je »). Le tabac ou les substances sont peu actualisées, on leur préfère les objets « clope » ou « cigarette » qui correspondent à une pratique concrète (après le repas, on fume une cigarette, pas du tabac). La cigarette, enfin, est un objet personnel qui relève de l’identitaire ou, dans le cas du tabagisme socialisant, du proximal (la relation de soi à l’autre). Le tabac est à l’inverse vu comme une plante, une substance, sa conceptualisation est scientifique donc distale – elle ressortit à une mise à distance.
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Enfin, la fonction des textes institutionnels est exposante. Ils exposent les risques  liés  au  tabagisme  sur  un  mode  dysphorique  (« cancer »,
 
Enfin, la fonction des textes institutionnels est exposante. Ils exposent les risques  liés  au  tabagisme  sur  un  mode  dysphorique  (« cancer »,
 
« maladie », etc.) tandis que les textes informels sont davantage dans la construction d’un savoir, l’élaboration d’une connaissance à partager.
 
« maladie », etc.) tandis que les textes informels sont davantage dans la construction d’un savoir, l’élaboration d’une connaissance à partager.
  
4.1.2 Le statut de l’information
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====Le statut de l’information====
 
 
 
 
  
 
Sites institutionnels
 
Sites institutionnels
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Sanctionnée Haut niveau
 
Sanctionnée Haut niveau
 
Débattue Bas niveau
 
Débattue Bas niveau
Figure 2. Statut différentiel de l’information dans les deux sous-corpus
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[[Fichier:CIDE (2009) Slodzian fig 2.gif|center|400px|thumb|Figure 2. Statut différentiel de l’information dans les deux sous-corpus]]
  
 
L’information des sites institutionnels est sanctionnée par le corps médical, elle est dite de « haut niveau », les produits de substitution présentés sont par exemple ceux valider par la recherche médicale (ou pharmaceutique) : « substitut nicotinique », « patch » ; « aide médicale »,
 
L’information des sites institutionnels est sanctionnée par le corps médical, elle est dite de « haut niveau », les produits de substitution présentés sont par exemple ceux valider par la recherche médicale (ou pharmaceutique) : « substitut nicotinique », « patch » ; « aide médicale »,
 
« consultation tabacologique », etc. Dans les forums et les blogues, l’information est débattue, dialectisée, les classes sémantiques produites sont davantage liées à des pratiques de sevrage qu’à des catégories générales. On pourrait y trouver pêle-mêle « chewing-gum », « coup de fil à une copine », « verre d’eau », « footing », etc.). L’information n’est pas sanctionnée et peut-être considérée comme de bas niveau (par exemple, un internaute rapporte avoir recouru au cannabis comme substitut nicotinique).
 
« consultation tabacologique », etc. Dans les forums et les blogues, l’information est débattue, dialectisée, les classes sémantiques produites sont davantage liées à des pratiques de sevrage qu’à des catégories générales. On pourrait y trouver pêle-mêle « chewing-gum », « coup de fil à une copine », « verre d’eau », « footing », etc.). L’information n’est pas sanctionnée et peut-être considérée comme de bas niveau (par exemple, un internaute rapporte avoir recouru au cannabis comme substitut nicotinique).
  
4.1.3 Le statut des connaissances
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====Le statut des connaissances====
  
  
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Mots-clés, concepts
 
Mots-clés, concepts
 
Passages-clés, formes sémantiques
 
Passages-clés, formes sémantiques
Figure 3. Statut différentiel des connaissances dans les deux sous-corpus
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[[Fichier:CIDE (2009) Slodzian fig 3.gif|center|400px|thumb|Figure 3. Statut différentiel des connaissances dans les deux sous-corpus]]
  
 
Dans les textes institutionnels, les connaissances existent en amont de la production textuelles, elles relèvent de savoirs scientifiques, médicaux voire encyclopédiques construit dans d’autres situations énonciatives, d’autres pratiques sociales (par exemple, dans des articles scientifiques). Les connaissances sont des concepts déjà lexicalisés, des termes (qui correspondent à des mots-clés) et la textualité a pour fonction  l’exposition et la mise en relation de ces connaissances. Les textes institutionnels « déploient » des ontologies, ou des mondes conceptuels similaires aux connaissances ontologiques. Dans les textes informels, blogs et forums, les connaissances sont produites par le texte. Elles n’existent pas préalablement aux textes mais résultent de l’élaboration ou de la collaboration des auteurs qui construisent des connaissances partagées En rendant compte de pratiques tabagiques et de scénarii de sevrage par exemple, les textes relèvent d’une praxéologie. Les connaissances dès lors ne sont pas données comme préalables à la mise  en texte, elles sont élaborées par la textualité et n’accèdent pas à proprement parler au statut de concepts, mais de préconcepts ou de connaissances préconceptuelles suivant des modalités textuelles particulières que nous décrirons dans le paragraphe suivant.
 
Dans les textes institutionnels, les connaissances existent en amont de la production textuelles, elles relèvent de savoirs scientifiques, médicaux voire encyclopédiques construit dans d’autres situations énonciatives, d’autres pratiques sociales (par exemple, dans des articles scientifiques). Les connaissances sont des concepts déjà lexicalisés, des termes (qui correspondent à des mots-clés) et la textualité a pour fonction  l’exposition et la mise en relation de ces connaissances. Les textes institutionnels « déploient » des ontologies, ou des mondes conceptuels similaires aux connaissances ontologiques. Dans les textes informels, blogs et forums, les connaissances sont produites par le texte. Elles n’existent pas préalablement aux textes mais résultent de l’élaboration ou de la collaboration des auteurs qui construisent des connaissances partagées En rendant compte de pratiques tabagiques et de scénarii de sevrage par exemple, les textes relèvent d’une praxéologie. Les connaissances dès lors ne sont pas données comme préalables à la mise  en texte, elles sont élaborées par la textualité et n’accèdent pas à proprement parler au statut de concepts, mais de préconcepts ou de connaissances préconceptuelles suivant des modalités textuelles particulières que nous décrirons dans le paragraphe suivant.
  
4.2    Entre le texte et le concept, la forme sémantique
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===Entre le texte et le concept, la forme sémantique===
 
La tradition linguistique et terminologique privilégie le lexique, et plus particulièrement les groupes nominaux, dans la détermination des concepts. Or, la linguistique, depuis Saussure, pose que le versant psychique d’un signe, le signifié, ne se confond pas avec le concept. Un concept, au sens linguistique proposé ici, n’est donc pas systématiquement lié à un signe particulier, il peut s’actualiser dans une forme sémantique, c’est-à-dire un ensemble de valeurs sémantiques systématiquement cooccurrentes et groupées dans différents textes, relativement stabilisées, mais non nécessairement lexicalisé.
 
La tradition linguistique et terminologique privilégie le lexique, et plus particulièrement les groupes nominaux, dans la détermination des concepts. Or, la linguistique, depuis Saussure, pose que le versant psychique d’un signe, le signifié, ne se confond pas avec le concept. Un concept, au sens linguistique proposé ici, n’est donc pas systématiquement lié à un signe particulier, il peut s’actualiser dans une forme sémantique, c’est-à-dire un ensemble de valeurs sémantiques systématiquement cooccurrentes et groupées dans différents textes, relativement stabilisées, mais non nécessairement lexicalisé.
 
Par exemple, si les mots « tabac » et « choix » sont en cooccurrence dans un texte et « fumer » et « liberté » dans un autre, on peut avoir deux fois la    même    forme    sémantique    composée    minimalement    des traits
 
Par exemple, si les mots « tabac » et « choix » sont en cooccurrence dans un texte et « fumer » et « liberté » dans un autre, on peut avoir deux fois la    même    forme    sémantique    composée    minimalement    des traits
  
 
sémantiques /fumer/ et /liberté/ (à considérer que ces traits sémantiques sont contenus dans les signifiés de ces différentes unités lexicales). Ainsi dans les deux extraits ci-dessous, la forme sémantique /fumer/+/liberté/ est actualisée de façon différentes :
 
sémantiques /fumer/ et /liberté/ (à considérer que ces traits sémantiques sont contenus dans les signifiés de ces différentes unités lexicales). Ainsi dans les deux extraits ci-dessous, la forme sémantique /fumer/+/liberté/ est actualisée de façon différentes :
Opter pour la consommation du tabac/fumer/ relève du choix/liberté/ personnel de l’individu. (http://www.orinfor.gov.rw/DOCS/Sante47.htm)
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Le citoyen est libre/liberté/ de fumer/fumer/ ou de ne pas fumer,  de manger de la salade si ça lui chante et des rillettes s’il en a envie (http://www.le-tigre.net/Fumer-ne-tue-pas.html)
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#Opter pour la consommation du tabac/fumer/ relève du choix/liberté/ personnel de l’individu. (http://www.orinfor.gov.rw/DOCS/Sante47.htm)
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#Le citoyen est libre/liberté/ de fumer/fumer/ ou de ne pas fumer,  de manger de la salade si ça lui chante et des rillettes s’il en a envie (http://www.le-tigre.net/Fumer-ne-tue-pas.html)
 
On  pourrait  évidemment  enrichir  cette  forme  sémantique  des  traits
 
On  pourrait  évidemment  enrichir  cette  forme  sémantique  des  traits
 
/personne/ ou /humain/ mais cette cooccurrence simple est en soi suffisante. Il ne s’agit pas d’un concept à proprement parler mais d’une connaissance préconceptuelle non lexicalisée susceptible de se stabiliser. Cette stabilisation peut mener à un figement lexical (par exemple le syntagme « liberté de fumer ») ou à la constitution de connaissances communes partagées.
 
/personne/ ou /humain/ mais cette cooccurrence simple est en soi suffisante. Il ne s’agit pas d’un concept à proprement parler mais d’une connaissance préconceptuelle non lexicalisée susceptible de se stabiliser. Cette stabilisation peut mener à un figement lexical (par exemple le syntagme « liberté de fumer ») ou à la constitution de connaissances communes partagées.
 
Selon (Rastier 2008), ce que nous appelons ici connaissance préconceptuelle (ou préconnaissance) constitue une connaissance :
 
Selon (Rastier 2008), ce que nous appelons ici connaissance préconceptuelle (ou préconnaissance) constitue une connaissance :
 
Une connaissance est un ensemble de passages de textes (éventuellement multimédia) : dans leurs récurrences, le contenu de ces passages (les fragments) et leurs expressions (les extraits) sont en relation de transformation, ne serait-ce que par changement de position.
 
Une connaissance est un ensemble de passages de textes (éventuellement multimédia) : dans leurs récurrences, le contenu de ces passages (les fragments) et leurs expressions (les extraits) sont en relation de transformation, ne serait-ce que par changement de position.
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Résultant de figements et de réductions de syntagmes, les mots sont une sorte très particulière de ces passages, et comme les autres passages, ils restent impossibles  à interpréter sans recontextualisation.
 
Résultant de figements et de réductions de syntagmes, les mots sont une sorte très particulière de ces passages, et comme les autres passages, ils restent impossibles  à interpréter sans recontextualisation.
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En somme, la connaissance est issue d’une décontextualisation de certaines  formes sémantiques saillantes et des expressions qui leur correspondent.
 
En somme, la connaissance est issue d’une décontextualisation de certaines  formes sémantiques saillantes et des expressions qui leur correspondent.
  
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5 Conclusion
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==Conclusion==
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En tant que Système d’Organisation des Connaissances, les textes ne permettent pas de niveler les connaissances ni des les laisser indifférenciées. Les ontologies, en globalisant les connaissances, les dé- situent, au détriment de la pertinence.
 
En tant que Système d’Organisation des Connaissances, les textes ne permettent pas de niveler les connaissances ni des les laisser indifférenciées. Les ontologies, en globalisant les connaissances, les dé- situent, au détriment de la pertinence.
  
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Remerciements : Nous remercions toute l’équipe du projet  C-MANTIC, ainsi que Manuel Zacklad et Alain Giboin qui ont sollicité ce débat en organisant l’atelier Modèles, méthodes, pratiques pour la conception de logiciels basés sur des SOC à la plateforme AFIA 2009.
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'''Remerciements''' : Nous remercions toute l’équipe du projet  C-MANTIC, ainsi que Manuel Zacklad et Alain Giboin qui ont sollicité ce débat en organisant l’atelier Modèles, méthodes, pratiques pour la conception de logiciels basés sur des SOC à la plateforme AFIA 2009.
  
  
6 Références bibliographiques
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==Références bibliographiques==
 
Barlow, J.P., 1994, A taxonomy of information, in Bulletin of the American Society for Information Science, 20, 13-17
 
Barlow, J.P., 1994, A taxonomy of information, in Bulletin of the American Society for Information Science, 20, 13-17
 
Coates, E.J., 1978, Classification in Information Retrieval : Headings and Structure. London, Library Association
 
Coates, E.J., 1978, Classification in Information Retrieval : Headings and Structure. London, Library Association

Version du 5 juillet 2016 à 10:21

Connaissances prescrites ou connaissances décrites ? L’apport de la sémantique des textes.


 
 

 
titre
Connaissances prescrites ou connaissances décrites ? L’apport de la sémantique des textes.
auteurs
Monique Slodzian (1), Mathieu Valette (2).
Affiliations
(1):CRIM-ERTIM (EA 2520) INaLCO, Paris
(2) :ATILF (UMR 7118) CNRS, Art Diagnosis Centre, 63071 Ormylia, Greece
In
CIDE.12 (Montréal), 2009
En PDF 
CIDE (2009) Slodzian.pdf
Mots-clés 
Connaissances prescrites, Vérité forte/vérité faible, Systèmes d’organisation des connaissances, Sémantique des textes, Parcours interprétatif, Planification de l’information, Forme sémantique, Thématisation, Lexicalisation.
Keywords
Prescriptive knowledge, Strong/weak truth, Knowledge Organisation Systems, Text Semantics, Interpretative path, Information planification, Semantic form, thematisation, lexicalisation.
Résumé
L’article vise à montrer que le modèle collaboratif de communication des connaissances revendiqué par le Web 2.0 ne rompt pas de manière significative avec le modèle épistémologique antérieur, issu du positivisme logique, notamment par son primat référentialiste prescriptif. En postulant in fine l’existence de concepts primitifs partagés, il est conduit à reproduire les mêmes limites que le Web sémantique fondé sur un socle de métadonnées réputées universelles. Par ailleurs, une acceptabilité indiscutée des connaissances de vérité faible pose des problèmes de fiabilité et de garantie susceptibles de compromettre le succès du modèle. L’article entend démontrer dans une deuxième partie en quoi la sémantique des textes peut contribuer à objectiver les connaissances par la description de parcours interprétatifs. Considérant que les textes relèvent d’une planification de l’information, l’article explicite la notion de forme sémantique, entre le texte et le concept, et envisage la possibilité de faire émerger des préconnaissances non encore lexicalisées. Cette proposition théorique est illustrée à partir de discours de prévention contre le tabagisme issus du Web.