CIDE (2007) Rousseaux : Différence entre versions

De CIDE
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(Collections figurales versus non-figurales)
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:''« Si l’enfant est certes capable, dès le niveau sensori-moteur, d’assimilations successives constituant les ressemblances, il peut cependant y avoir, dès ces assimilations, glissement de la ressemblance à la contiguïté, celle-ci fournissant le principe d’une affinité plus large venant de la forme d’ensemble géométrique ou de la convenance empirique. Mais surtout, d’autre part, ces assimilations n’étant que successives, rien ne permet encore au sujet de quantifier ses résultats et de leur attribuer une extension en réunissant en un tout simultané « tous » les éléments auxquels elles s’appliquent. Le problème est donc de constituer un substrat quelconque pouvant servir d’extension à cette compréhension fournie par les assimilations successives : cherchant à construire la collection correspondant à ses assimilations successives, mais ne possédant pas encore tous les instruments opératoires qui permettent de traduire celles-ci en des « tous » et des « quelques » assurant le réglage des extensions correspondantes, le sujet procède tantôt de la compréhension à l’extension, tantôt de l’extension à la compréhension, et non pas selon un principe de correspondance univoque et réciproque, mais par simple indifférenciation, et par une indifférenciation qui prolonge, mais en la renforçant considérablement, celle de la ressemblance et de la contiguïté déjà à l’œuvre sur le plan des assimilations de départ.''
 
:''« Si l’enfant est certes capable, dès le niveau sensori-moteur, d’assimilations successives constituant les ressemblances, il peut cependant y avoir, dès ces assimilations, glissement de la ressemblance à la contiguïté, celle-ci fournissant le principe d’une affinité plus large venant de la forme d’ensemble géométrique ou de la convenance empirique. Mais surtout, d’autre part, ces assimilations n’étant que successives, rien ne permet encore au sujet de quantifier ses résultats et de leur attribuer une extension en réunissant en un tout simultané « tous » les éléments auxquels elles s’appliquent. Le problème est donc de constituer un substrat quelconque pouvant servir d’extension à cette compréhension fournie par les assimilations successives : cherchant à construire la collection correspondant à ses assimilations successives, mais ne possédant pas encore tous les instruments opératoires qui permettent de traduire celles-ci en des « tous » et des « quelques » assurant le réglage des extensions correspondantes, le sujet procède tantôt de la compréhension à l’extension, tantôt de l’extension à la compréhension, et non pas selon un principe de correspondance univoque et réciproque, mais par simple indifférenciation, et par une indifférenciation qui prolonge, mais en la renforçant considérablement, celle de la ressemblance et de la contiguïté déjà à l’œuvre sur le plan des assimilations de départ.''
  
:''En effet, tantôt l’enfant met « les mêmes » avec les mêmes, et ici la compréhension détermine l’extension comme ce sera le cas sur le terrain des classifications logiques ultérieures ; mais tantôt il ajoute un élément pour compléter la collection ébauchée dans le sens de sa forme d’ensemble, c’est-à-dire de son extension naissante, et en ce cas c’est bien l’extension qui détermine la compréhension. Cette détermination peut alors se présenter sous deux variétés distinctes, mais équivalentes : ou bien il s’agit de la forme géométrique de la collection, et un élément viendra en compléter d’autres en vue de cette forme d’ensemble sans pour autant qu’il y ait ressemblance proprement dite entre les éléments : ou bien il s’agit d’objets quelconques et un élément sera choisi pour compléter les autres en vue de constituer une totalité cohérente, de telle sorte que, cette fois, la ressemblance est oubliée au profit d’une convenance empirique tirée de l’expérience antérieure vécue par le sujet. Dans les deux cas, seule la forme d’ensemble de la collection lui fournit ses conditions et en ce sens c’est bien cette extension plastique et autonome qui détermine les compréhensions. »
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:''En effet, tantôt l’enfant met « les mêmes » avec les mêmes, et ici la compréhension détermine l’extension comme ce sera le cas sur le terrain des classifications logiques ultérieures ; mais tantôt il ajoute un élément pour compléter la collection ébauchée dans le sens de sa forme d’ensemble, c’est-à-dire de son extension naissante, et en ce cas c’est bien l’extension qui détermine la compréhension. Cette détermination peut alors se présenter sous deux variétés distinctes, mais équivalentes : ou bien il s’agit de la forme géométrique de la collection, et un élément viendra en compléter d’autres en vue de cette forme d’ensemble sans pour autant qu’il y ait ressemblance proprement dite entre les éléments : ou bien il s’agit d’objets quelconques et un élément sera choisi pour compléter les autres en vue de constituer une totalité cohérente, de telle sorte que, cette fois, la ressemblance est oubliée au profit d’une convenance empirique tirée de l’expérience antérieure vécue par le sujet. Dans les deux cas, seule la forme d’ensemble de la collection lui fournit ses conditions et en ce sens c’est bien cette extension plastique et autonome qui détermine les compréhensions. »''
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==Nous sommes tous des collectionneurs==
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Dans la vie courante, nous sommes souvent confrontés à des collections, même lorsque nous sommes loin de l’imaginer et d’en faire état. Et cela ne concerne pas seulement le collectionneur constituant une collection d’œuvres d’art (de peinture par exemple) ou le visiteur parcourant une collection accrochée à l’occasion d’un vernissage, ou encore le transporteur chargé de déplacer cette collection pour l’acheminer vers un nouveau lieu d’exposition. Les collections sont beaucoup plus présentes dans nos vies quotidiennes que nous le pensons généralement.
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D’ailleurs, dans le domaine en pleine expansion des outils d’aide à l’interprétation, de nombreuses applications informatisées actuelles ou potentielles, à y bien regarder, nous assistent dans nos rapports constitutifs de collections<ref>Sur cette question, on trouvera une intéressante argumentation dans (Pachet, 2004).</ref>. Un passionné de musique qui recherche des pièces au travers d’outils interactifs de fouille par les contenus, un étudiant qui élabore un document en naviguant sur la toile pour inspirer sa création, ou encore un ingénieur qui interagit avec ses collègues pour élaborer un plan de travail<ref>Cette fois, ce sont les travaux du groupe de travail Pédauque qu’on pourrait consulter pour se convaincre de cet aspect important des choses (Pédauque, 2006).</ref>, tous ces acteurs procèdent à des constitutions de collections.
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Mais pourquoi laisser entendre le primat de la collection sur les objets collectionnés eux-mêmes ? D’ordinaire, on comprend la collection comme ''collection de quelque chose'', et ces choses sont pensées comme préexistant à la collection, plus originaires qu’elle en quelque sorte. Entendons-nous bien : en affirmant le primat de la collection sur les objets collectionnés, il n’est pas simplement question de proposer un amendement lexical pour parler de collections là où l’on parle habituellement d’ensembles, de classes, de groupes, de catégories, d’amas et d’objets. Ce qu’au contraire nous voulons montrer en introduisant la notion de collection à l’origine de la pensée des choses, c’est que sa promotion à la racine de nos dispositifs catégoriels et conceptuels permet de revisiter le réel de nombre de nos activités cognitives, et par suite de viser avec plus d’exigence l’adéquation de nos outils d’aide informatisée à cette réalité.
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Au fond, nous agissons, vivons et imaginons toujours dans une perspective donnée, dans un cadre donné, limité et fini … Bien sûr ce cadre n’en est pas figé pour autant, et évolue corrélativement aux options d’action que nous prenons… Mais il y a ''toujours-déjà'' un cadre, une mise en scène, un projet, un plan, une intention qui dimensionne notre investissement et notre rapport aux choses.
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Et c’est la raison pour laquelle nos activités interprétatives sont ''toujours-déjà'' engagées dans leur continuation et leur perduration, et ne prennent sens que dans l’horizon et la perspective des tentatives qui les ont précédées. Les fictions opérationnelles de la sphère du social sont souvent mobilisées pour sanctuariser nos expériences individuelles, en proposant certes de particulariser nos vécus singuliers, mais surtout en offrant des « sorties honorables » à nos expériences potentiellement dévastatrices. C’est ainsi que l’on peut vivre de fortes émotions à l’opéra tout en comptant sur les entractes et la fin du spectacle pour nous extraire des situations fictives qui nous ont tant émus. Même si certaines d’entre elles laisseront des empreintes indélébiles sur nos affects …
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Il est donc vain de chercher à décrire ou modéliser les sensations procurées par l’écoute musicale d’une pièce par une personne en faisant mine de croire que tout se passe dans le rapport immédiat et amnésique de cette personne à cet objet, sans antériorité de la relation et sans pratique typique de cette relation. Bref, ce que j’écoute dans telle pièce de musique s’inscrit dans un projet et hérite d’une conduite antérieure motivée et de projets orientés. C’est en ce sens précis que la pièce courante s’inscrit dans la collection des pièces déjà écoutées, et vient la compléter comme un tout aménageable encore [{{CIDE lien citation|3}}].
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D’une certaine manière, écouter de la musique revient à collectionner des œuvres ou des parties d’œuvres, comme voyager revient à parcourir des situations qui « font motifs »<ref>Parfois même, comme l’a proposé Modeste Moussorgski avec ses célèbres Tableaux d’une exposition pour piano, les deux démarches se conjoignent.</ref>.
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==Vers un formalisme orienté collections==
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===Nos outils sont-ils adaptés aux collections qui nous habitent ?===
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Si les collections ont tellement d’importance dans nos vies interprétatives, la question de la place que leur font nos outils intelligents devient du même coup une question très intéressante.
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Reprenons l’exemple d’une collection d’art, disons de tableaux pour fixer les idées. Dans un système informatisé, cette COLLECTION est souvent considérée comme une réunion ensembliste d’œuvres d’art, approchable par une arborescente sémantique mettant le poids fort sur la catégorie d’OBJET_D’ART. Et lorsqu’on modélise le système, on élabore typiquement un modèle articulé sur une triple relation :
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*chaque objet d’art est déclaré comme faisant PARTIE_DE ladite COLLECTION ;
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*chaque objet d’art hérite de certaines propriétés de l’ensemble de la COLLECTION, par exemple le nom de son propriétaire ;
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[[fichier: CIDE 7 Rousseaux.jpg|600px|thumb|center]]
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*l’ACCROCHAGE de la COLLECTION est un ordre sur les objets d’art, un graphe ordonné qui séquence la collection.
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[[fichier: CIDE 7 Rousseaux2.jpg|600px|thumb|center]]
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Par ailleurs, des procédures lient les objets d’art à la collection, comme l’évaluation de la valeur marchande globale de la collection, ou encore des descriptions artistiques de telle ou telle caractéristique de la collection.
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Un tel modèle convient pour décrire efficacement le travail du transporteur d’œuvres ou celui du documentaliste chargé de rédiger un catalogue de l’exposition. Peut-être aussi au banquier en charge des affaires du collectionneur. En d’autres termes, la gestion de la collection serait convenablement descriptible dans ce cadre. Ici, trois catégories suffisent : OBJET_D’ART, ACCROCHAGE, COLLECTION. Les OBJETS_D’ART sont PARTIES de la COLLECTION.
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Mais une collection n’est-elle opérante qu’à travers le régime de sa gestion ? Certes non. Le collectionneur, tout comme le visiteur amateur d’art, ne reçoit pas une collection comme un ensemble d’œuvres. Tout d’abord parce qu’une œuvre, l’œuvre singulière à laquelle vous faites face, cache toujours les autre pièces de la collection. Une œuvre cache ce qu’elle ne montre pas. Comme dans la situation du pasteur évangélique mobilisé par la brebis égarée au détriment du troupeau, la collection ne se montre jamais que dans l’actualité d’une confrontation singulière, irréductible même à une confrontation particulière, qui serait une forme déjà généralisable de confrontation. Dans son régime phénoménologique, la collection se distingue ainsi définitivement de son régime gestionnaire. Ici, ma rencontre avec l’œuvre est toujours définitivement singulière, et la collection est l’arrière-plan qui promet à la fois la continuation/reproduction de l’expérience et sa terminaison, condition de possibilité pour, à la fois, entrer dans le monde de l’œuvre, et savoir qu’on pourra en sortir. La collection est le cadre et l’assurance mondaine d’une expérience singulière.
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Aussi la collection se manifeste-t-elle également comme accrochage particulier, comme offre de parcours organisés. Au plan de sa réception, elle se fait alors procession, constituée dans le fil de l’actualisation du parcours. En situation de visite ou même, pour le collectionneur, en situation d’acquisition imminente, c’est un graphe de précédences qui caractérise le mieux la collection, chaque confrontation avec une œuvre donnant lieu à une étape distincte, y compris si l’œuvre est revisitée [{{CIDE lien citation|4}}].
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Ainsi, deux figures distinctes pour une même collection, ou plutôt deux régimes de donation qu’on discerne aisément en situation, sont à l’œuvre dans les collections :
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*un régime gestionnaire, marqué par la figure de l’objet d’art ;
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*un régime phénoménologique, marqué par la figure du parcours interprétatif et de la donation toujours singulière au travers d’une œuvre.
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Aucun de ces deux régimes n’étant spontanément réductible à l’autre, il convient de prendre acte de cette irréductibilité pour penser la collection comme une catégorie à deux dimensions originelles.
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===Modélisation du régime « phénoménologique » des collections===
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Ici, le régime de la gestion et ses entités OBJET_D’ART, ACCROCHAGE et COLLECTION n’a plus cours. Leur sont substituées les catégories d’ŒUVRE_D’ART, de PROCESSION et de VISITATION.
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Certes, l’ŒUVRE_D’ART réside sous condition de l’OBJET_D’ART, mais aussi de la PROCESSION, qui est la trace courante du parcours de la VISITATION, lui-même sous condition de l’ACCROCHAGE. Quant à ce que nous proposons d’appeler la VISITATION, elle consiste en une PROCESSION déclarée achevée (même si tous les objets d’art n’ont pas été fréquentés). La question de la terminaison est ici très importante, et elle est conditionnée par la COLLECTION et l’ACCROCHAGE certes, mais aussi par des décisions qui ne regardent que le visiteur.
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Ainsi, de nombreux régimes de contextes se dessinent-ils. Un contexte lié à la PROCESSION, un contexte lié à la VISITATION, et un autre lié à la VIE_ARTISTIQUE du visiteur.
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===Vers une axiomatique des collections===
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====Contexte industriel====
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Les outils d’aide informatisée à la recherche d’information sont de plus en plus performants au plan technique, et leur appropriation spectaculaire par le grand public donne légitimement à penser que ce secteur continuera à jouer un rôle clé dans la réduction tant attendue de la fracture numérique.
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Pour tenter de multiplier les chances de succès, l’effort de R&D actuel porte typiquement sur la diversification de l’offre concurrentielle et l’amélioration des performances des outils en présence (taux de rappel, taux de précision, bruit, silence, …), avec en toile de fond la référence aux produits qui conquièrent massivement les usagers, dont le moteur de recherche Google™ reste emblématique.
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Cependant, le marché peut-il encore accueillir de nouveaux acteurs internationaux ? N’est-il pas déjà saturé par des concurrents fortement structurés qui feront tout pour prévenir le déploiement de nouveaux entrants ? Il est probable que seuls des produits fortement innovants pourront tromper la vigilance des grands acteurs et s’imposer sur des marchés qui s’en trouveront déplacés du même coup.
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====Proposition d’un programme de recherche====
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Dans cette perspective, nous formulons une proposition de programme de recherche reposant sur une série d’hypothèses qui aboutissent à un placement différenciateur fortement innovant en matière d’aide à la recherche d’information, susceptible de promouvoir une nouvelle offre stratégique à l’échelle internationale.
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<u>Hypothèse 1 (recentrage stratégique de l’activité de recherche d’information) : </u>
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==Notes==
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Version du 24 mai 2012 à 11:28

Parcourir et constituer nos collections numériques


 
 


 
Titre
Parcourir et constituer nos collections numériques
Auteurs
Francis RousseauxetAlain Bonardi.
francis.rousseaux@ircam.fr
alain.bonardi@ircam.fr
Affiliation
STMS,IRCAM-CNRS, Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique 1, place Igor-Stravinsky – 75004 Paris
Mots-clés
informatique orientée objet ; collections figurales ; collections non-figurales ; ontologies.
Résumé 
L’informatique « à objets » a été inventée pour simuler nos activités de rangement d’objets dans des structures de classes identifiées et étiquetées, et son succès fut, comme l’on sait, immédiat. Une tendance innovante se fait jour depuis peu, caractérisée par la mobilisation de l’informatique « à objets » pour ranger nos collections, considérées comme des amas d’objets en attente de rangement dans des classes ad hoc, qu’il s’agirait cette fois de construire dans le même mouvement. En effet, faire collection est une activité plus originaire que classer, dans la mesure où elle autorise l’expérimentation concurrentielle des concepts 1° en extension (dans le cadre d’une disposition spatiotemporelle, même provisoire et éphémère) et 2° en intension (dans la perspective d’un ordre abstrait de similarités, même métastable). Reste que l’on fait toujours collection de quelque chose, ce qui interdit un typage de l’activité indépendant de ses objets et trouble ainsi les habitudes du modélisateur.

L'étrange statut des collections

La fascination des artistes pour les régimes de la collection

Les artistes ont toujours été très sensibles à l’aspect rebelle des collections, et l’ont évoqué à leur façon. Aussi Walter Benjamin [2], Gérard Wajcman [19] et d’autres [14][18] ont-ils pu esquisser un portrait différentiel des collections, qui contraste étrangement avec la peinture qu’en ferait le sens commun.

Voici par exemple les analyses de Gérard Wajcman (Catalogue de l'exposition inaugurale de la Maison rouge) sur le statut de l'excès dans la collection :

« L'excès dans la collection ne signifie pas accumulation désordonnée ; il est un principe constituant : pour qu'il y ait collection — aux yeux même du collectionneur — il faut que le nombre des œuvres dépasse les capacités matérielles d'exposer et d'entreposer chez soi la collection entière. Ainsi celui qui habite un studio peut parfaitement avoir une collection : il suffira qu'il ne puisse pas accrocher au moins une œuvre dans son studio. Voilà pourquoi la réserve fait partie intégrant des collections. L'excès se traduit tout autant au niveau des capacités de mémorisation : il faut, pour qu'il y ait collection, que le collectionneur ne puisse pas se souvenir de toutes les œuvres en sa possession […]. En somme il faut qu'il y ait assez d'œuvres pour qu'il y en ait trop, que le collectionneur puisse oublier une de ses œuvres, ou qu'il doive en laisser une part hors de chez lui. Disons-le d'une autre façon : pour qu'il y ait collection, il faut que le collectionneur ne soit plus tout à fait maître de sa collection. »

Comme le dit encore Gérard Wajcman, pensant sans doute à Gertrude Stein (Collection), « Si jamais personne ne regarde une collection, c'est qu'une collection n'est pas un tout d'œuvres, mais une série indéfinie d'objets singuliers, une œuvre + une œuvre + une œuvre … ».

La collection, en alternative à l'ontologie formelle, apparaît comme un équilibre métastable émanant d'une tension productive entre structures catégoriques et singularités. À l’opposé du tout organique, la collection n'existerait que pour chacune de ses parties (à l'image de la figure du troupeau dans l'évangile selon Matthieu) et, contrairement à l'ensemble, elle n'existe pas comme unité normative et égalisatrice.

La donation de la collection (sa réception au visiteur ou au collectionneur lui-même, que ce soit en acte d’acquisition ou même de recollection) apparaît en effet sous les espèces paradoxales de l’impossibilité d’une donation comme un tout cohérent, hormis sous le régime réducteur de la gestion. Car de ce point de vue, même le fatras se donne comme un tout cohérent : les objets éparses rejoignent le fatras à partir du prédicat être différent, mais ils deviennent semblables dans un second temps en tant qu'ils ont en commun d'être différents, formant ainsi ce que Jean-Claude Milner appelle une classe paradoxale.

Les collections numériques, entre ordre et désordre

L’informatique « à objets » a été inventée pour simuler nos activités de rangement d’objets dans des structures de classes identifiées et étiquetées [9] [5] [1]. Son succès fut, comme l’on sait, immédiat.

Une tendance innovante se fait jour depuis peu, caractérisée par la mobilisation de l'informatique « à objets » pour ranger nos collections, considérées comme des amas d’objets en attente de rangement dans des classes ad hoc, qu’il s’agirait cette fois de construire en parallèle [16]. Comme le remarque François Pachet [7], « les problèmes nourriciers de l’informatique évoluent avec la société qui les a créés », et l’industrie de l’entertainment, désormais complètement numérique nous stimule par ses problématiques de classification, de recherche, voire de création.

C’est que les collections semblent être plus proches de l’ordre classificatoire que du désordre (qu’il se donne comme tas, amas, cohorte, vrac ou autres fatras) : à tout le moins une collection paraît-elle toujours viser un ordre, même s’il reste provisoirement incomplet et inachevé [13]. Le cabinet de curiosité des savants n’est-il pas exemplaire de la destination des collections, qui est de tomber sous une classification, sous le coup d’une procédure de catégorisation et, finalement, de tri ? Quant aux collections de timbres (pour prendre un autre exemple), n’attendent-elles pas leur complétude catégorielle par l’achèvement des séries commencées ?

En un certain sens donc, il était inévitable qu’on finisse par rapprocher les collections des classes, car à bien des égards elles en paraissent de pâles imitations. Pourtant, quelque chose résiste à ce rapprochement, et quelque part les collections demeurent sournoisement rebelles à l’idée même de classification. C’est ainsi qu’elles peuvent se trouver repoussées jusqu’à côtoyer les singularités, partageant avec elles l’étrange sortilège d’échapper définitivement à toute tentative de rangement (voir, développés dans [15], les exemples du voyage, de l’opéra, du donjuanisme et du troupeau évangélique).

Comment les informaticiens traitent-ils les collections ?

Sans doute impressionnés par les artistes et les philosophes qui se sont interrogés sur l’étrange statut des collections, les concepteurs de programmes « à objets » ont deviné que la modélisation des collections d’objets devait reposer sur des entités informatiques plus ou moins hybrides alliant, aux caractéristiques provenant de l’ordre privé auquel sont habituellement référés les objets, des caractéristiques issues des activités dans lesquelles les objets collectionnés se trouvent collectivement engagés.

Une approche séduisante parce que conservatrice et parcimonieuse

Souvent, l’approche implicitement retenue pour caractériser ainsi une collection fut parcimonieuse, et a consisté à surdéterminer l’organisation de référence privée des objets collectionnés par une description minimale du contexte d’activité collectif, quitte à présumer du devenir-classe de ladite collection. Un exemple-clé est l’organisation de fichiers de morceaux de musique sur ordinateur, que nous allons croiser de nombreuses fois au long de ce texte.

Force est de constater que cette pratique, qui présente il est vrai l’avantage certain de ne pas contrarier fondamentalement la modélisation « à objets », donne lieu à des applications informatisées qui, en les rabattant sur des besoins classiques de type classification, présument souvent des attentes profondes des collectionneurs, pour le meilleur ou pour le pire. C’est ainsi par exemple que François Pachet relate dans [8] un phénomène curieux dont il s’est trouvé sujet malgré lui : utilisateur d’outils d’indexation de morceaux de musique, il a fini par ne plus écouter la musique qu’il téléchargeait, tellement concentré sur l’organisation de ses collections que cet enjeu s’est subrepticement substitué à l’écoute, et qu’il lui a fallu une circonstance anodine pour constater que son dispositif technique d’écoute était débranché depuis longtemps sans que son activité fébrile d’indexation n’ait faibli en aucune façon.

C’est ici qu’il faut distinguer les collections figurales des collections non-figurales. Cette subtile distinction, introduite dès les années soixante-dix par Piaget et ses équipes de recherche en psychologie de l’enfant [11], éclaire en effet la situation d’un jour intéressant : s’il existe certes des collections (non-figurales) qui s’accommodent en effet plutôt bien de l’approche parcimonieuse précitée parce qu’elles sont affranchies de toute intrication avec leur spatialisation (et en cela déjà toutes proches des classes, dont elles n’ont à envier que la complétude formelle), il existe aussi des collections dites figurales parce que leur disposition dans l’espace se fait selon des configurations spatiales qui prescrivent leur signification concurremment aux considérations typiques de la signification des classes.

Collections versus classes

Ainsi selon Piaget, « le propre d’une collection par opposition à une classe est de n’exister que par réunion de ses éléments dans l’espace, et par conséquent de cesser d’exister en tant que collection lorsque ses sous-collections sont dissociées : il en résulte que quand les sous-collections sont réunies sous la forme A + A’, le sujet les rattache bien au tout B = A + A’, mais que quand les sous-collections sont dissociées, dans l’espace ou même simplement en pensée, le sujet ne les rattache plus à la collection totale et se révèle donc inapte à l’opération A = B — A’. »

Curieusement, on voit là s’inverser les affinités de tout à l’heure : les tas, amas, cohorte, vrac et autres fatras, qui eux aussi n’existent que dans l’intimité d’un espace partagé, voisinent désormais avec les collections à quelque différence de degré près, quand les classes se situent dans un ailleurs radical, différent par nature de ces régimes d’organisation à fondement spatial.

Dans leur ouvrage La genèse des structures logiques élémentaires, Jean Piaget et Bärbel Inhelder [11] distinguent plus précisément encore les collections figurales des collections non-figurales, encore appelées collections catégoriales, ou classes. Pour ces auteurs, une classe comporte deux sortes de caractères ou relations, tous deux nécessaires, et suffisant à sa constitution (page 25 de l’édition de 1980) :

  • les qualités communes à ses membres et à ceux des classes dont elle fait partie, ainsi que les différences spécifiques distinguant ses propres membres de ceux d’autres classes (compréhension) ;
  • les relations de partie à tout (appartenances et inclusions) déterminées par les quantificateurs « tous », « quelques » (y compris « un ») et « aucun » appliqués aux membres de la classe considérée et à ceux des classes dont elle fait partie, qualifiés comme extensions de la classe.

Par exemple les chats ont en commun plusieurs qualités que possèdent tous les chats et dont certaines leur sont spécifiques, tandis que d’autres appartiennent aussi à d’autres animaux. Mais il n’intervient dans cette définition de la classe aucune propriété ou relation se référant à une configuration spatiale : les chats peuvent être groupés ou dispersés dans l’espace d’une manière quelconque sans que cela ne change rien aux propriétés (1) et (2) de cette classe. Sans doute les relations d’inclusion caractérisées sous (2) peuvent donner lieu à une structuration de nature topologique, et par conséquent spatiale, mais c’est alors en utilisant l’isomorphisme qu’il est permis d’établir entre la structure algébrique des emboîtements en jeu et certaines structures topologiques d’enveloppement, sans que l’intervention d’un espace soit en rien nécessaire à la description complète des classes.

Collections figurales versus non-figurales

Piaget parle au contraire de « collections figurales » lorsque leur disposition dans l’espace se fait selon des configurations spatiales qui comportent une signification du point de vue des propriétés (1) ou (2).

« En un mot, la collection figurale constituerait une figure en vertu même des liaisons entre ses éléments comme tels, tandis que les collections non-figurales et les classes seraient indépendantes de toute figure, y compris les cas où elles sont symbolisées par des figures et malgré le fait qu’elles peuvent ainsi donner lieu à des isomorphismes avec des structures topologiques. »

Or ce sont précisément ces collections figurales dont l’informatique « à objets » se laisse de plus en plus fréquemment entraîner à promettre la modélisation efficace, poussée par une demande sociale accrue que concernent directement la fouille de données numériques en ligne, la navigation interactive dans des contenus multimédia ou la recherche d’information au travers de sources multiples [12], [16]. En effet, qu’est-ce qu’écouter de la musique en ligne si ce n’est constituer une collection, quelquefois certes fugace et éphémère, mais toujours figurale en ce sens que sa constitution singulière, sous condition fragile de la continuation, dépend étroitement de la figure temporelle de son déploiement dans la durée ?

Reste que, et on l’aura deviné, les collections figurales s’accommodent très mal de leur assimilation à des collections non-figurales ou à des classes (même si selon Piaget, elles ont vocation à devenir classes, de même que les sujets vont se développer psychiquement pour améliorer leur capacité cognitive à classer). C’est que, selon Piaget toujours, les collections figurales sont vécues sous le signe d’une indifférenciation radicale, qui les rend récalcitrantes à la modélisation classique.

Pour s’en convaincre examinons la manière dont le grand psychologue suisse, dans La genèse des structures logiques élémentaires, traduit la situation expérimentale de l’enfant qui constitue une collection figurale (page 51) :

« Si l’enfant est certes capable, dès le niveau sensori-moteur, d’assimilations successives constituant les ressemblances, il peut cependant y avoir, dès ces assimilations, glissement de la ressemblance à la contiguïté, celle-ci fournissant le principe d’une affinité plus large venant de la forme d’ensemble géométrique ou de la convenance empirique. Mais surtout, d’autre part, ces assimilations n’étant que successives, rien ne permet encore au sujet de quantifier ses résultats et de leur attribuer une extension en réunissant en un tout simultané « tous » les éléments auxquels elles s’appliquent. Le problème est donc de constituer un substrat quelconque pouvant servir d’extension à cette compréhension fournie par les assimilations successives : cherchant à construire la collection correspondant à ses assimilations successives, mais ne possédant pas encore tous les instruments opératoires qui permettent de traduire celles-ci en des « tous » et des « quelques » assurant le réglage des extensions correspondantes, le sujet procède tantôt de la compréhension à l’extension, tantôt de l’extension à la compréhension, et non pas selon un principe de correspondance univoque et réciproque, mais par simple indifférenciation, et par une indifférenciation qui prolonge, mais en la renforçant considérablement, celle de la ressemblance et de la contiguïté déjà à l’œuvre sur le plan des assimilations de départ.
En effet, tantôt l’enfant met « les mêmes » avec les mêmes, et ici la compréhension détermine l’extension comme ce sera le cas sur le terrain des classifications logiques ultérieures ; mais tantôt il ajoute un élément pour compléter la collection ébauchée dans le sens de sa forme d’ensemble, c’est-à-dire de son extension naissante, et en ce cas c’est bien l’extension qui détermine la compréhension. Cette détermination peut alors se présenter sous deux variétés distinctes, mais équivalentes : ou bien il s’agit de la forme géométrique de la collection, et un élément viendra en compléter d’autres en vue de cette forme d’ensemble sans pour autant qu’il y ait ressemblance proprement dite entre les éléments : ou bien il s’agit d’objets quelconques et un élément sera choisi pour compléter les autres en vue de constituer une totalité cohérente, de telle sorte que, cette fois, la ressemblance est oubliée au profit d’une convenance empirique tirée de l’expérience antérieure vécue par le sujet. Dans les deux cas, seule la forme d’ensemble de la collection lui fournit ses conditions et en ce sens c’est bien cette extension plastique et autonome qui détermine les compréhensions. »

Nous sommes tous des collectionneurs

Dans la vie courante, nous sommes souvent confrontés à des collections, même lorsque nous sommes loin de l’imaginer et d’en faire état. Et cela ne concerne pas seulement le collectionneur constituant une collection d’œuvres d’art (de peinture par exemple) ou le visiteur parcourant une collection accrochée à l’occasion d’un vernissage, ou encore le transporteur chargé de déplacer cette collection pour l’acheminer vers un nouveau lieu d’exposition. Les collections sont beaucoup plus présentes dans nos vies quotidiennes que nous le pensons généralement.

D’ailleurs, dans le domaine en pleine expansion des outils d’aide à l’interprétation, de nombreuses applications informatisées actuelles ou potentielles, à y bien regarder, nous assistent dans nos rapports constitutifs de collections[1]. Un passionné de musique qui recherche des pièces au travers d’outils interactifs de fouille par les contenus, un étudiant qui élabore un document en naviguant sur la toile pour inspirer sa création, ou encore un ingénieur qui interagit avec ses collègues pour élaborer un plan de travail[2], tous ces acteurs procèdent à des constitutions de collections. Mais pourquoi laisser entendre le primat de la collection sur les objets collectionnés eux-mêmes ? D’ordinaire, on comprend la collection comme collection de quelque chose, et ces choses sont pensées comme préexistant à la collection, plus originaires qu’elle en quelque sorte. Entendons-nous bien : en affirmant le primat de la collection sur les objets collectionnés, il n’est pas simplement question de proposer un amendement lexical pour parler de collections là où l’on parle habituellement d’ensembles, de classes, de groupes, de catégories, d’amas et d’objets. Ce qu’au contraire nous voulons montrer en introduisant la notion de collection à l’origine de la pensée des choses, c’est que sa promotion à la racine de nos dispositifs catégoriels et conceptuels permet de revisiter le réel de nombre de nos activités cognitives, et par suite de viser avec plus d’exigence l’adéquation de nos outils d’aide informatisée à cette réalité.

Au fond, nous agissons, vivons et imaginons toujours dans une perspective donnée, dans un cadre donné, limité et fini … Bien sûr ce cadre n’en est pas figé pour autant, et évolue corrélativement aux options d’action que nous prenons… Mais il y a toujours-déjà un cadre, une mise en scène, un projet, un plan, une intention qui dimensionne notre investissement et notre rapport aux choses.

Et c’est la raison pour laquelle nos activités interprétatives sont toujours-déjà engagées dans leur continuation et leur perduration, et ne prennent sens que dans l’horizon et la perspective des tentatives qui les ont précédées. Les fictions opérationnelles de la sphère du social sont souvent mobilisées pour sanctuariser nos expériences individuelles, en proposant certes de particulariser nos vécus singuliers, mais surtout en offrant des « sorties honorables » à nos expériences potentiellement dévastatrices. C’est ainsi que l’on peut vivre de fortes émotions à l’opéra tout en comptant sur les entractes et la fin du spectacle pour nous extraire des situations fictives qui nous ont tant émus. Même si certaines d’entre elles laisseront des empreintes indélébiles sur nos affects …

Il est donc vain de chercher à décrire ou modéliser les sensations procurées par l’écoute musicale d’une pièce par une personne en faisant mine de croire que tout se passe dans le rapport immédiat et amnésique de cette personne à cet objet, sans antériorité de la relation et sans pratique typique de cette relation. Bref, ce que j’écoute dans telle pièce de musique s’inscrit dans un projet et hérite d’une conduite antérieure motivée et de projets orientés. C’est en ce sens précis que la pièce courante s’inscrit dans la collection des pièces déjà écoutées, et vient la compléter comme un tout aménageable encore [3].

D’une certaine manière, écouter de la musique revient à collectionner des œuvres ou des parties d’œuvres, comme voyager revient à parcourir des situations qui « font motifs »[3].

Vers un formalisme orienté collections

Nos outils sont-ils adaptés aux collections qui nous habitent ?

Si les collections ont tellement d’importance dans nos vies interprétatives, la question de la place que leur font nos outils intelligents devient du même coup une question très intéressante.

Reprenons l’exemple d’une collection d’art, disons de tableaux pour fixer les idées. Dans un système informatisé, cette COLLECTION est souvent considérée comme une réunion ensembliste d’œuvres d’art, approchable par une arborescente sémantique mettant le poids fort sur la catégorie d’OBJET_D’ART. Et lorsqu’on modélise le système, on élabore typiquement un modèle articulé sur une triple relation :

  • chaque objet d’art est déclaré comme faisant PARTIE_DE ladite COLLECTION ;
  • chaque objet d’art hérite de certaines propriétés de l’ensemble de la COLLECTION, par exemple le nom de son propriétaire ;
CIDE 7 Rousseaux.jpg
  • l’ACCROCHAGE de la COLLECTION est un ordre sur les objets d’art, un graphe ordonné qui séquence la collection.
CIDE 7 Rousseaux2.jpg

Par ailleurs, des procédures lient les objets d’art à la collection, comme l’évaluation de la valeur marchande globale de la collection, ou encore des descriptions artistiques de telle ou telle caractéristique de la collection.

Un tel modèle convient pour décrire efficacement le travail du transporteur d’œuvres ou celui du documentaliste chargé de rédiger un catalogue de l’exposition. Peut-être aussi au banquier en charge des affaires du collectionneur. En d’autres termes, la gestion de la collection serait convenablement descriptible dans ce cadre. Ici, trois catégories suffisent : OBJET_D’ART, ACCROCHAGE, COLLECTION. Les OBJETS_D’ART sont PARTIES de la COLLECTION.

Mais une collection n’est-elle opérante qu’à travers le régime de sa gestion ? Certes non. Le collectionneur, tout comme le visiteur amateur d’art, ne reçoit pas une collection comme un ensemble d’œuvres. Tout d’abord parce qu’une œuvre, l’œuvre singulière à laquelle vous faites face, cache toujours les autre pièces de la collection. Une œuvre cache ce qu’elle ne montre pas. Comme dans la situation du pasteur évangélique mobilisé par la brebis égarée au détriment du troupeau, la collection ne se montre jamais que dans l’actualité d’une confrontation singulière, irréductible même à une confrontation particulière, qui serait une forme déjà généralisable de confrontation. Dans son régime phénoménologique, la collection se distingue ainsi définitivement de son régime gestionnaire. Ici, ma rencontre avec l’œuvre est toujours définitivement singulière, et la collection est l’arrière-plan qui promet à la fois la continuation/reproduction de l’expérience et sa terminaison, condition de possibilité pour, à la fois, entrer dans le monde de l’œuvre, et savoir qu’on pourra en sortir. La collection est le cadre et l’assurance mondaine d’une expérience singulière.

Aussi la collection se manifeste-t-elle également comme accrochage particulier, comme offre de parcours organisés. Au plan de sa réception, elle se fait alors procession, constituée dans le fil de l’actualisation du parcours. En situation de visite ou même, pour le collectionneur, en situation d’acquisition imminente, c’est un graphe de précédences qui caractérise le mieux la collection, chaque confrontation avec une œuvre donnant lieu à une étape distincte, y compris si l’œuvre est revisitée [4].

Ainsi, deux figures distinctes pour une même collection, ou plutôt deux régimes de donation qu’on discerne aisément en situation, sont à l’œuvre dans les collections :

  • un régime gestionnaire, marqué par la figure de l’objet d’art ;
  • un régime phénoménologique, marqué par la figure du parcours interprétatif et de la donation toujours singulière au travers d’une œuvre.

Aucun de ces deux régimes n’étant spontanément réductible à l’autre, il convient de prendre acte de cette irréductibilité pour penser la collection comme une catégorie à deux dimensions originelles.

Modélisation du régime « phénoménologique » des collections

Ici, le régime de la gestion et ses entités OBJET_D’ART, ACCROCHAGE et COLLECTION n’a plus cours. Leur sont substituées les catégories d’ŒUVRE_D’ART, de PROCESSION et de VISITATION.

Certes, l’ŒUVRE_D’ART réside sous condition de l’OBJET_D’ART, mais aussi de la PROCESSION, qui est la trace courante du parcours de la VISITATION, lui-même sous condition de l’ACCROCHAGE. Quant à ce que nous proposons d’appeler la VISITATION, elle consiste en une PROCESSION déclarée achevée (même si tous les objets d’art n’ont pas été fréquentés). La question de la terminaison est ici très importante, et elle est conditionnée par la COLLECTION et l’ACCROCHAGE certes, mais aussi par des décisions qui ne regardent que le visiteur.

Ainsi, de nombreux régimes de contextes se dessinent-ils. Un contexte lié à la PROCESSION, un contexte lié à la VISITATION, et un autre lié à la VIE_ARTISTIQUE du visiteur.

Vers une axiomatique des collections

Contexte industriel

Les outils d’aide informatisée à la recherche d’information sont de plus en plus performants au plan technique, et leur appropriation spectaculaire par le grand public donne légitimement à penser que ce secteur continuera à jouer un rôle clé dans la réduction tant attendue de la fracture numérique.

Pour tenter de multiplier les chances de succès, l’effort de R&D actuel porte typiquement sur la diversification de l’offre concurrentielle et l’amélioration des performances des outils en présence (taux de rappel, taux de précision, bruit, silence, …), avec en toile de fond la référence aux produits qui conquièrent massivement les usagers, dont le moteur de recherche Google™ reste emblématique.

Cependant, le marché peut-il encore accueillir de nouveaux acteurs internationaux ? N’est-il pas déjà saturé par des concurrents fortement structurés qui feront tout pour prévenir le déploiement de nouveaux entrants ? Il est probable que seuls des produits fortement innovants pourront tromper la vigilance des grands acteurs et s’imposer sur des marchés qui s’en trouveront déplacés du même coup.

Proposition d’un programme de recherche

Dans cette perspective, nous formulons une proposition de programme de recherche reposant sur une série d’hypothèses qui aboutissent à un placement différenciateur fortement innovant en matière d’aide à la recherche d’information, susceptible de promouvoir une nouvelle offre stratégique à l’échelle internationale. Hypothèse 1 (recentrage stratégique de l’activité de recherche d’information) :



Notes

  1. Sur cette question, on trouvera une intéressante argumentation dans (Pachet, 2004).
  2. Cette fois, ce sont les travaux du groupe de travail Pédauque qu’on pourrait consulter pour se convaincre de cet aspect important des choses (Pédauque, 2006).
  3. Parfois même, comme l’a proposé Modeste Moussorgski avec ses célèbres Tableaux d’une exposition pour piano, les deux démarches se conjoignent.
… davantage au sujet de « CIDE (2007) Rousseaux »