CIDE (2015) Laborderie : Différence entre versions

De CIDE
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imported>Jacques Ducloy
(Voir aussi)
 
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  |titre=Éditorialisation des bibliothèques numériques : le cas des Essentiels de Gallica
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{{CIDE boîte bibliographique|texte=
;Titre: [[A pour titre::]]
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;Titre: [[A pour titre::Éditorialisation des bibliothèques numériques : le cas des Essentiels de Gallica]]
;Titre (anglais) : ''''
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;Titre (anglais) : ''Editorialization Digital Librairies: the case of Gallica Essentials''
;Auteurs: [[A pour premier auteur::]]  
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;Auteurs: [[A pour premier auteur::Arnaud Laborderie]]  
;Affiliation:[[A pour affiliation auteur::]], [[A pour affiliation auteur::]], [[A pour affiliation auteur::]]
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;Affiliation:[[A pour affiliation auteur::Bibliothèque nationale de France|BnF]], Chaire Unesco ITEN, [[A pour affiliation auteur::Université Paris 8|Université Paris-VIII]], [[A pour affiliation auteur::Paragraphe (laboratoire)|Laboratoire Paragraphe]]
;In: [[Est dans les actes::]]  
+
;In: [[Est dans les actes::CIDE 2015 Montpellier|CIDE'18]] (Montpellier 2015)
;En ligne:  
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;En ligne: https://hal-bnf.archives-ouvertes.fr/hal-01239425
 
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__TOC__
 
__TOC__
;Résumé:
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;Résumé: L’éditorialisation désigne les pratiques de publication et d’accessibilité des contenus sur le web, lesquelles posent des questions épistémologiques sur l’authenticité et  la  véracité  de  l’information.  Au-delà de ses  techniques  et  de ses  formes, l’éditorialisation interroge la fonction éditoriale et auctoriale. Sélectionner, structurer, hiérarchiser, documenter, donner du sens : dans ce processus, les bibliothèques ont une responsabilité au même titre que les éditeurs. Au-delà de la mise à disposition de leurs ressources numériques, elles sont engagées dans la production de contenus sur le web. Première  d’entre  elles,  la  Bibliothèque  nationale  de  France  (BnF) est doublement impliquée : d’une  part avec des  ressources  accessibles  et  interopérables  grâce  à data.bnf.fr  et  des  corpus  structurés dans  Gallica,  d’autre  part avec une  médiation spécifique  à  destination  des  publics scolaires  et  des  enseignants,  «Les  Essentiels  de  la littérature». Il s’agit d’une interface éditorialisée à la bibliothèque numérique qui tient compte  des  pratiques  anthologiques  actuelles  pour  faire  découvrir  notre  patrimoine littéraire à travers des parcours guidés dans les collections.
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;Mots-clés: Éditorialisation, bibliothèque numérique, médiation numérique, curation de contenu.
 
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{{boîte déroulante
   |titre=''''
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   |titre=''Editorialization Digital Librairies: the case of Gallica Essentials''
 
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;Abstract :''''
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;Abstract :''The editorialization means publishing practices and accessibility of content on the web, posing epistemological questions about the authenticity and veracity of information. Beyond the techniques and forms, the editorialization questions the editorial and authorial functions. Select, organize, prioritize, document, make sense: in this process, libraries have a responsibility as well as publishers. Beyond the availability of their digital resources, they are engaged in the production of content on the web. First of them, the French National Library (BnF) has been doubly involved: on one hand with accessible and interoperable resources through data.bnf.fr and structured corpus Gallica, on the other hand with specific mediation for school audience and teachers, "The Essentials of Literature". This is an editorialized interface to the digital library that reflects current anthological practices to discover our literary heritage through guided paths into the collections. ''
  
;Keywords : ''''
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;Keywords : ''Editorialization, digital library, digital mediation, content curation.''
  
 
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{{CIDE début corps}}  
 
{{CIDE début corps}}  
 
==Introduction==
 
==Introduction==
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Le  numérique  bouleverse  profondément  notre  rapport  au  savoir  avec  un
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document qui a changé de nature. La numérisation a transformé le dcument en pixels
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et octets. Il n’est plus qu’une longue chaîne de 0 et de 1. Dématérialisé, celui-ci se prête
 +
à toutes les manipulations. La preuve qu’il pouvait apporter est désormais relative, selon
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les contextes d’interprétation. Dans l’environnement numérique,  son  authenticité  peut être remise en cause alors que disparaît la notion même d’''original'' derrière  des copies potentiellement  infinies  ({{CIDE lien citation|Pédauque,  2006}}).  Ces  questions  épistémologiques  constituent une  véritable  rupture : le document n’est plus à considérer  en  termes  de  structure  ou d’objet mais de flux. Hétérogène, il est de tout type :  tout  peut  devenir  document  dès lors qu’il porte une information. Selon Pédauque, «l’affaire du document n’est ni sa matière, ni sa forme, mais son usage. » (''Ibid.'').
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Dans  le  même  temps,  le  document  numérique  connaît  une  croissance
 +
exponentielle. Sa prolifération n’en menace-t-elle  pas  la  survie ? N’a-t-on  pas  lieu  de
 +
craindre, dans un monde post-numérique, alors que tout est potentiellement document, que  rien  ne  le  soit  plus  ?  Déjà  le  document  semble  voué  au  fragment,  sous  le  double
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coup du processus de discrétisation et des usages anthologiques. Le fragment n’est-il
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pas  la  seule  trace  à  conserver  dans  des  pratiques  qui  visent  à  faire  disparaître  les documents  derrière des données qu’il s’agit de visualiser dans des représentations de
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masse  interprétées  par  des  machines ?  Une  trace  à  sauvegarder  comme  vestige  de
 +
l’œuvre ? Ce qu’on peut craindre en effet dans un monde post-numérique, c’est la perte
 +
de l’original au profit des représentations.
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L’usage crée une nouvelle « [[épistémè]]  numérique »  ({{CIDE lien citation|Stiegler, 2012}})  et  requiert  de
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nouvelles  compétences,  une  «digital  literacy»  ({{CIDE lien citation|Doueihi, 2008}}) :  trier,  hiérarchiser,
 +
fiabiliser, sourcer, corréler, etc. Il s’agit de former les esprits  à  trouver  les  bonnes
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informations, les bons documents, et savoir les assembler pour qu’ils fassent sens. Le
 +
lecteur  est  en  effet  constamment  invité  à  construire  du  sens  à  partir  des  matériaux
 +
multiples et hétérogènes ({{CIDE lien citation|Grafton, 2012}}).
 +
 +
Les conditions de conservation et de consultation ont également changé : conservé dans  quelque ''datacenter''
 +
,  avec  ses  contraintes,  ses  fragilités  et  ses  coûts,  le  document
 +
électronique n’est pas sans matérialité alors que le web donne l’illusion d’un document
 +
dématérialisé  accessible  en  toute  circonstance.  En  réalité,  nombre  de  documents
 +
numérisés  ne  sont  présents  sur  le  réseau  que  derrière  des  systèmes  de  protection,  des
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abonnements, sur des intranets, etc. Ces restrictions rendent difficiles d’accès certains
 +
documents  des  plus  qualifiés,  favorisant  ceux  disponibles  sur  internet  sans  filtre  ni
 +
garantie. Leur fiabilité dépend en effet de l’instance de publication :  la  caution  que l’éditeur apporte à la publication du document se délite sur le web où chacun peut
 +
publier  des  documents  qui  s’hybrident  par  nature.  Des  documents  hétérogènes,
 +
multimédias, constitués de textes, d’images, d’audiovisuels, voire d’animations. Pluriels
 +
et dématérialisés, ils ne sont plus consultables qu’à travers un dispositif informationnel
 +
qui  les  rematérialise dans une interface qui doit restituer l’intégrité du document et
 +
permettre  sa  consultation,  son  exploitation  par  une  communauté  de  lecteurs,  son
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interconnexion avec d’autres documents. Tout l’enjeu de l’interface, c’est de restituer les
 +
trois dimensions du document selon Pédauque : forme, texte, médium.
 +
 +
===Le web comme interface de médiation===
 +
L’usage n’impose-t-il pas le web comme interface de lecture et de transmission des
 +
connaissances  en  lieu  et  place  du  livre
 +
?  Le  web  se  présente  en  effet  comme  une
 +
interface de médiation, de représentation du monde et d’organisation des savoirs. Alors  même que les éditeurs sont menacés par la remise en cause de leur modèle économique,
 +
il importe d’appliquer au web les principes du livre : il s’agit véritablement «
 +
d’éditer le
 +
web
 +
»  ({{CIDE lien citation|Bon, 2011}}).  Quelle  confiance  peut-on  conférer  au  dispositif  informationnel
 +
considéré, logiciel de lecture, site web ou plateforme collaborative ?
 +
 +
Face  à  la  «
 +
crise  des  médiateurs
 +
»  sur  le  web,  l’institution,  conservatoire  des
 +
collections
 +
patrimoniales,  a  un  rôle  déterminant :  par  la  constitution  de  bibliothèques
 +
numériques et de bases de données, elle est garante de confiance et d’autorité. Investie
 +
d’une mission de service public, l’institution est une référence et s’impose comme un
 +
contrepouvoir  face  à  des  entreprises  privées  de  numérisation  des  documents  et  de
 +
privatisation des usages ({{CIDE lien citation|Jeanneney, 2007}}).
 +
 +
Pour  autant,  malgré  l’optimisation  des  conditions  d’accès  aux  documents,  la
 +
croissance  exponentielle  des  ressources  numériques  pose  le  problème d’interpréter la
 +
liste de résultats : difficulté à trier, hiérarchiser, identifier les documents pertinents pour
 +
un  usage  donné.  Face  à  l'expansion  des  données,  l'éditorialisation  peut-elle  guider  et
 +
donner du sens ?
 +
 +
==Pratiques et enjeux de l’éditorialisation==
 +
 +
Le terme « éditorialisation » recouvre les pratiques de publication et d’accessibilité
 +
des contenus sur le web. Il a d’abord été employé par
 +
Bruno Bachimont pour désigner
 +
« le  processus  consistant  à  enrôler  des  ressources  pour  les  intégrer  dans
 +
une  nouvelle
 +
publication.  Sortant  de  la  logique  purement  documentaire,  l’éditorialisation  est  une
 +
exploitation des contenus se fondant sur la recherche d’information mais ne s’y limitant
 +
pas.  L’éditorialisation  est  la  conclusion  logique  du  processus  de  numérisation  des
 +
contenus. » ({{CIDE lien citation|Bachimont, 2007}}).  L’auteur  insiste  sur  des  pratiques  qui  consistent  à
 +
discrétiser  les  ressources  numériques  en  unités  documentaires,  en  segments  pouvant
 +
être utilisés dans n’importe quel contexte, sans lien avec la source d’origine et dans un
 +
autre  sens.  Ceci  pose  des  problèmes  épistémologiques  quant  à  l’authenticité  et  la
 +
véracité  des  documents  numériques  ainsi  produits.  Plus
 +
largement,  l’éditorialisation « met  l’accent  sur  les  dispositifs  technologiques  qui  déterminent  le  contexte  d’un
 +
contenu  et  son  accessibilité.  Éditer  un  contenu  ne  signifie  pas  seulement  le  choisir,  le
 +
légitimer, le diffuser, mais lui donner son sens propre en l’insérant dans un contexte
 +
technique précis, en le reliant à d’autre contenu, en le rendant visible grâce à son
 +
indexation,  à  son  référencement,  etc. »  ({{CIDE lien citation|Vitalo-Rossati et Sinatra, 2014}}).  Toutes  les
 +
actions destinées à rendre accessible et visible un contenu sur le web relèvent donc de
 +
l’éditorialisation. «
 +
Même la recommandation d’un document dans un réseau social est
 +
une pratique d’éditorialisation.
 +
» (''Ibid.'')
 +
 +
Sur  le  plan  technique,  c'est  d'abord  un  enjeu  de  structuration  des  contenus,  à  la
 +
fois par hiérarchisation, rubricage et maillage. L’indexation et les métadonnées assurent
 +
l’accessibilité  et  l’interopéralité.  Des  solutions  logicielles  de  type  CMS  (''Content Management  System'')  permettent  de  formater  les  contenus  en  prescrivant  des  pratiques
 +
éditoriales.  Les  CMS  s'imposent  comme  des  outils  incontournables  qui  facilitent  et
 +
encadrent  le  processus  de  production — c’est  un  avantage  certain,  non  sans
 +
inconvénient car ces mêmes CMS formatent les contenus qui tendent vers toujours plus
 +
de standardisation. Il importe alors de savoir jouer des contraintes et d’être créatif.
 +
Éditorialiser, c’est aussi personnaliser sa plateforme de publication en termes de design
 +
et de mise en page, c’est encore sélectionner les ressources à mettre en avant. Le lecteur
 +
lui-même est invité dans le processus d’éditorialisation par la contribution, le partage ou
 +
la  recommandation.  Degré  zéro  de  l'éditorialisation,  le  simple  geste  de ''liker''a  des
 +
conséquences  parfois  décisives  en  termes  de  visibilité  des  contenus.  Les  réseaux
 +
sociaux, parce qu’ils cherchent à garder le lecteur dans leurs écosystèmes, génèrent des
 +
formes spécifiques d’éditorialisation, algorithmiques, par extraction et génération  de
 +
contenus.  Aussi  faut-il distinguer l’éditorialisation qui procède de l’algorithme
 +
de  celle
 +
procédant du lecteur.
 +
 +
En  tant  que  pratique  individuelle,  l'éditorialisation  peut  s'inscrire  dans  une
 +
démarche  de  veille  informationnelle :
 +
il  s'agit  pour  l’internaute  de  sélectionner  des
 +
ressources  et  de  se  les  approprier.  On  peut  distinguer  trois  étapes  dans  ce  processus :
 +
rééditer du contenu en l’adaptant aux
 +
contraintes éditoriales du web ; contextualiser ce
 +
contenu pour qu’il fasse sens ; l’enrichir,
 +
lui  apporter  une  valeur  ajoutée,  un  point  de
 +
vue, un angle singulier. Éditer, contextualiser, enrichir : ces actions procèdent du lecteur
 +
qui  produit  ainsi  son  propre  contenu,  personnalisé.  Face  à  la  surabondance  des
 +
contenus  sur  le  web,  de  telles  pratiques  de  curation  peuvent  guider  par  une  fonction
 +
éditoriale subjectivée.
 +
 +
En  tant  que  pratique  documentaire,  l'éditorialisation  est  au  service  du  sens  :  elle
 +
offre un appareillage herméneutique en permettant l’interconnexion des documents, en
 +
distinguant  les
 +
sources  primaires  ou  secondaires,  en  contextualisant.  Attachée  au
 +
document  ou  à  l'ensemble  documentaire,  elle  rend  possible  des  effets  de  zoom
 +
informationnel. C'est une nécessité face à la diversité de ressources hétérogènes classées
 +
par  type  ou  cloisonnées  par  disciplines.  L'éditorialisation  offre  alors  la  possibilité  de
 +
réordonner les documents et de construire du sens.
 +
 +
Ainsi,  sur  le  web,  l’édition  se
 +
transforme  en  éditorialisation :  cette  pratique
 +
d’organisation et de structuration de l’information participe  à  la  production  et  à  la
 +
circulation  du  savoir.  Individuelle  ou  collective,  elle  s’affirme  comme  une  pratique
 +
auctoriale autant qu’éditoriale.
 +
L’éditorialisation va-t-elle se substituer à l’édition ? Avec la révolution numérique,
 +
l’édition est en mutation à la fois dans son processus de production (la chaîne du livre)
 +
et  dans  son  modèle  économique  (Benhamou,  2014).  La  facilité  de  publication  sur  le
 +
web et les pratiques d’autoédition questionne un modèle éprouvé depuis des
 +
siècles.
 +
Faut-il craindre une
 +
« édition sans éditeurs » ({{CIDE lien citation|Schiffrin, 1999}}) quand des acteurs comme
 +
Amazon cherchent  à  imposer  leur  modèle ? Paradoxalement, on n’a jamais tant eu
 +
besoin  des  éditeurs  pour  guider  le  lecteur  dans  la  surabondance  des  contenus.  Sans
 +
doute ne faut-il pas craindre la mort de l’éditeur pas plus que la mort du livre. Demeure
 +
par nécessité le maintien d’une fonction. Ce qui risque de mourir, c’est la caution de
 +
l’éditeur, garant d’une ligne éditoriale, de la qualité des œuvres et de leur diffusion.
 +
 +
Face  à  ces  bouleversements, une institution telle que la BnF s’impose comme
 +
garant  de  qualité, de véracité et d’authenticité : c’est pourquoi elle assure une fonction
 +
éditoriale  et  investit  pleinement  l’éditorialisation,  en  tenant  compte  des  usages
 +
émergents.
 +
===Actualiser des pratiques ancestrales===
 +
 +
Ces  pratiques  d’éditorialisation  qui  nous  paraissent  si  actuelles  n'en
 +
sont  pas nouvelles  pour  autant :  elles  puisent  à  une  longue  tradition  d'édition  des  textes  et  de perfectionnement  des  usages  multipliant  les  modalités  d'accès aux œuvres. Prenons
 +
l’exemple des concordances, déjà présentes dans la tradition livresque juive ainsi que
 +
dans la [[bibliothèque d’Alexandrie]]. Elles peuvent nous apparaître comme des formes
 +
d’éditorialisation
 +
qui seront
 +
reprises par les bibliothèques chrétiennes dès le II{{e}}
 +
siècle de notre ère.  En  établissant  des  correspondances  entre  les  Évangiles  avec  un  principe
 +
d’indexation
 +
et en mettant en place tout un dispositif de production des textes, [[A pour personnalité citée::Eusèbe de Césarée]]  n’a-t-il  pas,  au  tournant  des  III{{e}} et IV{{e}}
 +
siècles,  en  quelque  sorte « éditorialisé »  le  [[A pour ouvrage cité::Nouveau  Testament]] ?  Chaque  Évangile  fut  en  effet  découpé  en segments,  classés  dans  dix  tables  auxquelles  le  lecteur  est  invité  à  se  reporter,  pour
 +
découvrir  les  passages  semblables,  par  un  numéro  indiqué  dans  la
 +
marge  ({{CIDE lien citation|Grafton, 2012}}). Ces correspondances préfigurent les hyperliens. Plus tard, en accueillant la glose
 +
dans l’intérieur même du texte, les copistes médiévaux créaient des paratextes offrant,
 +
dans  des  mises  en  pages  sophistiquées,  des  parcours  de  lecture
 +
et  d’interprétation véritablement « hypertextuels ».
 +
 +
Mise au point au XVI{{e}} siècle, la roue à livres permettait une lecture comparée de
 +
plusieurs  livres  simultanément.  N'est-ce  pas  déjà  du  multitâche  à  fenêtres  multiples ?
 +
Avec  un  savoir  médiéval  circonscrit  qui  brusquement  s'ouvrait  aux  savoirs  antiques,
 +
lesquels  semblaient  infinis,  les  Humanistes  se  sont  confrontés,  dans  un  contexte
 +
différent,  à  une situation  identique  à  la  nôtre : de la rareté à l'abondance, l’arbre du
 +
savoir  médiéval  plongeait  dans  l'océan  des  savoirs  antiques.  Constitués  sur  plus  d'un
 +
millénaire,  les  savoirs  de  l'Antiquité  excédaient  tout  ce  que  les  scolastiques  avaient
 +
accumulé en quelques siècles. Des tels savoirs soudain révélés par l’Orient dépassaient
 +
l'entendement.  L'homme  de  la Renaissance  s'est  employé  à  mettre  en  place  des
 +
méthodes et des formes d’accès, d'apprentissage, de transmission, qui permettaient
 +
d’embrasser  ces  savoirs  immenses :  en  développant  toute  une  épistémologie  du
 +
fragment à travers les florilèges, centons et lieux communs. Constitués sur une trentaine
 +
d’années, les quelques quatre mille adages d’[[A pour personnalité citée::Érasme]] embrassent ainsi la totalité de la
 +
littérature antique par une sélection de citations, structurées et commentées. Érasme use
 +
de la métaphore de l’abeille « volant autour  de  toutes  les  espèces  de
 +
fleurs, d’herbes,
 +
d’arbrisseaux »  transformées  en elle  par  un  processus  digestif :  «
 +
tu n’y reconnaîtrais la
 +
saveur ou l’odeur ni de la fleur ni de l’arbrisseau butiné, mais la production de la petite
 +
abeille
 +
composée de tous ces éléments. » (''[[A pour ouvrage cité::Ciceronianus]]'', 1528). Un tel « butinage », déjà en
 +
usage sous l’Antiquité, est théorisé par les Humanistes et pratiqué comme une méthode,
 +
un  moyen  de  transmission  des  connaissances,  et  même  un  modèle  rhétorique  ({{CIDE lien citation|Moss, 2002}}).  Cette  manière  devait  trouver  son  couronnement  dans  les [[A pour ouvrage cité::Essais]] de  [[A pour auteur cité::Michel de Montaigne|Montaigne]].  Toute une méthode de lecture, d’apprentissage et de transmission se fonde sur un
 +
principe de résumés, de citations, d'anthologies et d'appropriation individuelle dans des
 +
carnets  de  lieux  communs.  Des  lieux  communs,  antérieurs  à  toutes  considérations  de
 +
propriété intellectuelle, qui résonnent singulièrement avec la notion émergente de « bien commun numérique ».
 +
 +
N’est-ce  pas  le  propre  du  numérique  de  revisiter  des  pratiques  ancestrales,  de  les
 +
hybrider,  dans  une  tension  entre  ruptures  et  continuités  ?  Ces  pratiques,  prises
 +
aujourd'hui  dans  un  autre  contexte,  avec  une  autre  dimension,  posent  les  mêmes
 +
problématiques  et  les  mêmes  enjeux  de  sélection,  d'indexation,  d'édition  et  de
 +
médiation.  À  tel point  qu'on  parle  de  notre  époque  comme  d'une  Renaissance  et  d'un
 +
humanisme numérique ({{CIDE lien citation|Doueihi, 2011}}).
 +
 +
===L’apport des bibliothèques : indexation, métadonnées, pratiques documentaires===
 +
Le  processus  d'éditorialisation  recourt  à  des  pratiques  bibliothéconomiques
 +
éprouvées, à la fois dans l’indexation, la constitution des catalogues et la description des
 +
ressources.
 +
 +
Le catalogage et l’indexation permettent d’identifier et de localiser les ressources
 +
dans  les  collections  des  bibliothèques,  de  tout  type  et  support,  voire  d’y  accéder
 +
directement  dans  le  cas  de  ressources  numérisées.  Des  notices  bibliographiques
 +
contiennent des informations précisant, pour un livre par exemple, le titre, l’auteur,
 +
l’éditeur, la date, etc. Ces métadonnées sont structurées dans des formats standardisés, tel [[A pour norme citée::Unimarc|UNIMARC]], le format officiel d’échange de l’information bibliographique en France.
 +
C’est à l’aide d’un format minimal de quinze éléments, le [[A pour norme citée::Dublin Core]], que sont décrites
 +
les  entités  documentaires  sur  le  web.  Ces  métadonnées  permettent  de  passer  du  web
 +
des  documents  au  web  de  données,  ou  « [[web  sémantique]] » dont l’enjeu consiste à « pouvoir déléguer à la machine une partie de l’interprétation des ressources du web ». ({{CIDE lien citation|Bachimont, 2011}}).
 +
 +
Un  modèle  de  données  permet  d’exprimer  informatiquement  des  données
 +
hétérogènes,  le  RDF  (Resource  Description  Framework),  qui  repose  sur  une  structure
 +
logique  de  trois  éléments,  dite  « triplet »:  sujet,  prédicat,  objet.  Ces  triplets  permettent
 +
de lier les informations entre elles et de les interroger.
 +
L’enrichissement  des  métadonnées  participe  du  processus  d’éditorialisation  en
 +
déterminant la visibilité des contenus. La qualité des métadonnées s’avère en effet
 +
stratégique dans un environnement informationnel à la croissance exponentielle.
 +
 +
À  ces  pratiques bibliothéconomiques s’ajoutent des pratiques  documentaires  de
 +
médiation : la gestion de l'information ne se contente plus d'une mise à disposition des
 +
ressources  mais  évolue  vers  une  production  propre  qui  tend  à  structurer  les  contenus
 +
en  ligne.  Les  bibliothécaires pratiquent depuis longtemps des formes d’éditorialisation
 +
de  contenus  sous  la  forme  de  bibliographies,  de  « coups  de  cœur »  ou  de  listes
 +
d'acquisitions, axées autour de la valorisation de leurs collections. Avec l'explosion des
 +
ressources  en ligne,  ils  développent  leur  offre  de  contenu  et  investissent  un  nouveau
 +
rôle  de  « curateur »  de  l'information  ({{CIDE lien citation|Di Pietro, 2014}}).  Ainsi  le  processus d'éditorialisation  permet-il d’impliquer les métiers des bibliothèques et de les repenser,
 +
en interprétant le bibliothécaire comme « journaliste de ses collections » ({{CIDE lien citation|Dujol, 2011}}).
 +
 +
==L'éditorialisation à la BnF==
 +
 +
La  numérisation  de  masse  des  collections  patrimoniales  a  révélé  de  nouveaux
 +
enjeux :  alors  que  toute  information,  tout  document,  sont  immédiatement  disponibles
 +
sur  le  web,  l'accroissement  exponentiel  des  bases  de  données  rend,  paradoxalement,
 +
cette information, ce document, plus difficiles à trouver.
 +
 +
Plus  de  4,2  millions  de  documents  sont  aujourd’hui  accessibles  sur  Gallica  : interroger  « [[A pour personnalité citée::Jean-Jacques  Rousseau]] », c’est obtenir plus de {{formatnum:13000}} résultats,  pas  moins
 +
de  {{formatnum:6200}}  résultats  pour  « [[A pour ouvrage cité::Les Confessions (Rousseau)|Les  Confessions]] ».  Seul  le  chercheur,  l'expert,  parce  qu'il manipule  les  outils  de  recherche  fédérée,  parce  qu’il  sait  user  des  filtres  qui  lui permettent de trier les résultats, parce qu’il concatène des mots-clés pertinents, parvient
 +
à trouver le texte, l’édition, le manuscrit, l’image qui peuvent l’intéresser. Le grand public, lui, ne peut qu’être dérouté par une telle abondance de la ressource et, dans bien
 +
des  cas,  se  détourne  de  ces  bases  de  données,  pourtant  au  cœur  même  de  la
 +
connaissance et du processus de construction des savoirs. Les modalités d’accès à ces
 +
ressources et l’éditorialisation
 +
deviennent alors déterminantes : c’est en effet là, dans la
 +
bibliothèque  numérique,  que  se  trouvent  les  sources  primaires  et  les  autorités  qui
 +
fiabilisent l’information. La sémantisation des ressources, les métadonnées affectées à chaque document, les architectures catégorielles et ontologiques, les index, les listes etc.
 +
offrent  de  multiples  manières  de  circuler  dans  ces  bases,  au-delà  du  champ « rechercher ».  Mais  comment  naviguer  au-delà  de  la  liste  de  résultats  et  du  filtrage  à facettes ?
 +
 +
===Une nouvelle interface pour Gallica===
 +
 +
Mise en ligne en 1997, Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, n’a cessé
 +
de  se  transformer  pour  prendre  en  compte  la  richesse  et  la  diversité  des  contenus disponibles  et  pour  répondre  aux  évolutions  des  usages  du  web.  Le  moteur  de recherche Cloudview, développé en 2013 par la société Exalead, améliore la pertinence
 +
des résultats et intègre des fonctionnalités d’aide à la recherche. Une nouvelle interface
 +
de  Gallica<ref>Nouvelle interface de Gallica :  http://gallica.bnf.fr/</ref>
 +
est  ouverte  au  public  depuis  le  1{{er}}
 +
octobre  2015:  nouveau  graphisme,
 +
nouveau  visualiseur  et  nouvelles  fonctionnalités,  comme  l'intégration
 +
de  la  recherche
 +
avancée  et  la  mise  en  place  du  téléchargement  de  documents  aux  formats  jpeg  et  pdf.
 +
Un visualiseur unique permet de choisir différents modes d’affichage (simple page,
 +
double  page,  défilement  vertical,  vue  d’ensemble  mosaïque)  et  de  manipuler  plus
 +
facilement  les  documents.  Des  améliorations  ont  aussi  été  apportées  aux  listes  de
 +
résultats de l’interface de recherche<ref>Pour en savoir plus sur les nouvelles fonctionnalités de Gallica : http://blog.bnf.fr/gallica/index.php/2015/01/26/sur-gallica-labs-un-nouveau-visualiseur-de-documents/</ref>.
 +
 +
[[Fichier:CIDE (2015) Laborderie Fig 1.png|center|520px|thumb|Fig. 1.Nouvelle interface de Gallica: page d’accueil et visualiseur]]
 +
 +
La  bibliothèque  numérique  constitue  le  troisième  espace  que  la  BnF  offre  au
 +
public, avec sa bibliothèque d’étude et sa bibliothèque de recherche. Comment circuler
 +
dans  cet  espace  virtuel ?  Quels  dispositifs
 +
de  consultation  pour  ses  lecteurs ?  Quels
 +
chemins d’accès proposer à un plus large public au sein de
 +
ses collections
 +
?
 +
 +
===Data.bnf.fr : rendre accessibles les données de la BnF===
 +
Face  à  la  difficulté  de  trier  et hiérarchiser  les  résultats,  la  BnF  a  mis  en  place
 +
dès 2011 data.bnf.fr<ref>Informations reprises de la présentation en ligne. Pour en savoir plus
 +
http://data.bnf.fr/about </ref>: ce sont des pages de référence sur les auteurs, les œuvres et les
 +
thèmes  qui  regroupent  les  informations  de  Gallica  et  celles  issues  des  différents
 +
catalogues  bibliographiques.  Les  usagers  peuvent  accéder  à  ces  données  qui  décrivent
 +
les  ressources  sans  passer  par  des  catalogues  ou  des  portails  spécifiques.  Data.bnf.fr
 +
couvre  actuellement  63%  des  notices  bibliographiques  du  Catalogue  général,  pour
 +
{{formatnum:890 000}} auteurs et quelque 8 millions de documents liés. Les données des catalogues de la BnF font partie de ce qu’on appelle le «
 +
web  profond
 +
».  Une  telle  éditorialisation
 +
accroît leur
 +
visibilité en les rendant indexables par les moteurs de recherche. L’objectif
 +
est de valoriser sur le web la richesse des fonds et de servir de pivot entre les différentes
 +
ressources. Le projet s’inscrit dans une démarche d’ouverture de la BnF au web de
 +
données et d’adoption des standards du web sémantique.
 +
 +
===Explorer les collections===
 +
L’éditorialisation de Gallica s’inscrit dans une démarche de médiation et de
 +
valorisation.  Il  s’agit  d’orienter  des  publics  potentiels  en  organisant  les
 +
collections
 +
numérisées
 +
dans des parcours structurés par thèmes ou par disciplines. L’objectif est de  faciliter la dissémination des ressources numériques et d’encourager la démocratisation
 +
de  leurs  usages.
 +
La difficulté réside dans l’impossibilité d’automatiser le requêtage,  qui
 +
doit être fait manuellement et
 +
suppose un travail rétrospectif important car l’indexation
 +
n’est pas faite en fonction de l’éditorialisation. L’enjeu est d’éliminer le bruit par des
 +
requêtes  complexes  qui  s’appuient  sur  le  catalogue  quand  la  cotation  n’est
 +
pas
 +
suffisamment précise, ce qui est souvent le cas des collections antérieures à 1975. Une
 +
solution consiste à insérer dans les notices des codes projets que l’on peut ensuite
 +
requêter.
 +
 +
Les  corpus  ainsi  éditorialisés  concernent  tous  types  de  collections
 +
des différents  départements  de  la  BnF,  par  exemple :  sciences  naturelles,
 +
livrets xylographiques, archives de la  Bastille, manuscrits carolingiens, cartes marines, histoire
 +
de  France  par  l'image,  partitions  musicales  par  genre,  etc.
 +
Le  plus  riche  est  le  portail
 +
France-Japon<ref>Corpus  France-Japon  en  ligne : http://gallica.bnf.fr/html/und/livres/france-japon. 
 +
 +
Rééditorialisation  dans le cadre des expositions virtuelles :
 +
http://expositions.bnf.fr/france-japon/</ref>,  issu  d'une  coopération  entre  la  Bibliothèque  nationale  de  France  et  la
 +
Bibliothèque  nationale  de  la  Diète  (Tokyo).  Il  présente  plus  de  2
 +
000  œuvres concernant  les  relations  franco-japonaises  et  la  connaissance  du  Japon  en  France  des
 +
origines  à  1914.  Le  parcours  thématique  est  centré  sur  les  collections  imprimées  des
 +
années  1850-1914.  Une  exploration  des  collections  précieuses  li
 +
ées  au  Japon  vient  le
 +
compléter :  fonds  anciens  japonais,  estampes  japonisantes  de  la  fin  du  XIXe
 +
siècle,
 +
car
 +
tes  anciennes,  premières  photographies  et  images  des  organes  de  presse.  Ces
 +
ressources  numériques  sont  articulées  avec  les  modules  réalisés  dans  le  cadre  des
 +
expositions virtuelles.
 +
 +
===Éditorialisation sur les réseaux sociaux===
 +
La  présence  de  Gallica  sur  les
 +
réseaux  sociaux  assure  la  promotion  des
 +
contenus  numériques  et  des  services  associés,  en  tenant  compte  de  l'évolution  des
 +
pratiques  du  web  et  en  expérimentant  de  nouvelles  formes  d'interactivité  avec  les
 +
utilisateurs.
 +
 +
Chaque jour, la page Facebook de Gallica<ref>Créée en février 2010, la page Facebook de Gallica compte 87 027 « J’aime » au 4 juillet 2015 : http://www.facebook.com/GallicaBnF</ref>
 +
met en valeur un document ou un
 +
ensemble documentaire numérisés pour leur dimension  patrimoniale  ou historique, ou
 +
leur caractère insolite et inattendu. Elle permet ainsi de faire connaître la richesse et la
 +
qualité  des  collections  numériques  de  la  BnF.  Les  réactions  et  les  commentaires  des
 +
fans  sont  nombreux  témoignant  d'un  véritable  intérêt  pour  l'offre  documentaire  de
 +
Gallica  et  pour  ce  mode  de  valorisation  « sociale »  qui  permet  de  partager  les documents.  Le  fil  Twitter  de  Gallica
 +
<ref>Lancé en août 2010. Le fil Twitter de Gallica compte 1639 abonnés au 4 juillet 2015.
 +
http://twitter.com/GallicaBnF</ref>
 +
relaye l’information  et  signale,  de  manière  plus
 +
originale, les «
 +
trouvailles
 +
» des internautes, leur réappropriation et leur propre mise en
 +
valeur des contenus. Il valorise ainsi non seulement Gallica, mais aussi ses utilisateurs et
 +
la manière dont ceux-ci mentionnent,
 +
citent, commentent les documents numérisés par la BnF. D’autres médias sont encore utilisés pour la valorisation de Gallica : blog.bnf.fr, Lettre de Gallica, Pinterest.
 +
Dernièrement, l’équipe Gallica était invitée par le
 +
Huffington
 +
Post<ref>En savoir plus : http://blog.bnf.fr/gallica/index.php/2015/09/21/quand-le-huffington-post-
 +
invite-gallica/</ref>
 +
à commenter l’actualité à partir des collections numériques.
 +
 +
==Les « Essentiels de la littérature » dans Gallica==
 +
 +
Peut-on  aider  à  mieux  voir,  mieux  lire,  mieux  connaître,  en  proposant  une
 +
interface  pour  la  bibliothèque  numérique  qui  privilégie  la  découverte  et  favorise
 +
l’appropriation ? L’objectif des « Essentiels de la littérature » est
 +
d’amener vers Gallica
 +
des  publics  scolaires  et  des  enseignants,  en  construisant  des  chemins  d’accès,  des
 +
parcours de connaissances, qui modélisent les usages et organisent les ressources –
 +
des
 +
ressources  choisies,  structurées,  des  contenus  pertinents,  qualifiés,  travaillés.
 +
Offrir  un
 +
accès  simple  et  éditorialisé  aux  «
 +
essentiels  »  de  notre  patrimoine  littéraire  et  faire
 +
découvrir les auteurs et les œuvres littéraires dans leur contexte histori
 +
que et artistique.
 +
Le  site  comprend  des  repères  sur  les  grands  mouvements  littéraires  et  artistiques,  des
 +
modules présentant de manière attractive auteurs, œuvres et thèmes.
 +
Il  importe  de
 +
mettre  en  relation  les  imprimés  avec  les  manuscrits,  les  illustrations,  des  corpus
 +
d'images, des enregistrements sonores et vidéos, des conférences en ligne...
 +
Le  site permet enfin de tisser des liens intellectuels entre les œuvres et de créer des rebonds par des regards contemporains et des approches thématiques.
 +
 +
[[Fichier:CIDE (2015) Laborderie Fig 2.png|center|500px|thumb|Fig. 2. Interface des Essentiels de Gallica : page d’accueil et entrée XVIIIe siècle]]
 +
 +
À terme, les « Essentiels » proposeront quelque 500 entrées dans l’histoire de
 +
la littérature. C’est un projet sur trois ans avec une déclinaison par siècle. Une première
 +
version du site, couvrant le XVIII{{e}} siècle, a ouvert en octobre 2015 en même temps que
 +
la  nouvelle  interface  de  Gallica<ref>Les Essentiels de la littérature : http://gallica.bnf.fr/essentiels</ref>.
 +
À  côté  de  Voltaire,  Diderot,  Rousseau  ou Montesquieu, le site fait place à des femmes comme Émilie du Châtelet, Manon Roland ou Olympe de Gouges  et  à  des  écrivains  moins  connus  comme  Louis-Sébastien Mercier, auteur du
 +
Tableau de Paris, chronique savoureuse de la vie parisienne à la veille de la Révolution.
 +
 +
C’est  une  triple  approche  anthologique  qui  a  été  privilégiée :  sélection
 +
d’auteurs  et
 +
d’œuvres  accessibles  selon  trois  niveaux ; sélection  de  ressources
 +
numériques  commentées  et  visualisables  au  zoom ; sélection d’extraits qui
 +
renvoient
 +
vers  le  texte  intégral.  Des  requêtes  prédéfinies  ouvrent  vers  des  corpus  plus  larges  de
 +
textes et d'images.
 +
 +
Le  site  s’articule  autour  de  quatre  entrées – périodes,  auteurs,  œuvres  ou thèmes – qui  sont  mises  en  avant  dès  la  page
 +
d’accueil.  Au  centre,  une  sélection
 +
d’œuvres s’affiche dans un ''slider'' qui  fait  le  lien  vers  les  modules  concernés.  Deux
 +
thèmes  sont proposés ainsi qu’un choix d’auteurs. On accède à  la barre  de  navigation
 +
générale de Gallica par une « tirette » dans le bandeau du haut.
 +
===Des tableaux chronologiques===
 +
 +
Auteurs et œuvres prennent place dans des tableaux chronologiques proposant des
 +
repères
 +
historiques  sur  les  événements,  les  découvertes  scientifiques,  les  temps  forts
 +
artistiques  ou  le  mouvement  des  idées  dans  lesquels  s'inscrit  l'histoire  littéraire.  Il
 +
importe  ici  de  contextualiser  la  littérature  par  période.
 +
Le  XVIII{{e}} siècle  est  ainsi
 +
découpé en
 +
quatre grands tableaux historiques et culturels :
 +
* 1685-1715 : Anciens contre Modernes
 +
* 1715-1751 : L’âge des expériences
 +
* 1751-1778 : Le triomphe des Lumières
 +
* 1778-1800 : L'ère des révolutions
 +
{|
 +
|[[Fichier:CIDE (2015) Laborderie Fig 3.1.png|300px|center|thumb|Fig. 3.Les Essentiels: tableaux chronologiques]]
 +
|[[Fichier:CIDE (2015) Laborderie Fig 3.2.png|280px|center]]
 +
|}
 +
 +
Ces  tableaux  chronologiques  se  présentent  comme  des  « cimaises virtuelles »
 +
avec un accrochage hiérarchisé des œuvres : au centre, un choix d’œuvres « majeures » accessibles par une grande image, de petites vignettes interactives signalent d’autres œuvres importantes de la période, tandis qu’un bouton « plus d’œuvres »  affiche  des
 +
titres complémentaires. Il ne s’agit pas ici d’un jugement de valeur, mais d’une modalité
 +
d’affichage  qui  tient  compte  du  niveau  d’éditorialisation  des  contenus  proposés.  Il
 +
importe de rester dans un volume de 20 à 30 œuvres par tableau. Le nom des auteurs
 +
phares  renvoie  vers  leurs  modules  respectifs.  Le  contexte  est  documenté  par  des
 +
repères  historiques,  artistiques  et  scientifiques  accessibles  sous  forme  de  fiches  qui
 +
renvoient vers des requêtes dans Gallica.
 +
 +
===Modules auteurs et œuvres===
 +
 +
Les entrées auteurs et œuvres se déclinent en modules plus ou moins élaborés,
 +
afin  d’offrir  une  logique  de  découverte  par  niveaux.  Les  modules  principaux s’organisent en quatre rubriques qui
 +
structurent  une  approche  multimédia :  découvrir,
 +
rencontrer,  explorer,  approfondir.
 +
 +
[[Fichier:CIDE (2015) Laborderie Fig 4.png|600px|center|thumb|Fig. 4. Les Essentiels : module auteur]]
 +
 +
Plus  ou  moins  complexes  selon  le  statut  de
 +
l’auteur
 +
ou de l’œuvre mais aussi des ressources et contenus disponibles, les modules
 +
proposent  une  approche  allant  du  plus  synthétique  et  visuel  au  plus  textuel  et
 +
approfondi.
 +
* « Découvrir » introduit l’auteur ou l’œuvre en images pour en donner, sur le modèle de l’exposition virtuelle, les clés de compréhension.
 +
* « Rencontrer »  propose  un  entretien  audiovisuel  de  quelques  minutes  avec  un spécialiste qui fait partager sa passion et donne l’envie de lire.
 +
* « Explorer »  présente  des  collections  d’estampes  et  de  manuscrits  organisées  en albums thématiques selon la logique d’un propos qui se décline d’image en image.
 +
* « Approfondir »  rassemble  des  pages  de  dossier : À propos de l’auteur ou l’œuvre, articles  plus  détaillés  et,  le  cas  échéant,  chronologie,  bibliographie,  repères,  sites internet, etc. Une sélection d’extraits, soigneusement choisis, invite à découvrir le texte intégral dans une édition sélectionnée pour sa lisibilité.
 +
Les  modules  « secondaires»,  moins  éditorialisés,  reprennent  quelques-uns  de
 +
ces éléments qui sont tous modulaires et peuvent s’enrichir progressivement. De
 +
puis l’auteur, on accède
 +
aux œuvres sélectionnées.
 +
L’accès à data.bnf.fr permet d’ouvrir vers
 +
les ressources du catalogue. La page peut être
 +
partagée.
 +
 +
===L’approche thématique===
 +
L’esclavage, l'image de l'autre, l'Orient, la place des femmes...:  des thèmes
 +
transverses tissent des liens entre les œuvres dans un siècle donné ou à travers les
 +
époques.  Ils  permettent  aussi  d'éclairer  le  passé  par  des  regards  contemporains.
 +
Sont proposés quatre types d’approches  thématiques, de la  plus éditorialisée à la  moins
 +
éditorialisée :  parcours  pédagogiques,  genres  littéraires,  groupements  documentaires,
 +
entretiens  audiovisuels.
 +
Chaque parcours propose une piste pédagogique qui s’appuie
 +
sur une anthologie et un album d’images.
 +
Des  outils  de  recherche  permettent  de  trouver  aisément  tout  type  de
 +
ressources dans le site. Réalisés en partenariat avec l’Éducation nationale, les Essentiels
 +
prendront  place  dans  le  portail  « Éduthèque »<ref>Le portail Éduthèque : http://www.edutheque.fr/accueil.html</ref> grâce  auquel  les  enseignants  peuvent télécharger les images et les vidéos.
 +
 +
==Conclusion==
 +
À l’image du web qui est une culture de l'hybridation, l’éditorialisation recourt à
 +
plusieurs modèles et requiert des compétences issues de différents métiers. De l’expert
 +
en  sciences  de  l'information,  on  retient  les  techniques  d'architecture  de  l'information,
 +
d’indexation  et  de  gestion  de  contenu.  Du  savoir-faire  de  l'éditeur  importent  le  choix
 +
des  contenus,  la  légitimation  de  ces  contenus  et  leur  diffusion.  Bien  connaître  son  « lectorat »,  construire  des  narrations  ( ''storytelling'' )  et  mettre  en  place  un  processus  de publication,  le
 +
''workflow'' éditorial. Du journaliste prévalent un principe d’écriture et une
 +
manière  de  construire  des  articles :  accroche  et  intertitres  qui  relancent  l'intérêt  et
 +
facilitent la lecture indicielle, cette lecture par balayage très courante sur le
 +
web et axée sur  la  recherche  d'information.
 +
Ainsi  que
 +
la  démarche  de  vérifier  ses  sources  et
 +
de
 +
garantir l’information. Du conservateur, on retient l'idée de «
 +
prendre soin
 +
»  ( ''curare'' ) de
 +
son contenu, de développer autour une expertise, et de le renseigner
 +
, le décrire avec des informations  normalisées  qui  constitueront  nos  métadonnées.  Du  bibliothécaire,
 +
l’expérience de médiation autour des collections
 +
et son approche documentaire.
 +
===Document, corpus, canon===
 +
Toutes  ces  expertises  dessinent  une
 +
nouvelle  manière  de  concevoir  et présenter des contenus : construire un discours interactif et multimodal, en réseau avec
 +
des documents qui ouvrent sur les collections de la bibliothèque numérique, voire sur le
 +
web. En effet, «l’usage simultané et non séquentiel de différents contenus redessine la
 +
manière de construire et de transmettre les savoirs ». ({{CIDE lien citation|Benhamou, 2014}}).
 +
 +
Car, si la numérisation change la nature du document, elle bouleverse autant la
 +
nature  du  corpus,  désormais  multimédia,  multipliant  les  accès  aux  œuvres
 +
et
 +
interconnectant les documents. Le canon de la littérature évolue avec la numérisation :
 +
grâce à la mise en réseau, une attention plus soutenue peut être apportée aux mémoires
 +
et  aux  correspondances  qui  éclairent  une  sociologie  de  la  littérature  et  remettent  en
 +
contexte  les  « grandes œuvres ». Ainsi par exemple de l’éditorialisation des lettres de Voltaire dans le
 +
projet ''Electronic Enlightenment'' (EE)<ref>Informations reprises d'après le site web Electronic Enlightenment :
 +
http://www.e-enlightenment.com/about/</ref>. Cette base de données ne se limite
 +
pas aux seules lettres de Voltaire. Elle ouvre sur des correspondanc
 +
es en série, avec des
 +
possibilités  de  recherche  sémantique,  biographique  et  thématique.  Hébergé  par  la
 +
Bodleian    Library    (bibliothèque    universitaire    d'Oxford),
 +
Electronic    Enlightenment
 +
comprend  actuellement  près  de  60 000  lettres  et  documents.  Provenant  de plus  de 7 000 personnes –
 +
des penseurs et savants, politiciens et diplomates, mais aussi des gens
 +
ordinaires, fonctionnaires, commerçants, écrivant depuis l'Europe, l'Amérique ou l'Asie –
 +
ces correspondances permettent de saisir dans toute sa complexité la
 +
naissance de la
 +
société moderne au XVIII{{e}}siècle.
  
 +
De telles entreprises d’éditorialisation scientifique changent notre regard sur la
 +
littérature.  C’est  là  un  des  enjeux  des  humanités  numériques :  grâce  aux  nouvelles
 +
technologies, changer l’approche du document, la nature du corpus, le canon même de
 +
la discipline, construire ainsi les conditions d’une épistémè numérique.
  
 
==Références bibliographiques==
 
==Références bibliographiques==
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==Voir aussi==
 
==Voir aussi==
 
Cet article est reproduit sur :
 
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* {{Wicri lien|wiki=Arts}}, {{Wicri lien|wiki=France}}
+
* {{Wicri lien|wiki=Arts}}, {{Wicri lien|wiki=Musique}}, {{Wicri lien|wiki=France}}
 
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[[Catégorie:Épistémè numérique]]
 
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[[Catégorie:Article avec PDF]]
 
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Version actuelle datée du 29 novembre 2018 à 22:27

Éditorialisation des bibliothèques numériques : le cas des Essentiels de Gallica


 
 

 
Titre
Éditorialisation des bibliothèques numériques : le cas des Essentiels de Gallica
Titre (anglais) 
Editorialization Digital Librairies: the case of Gallica Essentials
Auteurs
Arnaud Laborderie
Affiliation
BnF, Chaire Unesco ITEN, Université Paris-VIII, Laboratoire Paragraphe
In
CIDE'18 (Montpellier 2015)
En ligne
https://hal-bnf.archives-ouvertes.fr/hal-01239425
Résumé
L’éditorialisation désigne les pratiques de publication et d’accessibilité des contenus sur le web, lesquelles posent des questions épistémologiques sur l’authenticité et la véracité de l’information. Au-delà de ses techniques et de ses formes, l’éditorialisation interroge la fonction éditoriale et auctoriale. Sélectionner, structurer, hiérarchiser, documenter, donner du sens : dans ce processus, les bibliothèques ont une responsabilité au même titre que les éditeurs. Au-delà de la mise à disposition de leurs ressources numériques, elles sont engagées dans la production de contenus sur le web. Première d’entre elles, la Bibliothèque nationale de France (BnF) est doublement impliquée : d’une part avec des ressources accessibles et interopérables grâce à data.bnf.fr et des corpus structurés dans Gallica, d’autre part avec une médiation spécifique à destination des publics scolaires et des enseignants, «Les Essentiels de la littérature». Il s’agit d’une interface éditorialisée à la bibliothèque numérique qui tient compte des pratiques anthologiques actuelles pour faire découvrir notre patrimoine littéraire à travers des parcours guidés dans les collections.
Mots-clés
Éditorialisation, bibliothèque numérique, médiation numérique, curation de contenu.

Introduction

Le numérique bouleverse profondément notre rapport au savoir avec un document qui a changé de nature. La numérisation a transformé le dcument en pixels et octets. Il n’est plus qu’une longue chaîne de 0 et de 1. Dématérialisé, celui-ci se prête à toutes les manipulations. La preuve qu’il pouvait apporter est désormais relative, selon les contextes d’interprétation. Dans l’environnement numérique, son authenticité peut être remise en cause alors que disparaît la notion même d’original derrière des copies potentiellement infinies (Pédauque, 2006). Ces questions épistémologiques constituent une véritable rupture : le document n’est plus à considérer en termes de structure ou d’objet mais de flux. Hétérogène, il est de tout type : tout peut devenir document dès lors qu’il porte une information. Selon Pédauque, «l’affaire du document n’est ni sa matière, ni sa forme, mais son usage. » (Ibid.).

Dans le même temps, le document numérique connaît une croissance exponentielle. Sa prolifération n’en menace-t-elle pas la survie ? N’a-t-on pas lieu de craindre, dans un monde post-numérique, alors que tout est potentiellement document, que rien ne le soit plus  ? Déjà le document semble voué au fragment, sous le double coup du processus de discrétisation et des usages anthologiques. Le fragment n’est-il pas la seule trace à conserver dans des pratiques qui visent à faire disparaître les documents derrière des données qu’il s’agit de visualiser dans des représentations de masse interprétées par des machines ? Une trace à sauvegarder comme vestige de l’œuvre ? Ce qu’on peut craindre en effet dans un monde post-numérique, c’est la perte de l’original au profit des représentations.

L’usage crée une nouvelle « épistémè numérique » (Stiegler, 2012) et requiert de nouvelles compétences, une «digital literacy» (Doueihi, 2008) : trier, hiérarchiser, fiabiliser, sourcer, corréler, etc. Il s’agit de former les esprits à trouver les bonnes informations, les bons documents, et savoir les assembler pour qu’ils fassent sens. Le lecteur est en effet constamment invité à construire du sens à partir des matériaux multiples et hétérogènes (Grafton, 2012).

Les conditions de conservation et de consultation ont également changé : conservé dans quelque datacenter , avec ses contraintes, ses fragilités et ses coûts, le document électronique n’est pas sans matérialité alors que le web donne l’illusion d’un document dématérialisé accessible en toute circonstance. En réalité, nombre de documents numérisés ne sont présents sur le réseau que derrière des systèmes de protection, des abonnements, sur des intranets, etc. Ces restrictions rendent difficiles d’accès certains documents des plus qualifiés, favorisant ceux disponibles sur internet sans filtre ni garantie. Leur fiabilité dépend en effet de l’instance de publication : la caution que l’éditeur apporte à la publication du document se délite sur le web où chacun peut publier des documents qui s’hybrident par nature. Des documents hétérogènes, multimédias, constitués de textes, d’images, d’audiovisuels, voire d’animations. Pluriels et dématérialisés, ils ne sont plus consultables qu’à travers un dispositif informationnel qui les rematérialise dans une interface qui doit restituer l’intégrité du document et permettre sa consultation, son exploitation par une communauté de lecteurs, son interconnexion avec d’autres documents. Tout l’enjeu de l’interface, c’est de restituer les trois dimensions du document selon Pédauque : forme, texte, médium.

Le web comme interface de médiation

L’usage n’impose-t-il pas le web comme interface de lecture et de transmission des connaissances en lieu et place du livre ? Le web se présente en effet comme une interface de médiation, de représentation du monde et d’organisation des savoirs. Alors même que les éditeurs sont menacés par la remise en cause de leur modèle économique, il importe d’appliquer au web les principes du livre : il s’agit véritablement « d’éditer le web » (Bon, 2011). Quelle confiance peut-on conférer au dispositif informationnel considéré, logiciel de lecture, site web ou plateforme collaborative ?

Face à la « crise des médiateurs » sur le web, l’institution, conservatoire des collections patrimoniales, a un rôle déterminant : par la constitution de bibliothèques numériques et de bases de données, elle est garante de confiance et d’autorité. Investie d’une mission de service public, l’institution est une référence et s’impose comme un contrepouvoir face à des entreprises privées de numérisation des documents et de privatisation des usages (Jeanneney, 2007).

Pour autant, malgré l’optimisation des conditions d’accès aux documents, la croissance exponentielle des ressources numériques pose le problème d’interpréter la liste de résultats : difficulté à trier, hiérarchiser, identifier les documents pertinents pour un usage donné. Face à l'expansion des données, l'éditorialisation peut-elle guider et donner du sens ?

Pratiques et enjeux de l’éditorialisation

Le terme « éditorialisation » recouvre les pratiques de publication et d’accessibilité des contenus sur le web. Il a d’abord été employé par Bruno Bachimont pour désigner « le processus consistant à enrôler des ressources pour les intégrer dans une nouvelle publication. Sortant de la logique purement documentaire, l’éditorialisation est une exploitation des contenus se fondant sur la recherche d’information mais ne s’y limitant pas. L’éditorialisation est la conclusion logique du processus de numérisation des contenus. » (Bachimont, 2007). L’auteur insiste sur des pratiques qui consistent à discrétiser les ressources numériques en unités documentaires, en segments pouvant être utilisés dans n’importe quel contexte, sans lien avec la source d’origine et dans un autre sens. Ceci pose des problèmes épistémologiques quant à l’authenticité et la véracité des documents numériques ainsi produits. Plus largement, l’éditorialisation « met l’accent sur les dispositifs technologiques qui déterminent le contexte d’un contenu et son accessibilité. Éditer un contenu ne signifie pas seulement le choisir, le légitimer, le diffuser, mais lui donner son sens propre en l’insérant dans un contexte technique précis, en le reliant à d’autre contenu, en le rendant visible grâce à son indexation, à son référencement, etc. » (Vitalo-Rossati et Sinatra, 2014). Toutes les actions destinées à rendre accessible et visible un contenu sur le web relèvent donc de l’éditorialisation. « Même la recommandation d’un document dans un réseau social est une pratique d’éditorialisation. » (Ibid.)

Sur le plan technique, c'est d'abord un enjeu de structuration des contenus, à la fois par hiérarchisation, rubricage et maillage. L’indexation et les métadonnées assurent l’accessibilité et l’interopéralité. Des solutions logicielles de type CMS (Content Management System) permettent de formater les contenus en prescrivant des pratiques éditoriales. Les CMS s'imposent comme des outils incontournables qui facilitent et encadrent le processus de production — c’est un avantage certain, non sans inconvénient car ces mêmes CMS formatent les contenus qui tendent vers toujours plus de standardisation. Il importe alors de savoir jouer des contraintes et d’être créatif. Éditorialiser, c’est aussi personnaliser sa plateforme de publication en termes de design et de mise en page, c’est encore sélectionner les ressources à mettre en avant. Le lecteur lui-même est invité dans le processus d’éditorialisation par la contribution, le partage ou la recommandation. Degré zéro de l'éditorialisation, le simple geste de likera des conséquences parfois décisives en termes de visibilité des contenus. Les réseaux sociaux, parce qu’ils cherchent à garder le lecteur dans leurs écosystèmes, génèrent des formes spécifiques d’éditorialisation, algorithmiques, par extraction et génération de contenus. Aussi faut-il distinguer l’éditorialisation qui procède de l’algorithme de celle procédant du lecteur.

En tant que pratique individuelle, l'éditorialisation peut s'inscrire dans une démarche de veille informationnelle : il s'agit pour l’internaute de sélectionner des ressources et de se les approprier. On peut distinguer trois étapes dans ce processus : rééditer du contenu en l’adaptant aux contraintes éditoriales du web ; contextualiser ce contenu pour qu’il fasse sens ; l’enrichir, lui apporter une valeur ajoutée, un point de vue, un angle singulier. Éditer, contextualiser, enrichir : ces actions procèdent du lecteur qui produit ainsi son propre contenu, personnalisé. Face à la surabondance des contenus sur le web, de telles pratiques de curation peuvent guider par une fonction éditoriale subjectivée.

En tant que pratique documentaire, l'éditorialisation est au service du sens  : elle offre un appareillage herméneutique en permettant l’interconnexion des documents, en distinguant les sources primaires ou secondaires, en contextualisant. Attachée au document ou à l'ensemble documentaire, elle rend possible des effets de zoom informationnel. C'est une nécessité face à la diversité de ressources hétérogènes classées par type ou cloisonnées par disciplines. L'éditorialisation offre alors la possibilité de réordonner les documents et de construire du sens.

Ainsi, sur le web, l’édition se transforme en éditorialisation : cette pratique d’organisation et de structuration de l’information participe à la production et à la circulation du savoir. Individuelle ou collective, elle s’affirme comme une pratique auctoriale autant qu’éditoriale. L’éditorialisation va-t-elle se substituer à l’édition ? Avec la révolution numérique, l’édition est en mutation à la fois dans son processus de production (la chaîne du livre) et dans son modèle économique (Benhamou, 2014). La facilité de publication sur le web et les pratiques d’autoédition questionne un modèle éprouvé depuis des siècles. Faut-il craindre une « édition sans éditeurs » (Schiffrin, 1999) quand des acteurs comme Amazon cherchent à imposer leur modèle ? Paradoxalement, on n’a jamais tant eu besoin des éditeurs pour guider le lecteur dans la surabondance des contenus. Sans doute ne faut-il pas craindre la mort de l’éditeur pas plus que la mort du livre. Demeure par nécessité le maintien d’une fonction. Ce qui risque de mourir, c’est la caution de l’éditeur, garant d’une ligne éditoriale, de la qualité des œuvres et de leur diffusion.

Face à ces bouleversements, une institution telle que la BnF s’impose comme garant de qualité, de véracité et d’authenticité : c’est pourquoi elle assure une fonction éditoriale et investit pleinement l’éditorialisation, en tenant compte des usages émergents.

Actualiser des pratiques ancestrales

Ces pratiques d’éditorialisation qui nous paraissent si actuelles n'en sont pas nouvelles pour autant : elles puisent à une longue tradition d'édition des textes et de perfectionnement des usages multipliant les modalités d'accès aux œuvres. Prenons l’exemple des concordances, déjà présentes dans la tradition livresque juive ainsi que dans la bibliothèque d’Alexandrie. Elles peuvent nous apparaître comme des formes d’éditorialisation qui seront reprises par les bibliothèques chrétiennes dès le IIe siècle de notre ère. En établissant des correspondances entre les Évangiles avec un principe d’indexation et en mettant en place tout un dispositif de production des textes, Eusèbe de Césarée n’a-t-il pas, au tournant des IIIe et IVe siècles, en quelque sorte « éditorialisé » le Nouveau Testament ? Chaque Évangile fut en effet découpé en segments, classés dans dix tables auxquelles le lecteur est invité à se reporter, pour découvrir les passages semblables, par un numéro indiqué dans la marge (Grafton, 2012). Ces correspondances préfigurent les hyperliens. Plus tard, en accueillant la glose dans l’intérieur même du texte, les copistes médiévaux créaient des paratextes offrant, dans des mises en pages sophistiquées, des parcours de lecture et d’interprétation véritablement « hypertextuels ».

Mise au point au XVIe siècle, la roue à livres permettait une lecture comparée de plusieurs livres simultanément. N'est-ce pas déjà du multitâche à fenêtres multiples ? Avec un savoir médiéval circonscrit qui brusquement s'ouvrait aux savoirs antiques, lesquels semblaient infinis, les Humanistes se sont confrontés, dans un contexte différent, à une situation identique à la nôtre : de la rareté à l'abondance, l’arbre du savoir médiéval plongeait dans l'océan des savoirs antiques. Constitués sur plus d'un millénaire, les savoirs de l'Antiquité excédaient tout ce que les scolastiques avaient accumulé en quelques siècles. Des tels savoirs soudain révélés par l’Orient dépassaient l'entendement. L'homme de la Renaissance s'est employé à mettre en place des méthodes et des formes d’accès, d'apprentissage, de transmission, qui permettaient d’embrasser ces savoirs immenses : en développant toute une épistémologie du fragment à travers les florilèges, centons et lieux communs. Constitués sur une trentaine d’années, les quelques quatre mille adages d’Érasme embrassent ainsi la totalité de la littérature antique par une sélection de citations, structurées et commentées. Érasme use de la métaphore de l’abeille « volant autour de toutes les espèces de fleurs, d’herbes, d’arbrisseaux » transformées en elle par un processus digestif : « tu n’y reconnaîtrais la saveur ou l’odeur ni de la fleur ni de l’arbrisseau butiné, mais la production de la petite abeille composée de tous ces éléments. » (Ciceronianus, 1528). Un tel « butinage », déjà en usage sous l’Antiquité, est théorisé par les Humanistes et pratiqué comme une méthode, un moyen de transmission des connaissances, et même un modèle rhétorique (Moss, 2002). Cette manière devait trouver son couronnement dans les Essais de Montaigne. Toute une méthode de lecture, d’apprentissage et de transmission se fonde sur un principe de résumés, de citations, d'anthologies et d'appropriation individuelle dans des carnets de lieux communs. Des lieux communs, antérieurs à toutes considérations de propriété intellectuelle, qui résonnent singulièrement avec la notion émergente de « bien commun numérique ».

N’est-ce pas le propre du numérique de revisiter des pratiques ancestrales, de les hybrider, dans une tension entre ruptures et continuités  ? Ces pratiques, prises aujourd'hui dans un autre contexte, avec une autre dimension, posent les mêmes problématiques et les mêmes enjeux de sélection, d'indexation, d'édition et de médiation. À tel point qu'on parle de notre époque comme d'une Renaissance et d'un humanisme numérique (Doueihi, 2011).

L’apport des bibliothèques : indexation, métadonnées, pratiques documentaires

Le processus d'éditorialisation recourt à des pratiques bibliothéconomiques éprouvées, à la fois dans l’indexation, la constitution des catalogues et la description des ressources.

Le catalogage et l’indexation permettent d’identifier et de localiser les ressources dans les collections des bibliothèques, de tout type et support, voire d’y accéder directement dans le cas de ressources numérisées. Des notices bibliographiques contiennent des informations précisant, pour un livre par exemple, le titre, l’auteur, l’éditeur, la date, etc. Ces métadonnées sont structurées dans des formats standardisés, tel UNIMARC, le format officiel d’échange de l’information bibliographique en France. C’est à l’aide d’un format minimal de quinze éléments, le Dublin Core, que sont décrites les entités documentaires sur le web. Ces métadonnées permettent de passer du web des documents au web de données, ou « web sémantique » dont l’enjeu consiste à « pouvoir déléguer à la machine une partie de l’interprétation des ressources du web ». (Bachimont, 2011).

Un modèle de données permet d’exprimer informatiquement des données hétérogènes, le RDF (Resource Description Framework), qui repose sur une structure logique de trois éléments, dite « triplet »: sujet, prédicat, objet. Ces triplets permettent de lier les informations entre elles et de les interroger. L’enrichissement des métadonnées participe du processus d’éditorialisation en déterminant la visibilité des contenus. La qualité des métadonnées s’avère en effet stratégique dans un environnement informationnel à la croissance exponentielle.

À ces pratiques bibliothéconomiques s’ajoutent des pratiques documentaires de médiation : la gestion de l'information ne se contente plus d'une mise à disposition des ressources mais évolue vers une production propre qui tend à structurer les contenus en ligne. Les bibliothécaires pratiquent depuis longtemps des formes d’éditorialisation de contenus sous la forme de bibliographies, de « coups de cœur » ou de listes d'acquisitions, axées autour de la valorisation de leurs collections. Avec l'explosion des ressources en ligne, ils développent leur offre de contenu et investissent un nouveau rôle de « curateur » de l'information (Di Pietro, 2014). Ainsi le processus d'éditorialisation permet-il d’impliquer les métiers des bibliothèques et de les repenser, en interprétant le bibliothécaire comme « journaliste de ses collections » (Dujol, 2011).

L'éditorialisation à la BnF

La numérisation de masse des collections patrimoniales a révélé de nouveaux enjeux : alors que toute information, tout document, sont immédiatement disponibles sur le web, l'accroissement exponentiel des bases de données rend, paradoxalement, cette information, ce document, plus difficiles à trouver.

Plus de 4,2 millions de documents sont aujourd’hui accessibles sur Gallica  : interroger « Jean-Jacques Rousseau », c’est obtenir plus de 13 000 résultats, pas moins de 6 200 résultats pour « Les Confessions ». Seul le chercheur, l'expert, parce qu'il manipule les outils de recherche fédérée, parce qu’il sait user des filtres qui lui permettent de trier les résultats, parce qu’il concatène des mots-clés pertinents, parvient à trouver le texte, l’édition, le manuscrit, l’image qui peuvent l’intéresser. Le grand public, lui, ne peut qu’être dérouté par une telle abondance de la ressource et, dans bien des cas, se détourne de ces bases de données, pourtant au cœur même de la connaissance et du processus de construction des savoirs. Les modalités d’accès à ces ressources et l’éditorialisation deviennent alors déterminantes : c’est en effet là, dans la bibliothèque numérique, que se trouvent les sources primaires et les autorités qui fiabilisent l’information. La sémantisation des ressources, les métadonnées affectées à chaque document, les architectures catégorielles et ontologiques, les index, les listes etc. offrent de multiples manières de circuler dans ces bases, au-delà du champ « rechercher ». Mais comment naviguer au-delà de la liste de résultats et du filtrage à facettes ?

Une nouvelle interface pour Gallica

Mise en ligne en 1997, Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, n’a cessé de se transformer pour prendre en compte la richesse et la diversité des contenus disponibles et pour répondre aux évolutions des usages du web. Le moteur de recherche Cloudview, développé en 2013 par la société Exalead, améliore la pertinence des résultats et intègre des fonctionnalités d’aide à la recherche. Une nouvelle interface de Gallica[1] est ouverte au public depuis le 1er octobre 2015: nouveau graphisme, nouveau visualiseur et nouvelles fonctionnalités, comme l'intégration de la recherche avancée et la mise en place du téléchargement de documents aux formats jpeg et pdf. Un visualiseur unique permet de choisir différents modes d’affichage (simple page, double page, défilement vertical, vue d’ensemble mosaïque) et de manipuler plus facilement les documents. Des améliorations ont aussi été apportées aux listes de résultats de l’interface de recherche[2].

Fig. 1.Nouvelle interface de Gallica: page d’accueil et visualiseur

La bibliothèque numérique constitue le troisième espace que la BnF offre au public, avec sa bibliothèque d’étude et sa bibliothèque de recherche. Comment circuler dans cet espace virtuel ? Quels dispositifs de consultation pour ses lecteurs ? Quels chemins d’accès proposer à un plus large public au sein de ses collections ?

Data.bnf.fr : rendre accessibles les données de la BnF

Face à la difficulté de trier et hiérarchiser les résultats, la BnF a mis en place dès 2011 data.bnf.fr[3]: ce sont des pages de référence sur les auteurs, les œuvres et les thèmes qui regroupent les informations de Gallica et celles issues des différents catalogues bibliographiques. Les usagers peuvent accéder à ces données qui décrivent les ressources sans passer par des catalogues ou des portails spécifiques. Data.bnf.fr couvre actuellement 63% des notices bibliographiques du Catalogue général, pour 890 000 auteurs et quelque 8 millions de documents liés. Les données des catalogues de la BnF font partie de ce qu’on appelle le « web profond ». Une telle éditorialisation accroît leur visibilité en les rendant indexables par les moteurs de recherche. L’objectif est de valoriser sur le web la richesse des fonds et de servir de pivot entre les différentes ressources. Le projet s’inscrit dans une démarche d’ouverture de la BnF au web de données et d’adoption des standards du web sémantique.

Explorer les collections

L’éditorialisation de Gallica s’inscrit dans une démarche de médiation et de valorisation. Il s’agit d’orienter des publics potentiels en organisant les collections numérisées dans des parcours structurés par thèmes ou par disciplines. L’objectif est de faciliter la dissémination des ressources numériques et d’encourager la démocratisation de leurs usages. La difficulté réside dans l’impossibilité d’automatiser le requêtage, qui doit être fait manuellement et suppose un travail rétrospectif important car l’indexation n’est pas faite en fonction de l’éditorialisation. L’enjeu est d’éliminer le bruit par des requêtes complexes qui s’appuient sur le catalogue quand la cotation n’est pas suffisamment précise, ce qui est souvent le cas des collections antérieures à 1975. Une solution consiste à insérer dans les notices des codes projets que l’on peut ensuite requêter.

Les corpus ainsi éditorialisés concernent tous types de collections des différents départements de la BnF, par exemple : sciences naturelles, livrets xylographiques, archives de la Bastille, manuscrits carolingiens, cartes marines, histoire de France par l'image, partitions musicales par genre, etc. Le plus riche est le portail France-Japon[4], issu d'une coopération entre la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque nationale de la Diète (Tokyo). Il présente plus de 2 000 œuvres concernant les relations franco-japonaises et la connaissance du Japon en France des origines à 1914. Le parcours thématique est centré sur les collections imprimées des années 1850-1914. Une exploration des collections précieuses li ées au Japon vient le compléter : fonds anciens japonais, estampes japonisantes de la fin du XIXe siècle, car tes anciennes, premières photographies et images des organes de presse. Ces ressources numériques sont articulées avec les modules réalisés dans le cadre des expositions virtuelles.

Éditorialisation sur les réseaux sociaux

La présence de Gallica sur les réseaux sociaux assure la promotion des contenus numériques et des services associés, en tenant compte de l'évolution des pratiques du web et en expérimentant de nouvelles formes d'interactivité avec les utilisateurs.

Chaque jour, la page Facebook de Gallica[5] met en valeur un document ou un ensemble documentaire numérisés pour leur dimension patrimoniale ou historique, ou leur caractère insolite et inattendu. Elle permet ainsi de faire connaître la richesse et la qualité des collections numériques de la BnF. Les réactions et les commentaires des fans sont nombreux témoignant d'un véritable intérêt pour l'offre documentaire de Gallica et pour ce mode de valorisation « sociale » qui permet de partager les documents. Le fil Twitter de Gallica [6] relaye l’information et signale, de manière plus originale, les « trouvailles » des internautes, leur réappropriation et leur propre mise en valeur des contenus. Il valorise ainsi non seulement Gallica, mais aussi ses utilisateurs et la manière dont ceux-ci mentionnent, citent, commentent les documents numérisés par la BnF. D’autres médias sont encore utilisés pour la valorisation de Gallica : blog.bnf.fr, Lettre de Gallica, Pinterest. Dernièrement, l’équipe Gallica était invitée par le Huffington Post[7] à commenter l’actualité à partir des collections numériques.

Les « Essentiels de la littérature » dans Gallica

Peut-on aider à mieux voir, mieux lire, mieux connaître, en proposant une interface pour la bibliothèque numérique qui privilégie la découverte et favorise l’appropriation ? L’objectif des « Essentiels de la littérature » est d’amener vers Gallica des publics scolaires et des enseignants, en construisant des chemins d’accès, des parcours de connaissances, qui modélisent les usages et organisent les ressources – des ressources choisies, structurées, des contenus pertinents, qualifiés, travaillés. Offrir un accès simple et éditorialisé aux « essentiels  » de notre patrimoine littéraire et faire découvrir les auteurs et les œuvres littéraires dans leur contexte histori que et artistique. Le site comprend des repères sur les grands mouvements littéraires et artistiques, des modules présentant de manière attractive auteurs, œuvres et thèmes. Il importe de mettre en relation les imprimés avec les manuscrits, les illustrations, des corpus d'images, des enregistrements sonores et vidéos, des conférences en ligne... Le site permet enfin de tisser des liens intellectuels entre les œuvres et de créer des rebonds par des regards contemporains et des approches thématiques.

Fig. 2. Interface des Essentiels de Gallica : page d’accueil et entrée XVIIIe siècle

À terme, les « Essentiels » proposeront quelque 500 entrées dans l’histoire de la littérature. C’est un projet sur trois ans avec une déclinaison par siècle. Une première version du site, couvrant le XVIIIe siècle, a ouvert en octobre 2015 en même temps que la nouvelle interface de Gallica[8]. À côté de Voltaire, Diderot, Rousseau ou Montesquieu, le site fait place à des femmes comme Émilie du Châtelet, Manon Roland ou Olympe de Gouges et à des écrivains moins connus comme Louis-Sébastien Mercier, auteur du Tableau de Paris, chronique savoureuse de la vie parisienne à la veille de la Révolution.

C’est une triple approche anthologique qui a été privilégiée : sélection d’auteurs et d’œuvres accessibles selon trois niveaux ; sélection de ressources numériques commentées et visualisables au zoom ; sélection d’extraits qui renvoient vers le texte intégral. Des requêtes prédéfinies ouvrent vers des corpus plus larges de textes et d'images.

Le site s’articule autour de quatre entrées – périodes, auteurs, œuvres ou thèmes – qui sont mises en avant dès la page d’accueil. Au centre, une sélection d’œuvres s’affiche dans un slider qui fait le lien vers les modules concernés. Deux thèmes sont proposés ainsi qu’un choix d’auteurs. On accède à la barre de navigation générale de Gallica par une « tirette » dans le bandeau du haut.

Des tableaux chronologiques

Auteurs et œuvres prennent place dans des tableaux chronologiques proposant des repères historiques sur les événements, les découvertes scientifiques, les temps forts artistiques ou le mouvement des idées dans lesquels s'inscrit l'histoire littéraire. Il importe ici de contextualiser la littérature par période. Le XVIIIe siècle est ainsi découpé en quatre grands tableaux historiques et culturels :

  • 1685-1715 : Anciens contre Modernes
  • 1715-1751 : L’âge des expériences
  • 1751-1778 : Le triomphe des Lumières
  • 1778-1800 : L'ère des révolutions
Fig. 3.Les Essentiels: tableaux chronologiques
CIDE (2015) Laborderie Fig 3.2.png

Ces tableaux chronologiques se présentent comme des « cimaises virtuelles » avec un accrochage hiérarchisé des œuvres : au centre, un choix d’œuvres « majeures » accessibles par une grande image, de petites vignettes interactives signalent d’autres œuvres importantes de la période, tandis qu’un bouton « plus d’œuvres » affiche des titres complémentaires. Il ne s’agit pas ici d’un jugement de valeur, mais d’une modalité d’affichage qui tient compte du niveau d’éditorialisation des contenus proposés. Il importe de rester dans un volume de 20 à 30 œuvres par tableau. Le nom des auteurs phares renvoie vers leurs modules respectifs. Le contexte est documenté par des repères historiques, artistiques et scientifiques accessibles sous forme de fiches qui renvoient vers des requêtes dans Gallica.

Modules auteurs et œuvres

Les entrées auteurs et œuvres se déclinent en modules plus ou moins élaborés, afin d’offrir une logique de découverte par niveaux. Les modules principaux s’organisent en quatre rubriques qui structurent une approche multimédia : découvrir, rencontrer, explorer, approfondir.

Fig. 4. Les Essentiels : module auteur

Plus ou moins complexes selon le statut de l’auteur ou de l’œuvre mais aussi des ressources et contenus disponibles, les modules proposent une approche allant du plus synthétique et visuel au plus textuel et approfondi.

  • « Découvrir » introduit l’auteur ou l’œuvre en images pour en donner, sur le modèle de l’exposition virtuelle, les clés de compréhension.
  • « Rencontrer » propose un entretien audiovisuel de quelques minutes avec un spécialiste qui fait partager sa passion et donne l’envie de lire.
  • « Explorer » présente des collections d’estampes et de manuscrits organisées en albums thématiques selon la logique d’un propos qui se décline d’image en image.
  • « Approfondir » rassemble des pages de dossier : À propos de l’auteur ou l’œuvre, articles plus détaillés et, le cas échéant, chronologie, bibliographie, repères, sites internet, etc. Une sélection d’extraits, soigneusement choisis, invite à découvrir le texte intégral dans une édition sélectionnée pour sa lisibilité.

Les modules « secondaires», moins éditorialisés, reprennent quelques-uns de ces éléments qui sont tous modulaires et peuvent s’enrichir progressivement. De puis l’auteur, on accède aux œuvres sélectionnées. L’accès à data.bnf.fr permet d’ouvrir vers les ressources du catalogue. La page peut être partagée.

L’approche thématique

L’esclavage, l'image de l'autre, l'Orient, la place des femmes...: des thèmes transverses tissent des liens entre les œuvres dans un siècle donné ou à travers les époques. Ils permettent aussi d'éclairer le passé par des regards contemporains. Sont proposés quatre types d’approches thématiques, de la plus éditorialisée à la moins éditorialisée : parcours pédagogiques, genres littéraires, groupements documentaires, entretiens audiovisuels. Chaque parcours propose une piste pédagogique qui s’appuie sur une anthologie et un album d’images. Des outils de recherche permettent de trouver aisément tout type de ressources dans le site. Réalisés en partenariat avec l’Éducation nationale, les Essentiels prendront place dans le portail « Éduthèque »[9] grâce auquel les enseignants peuvent télécharger les images et les vidéos.

Conclusion

À l’image du web qui est une culture de l'hybridation, l’éditorialisation recourt à plusieurs modèles et requiert des compétences issues de différents métiers. De l’expert en sciences de l'information, on retient les techniques d'architecture de l'information, d’indexation et de gestion de contenu. Du savoir-faire de l'éditeur importent le choix des contenus, la légitimation de ces contenus et leur diffusion. Bien connaître son « lectorat », construire des narrations ( storytelling ) et mettre en place un processus de publication, le workflow éditorial. Du journaliste prévalent un principe d’écriture et une manière de construire des articles : accroche et intertitres qui relancent l'intérêt et facilitent la lecture indicielle, cette lecture par balayage très courante sur le web et axée sur la recherche d'information. Ainsi que la démarche de vérifier ses sources et de garantir l’information. Du conservateur, on retient l'idée de « prendre soin » ( curare ) de son contenu, de développer autour une expertise, et de le renseigner , le décrire avec des informations normalisées qui constitueront nos métadonnées. Du bibliothécaire, l’expérience de médiation autour des collections et son approche documentaire.

Document, corpus, canon

Toutes ces expertises dessinent une nouvelle manière de concevoir et présenter des contenus : construire un discours interactif et multimodal, en réseau avec des documents qui ouvrent sur les collections de la bibliothèque numérique, voire sur le web. En effet, «l’usage simultané et non séquentiel de différents contenus redessine la manière de construire et de transmettre les savoirs ». (Benhamou, 2014).

Car, si la numérisation change la nature du document, elle bouleverse autant la nature du corpus, désormais multimédia, multipliant les accès aux œuvres et interconnectant les documents. Le canon de la littérature évolue avec la numérisation : grâce à la mise en réseau, une attention plus soutenue peut être apportée aux mémoires et aux correspondances qui éclairent une sociologie de la littérature et remettent en contexte les « grandes œuvres ». Ainsi par exemple de l’éditorialisation des lettres de Voltaire dans le projet Electronic Enlightenment (EE)[10]. Cette base de données ne se limite pas aux seules lettres de Voltaire. Elle ouvre sur des correspondanc es en série, avec des possibilités de recherche sémantique, biographique et thématique. Hébergé par la Bodleian Library (bibliothèque universitaire d'Oxford), Electronic Enlightenment comprend actuellement près de 60 000 lettres et documents. Provenant de plus de 7 000 personnes – des penseurs et savants, politiciens et diplomates, mais aussi des gens ordinaires, fonctionnaires, commerçants, écrivant depuis l'Europe, l'Amérique ou l'Asie – ces correspondances permettent de saisir dans toute sa complexité la naissance de la société moderne au XVIIIesiècle.

De telles entreprises d’éditorialisation scientifique changent notre regard sur la littérature. C’est là un des enjeux des humanités numériques : grâce aux nouvelles technologies, changer l’approche du document, la nature du corpus, le canon même de la discipline, construire ainsi les conditions d’une épistémè numérique.

Références bibliographiques

[Bachimont, B. (2007)] « Nouvelles tendances applicatives. De l'indexation à l'éditorialisation », Gros, P., (dir.), L’indexation multimédia : description et recherche automatiques. Paris, Lavoisier, Hermès sciences.

[Bachimont, B. (2010)] « Enjeux et technologies : des données au sens », Documentaliste-Sciences de l’Information, vol. 48, n° 4.

[Benhamou, F. (2014)] Le livre à l'heure numérique : Papier, écrans, vers un nouveau vagabondage. Paris, Le Seuil.

[Bon, F. (2011)] Après le livre. Paris, Le Seuil.

[Dacos, M., Mounier, P., 2010] L’édition électronique. Paris, La Découverte.

[Di Pietro C., dir. (2014).] Produire des contenus documentaires en ligne : quelles stratégies pour les bibliothèques ? Villeurbanne, Presses de l’enssib.

[Doueihi, M., (2008).] La Grande conversion numérique. Paris, Le Seuil.

[Doueihi, M., (2011).] Pour un humanisme numérique. Paris, Le Seuil.

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 < http://labibapprivoisee.wordpress.com/2011/02/23/la-bibliotheque-un-plus-pour-le-web-social/ >

[Grafton, A., (2012)] La page de l'Antiquité à l'ère du numérique : histoire, usages, esthétiques. Paris, Hazan.

[Jeanneney J.-N. (2007).] Quand Google défie l'Europe : Plaidoyer pour un sursaut. Paris, Mille et une nuits.

[Laborderie, A., (2015).] « Le livre numérique enrichi : enjeux et pratiques de remédiatisation ». Journées doctorales de la SFSIC. Lille, les 21 et 22 mai.

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[Vandendorpe, C., (1999)] Du papyrus à l’hypertexte. Essai sur les mutations du texte et de la lecture . Paris, La Découverte.

Notes

  1. Nouvelle interface de Gallica : http://gallica.bnf.fr/
  2. Pour en savoir plus sur les nouvelles fonctionnalités de Gallica : http://blog.bnf.fr/gallica/index.php/2015/01/26/sur-gallica-labs-un-nouveau-visualiseur-de-documents/
  3. Informations reprises de la présentation en ligne. Pour en savoir plus http://data.bnf.fr/about
  4. Corpus France-Japon en ligne : http://gallica.bnf.fr/html/und/livres/france-japon. Rééditorialisation dans le cadre des expositions virtuelles : http://expositions.bnf.fr/france-japon/
  5. Créée en février 2010, la page Facebook de Gallica compte 87 027 « J’aime » au 4 juillet 2015 : http://www.facebook.com/GallicaBnF
  6. Lancé en août 2010. Le fil Twitter de Gallica compte 1639 abonnés au 4 juillet 2015. http://twitter.com/GallicaBnF
  7. En savoir plus : http://blog.bnf.fr/gallica/index.php/2015/09/21/quand-le-huffington-post- invite-gallica/
  8. Les Essentiels de la littérature : http://gallica.bnf.fr/essentiels
  9. Le portail Éduthèque : http://www.edutheque.fr/accueil.html
  10. Informations reprises d'après le site web Electronic Enlightenment : http://www.e-enlightenment.com/about/

Voir aussi

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