Introduction médecine expérimentale (1865) Bernard/Partie 3/Chapitre 2 : Différence entre versions

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(Deuxième exemple.)
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(II. - Le principe du déterminisme repousse de la science les faits indéterminés ou irrationnels)
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===II. -  Le principe du déterminisme repousse de la science les faits indéterminés ou irrationnels===
 
===II. -  Le principe du déterminisme repousse de la science les faits indéterminés ou irrationnels===
Nous avons dit ailleurs (p. 90) que notre raison comprend scientifiquement le déterminé et l’indéterminé, mais qu’elle ne saurait admettre l’''indéterminable'', car ce ne serait rien autre chose qu’admettre le merveilleux, l’occulte ou le surnaturel, qui doivent être absolument bannis de toute science expérimentale. De là il résulte que, quand un fait se présente à nous, il n’acquiert de valeur scientifique que par la connaissance de son déterminisme. Un fait brut n’est pas scientifique et un fait dont le déterminisme n’est point rationnel doit de même être repoussé de la science. En effet, si l’expérimentateur doit soumettre ses idées au critérium des faits, je n’admets pas qu’il doive y soumettre sa raison ; car alors il éteindrait le flambeau de son seul critérium intérieur et il tomberait nécessairement dans le domaine de l’indéterminable, c’est-à-dire de l’occulte et du merveilleux. Sans doute il existe dans la science un grand nombre de faits bruts qui sont encore incompréhensibles ; je ne veux pas conclure qu’il faut de parti pris
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Nous avons dit ailleurs (p. 95) que notre raison comprend scientifiquement le déterminé et l’indéterminé, mais qu’elle ne saurait admettre l’''indéterminable'', car ce ne serait rien autre chose qu’admettre le merveilleux, l’occulte ou le surnaturel, qui doivent être absolument bannis de toute science expérimentale. De là il résulte que, quand un fait se présente à nous, il n’acquiert de valeur scientifique que par la connaissance de son déterminisme. Un fait brut n’est pas scientifique et un fait dont le déterminisme n’est point rationnel doit de même être repoussé de la science. En effet, si l’expérimentateur doit soumettre ses idées au critérium des faits, je n’admets pas qu’il doive y soumettre sa raison ; car alors il éteindrait le flambeau de son seul critérium intérieur et il tomberait nécessairement dans le domaine de l’indéterminable, c’est-à-dire de l’occulte et du merveilleux. Sans doute il existe dans la science un grand nombre de faits bruts qui sont encore incompréhensibles ; je ne veux pas conclure qu’il faut de parti pris
  
 
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Version du 29 septembre 2020 à 09:56

Chapitre II - Exemples de critique expérimentale physiologique

Introduction à l’étude de la médecine expérimentale / Applications de la méthode expérimentale à l’étude des phénomènes de la vie


 
 

Portrait of Claude Bernard (1813-1878), French physiologist Wellcome V0026035.jpg      
Introduction à l’étude de la médecine expérimentale
Troisième partie
Applications de la méthode expérimentale à l’étude des phénomènes de la vie
Auteur
Claude Bernard
Chapitre II:
Exemples de critique expérimentale physiologique
<= Exemples d’investigation expérimentale physiologique
=> Chapitre III : De l’investigation et de la critique appliquées à la médecine expérimentale
     
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Chapitre II - Exemples de critique expérimentale physiologique


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La critique expérimentale repose sur des principes absolus qui doivent diriger l’expérimentateur dans la constatation et dans l’interprétation des phénomènes de la nature. La critique expérimentale sera particulièrement utile dans les sciences biologiques où règnent des théories si souvent étayées par des idées fausses ou assises sur des faits mal observés. Il s’agira ici de rappeler, par des exemples, les principes en vertu desquels il convient de juger les théories physiologiques et de discuter les faits qui leur servent de bases. Le critérium par excellence est, ainsi que nous le savons déjà, le principe du déterminisme expérimental uni au doute philosophique. À ce propos, je rappellerai encore que dans les sciences il ne faut jamais confondre les principes avec les théories. Les principes sont les axiomes scientifiques ; ce sont des vérités absolues qui constituent un critérium immuable. Les théories sont des généralités ou des idées scientifiques qui résument l’état actuel de nos connaissances ; elles constituent des vérités toujours relatives et destinées à se modifier par le progrès même des sciences. Donc si nous posons comme conclusion fondamentale qu’il ne faut pas croire absolument aux formules de la science, il faut croire au contraire


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d’une manière absolue à ses principes. Ceux qui croient trop aux théories et qui négligent les principes prennent l’ombre pour la réalité, ils manquent de critérium solide et ils sont livrés à toutes les causes d’erreurs qui en dérivent. Dans toute science le progrès réel consiste à changer les théories de manière à en obtenir qui soient de plus en plus parfaites. En effet, à quoi servirait d’étudier, si l’on ne pouvait changer d’opinion ou de théorie ; mais les principes et la méthode scientifiques sont supérieurs à la théorie, ils sont immuables et ne doivent jamais varier.

La critique expérimentale doit donc se prémunir non seulement contre la croyance aux théories, mais éviter aussi de se laisser égarer en accordant trop de valeur aux mots que nous avons créés pour nous représenter les prétendues forces de la nature. Dans toutes les sciences, mais dans les sciences physiologiques plus que dans toutes les autres, on est exposé à se faire illusion sur les mots. Il ne faut jamais oublier que toutes les qualifications de forces minérales ou vitales données aux phénomènes de la nature ne sont qu’un langage figuré dont il importe que nous ne soyons pas les dupes. Il n’y a de réel que les manifestations des phénomènes et les conditions de ces manifestations qu’il s’agit de déterminer ; c’est là ce que la critique expérimentale ne doit jamais perdre de vue. En un mot, la critique expérimentale met tout en doute, excepté le principe du déterminisme scientifique et rationnel dans les faits (p. 88-109). La critique expérimentale est toujours fondée sur cette même base, soit qu’


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on se l’applique à soi-même, soit qu’on l’applique aux autres ; c’est pourquoi dans ce qui va suivre nous donnerons en général deux exemples : l’un choisi dans nos propres recherches, l’autre choisi dans les travaux des autres. En effet, dans la science, il ne s’agit pas seulement de chercher à critiquer les autres, mais le savant doit toujours jouer vis-à-vis de lui-même le rôle d’un critique sévère. Toutes les fois qu’il avance une opinion ou qu’il émet une théorie, il doit être le premier à chercher à les contrôler par la critique et à les asseoir sur des faits bien observés et exactement déterminés.

I. - Le principe du déterminisme expérimental n’admet pas des faits contradictoires

Premier exemple.

Premier exemple. - Il y a longtemps déjà que j’ai fait connaître une expérience qui, à cette époque, surprit beaucoup les physiologistes : cette expérience consiste à rendre un animal artificiellement diabétique au moyen de la piqûre du plancher du quatrième ventricule. J’arrivai à tenter cette piqûre par suite de considérations théoriques que je n’ai pas à rappeler ; ce qu’il importe seulement de savoir ici, c’est que je réussis du premier coup, c’est-à-dire que je vis le premier lapin que j’opérai devenir très fortement diabétique. Mais ensuite il m’arriva de répéter un grand nombre de fois (huit ou dix fois) cette expérience sans obtenir le premier résultat. Je me trouvais dès lors en présence d’un fait positif et de huit ou dix faits négatifs ; cependant il ne me vint jamais dans l’esprit de nier ma première expérience


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positive au profit des expériences négatives qui la suivirent. Étant bien convaincu que mes insuccès ne tenaient qu’à ce que j’ignorais le déterminisme de ma première expérience, je persistai à expérimenter en cherchant à reconnaître exactement les conditions de l’opération. Je parvins, à la suite de mes essais, à fixer le lieu précis de la piqûre, et à donner les conditions dans lesquelles doit être placé l’animal opéré ; de sorte qu’aujourd’hui on peut reproduire le fait du diabète artificiel toutes les fois que l’on se met dans les conditions connues exigées pour sa manifestation.

À ce qui précède j’ajouterai une réflexion qui montrera de combien de causes d’erreurs le physiologiste peut se trouver entouré dans l’investigation des phénomènes de la vie. Je suppose qu’au lieu de réussir du premier coup à rendre un lapin diabétique, tous les faits négatifs se fussent d’abord montrés, il est évident qu’après avoir échoué deux ou trois fois, j’en aurais conclu non seulement que la théorie qui m’avait guidé était mauvaise, mais que la piqûre du quatrième ventricule ne produisait pas le diabète. Cependant je me serais trompé. Combien de fois a-t-on dû et devra-t-on encore se tromper ainsi ! Il paraît impossible même d’éviter d’une manière absolue ces sortes d’erreurs. Mais nous voulons seulement tirer de cette expérience une autre conclusion générale qui sera corroborée par les exemples suivants, à savoir, que les faits négatifs considérés seuls n’apprennent jamais rien.

Deuxième exemple.

Deuxième exemple. - Tous les jours on voit des discussions qui restent sans profit pour la science parce que


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l’on n’est pas assez pénétré de ce principe, que chaque fait ayant son déterminisme, un fait négatif ne prouve rien et ne saurait jamais détruire un fait positif. Pour prouver ce que j’avance, je citerai les critiques que M. Longet a faites autrefois des expériences de Magendie. Je choisirai cet exemple, d’une part, parce qu’il est très instructif, et d’autre part, parce que je m’y suis trouvé mêlé et que j’en connais exactement toutes les circonstances. Je commencerai par les critiques de M. Longet relatives aux expériences de Magendie sur les propriétés de la sensibilité récurrente des racines rachidiennes antérieures(1).

La première chose que M. Longet reproche à Magendie, c’est d’avoir varié d’opinion sur la sensibilité des racines antérieures, et d’avoir dit en 1822 que les racines antérieures sont à peine sensibles, et en 1839 qu’elles sont très sensibles, etc. À la suite de ces critiques, M. Longet s’écrie : « La vérité est une ; que le lecteur choisisse, s’il l’ose, au milieu de ces assertions contradictoires opposées du même auteur (loc. cit., p. 22). Enfin, ajoute M. Longet, M. Magendie aurait dû au moins nous dire, pour nous tirer d’embarras, lesquelles de ses expériences il a convenablement faites, celles de 1822 ou celles de 1839 » (loc. cit., p. 23).

Toutes ces critiques sont mal fondées et manquent complètement


(1) F. A. Longet, Recherches cliniques et expérimentales sur les fonctions des faisceaux de la moelle épinière et des racines des nerfs rachidiens, précédées d’un Examen historique et critique des expériences faites sur ces organes depuis sir Ch. Bell, et suivies d’autres recherches sur diverses parties du système nerveux (Archives générales de médecine, 1841, 3e série, I. X, p. 296, et f. XI, p. 129).


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aux règles de la critique scientifique expérimentale. En effet, si Magendie a dit en 1822 que les racines antérieures étaient insensibles, c’est évidemment qu’il les avait trouvées insensibles ; s’il a dit ensuite en 1839 que les racines antérieures étaient très sensibles, c’est qu’alors il les avait trouvées très sensibles. Il n’y a pas à choisir, comme le croit M. Longet, entre ces deux résultats ; il faut les admettre tous deux, mais seulement les expliquer et les déterminer dans leurs conditions respectives. Quand M. Longet s’écrie : La vérité est une…, cela voudrait-il dire que, si l’un des deux résultats est vrai, l’autre doit être faux ? Pas du tout ; ils sont vrais tous deux, à moins de dire que dans un cas Magendie a menti, ce qui n’est certainement pas dans la pensée du critique. Mais, en vertu du principe scientifique du déterminisme des phénomènes, nous devons affirmer a priori d’une manière absolue qu’en 1822 et en 1839, Magendie n’a pas vu le phénomène dans des conditions identiques, et ce sont précisément ces différences de conditions qu’il faut chercher à déterminer afin de faire concorder les deux résultats et de trouver ainsi la cause de la variation du phénomène. Tout ce que M. Longet aurait pu reprocher à Magendie, c’était de ne pas avoir cherché lui-même la raison de la différence des deux résultats ; mais la critique d’exclusion que M. Longet applique aux expériences de Magendie est fausse et en désaccord, ainsi que nous l’avons dit, avec les principes de la critique expérimentale.

On ne saurait douter qu’il s’agisse dans ce qui précède


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d’une critique sincère et purement scientifique, car, dans une autre circonstance relative à la même discussion, M. Longet s’est appliqué à lui-même cette même critique d’exclusion, et il a été conduit, dans sa propre critique, au même genre d’erreur que dans celle qu’il appliquait à Magendie.

En 1839, M. Longet suivait, ainsi que moi, le laboratoire du Collège de France, lorsque Magendie, retrouvant la sensibilité des racines rachidiennes antérieures, montra qu’elle est empruntée aux racines postérieures, et revient par la périphérie, d’où le nom de sensibilité en retour ou sensibilité récurrente qu’il lui donna. M. Longet vit donc alors, comme Magendie et moi, que la racine antérieure était sensible et qu’elle l’était par l’influence de la racine postérieure, et il le vit si bien, qu’il réclama pour lui la découverte de ce dernier fait(1). Mais il arriva plus tard, en 1841, que M. Longet, voulant répéter l’expérience de Magendie, ne trouva pas la sensibilité dans la racine antérieure. Par une circonstance assez piquante, M. Longet se trouva alors, relativement au même fait de sensibilité des racines rachidiennes antérieures, exactement dans la même position que celle qu’il avait reprochée à Magendie, c’est-à-dire qu’en 1839, M. Longet avait vu la racine antérieure sensible et qu’en 1841 il la voyait insensible. L’esprit sceptique de Magendie ne s’émouvait pas de ces obscurités et de ces contradictions apparentes ;


(1) Longet, Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. VIII, p. 787. 3 et 10 juin. Comptes rendus de l’Académie des sciences. 4 juin ; Gazelle des hôpitaux, 13 et 18 juin 1839.


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il continuait à expérimenter et disait toujours ce qu’il voyait. L’esprit de M. Longet, au contraire, voulait avoir la vérité d’un côté ou de l’autre ; c’est pourquoi il se décida pour les expériences de 1841, c’est-à-dire pour les expériences négatives, et voici ce qu’il dit, à ce propos : « Bien que j’aie fait valoir à cette époque (1839) mes prétentions à la découverte de l’un de ces faits (la sensibilité récurrente), aujourd’hui, que j’ai multiplié et varié les expériences sur ce point de physiologie, je viens combattre ces mêmes faits comme erronés, qu’on les regarde comme la propriété de Magendie ou la mienne. Le culte dû à la vérité exige qu’on ne craigne jamais de revenir sur une erreur commise. Je ne ferai que rappeler ici l’insensibilité tant de fois prouvée par nous des racines et des faisceaux antérieurs, pour que l’on comprenne bien l’inanité de ces résultats qui, comme tant d’autres, ne font qu’encombrer la science et gêner sa marche.(1) » Il est certain, d’après cet aveu, que M. Longet n’est animé que du désir de trouver la vérité, et M. Longet le prouve quand il dit qu’il ne faut jamais craindre de revenir sur une erreur commise. Je partage tout à fait son sentiment et j’ajouterai qu’il est toujours instructif de revenir d’une erreur commise. Ce précepte est donc excellent et chacun peut en faire usage ; car tout le monde est exposé à se tromper, excepté ceux qui ne font rien. Mais, la première condition pour revenir d’une erreur, c’est de prouver qu’il y a erreur. Il ne suffit pas de dire : je me suis trompé ; il faut dire comment


(1) Longet, loc. cit., p. 21.


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on s’est trompé, et c’est là précisément ce qui est important. Or, M. Longet n’explique rien ; il semble dire purement et simplement : En 1839, j’ai vu les racines sensibles, en 1841 je les ai vues insensibles plus souvent, donc je me suis trompé en 1839. Un pareil raisonnement n’est pas admissible. Il s’agit en effet, en 1839, à propos de la sensibilité des racines antérieures, d’expériences nombreuses dans lesquelles on a coupé successivement les racines rachidiennes, pincé les différents bouts pour constater leurs propriétés. Magendie a écrit un demi-volume sur ce sujet. Quand ensuite on ne rencontre plus ces résultats, même un grand nombre de fois, il ne suffit pas de dire, pour juger la question, qu’on s’est trompé la première fois et qu’on a raison la seconde. Et d’ailleurs pourquoi se serait-on trompé ? Dira-t-on qu’on a eu les sens infidèles à une époque et non à l’autre ? Mais alors il faut renoncer à l’expérimentation ; car la première condition pour un expérimentateur, c’est d’avoir confiance dans ses sens et de ne jamais douter que de ses interprétations. Si maintenant, malgré tous les efforts et toutes les recherches, on ne peut pas trouver la raison matérielle de l’erreur, il faut suspendre son jugement et conserver en attendant les deux résultats, mais ne jamais croire qu’il suffise de nier des faits positifs au nom de faits négatifs plus nombreux, aut vice versa. Des faits négatifs, quelque nombreux qu’ils soient, ne détruisent jamais un seul fait positif. C’est pourquoi la négation pure et simple n’est point de la critique, et, en science, ce procédé doit être repoussé d’une manière absolue,


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parce que jamais la science ne se constitue par des négations.

En résumé, il faut être convaincu que les faits négatifs ont leur déterminisme comme les faits positifs. Nous avons posé en principe que toutes les expériences sont bonnes dans le déterminisme de leurs conditions respectives ; c’est dans la recherche des conditions de chacun de ces déterminismes que gît précisément l’enseignement qui doit nous donner les lois du phénomène, puisque par là nous connaissons les conditions de son existence et de sa non-existence. C’est en vertu de ce principe que je me suis dirigé, quand, après avoir assisté en 1839 aux expériences de Magendie et en 1841 aux discussions de M. Longet, je voulus moi-même me rendre compte des phénomènes et juger les dissidences. Je répétai les expériences et je trouvai, comme Magendie et comme M. Longet, des cas de sensibilité et des cas d’insensibilité des racines rachidiennes antérieures ; mais, convaincu que ces deux cas tenaient à des circonstances expérimentales différentes, je cherchai à déterminer ces circonstances, et, à force d’observation et de persévérance, je finis par trouver(1) les conditions dans lesquelles il faut se placer pour obtenir l’un ou l’autre résultat. Aujourd’hui que les conditions du phénomène sont connues, personne ne discute plus. M. Longet lui-même(2) et tous les physiologistes admettent le fait de la sensibilité


(1) Claude Bernard, Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux, p. 32.
(2) Voy. Longet, Traité de physiologie, 1860, t. II, p. 177.


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récurrente comme constant dans les conditions que j’ai fait connaître.

D’après ce qui précède il faut donc établir comme principe de la critique expérimentale le déterminisme absolu et nécessaire des phénomènes. Ce principe, bien compris, doit nous rendre circonspects contre cette tendance naturelle à la contradiction que nous avons tous. Il est certain que tout expérimentateur, particulièrement un débutant, éprouve toujours un secret plaisir quand il rencontre quelque chose qui est autrement que ce que d’autres avaient vu avant lui. Il est porté par son premier mouvement à contredire, surtout quand il s’agit de contredire un homme haut placé dans la science. C’est un sentiment dont il faut se défendre parce qu’il n’est pas scientifique. La contradiction pure serait une accusation de mensonge, et il faut l’éviter, car heureusement les faussaires scientifiques sont rares. D’ailleurs ce dernier cas ne relevant plus de la science, je n’ai pas à donner de précepte à ce sujet. Je veux seulement faire remarquer ici que la critique ne consiste pas à prouver que d’autres se sont trompés, et quand même on prouverait qu’un homme éminent s’est trompé, ce ne serait pas une grande découverte ; et cela ne peut devenir un travail profitable pour la science qu’autant que l’on montre comment cet homme s’est trompé. En effet, les grands hommes nous instruisent souvent autant par leurs erreurs que par leurs découvertes. J’entends quelquefois dire : Signaler une erreur, cela équivaut à faire une découverte. Oui, à la condition que l’on mette au jour une vérité nouvelle en montrant


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la cause de l’erreur, et alors il n’est plus nécessaire de combattre l’erreur, elle tombe d’elle-même. C’est ainsi que la critique équivaut à une découverte ; c’est quand elle explique tout sans rien nier, et qu’elle trouve le déterminisme exact de faits en apparence contradictoires. Par ce déterminisme tout se réduit, tout devient lumineux, et alors, comme dit Leibnitz, la science en s’étendant s’éclaire et se simplifie.

II. - Le principe du déterminisme repousse de la science les faits indéterminés ou irrationnels

Nous avons dit ailleurs (p. 95) que notre raison comprend scientifiquement le déterminé et l’indéterminé, mais qu’elle ne saurait admettre l’indéterminable, car ce ne serait rien autre chose qu’admettre le merveilleux, l’occulte ou le surnaturel, qui doivent être absolument bannis de toute science expérimentale. De là il résulte que, quand un fait se présente à nous, il n’acquiert de valeur scientifique que par la connaissance de son déterminisme. Un fait brut n’est pas scientifique et un fait dont le déterminisme n’est point rationnel doit de même être repoussé de la science. En effet, si l’expérimentateur doit soumettre ses idées au critérium des faits, je n’admets pas qu’il doive y soumettre sa raison ; car alors il éteindrait le flambeau de son seul critérium intérieur et il tomberait nécessairement dans le domaine de l’indéterminable, c’est-à-dire de l’occulte et du merveilleux. Sans doute il existe dans la science un grand nombre de faits bruts qui sont encore incompréhensibles ; je ne veux pas conclure qu’il faut de parti pris


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Voir aussi

https://fr.wikisource.org/wiki/Introduction_%C3%A0_l%E2%80%99%C3%A9tude_de_la_m%C3%A9decine_exp%C3%A9rimentale/Troisi%C3%A8me_partie/Chapitre_II