Introduction médecine expérimentale (1865) Bernard/Partie 3/Chapitre 2 : Différence entre versions

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(Chapitre II - Exemples de critique expérimentale physiologique)
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(Chapitre II - Exemples de critique expérimentale physiologique)
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La critique expérimentale repose sur des principes absolus qui doivent diriger l’expérimentateur dans la constatation et dans l’interprétation des phénomènes de la nature. La critique expérimentale sera particulièrement utile dans les sciences biologiques où règnent des théories si souvent étayées par des idées fausses ou assises sur des faits mal observés. Il s’agira ici de rappeler, par des exemples, les principes en vertu desquels il convient de juger les théories physiologiques et de discuter les faits qui leur servent de bases. Le critérium par excellence est, ainsi que nous le savons déjà, le principe du déterminisme expérimental uni au doute philosophique. À ce propos, je rappellerai encore que dans les sciences il ne faut jamais confondre les ''principes'' avec les ''théories''. Les principes sont les axiomes scientifiques ; ce sont des vérités absolues qui constituent un critérium immuable. Les théories sont des généralités ou des idées scientifiques qui résument l’état actuel de nos connaissances ; elles constituent des vérités toujours relatives et destinées à se modifier par le progrès même des sciences. Donc si nous posons comme conclusion fondamentale qu’il ne faut pas croire absolument aux formules de la science, il faut croire au contraire
 
La critique expérimentale repose sur des principes absolus qui doivent diriger l’expérimentateur dans la constatation et dans l’interprétation des phénomènes de la nature. La critique expérimentale sera particulièrement utile dans les sciences biologiques où règnent des théories si souvent étayées par des idées fausses ou assises sur des faits mal observés. Il s’agira ici de rappeler, par des exemples, les principes en vertu desquels il convient de juger les théories physiologiques et de discuter les faits qui leur servent de bases. Le critérium par excellence est, ainsi que nous le savons déjà, le principe du déterminisme expérimental uni au doute philosophique. À ce propos, je rappellerai encore que dans les sciences il ne faut jamais confondre les ''principes'' avec les ''théories''. Les principes sont les axiomes scientifiques ; ce sont des vérités absolues qui constituent un critérium immuable. Les théories sont des généralités ou des idées scientifiques qui résument l’état actuel de nos connaissances ; elles constituent des vérités toujours relatives et destinées à se modifier par le progrès même des sciences. Donc si nous posons comme conclusion fondamentale qu’il ne faut pas croire absolument aux formules de la science, il faut croire au contraire
 
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d’une manière absolue à ses principes. Ceux qui croient trop aux théories et qui négligent les principes prennent l’ombre pour la réalité, ils manquent de critérium solide et ils sont livrés à toutes les causes d’erreurs qui en dérivent. Dans toute science le progrès réel consiste à changer les théories de manière à en obtenir qui soient de plus en plus parfaites. En effet, à quoi servirait d’étudier, si l’on ne pouvait changer d’opinion ou de théorie ; mais les principes et la méthode scientifiques sont supérieurs à la théorie, ils sont immuables et ne doivent jamais varier.
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La critique expérimentale doit donc se prémunir non seulement contre la croyance aux théories, mais éviter aussi de se laisser égarer en accordant trop de valeur aux mots que nous avons créés pour nous représenter les prétendues forces de la nature. Dans toutes les sciences, mais dans les sciences physiologiques plus que dans toutes les autres, on est exposé à se faire illusion sur les mots. Il ne faut jamais oublier que toutes les qualifications de forces minérales ou vitales données aux phénomènes de la nature ne sont qu’un langage figuré dont il importe que nous ne soyons pas les dupes. Il n’y a de réel que les manifestations des phénomènes et les conditions de ces manifestations qu’il s’agit de déterminer ; c’est là ce que la critique expérimentale ne doit jamais perdre de vue. En un mot, la critique expérimentale met tout en doute, excepté le principe du déterminisme scientifique et rationnel dans les faits (p. 88-109). La critique expérimentale est toujours fondée sur cette même base, soit qu’
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on se l’applique à soi-même, soit qu’on l’applique aux autres ; c’est pourquoi dans ce qui va suivre nous donnerons en général deux exemples : l’un choisi dans nos propres recherches, l’autre choisi dans les travaux des autres. En effet, dans la science, il ne s’agit pas seulement de chercher à critiquer les autres, mais le savant doit toujours jouer vis-à-vis de lui-même le rôle d’un critique sévère. Toutes les fois qu’il avance une opinion ou qu’il émet une théorie, il doit être le premier à chercher à les contrôler par la critique et à les asseoir sur des faits bien observés et exactement déterminés.
 
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===I. - Le principe du déterminisme expérimental n’admet pas des faits contradictoires===
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'''Premier exemple.''' - Il y a longtemps déjà que j’ai fait connaître une expérience qui, à cette époque, surprit beaucoup les physiologistes : cette expérience consiste à rendre un animal artificiellement diabétique au moyen de la piqûre du plancher du quatrième ventricule. J’arrivai à tenter cette piqûre par suite de considérations théoriques que je n’ai pas à rappeler ; ce qu’il importe seulement de savoir ici, c’est que je réussis du premier coup, c’est-à-dire que je vis le premier lapin que j’opérai devenir très fortement diabétique. Mais ensuite il m’arriva de répéter un grand nombre de fois (huit ou dix fois) cette expérience sans obtenir le premier résultat. Je me trouvais dès lors en présence d’un fait positif et de huit ou dix faits négatifs ; cependant il ne me vint jamais dans l’esprit de nier ma première expérience
  
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===I. - Le principe du déterminisme expérimental n’admet pas des faits contradictoires===
 
 
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positive au profit des expériences négatives qui la suivirent. Étant bien convaincu que mes insuccès ne tenaient qu’à ce que j’ignorais le déterminisme de ma première expérience, je persistai à expérimenter en cherchant à reconnaître exactement les conditions de l’opération. Je parvins, à la suite de mes essais, à fixer le lieu précis de la piqûre, et à donner les conditions dans lesquelles doit être placé l’animal opéré ; de sorte qu’aujourd’hui on peut reproduire le fait du diabète artificiel toutes les fois que l’on se met dans les conditions connues exigées pour sa manifestation.
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À ce qui précède j’ajouterai une réflexion qui montrera de combien de causes d’erreurs le physiologiste peut se trouver entouré dans l’investigation des phénomènes de la vie. Je suppose qu’au lieu de réussir du premier coup à rendre un lapin diabétique, tous les faits négatifs se fussent d’abord montrés, il est évident qu’après avoir échoué deux ou trois fois, j’en aurais conclu non seulement que la théorie qui m’avait guidé était mauvaise, mais que la piqûre du quatrième ventricule ne produisait pas le diabète. Cependant je me serais trompé. Combien de fois a-t-on dû et devra-t-on encore se tromper ainsi ! Il paraît impossible même d’éviter d’une manière absolue ces sortes d’erreurs. Mais nous voulons seulement tirer de cette expérience une autre conclusion générale qui sera corroborée par les exemples suivants, à savoir, que les faits négatifs considérés seuls n’apprennent jamais rien.
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'''Deuxième exemple.''' - Tous les jours on voit des discussions qui restent sans profit pour la science parce que
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Version du 29 septembre 2020 à 09:35

Chapitre II - Exemples de critique expérimentale physiologique

Introduction à l’étude de la médecine expérimentale / Applications de la méthode expérimentale à l’étude des phénomènes de la vie


 
 

Portrait of Claude Bernard (1813-1878), French physiologist Wellcome V0026035.jpg      
Introduction à l’étude de la médecine expérimentale
Troisième partie
Applications de la méthode expérimentale à l’étude des phénomènes de la vie
Auteur
Claude Bernard
Chapitre II:
Exemples de critique expérimentale physiologique
<= Exemples d’investigation expérimentale physiologique
=> Chapitre III : De l’investigation et de la critique appliquées à la médecine expérimentale
     
Couverture Intro Med Exp Bernard Claude (Gallica).jpeg
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Chapitre II - Exemples de critique expérimentale physiologique


- 302 (G) -

La critique expérimentale repose sur des principes absolus qui doivent diriger l’expérimentateur dans la constatation et dans l’interprétation des phénomènes de la nature. La critique expérimentale sera particulièrement utile dans les sciences biologiques où règnent des théories si souvent étayées par des idées fausses ou assises sur des faits mal observés. Il s’agira ici de rappeler, par des exemples, les principes en vertu desquels il convient de juger les théories physiologiques et de discuter les faits qui leur servent de bases. Le critérium par excellence est, ainsi que nous le savons déjà, le principe du déterminisme expérimental uni au doute philosophique. À ce propos, je rappellerai encore que dans les sciences il ne faut jamais confondre les principes avec les théories. Les principes sont les axiomes scientifiques ; ce sont des vérités absolues qui constituent un critérium immuable. Les théories sont des généralités ou des idées scientifiques qui résument l’état actuel de nos connaissances ; elles constituent des vérités toujours relatives et destinées à se modifier par le progrès même des sciences. Donc si nous posons comme conclusion fondamentale qu’il ne faut pas croire absolument aux formules de la science, il faut croire au contraire


- 303 (G) -

d’une manière absolue à ses principes. Ceux qui croient trop aux théories et qui négligent les principes prennent l’ombre pour la réalité, ils manquent de critérium solide et ils sont livrés à toutes les causes d’erreurs qui en dérivent. Dans toute science le progrès réel consiste à changer les théories de manière à en obtenir qui soient de plus en plus parfaites. En effet, à quoi servirait d’étudier, si l’on ne pouvait changer d’opinion ou de théorie ; mais les principes et la méthode scientifiques sont supérieurs à la théorie, ils sont immuables et ne doivent jamais varier.

La critique expérimentale doit donc se prémunir non seulement contre la croyance aux théories, mais éviter aussi de se laisser égarer en accordant trop de valeur aux mots que nous avons créés pour nous représenter les prétendues forces de la nature. Dans toutes les sciences, mais dans les sciences physiologiques plus que dans toutes les autres, on est exposé à se faire illusion sur les mots. Il ne faut jamais oublier que toutes les qualifications de forces minérales ou vitales données aux phénomènes de la nature ne sont qu’un langage figuré dont il importe que nous ne soyons pas les dupes. Il n’y a de réel que les manifestations des phénomènes et les conditions de ces manifestations qu’il s’agit de déterminer ; c’est là ce que la critique expérimentale ne doit jamais perdre de vue. En un mot, la critique expérimentale met tout en doute, excepté le principe du déterminisme scientifique et rationnel dans les faits (p. 88-109). La critique expérimentale est toujours fondée sur cette même base, soit qu’


- 304 (G) -

on se l’applique à soi-même, soit qu’on l’applique aux autres ; c’est pourquoi dans ce qui va suivre nous donnerons en général deux exemples : l’un choisi dans nos propres recherches, l’autre choisi dans les travaux des autres. En effet, dans la science, il ne s’agit pas seulement de chercher à critiquer les autres, mais le savant doit toujours jouer vis-à-vis de lui-même le rôle d’un critique sévère. Toutes les fois qu’il avance une opinion ou qu’il émet une théorie, il doit être le premier à chercher à les contrôler par la critique et à les asseoir sur des faits bien observés et exactement déterminés.

I. - Le principe du déterminisme expérimental n’admet pas des faits contradictoires

Premier exemple.

Premier exemple. - Il y a longtemps déjà que j’ai fait connaître une expérience qui, à cette époque, surprit beaucoup les physiologistes : cette expérience consiste à rendre un animal artificiellement diabétique au moyen de la piqûre du plancher du quatrième ventricule. J’arrivai à tenter cette piqûre par suite de considérations théoriques que je n’ai pas à rappeler ; ce qu’il importe seulement de savoir ici, c’est que je réussis du premier coup, c’est-à-dire que je vis le premier lapin que j’opérai devenir très fortement diabétique. Mais ensuite il m’arriva de répéter un grand nombre de fois (huit ou dix fois) cette expérience sans obtenir le premier résultat. Je me trouvais dès lors en présence d’un fait positif et de huit ou dix faits négatifs ; cependant il ne me vint jamais dans l’esprit de nier ma première expérience


- 305 (G) -

positive au profit des expériences négatives qui la suivirent. Étant bien convaincu que mes insuccès ne tenaient qu’à ce que j’ignorais le déterminisme de ma première expérience, je persistai à expérimenter en cherchant à reconnaître exactement les conditions de l’opération. Je parvins, à la suite de mes essais, à fixer le lieu précis de la piqûre, et à donner les conditions dans lesquelles doit être placé l’animal opéré ; de sorte qu’aujourd’hui on peut reproduire le fait du diabète artificiel toutes les fois que l’on se met dans les conditions connues exigées pour sa manifestation.

À ce qui précède j’ajouterai une réflexion qui montrera de combien de causes d’erreurs le physiologiste peut se trouver entouré dans l’investigation des phénomènes de la vie. Je suppose qu’au lieu de réussir du premier coup à rendre un lapin diabétique, tous les faits négatifs se fussent d’abord montrés, il est évident qu’après avoir échoué deux ou trois fois, j’en aurais conclu non seulement que la théorie qui m’avait guidé était mauvaise, mais que la piqûre du quatrième ventricule ne produisait pas le diabète. Cependant je me serais trompé. Combien de fois a-t-on dû et devra-t-on encore se tromper ainsi ! Il paraît impossible même d’éviter d’une manière absolue ces sortes d’erreurs. Mais nous voulons seulement tirer de cette expérience une autre conclusion générale qui sera corroborée par les exemples suivants, à savoir, que les faits négatifs considérés seuls n’apprennent jamais rien.

Deuxième exemple.

Deuxième exemple. - Tous les jours on voit des discussions qui restent sans profit pour la science parce que


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Voir aussi

https://fr.wikisource.org/wiki/Introduction_%C3%A0_l%E2%80%99%C3%A9tude_de_la_m%C3%A9decine_exp%C3%A9rimentale/Troisi%C3%A8me_partie/Chapitre_II