Introduction médecine expérimentale (1865) Bernard/Partie 1/Chapitre 1 : Différence entre versions

De Wicri Santé
imported>Jacques Ducloy
(I. Définitions diverses de l’observation et de l’expérience)
imported>Jacques Ducloy
(I. Définitions diverses de l’observation et de l’expérience)
Ligne 29 : Ligne 29 :
 
Les médecins et les physiologistes, ainsi que le plus grand nombre des savants, ont distingué l’observation de l’expérience, mais ils n’ont pas été complètement d’accord sur la définition de ces deux termes.
 
Les médecins et les physiologistes, ainsi que le plus grand nombre des savants, ont distingué l’observation de l’expérience, mais ils n’ont pas été complètement d’accord sur la définition de ces deux termes.
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
Zimmermann s’exprime ainsi : « Une expérience diffère d’une observation en ce que la connaissance qu’une observation nous procure semble se présenter d’elle-même ; au lieu que celle qu’une expérience nous fournit est le fruit de quelque tentative que l’on fait dans le dessein de savoir si une chose est ou n’est point.<sup>({{Gallica page|fonction=Appel de note|ref=1}})</sup> »
+
[[A pour auteur cité::Johann Georg Zimmermann|Zimmermann]] s’exprime ainsi : « Une expérience diffère d’une observation en ce que la connaissance qu’une observation nous procure semble se présenter d’elle-même ; au lieu que celle qu’une expérience nous fournit est le fruit de quelque tentative que l’on fait dans le dessein de savoir si une chose est ou n’est point.<sup>({{Gallica page|fonction=Appel de note|ref=1}})</sup> »
  
Cette définition représente une opinion assez généralement adoptée. D’après elle, l’observation serait la constatation des choses ou des phénomènes tels que la nature nous les offre ordinairement, tandis que l’expérience serait la constatation de phénomènes créés ou déterminés par l’expérimentateur. Il y aurait à établir de cette manière une sorte d’opposition entre l’observateur et l’expérimentateur ; le premier étant passif dans la production des phénomènes, le second y prenant, au contraire, une part directe et active. Cuvier a exprimé cette même pensée en disant : « L’observateur écoute la nature ; l’expérimentateur l’interroge et la force à se dévoiler. »
+
Cette définition représente une opinion assez généralement adoptée. D’après elle, l’observation serait la constatation des choses ou des phénomènes tels que la nature nous les offre ordinairement, tandis que l’expérience serait la constatation de phénomènes créés ou déterminés par l’expérimentateur. Il y aurait à établir de cette manière une sorte d’opposition entre l’observateur et l’expérimentateur ; le premier étant passif dans la production des phénomènes, le second y prenant, au contraire, une part directe et active. [[A pour personnalité citée::Georges Cuvier|Cuvier]] a exprimé cette même pensée en disant : « L’observateur écoute la nature ; l’expérimentateur l’interroge et la force à se dévoiler. »
  
 
Au premier abord, et quand on considère les choses d’une manière générale, cette distinction entre l’activité de l’expérimentateur et la passivité de l’observateur paraît claire et semble devoir être facile à établir. Mais, dès qu’on descend dans la pratique expérimentale, on trouve que, dans beaucoup de cas, cette séparation est très difficile à faire et que parfois même elle entraîne de l’obscurité. Cela résulte, ce me semble, de ce que l’on a confondu l’art de l’investigation, qui recherche
 
Au premier abord, et quand on considère les choses d’une manière générale, cette distinction entre l’activité de l’expérimentateur et la passivité de l’observateur paraît claire et semble devoir être facile à établir. Mais, dès qu’on descend dans la pratique expérimentale, on trouve que, dans beaucoup de cas, cette séparation est très difficile à faire et que parfois même elle entraîne de l’obscurité. Cela résulte, ce me semble, de ce que l’on a confondu l’art de l’investigation, qui recherche

Version du 13 septembre 2020 à 18:26

Chapitre I : De l’observation et de l’expérience


 
 

Portrait of Claude Bernard (1813-1878), French physiologist Wellcome V0026035.jpg      
Introduction à l’étude de la médecine expérimentale
Première partie
Du raisonnement expérimental
Auteur
Claude Bernard


     
Couverture Intro Med Exp Bernard Claude (Gallica).jpeg

Chapitre I : De l’observation et de l’expérience


- 11 (G) -

L’homme ne peut observer les phénomènes qui l’entourent que dans des limites très restreintes ; le plus grand nombre échappe naturellement à ses sens, et l’observation simple ne lui suffit pas. Pour étendre ses connaissances, il a dû amplifier, à l’aide d’appareils spéciaux, la puissance de ses organes, en même temps qu’il s’est armé d’instruments divers qui lui ont servi à pénétrer dans l’intérieur des corps pour les décomposer et en étudier les parties cachées. Il y a ainsi une gradation nécessaire à établir entre les divers procédés d’investigation ou de recherches qui peuvent être simples ou complexes : les premiers s’adressent aux objets les plus faciles à examiner et pour lesquels nos sens suffisent ; les seconds, à l’aide de moyens variés, rendent accessibles à notre observation des objets ou des phénomènes qui sans cela nous seraient toujours demeurés inconnus, parce que dans l’état naturel ils sont hors de notre portée. L’investigation, tantôt simple, tantôt armée et perfectionnée, est donc destinée à nous faire découvrir


- 12 (G) -

et constater les phénomènes plus ou moins cachés qui nous entourent.

Mais l’homme ne se borne pas à voir ; il pense et veut connaître la signification des phénomènes dont l’observation lui a révélé l’existence. Pour cela il raisonne, compare les faits, les interroge, et, par les réponses qu’il en tire, les contrôle les uns par les autres. C’est ce genre de contrôle, au moyen du raisonnement et des faits, qui constitue, à proprement parler, l’expérience, et c’est le seul procédé que nous ayons pour nous instruire sur la nature des choses qui sont en dehors de nous.

Dans le sens philosophique, l’observation montre et l’expérience instruit. Cette première distinction va nous servir de point de départ pour examiner les définitions diverses qui ont été données de l’observation et de l’expérience par les philosophes et les médecins.

I. Définitions diverses de l’observation et de l’expérience

On a quelquefois semblé confondre l’expérience avec l’observation. Bacon paraît réunir ces deux choses quand il dit : « L’observation et l’expérience pour amasser les matériaux, l’induction et la déduction pour les élaborer voilà les seules bonnes machines intellectuelles. »

Les médecins et les physiologistes, ainsi que le plus grand nombre des savants, ont distingué l’observation de l’expérience, mais ils n’ont pas été complètement d’accord sur la définition de ces deux termes.


- 13 (G) -

Zimmermann s’exprime ainsi : « Une expérience diffère d’une observation en ce que la connaissance qu’une observation nous procure semble se présenter d’elle-même ; au lieu que celle qu’une expérience nous fournit est le fruit de quelque tentative que l’on fait dans le dessein de savoir si une chose est ou n’est point.(1) »

Cette définition représente une opinion assez généralement adoptée. D’après elle, l’observation serait la constatation des choses ou des phénomènes tels que la nature nous les offre ordinairement, tandis que l’expérience serait la constatation de phénomènes créés ou déterminés par l’expérimentateur. Il y aurait à établir de cette manière une sorte d’opposition entre l’observateur et l’expérimentateur ; le premier étant passif dans la production des phénomènes, le second y prenant, au contraire, une part directe et active. Cuvier a exprimé cette même pensée en disant : « L’observateur écoute la nature ; l’expérimentateur l’interroge et la force à se dévoiler. »

Au premier abord, et quand on considère les choses d’une manière générale, cette distinction entre l’activité de l’expérimentateur et la passivité de l’observateur paraît claire et semble devoir être facile à établir. Mais, dès qu’on descend dans la pratique expérimentale, on trouve que, dans beaucoup de cas, cette séparation est très difficile à faire et que parfois même elle entraîne de l’obscurité. Cela résulte, ce me semble, de ce que l’on a confondu l’art de l’investigation, qui recherche


(1) Zimmermann, Traité sur l’expérience en médecine. Paris, 1774, t. I, p. 45.


- 14 (G) -

et constate les faits, avec l’art du raisonnement, qui les met en œuvre logiquement pour la recherche de la vérité. Or, dans l’investigation il peut y avoir à la fois activité de l’esprit et des sens, soit pour faire des observations, soit pour faire des expériences.

En effet, si l’on voulait admettre que l’observation est caractérisée par cela seul que le savant constate des phénomènes que la nature a produits spontanément et sans son intervention, on ne pourrait cependant pas trouver que l’esprit comme la main reste toujours inactif dans l’observation, et l’on serait amené à distinguer sous ce rapport deux sortes d’observations : les unes passives, les autres actives. Je suppose, par exemple, ce qui est souvent arrivé, qu’une maladie endémique quelconque survienne dans un pays et s’offre à l’observation d’un médecin. C’est là une observation spontanée ou passive que le médecin fait par hasard et sans y être conduit par aucune idée préconçue. Mais si, après avoir observé les premiers cas, il vient à l’idée de ce médecin que la production de cette maladie pourrait bien être en rapport avec certaines circonstances météorologiques ou hygiéniques spéciales ; alors le médecin va en voyage et se transporte dans d’autres pays où règne la même maladie, pour voir si elle s’y développe dans les mêmes conditions. Cette seconde observation, faite en vue d’une idée préconçue sur la nature et la cause de la maladie, est ce qu’il faudrait évidemment appeler une observation provoquée ou active. J’en dirai autant d’un astronome qui, regardant le ciel, découvre une planète qui passe par hasard devant sa lunette ;


- 15 (G) -

il a fait là une observation fortuite et passive, c’est-à-dire sans idée préconçue. Mais si, après avoir constaté les perturbations d’une planète, l’astronome en est venu à faire des observations pour en rechercher la raison, je dirai qu’alors l’astronome fait des observations actives, c’est-à-dire des observations provoquées par une idée préconçue sur la cause de la perturbation. On pourrait multiplier à l’infini les citations de ce genre pour prouver que, dans la constatation des phénomènes naturels qui s’offrent à nous, l’esprit est tantôt passif et tantôt actif, ce qui signifie, en d’autres termes, que l’observation se fait tantôt sans idée préconçue et par hasard, et tantôt avec idée préconçue, c’est-à-dire avec intention de vérifier l’exactitude d’une vue de l’esprit.

D’un autre côté, si l’on admettait, comme il a été dit plus haut, que l’ expérience est caractérisée par cela seul que le savant constate des phénomènes qu’il a provoqués artificiellement et qui naturellement ne se présentaient pas à lui, on ne saurait trouver non plus que la main de l’expérimentateur doive toujours intervenir activement pour opérer l’apparition de ces phénomènes. On a vu, en effet, dans certains cas, des accidents où la nature agissait pour lui, et là encore nous serions obligés de distinguer, au point de vue de l’intervention manuelle, des expériences actives et des expériences passives. Je suppose qu’un physiologiste veuille étudier la digestion et savoir ce qui se passe dans l’estomac d’un animal vivant ; il divisera les parois du ventre et de l’estomac d’après des règles opératoires connues, et il établira ce qu’on appelle une fistule gastrique. Le physiologiste


- 16 (G) -