Revue internationale de l'enseignement (1885) Heydenreich
Sommaire
L'article
DES
RÉFORMES A INTRODUIRE DANS LES CONCOURS
POUR L’AGREGATION
PRES LES FACULTÉS DE MÉDECINES
Rapport fait au nom des délégués des facultés de médecine[1]
Parmi les questions qui touchent à l’avenir des Facultés de médecine, l’une des plus importantes est celle des concours d’agrégation. Des reproches ont été adressés au système actuellement en vigueur. Les délégués des Facultés de médecine se sont demandé s’il ne serait pas possible de réaliser entre eux un accord sur ce sujet, et ils ont étudié les réformes qui leur semblent devoir être proposées.
De la centralisation
I. Une question préliminaire s'est imposée tout d’abord à leur attention. Est-il désirable que les concours d’agrégation restent centralisés à Paris ? Ou, au contraire, est-il préférable que ces concours aient lieu au siège de chaque Faculté? Les deux systèmes ont été défendus au sein de la délégation, et des arguments sérieux ont été apportés à l’appui de l’un et de l’autre.
La centralisation des concours à Paris, disent les partisans des agrégations locales, enlève aux Facultés de province un élément puissant de vie intellectuelle, et a pour conséquence une diminution du nombre des candidats et, par suite, un affaiblissement des concours.
Quelle est, en effet, dans les Facultés de province, la situation actuelle des candidats à l’agrégation? Obligés, durant plusieurs mois, à un séjour onéreux dans la capitale, ils ont à faire face à des dépenses que beaucoup d’entre eux ne sont pas en état de supporter. Ce n’est pas tout. Les candidats, que les nécessités de la vie ont poussés vers la recherche de la clientèle, risquent fort, après cette absence prolongée, de ne plus retrouver la situation qu’ils avaient réussi à se créer. Un échec serait pour eux un véritable désastre.
Bien des candidats se trouvent écartés du concours par ces considérations multiples; et cette diminution du nombre des candidats est une cause d’affaiblissement du niveau des épreuves.
La centralisation des concours a d’autres conséquences. Les élèves qui se destinent à l’agrégation, se sachant appelés à se présenter devant un jury presque exclusivement parisien, sont portés naturellement à abandonner de bonne heure leur Faculté d’origine pour aller s’imprégner du milieu parisien. De là, appauvrissement matériel des Facultés de province, qui, en même temps, voient se perdre leurs traditions et leurs doctrines au profit d’une sorte de science ’officielle, unique pour toutes les Facultés de France.
D’ailleurs, on ne saurait perdre de vue l’impulsion qu’un concours d’agrégation imprime à la vie d'une Faculté, l’affluence nombreuse qu’il attire, le spectacle qu’il donne à la jeunesse des écoles, l’émulation qu’il excite parmi les élèves.
Enfin le concours local permet aux professeurs de mieux connaître les agrégés, qu’ils sont appelés à voir à leurs côtés, et fait apprécier aux élèves leurs futurs maîtres.
A ces arguments les partisans de la centralisation des concours répondent que l’influence du siège de ceux-ci sur le nombre des candidats est au moins douteuse.
Si peut-être le concours central éloigne quelques jeunes gens peu fortunés (inconvénient auquel plusieurs délégués proposent de parer par la création de bourses d’agrégation), il a bien plutôt pour effet d’écarter les candidats désireux de bénéficier d’une situation locale, qui constitue le plus évident de leurs titres, ou encore ces compétiteurs peu sérieux, toujours prêts à tenter à peu de frais la fortune d’un concours, pour lequel ils ne sont nullement préparés.
Par contre, la centralisation des concours fait appel à des catégories nouvelles de candidats par la facilité, qu’elle offre à ces derniers, de s’inscrire simultanément pour plusieurs Facultés et par les garanties qu’elle présente contre l’influence éventuelle des préférences locales.
Il importe, d’ailleurs, de ne pas l’oublier, la préparation d’un concours d’agrégation se concilie difficilement avec la pratique de la médecine. Tout candidat sérieux se trouve amené à négliger les travaux rémunérateurs pour mieux faire converger ses efforts vers le but qu’il veut atteindre. Aussi, de tous les sacrifices pécuniaires imposés aux futurs agrégés, les plus lourds s’appliquent-ils à la préparation môme du concours.
Est-il à craindre que les candidats à l’agrégation ne désertent de bonne heure leur Faculté d’origine? L’expérience ne justifie nullement cette appréhension.. Les candidats sont intéressés à faire leurs études dans la Faculté même et dans la ville où ils désirent se fixer; ils y retrouveront, une fois agrégés, la notoriété qu’ils s’étaient acquise. Si quelques-uns d’entre eux sont attirés vers la capitale par les facilités exceptionnelles que présente Paris pour la préparation d’un concours d’agrégation, en quoi le déplacement du siège du concours pourra-t-il influencer leur résolution ?
Quant à cette science officielle que redoutent les partisans de la décentralisation des concours, existe-t-elle réellement dans la capitale, où les doctrines les plus opposées comptent des représentants? N’est-on pas en droit de se demander, au contraire, si le concours local ne pourrait pas favoriser l’établissement d’une science officielle, toute locale, que les candidats seraient conduits à accepter ?
Mais les arguments fondamentaux des partisans de l’agrégation centralisée sont d’un autre ordre. Le concours central permet une appréciation comparative de tous les candidats soumis à des épreuves égales. Il établit ainsi entre les diverses Facultés une émulation féconde, et empêche que le niveau de l’agrégation ne s’abaisse dans l’une d’elles; en même temps, il cimente l’unité du corps universitaire en donnant à tous les agrégés une origine commune. Le concours ne se trouve-t-il pas fortifié par cette affluence de candidats, par la solennité plus grande des épreuves subies devant un public nombreux? Et l’agrégé qui a triomphé dans ces conditions ne se présente-t-il pas avec un prestige plus considérable dans sa Faculté d’origine ?
Combien les agrégations locales, en supprimant tout point de comparaison entre les candidats des diverses Facultés, n’exposent-elles pas à ce que, dans certaines d’entre elles, le niveau des concours ne tende progressivement à s’abaisser ! Les jurys, placés en face de candidats insuffisants, oseront-ils les repousser tous, au risque de faire douter de la vitalité de leur Faculté?
Enfin, le concours central, avec un jury formé d’éléments empruntés à des Facultés différentes, a l’avantage d’écarter les préoccupations par¬ fois étroites de l’esprit local et de mettre l’impartialité des juges au-dessus de tout soupçon.
Cet exposé comparatif des deux opinions opposées permet de toucher du doigt le point capital du débat. La décentralisation des concours, disent les partisans des agrégations locales, stimulerait puissamment la vie dans les Facultés. Mais, répondent les adversaires de la mesure, elle aurait pour résultat d’abaisser le niveau de l’agrégation.
La délégation a cherché un terrain de transaction, sur lequel partisans et adversaires de la décentralisation pussent se rencontrer. Aucun des systèmes intermédiaires entre la centralisation des concours et les agrégations locales ne lui a paru acceptable. Mais la discussion a semblé mettre en lumière ce fait que les intérêts des différentes Facultés ne sont pas identiques. Tel système, applicable sans danger peut-être à une Faculté ancienne que protègent de fortes traditions, ne saurait être mis à l’essai impunément dans une Faculté jeune, dont les éléments sont moins intimement fusionnés.
Toutes les Facultés sont intéressées à former des élèves qui s’attachent à elles et perpétuent leurs traditions; et, à ce point de vue, la décentralisation des concours peut être considérée comme le régime de l’avenir. Mais, dans la période transitoire que nous traversons, le recrutement local présenterait, du moins dans certaines Facultés, des dangers qui rendent son application immédiate peu désirable.
Les délégués ne demandent donc pas un remaniement profond du système actuellement en vigueur. Us estiment toutefois que celui-ci est susceptible d’amélioration, et ils sont tombés d’accord pour réclamer un certain nombre de réformes.
Composition des jurys
II - La composition des jurys a d’abord attiré leur attention. Les Facultés de province sont à peine représentées dans ces assemblées. Bien que les places d’agrégés mises au concours soient attribuées, en grande majorité, à ces Facultés, elles ne comptent que deux de leurs professeurs dans un jury composé de neuf juges, et plusieurs d’entre elles n’y figurent pas du tout.
Les délégués voient des inconvénients sérieux à cette annulation des Facultés de province et à cette prépondérance écrasante de l’élément parisien. Us émettent le vœu que chacune des Facultés près lesquelles il existe des vacances ait son représentant dans le jury.
Ils demandent également que l’agrégé, membre du jury, au lieu d'être choisi constamment parmi les agrégés de Paris, soit pris alternativement dans les différentes Facultés de médecine.
Les fonctions de membre du jury, dans les conditions actuelles, sont des plus onéreuses pour les professeurs venus de province et leur imposent des sacrifices considérables. Il ne s’agit pas ici du préjudice qui, au point de vue de la clientèle, résulte d’une absence prolongée; les intérêts du praticien, en effet, disparaissent devant les devoirs du professeur. Mais que l’on songe à la dépense occasionnée par un séjour de plusieurs mois dans la capitale, et l’on reconnaîtra que l’indemnité, allouée aux mem bres du jury, n’est plus en rapport avec les exigences de la vie.
La délégation réclame donc pour les membres du jury une indemnité suffisante.
Elle désirerait aussi que des facilités de circulation sur les chemins de fer fussent accordées aux candidats pendant la durée du concours.
L’analyse du programme des concours soulève un certain nombre de questions importantes.
A l’avis des délégués, les épreuves d’admissibilité (composition écrite sur un sujet d’anatomie et de physiologie, leçon de trois quarts d’heure après trois heures de préparation à buis clos) doivent être maintenues sans changement. La leçon de trois quarts d'heure est l’épreuve fonda¬ mentale du concours, celle qui donne le mieux la mesure tout à la fois du savoir du candidat et de son aptitude à l’enseignement. C’est sur elle principalement que doit reposer l’admissibilité, une épreuve orale étant seule de nature à mettre en lumière les qualités nécessaires à un profes¬ seur. Cette considération a déterminé la délégation à écarter tout sys¬ tème de concours tendant à établir uniquement d’après les titres anté¬ rieurs des candidats et d’après des compositions écrites faites à distance la liste des candidats admissibles.
Les délégués estiment également qu’aucune des épreuves actuelles d’admission ne saurait être supprimée sans inconvénient sérieux.
La leçon d’une heure après vingt-quatre heures de préparation place le candidat dans les conditions faites à un agrégé obligé brusquement à une suppléance. C’est la pierre de touche de son talent de professeur.
Les connaissances théoriques, dans les diverses branches des sciences médicales, n’ont de valeur que si elles s’appuient sur un fonds solide de notions pratiques. Aussi les délégués font-ils des réserves sur l’opportunité qu’il y aurait à rehausser le niveau des épreuves pratiques et à en introduire de nouvelles. Us souhaiteraient notamment que l’on donnât une part à l’anatomie pathologique pratique dans le concours pour la section de médecine, et à la médecine opératoire dans le concours pour la section de chirurgie.
A propos des thèses
11 s’est trouvé des esprits distingués qui ont réclamé la substitution d’un travail original à la thèse actuelle d’agrégation sur un sujet imposé. La délégation n’a pas hésité à se prononcer contre cette innovation.
Les partisans d’un mémoire original se recrutent surtout parmi les anatomistes, les physiologistes, les physiciens, les chimistes, qui jugent d’un travail par les faits nouveaux qu’il met en lumière, ou par les expériences personnelles qu’il révèle. Certes, un homme dont la vie se passe dans un laboratoire doit être à même de fournir une oeuvre de cette nature. Mais combien est différente la situation des candidats à l’agrégation pour les sections de médecine et de chirurgie! La plupart d’entre eux ont quitté depuis plusieurs années les fonctions d’interne ou de chef de clinique, qui leur ouvraient un champ d’observation, et ne sont pas encore à la tête d’un service hospitalier. Placera-t-on ces can¬ didats dans la triste alternative de se livrer à une simple compilation ou d’abandonner la voie qu’ils avaient suivie jusqu’alors pour se jeter dans les travaux de laboratoire?
Le vrai mérite d’un professeur réside dans les services qu’il rend au point de vue de l’enseignement. Un esprit original, un savant est parfois impropre à former des élèves. Au contraire, que de professeurs éminents ne laissent après eux aucune découverte sérieuse!
La thèse sur un sujet imposé a cet avantage d’être, avant tout, une œuvre d’histoire et de critique médicales, qui fait appel à la souplesse de talent des compétiteurs. Dégager l’état actuel de la science sur une ques¬ tion litigieuse, présenter dans un exposé magistral les résultats acquis, tel est bien le rôle d’un professeur.
Il n’est pas moins important que les candidats aient à faire la critique des œuvres de leurs compétiteurs, à en découvrir les points faibles elles lacunes, à en faire ressortir les imperfections. C’est dire que la. déléga¬ tion demande le maintien de l’argumentation. Cette épreuve possède un autre mérite à ses yeux, elle éclaire plus complètement le jury sur la va¬ leur des travaux qui lui sont présentés.
Cependant n’v aurait-il aucune modification à souhaiter dans le règlement relatif à la thèse? Les délégués préféreraient de beaucoup que l'on adoptât, pour l’agrégation des Facultés de médecine, le système en vigueur dans les Écoles supérieures de pharmacie, système que l’on peut résumer dans la formule suivante : liste de sujets de thèses publiée six mois avant l’ouverture du concours et comprenant un nombre de sujets bien supérieur au nombre supposé des compétiteurs; liberté pour les can¬ didats de faire un choix sur cette liste; obligation pour eux de déposer, avant l’ouverture du concours, leur travail manuscrit ou imprimé.
Que l’on réfléchisse aux avantages de ce système. Les candidats, libres, dans une certaine mesure, de fixer leur choix et disposant d’un temps plus considérable, présenteront des œuvres plus sérieuses, plus mûries, rehaussées quelquefois par des recherches personnelles et origi¬ nales. Us n’auront plus à faire appel à ces collaborateurs multiples, sans lesquels ils seraient débordés aujourd’hui. Chacun, mis en situation de suffire lui-même à sa tâche, pourra s’y adonner, entouré de toutes les faci¬ lités de travail qu’il a l’habitude de rencontrer dans sa résidence; au lieu qu’à présent les candidats venus de province, transplantés dans un milieu nouveau, loin des amis dont le secours leur serait précieux, sont placés. vis-à-vis de leurs compétiteurs parisiens, dans un état d’infériorité notoire, Ce système, de même que le mode actuel, évite aux concurrents non
Enfin, il permettrait une réforme qui a son prix. Les thèses étant REVUE DE l’enseignement. — X. 10
prèles d’avance, les candidats parviendraient sans peine à les faire impri¬ mer pendant le temps consacré aux épreuves d’admission. Dès lors, le délai supplémentaire de douze jours francs, que stipule aujourd’hui le règlement, n’aurait plus sa raison d’être et serait supprimé.
Ainsi sc trouverait abrégée la durée du concours, malgré l’adjonction de quelques épreuves pratiques. Cette considération n’est pas une de celles qui militent le moins en faveur de l’innovation proposée par les délégués. Us expriment, d’ailleurs, le vœu que les séances des concours se succèdent le plus rapidement possible. Les candidats et les membres du jury soumis à un déplacement ne sont pas seuls intéressés à une réforme de ce genre; la prospérité des Facultés de province exige qu’elles ne soient pas privées trop longtemps d’une partie de leur personnel enseignant.
Telles sont, les diverses questions sur lesquelles ont porté les délibéra¬ tions des délégués. Les conclusions qu’ils ont adoptées sont résu¬ mées dans les propositions suivantes :
I. 11 est désirable que, dans un avenir prochain, les Facultés de méde¬ cine se recrutent par elles-mêmes.
Les délégués reconnaissent que ce vœu n’est pas réalisable actuelle¬ ment dans toutes les Facultés.
IL En attendant que cette réforme puisse être appliquée, ils demandent que le système en vigueur pour les concours d’agrégation soit modifié sur plusieurs points :
t o — Chacune des Facultés, près lesquelles il existe des vacances» aura son représentant dans le jury. L’agrégé, membre du jury, sera choisi alternativement dans les diverses Facultés de médecine.
2° — Les membres du jury toucheront une indemnité suffisante.
30 — Des facilités de circulation sur les chemins de fer seront accor¬ dées aux candidats pendant la durée du concours.
40 — Les épreuves actuelles du concours seront maintenues inté¬ gralement, des réserves étant faites sur l’opportunité qu’il y aurait à rehausser le niveau des épreuves pratiques et a en introduire de nouvelles.
o » — La thèse d’agrégation sera soumise au régime en vigueur dans les Écoles supérieures de pharmacie.
Heydenp.eich,
Professeur k la Faculté de médecine de Nancy.
Notes de l'article
- ↑ Etaient présents, aux séances tenues à Paris, les 7 et 8 avril 1883, et dans lesquelles ont été discutées les questions que traite ce rapport, les délégués dont les noms suivent : Paris, M. Brouardel, professeur ; Montpellier, MM. Moitessier, professeur et Ilamelin, agrégé ; Nancy, M. Heydenreich, professeur ; Lyon, M. Linossier, agrégé ; Bordeaux, MM. Bouchard, professeur, et Rondot, agrégé.