Musique et musiciens lorrains à la Renaissance (2013) Barbier

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Cette page présente un article de Jacques Barbier, Professeur au Centre d'Études Supérieures de la Renaissance (Université François-Rabelais de Tours).

Le texte original

Un rappel de la situation : Qui fait quoi ?

Dans l'Occident chrétien, les chanteurs et instrumentistes au service du pouvoir temporel pour la récréation du prince (chansons, danses) ou le cérémonial de sa cour (trompettes et percussions signalant son passage) le sont aussi du clergé avec la célébration des services religieux spécifiques à cette cour.

En Lorraine comme ailleurs, ces musiciens apparaissent dans les livres de comptes, registres capitulaires tant pour les dépenses qu'ils occasionnent, les salaires et gratifications qu'ils perçoivent, que les prébendes dont ils sont pourvus. Les archives de Meurthe-et-Moselle sont riches de ce type d'informations :

  • A Messire Antoine de Hougarde, chantre de Saint-Diez, organiste, que le roy lui a donné quatorze florins d'or, à sçavoir : quatre florins pour un manichordion, et dix florins d'or pour aider à sa despence pendant qu'il sera à Bar, devers le roy (Archives, B. 1001).
  • A Phillebert, tabourin, deux francs, en considération du passe-temps qu'il a baillé à ceux qui ont demeuré audict Nancy pendant le dangier de peste (Archives, B. 1020).
  • A Pierrequin de Thérache, maistre des enfants de la chapelle de Saint-Georges, vingt florins d'or que Monseigneur luy a donnés pour payer sa reception à la prébende, et afin qu'il eust meilleur vouloir d'apprendre lesdicts enfants (Archives, B. 1004).

Des ordonnances précisent le nombre de chanteurs à engager, le service qu'on attend d'eux, quel doit être leur attitude également.

Concernant le maître de musique ou le sous-maître si le chapitre est disposé à en rétribuer un, Les obligations du maître de musique de l'église de Bourges précisent par exemple :

Comme il n'y a pas de sous-maître à la maîtrise et que l'intention du chapitre n'est pas d'en avoir, un maître qui veut y entrer doit se mettre dans l'esprit qu'il ne doit être occupé que du soin des enfants depuis le matin jusqu'au soir.

Cette charge est donc assez lourde et c'est pourquoi on n'engage jamais de laïcs. Annibal Gantez, maître de musique à Auxerre, a une formule pour le moins lapidaire pour justifier cette restriction :

Un musicien marié est quasi monstre parmi les prêtres. Femmes, pommes et noix sont choses qui gâtent la voix. Considérant que vous êtes pour la musique de chœur, je pense que vous feriez mieux d'espouser un Bréviaire.

La connaissance que nous avons aujourd'hui de la majorité des chantres, qui furent ensuite des maîtres de chapelle, se limite pour une bonne part à la seule connaissance de leurs œuvres. Certains de leurs recueils imprimés au seizième siècle indiquent un titre ou une fonction en début d'ouvrage.

Ces corps de musique s'organisent autour de trois institutions bien différenciées :

1) les instrumentistes et chantres de la cour
Les chroniqueurs confirment souvent la présence de ces musiciens à l'occasion de cérémonies et repas :
- En si très noble compagnie par l'ordonnance que dict a esté et au son des grosses cloches, trompettes, clerons, fleustes, tabourins et bedons de Suisses pour la jubilation de ce joyeulx advenement, la très souveraine dame entra en l'église...
- ...durant le diner qui fut grant, magnifique et sumptueux, trompettes, clairons, tabourins, menestriers de haux et bas instrumens firent merveilles, et apres le disner furent les dances passetemps, joyeusetez et esbatemens ainsi qu'il est de coutume...
2) les musiciens de l'écurie
Proches de la tradition ménestrière, ce sont des musiciens indépendants gagés au service et dont la culture musicale relève d'une tradition orale. Les musiques qu'ils exécutent relèvent davantage de la signalétique ou du protocole que du plaisir auditif...
La trompette tient une grande place à la cour de Lorraine. De nombreux instruments, trompettes mais aussi trompes de chasse ornées des armes des ducs, sont commandées à des facteurs de Lyon et de Sedan. Le duc Antoine en jouait puisqu'il possédait son propre instrument. En effet, trois francs sont payés en 1530 à "Jehan l'orfèvre pour rabiller la trompe de Monseigneur". Guillaume Soldan, un des trompettes du duc sera anobli en 1541.
Les archives de Meurthe-et-Moselle regorgent de paiements pour les raisons suivantes comme en 1510 sous le règne du duc Antoine :
- A Michelet, tabourin, et à son compaignon qui ont sonné pendant le lever de Monseigneur.
- A Paule et à son compaignon, accompaigné du tabourin de la Royne, qui ont joué au disné de Monseigneur
3) Les chantres de la chapelle
L'importance de la chapelle est alors à l'aune du prestige que souhaite le prince qui finance l'institution musicale.
Comme toutes les maisons seigneuriales, celle des ducs de Lorraine eut donc des musiciens à ses gages. La réputation de cette chapelle fut telle, notamment lors de la « [[A pour évènement cité » contient un caractère désigné « [ » dans un libellé de propriété, et a été classé conséquemment comme non valide. en 1608 dont Claude de la Ruelle fit réaliser des gravures célèbres, qu'elle donna lieu à la sentence suivante :
Le couronnement d’un empereur à Francfort, le sacre d’un roi à Reims et l’enterrement d’un duc à Nancy sont les trois cérémonies les plus magnifiques qui se voient en Europe.
Pompe funèbre de Charles III, église des Cordeliers, 17 juillet 1608.

À la cour des ducs de Lorraine

René 1er (Angers 1409 – Aix en Provence 1480)

Historiquement, la fortune musicale de la Lorraine se manifeste à partir du règne de René 1er, passé à la postérité sous le nom de "bon roi René". Duc de Bar et duc de Lorraine par son mariage avec Isabelle de Lorraine, comte de Provence et roi de Naples et du royaume des deux-Siciles, il entretint une vie artistique et littéraire active dans ses différentes possessions. Il est à l'origine de cette magnifique collection de livres et manuscrits que développèrent ses successeurs.

Il meurt le 10 juillet 1480 et lui succède René II, reconnu duc dès 1473 à la mort de Nicolas D'Anjou qui n'eut pas d'enfants.

René II (1451-1508)

Lui aussi récompensait les musiciens et entretenait les institutions musicales de ses duchés. Il donna, ici-même en 1488, un règlement à la collégiale Saint-Maxe pour l'entretien de la musique et des enfants de chœur.

La description du baptême d'Antoine, le 4 juin 1489, fils issu de son mariage avec Philippe de Gueldres, signale – comme de coutume d'ailleurs – la présence de nombreux musiciens.

Au dîner, les services s'apportoient en cérémonie, au son des tambours, fifres et trompettes ; pendant toute la durée du repas, il y eut musique composée de toutes sortes d'instruments. Après ce festin, le bal qui suivit dura deux heures.

Comme son grand-père, il fera venir ou construire des orgues pour la collégiale Saint-Georges ou l'église Saint-Pierre à Nancy, les archives ayant conservées les noms de ces organistes de Messire Jacob (1438) à Simonet de Billy (1480). Ce fut le fameux Pellegrin qui fabriqua les premières orgues à tuyaux à Nancy en 1487. Une somme fut payée en 1492

à Guyot Turbert, pour une orgue de paille qu'il a apporté pour le roy [en fait René II] laquelle il a achetée de luy six vingt escuz d'or.

Des cérémonies comme les mystères, dans lesquelles il y a des interventions musicales, sont données dès 1474 en Lorraine. À Saint-Nicolas-du-Port, en 1478, on joua devant René II Le jeu et Feste du glorieux Sainct Nicolas, mystère écrit par Jacquemin Barthélémy, un tabellion de Nancy.

Les ménétriers de Lorraine formaient une corporation avec une charte et des conditions bien précises pour en faire ou non partie.

En 1490, René II

Sur les plainctes qui lui avoient esté faictes des abus glissez dans ses Etats et pays par l'ignorance du temps, dans l'art et mestier de joueur de violon et aultres instrumens, desquels arrivoient tous les jours de grands inconveniens

avait établi

ung maistre dudict mestier, avec pouvoir de créer des lieutenans particuliers, partout où besoin seroit, pour réprimer les abus, et les muleter d'une amende de quarante sols.

Sa chapelle est fournie et engage les musiciens les plus talentueux. Pierrequin de Thérache, dont on ne connaît pas l'origine ni le parcours, reçoit la charge de "maître des enfants du chœur de la chapelle des chantres de la collégiale Saint-Georges de Nancy" en août 1492 en remplacement de Guillaume Dargentel décédé à la fin de l'année précédente.

D'autres documents précisent les fonctions du maître de chapelle comme cette autre règle plus tardive (1613) concernant ses successeurs à Saint-Georges.

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Pierrequin de Thérache travaillera jusqu'à la fin de l'année 1527 et sera remplacé par le chantre bourbonnais Jehan Patie au début de l'année suivante[1] . Il meurt à Nancy le 31 mars 1528 en nous laissant une œuvre sans aucun doute incomplète. René II mourut le 10 décembre 1508, à Fains, près de Bar-le-Duc. Lui succède alors Antoine son fils aîné.

Antoine de Lorraine (1489-1544)

Comme son père, Antoine fera plusieurs voyages en Italie, à côté de Louis XII lors des guerres en milanais, et en ramènera musiciens et instruments. Maintenant les musiciens de son père dans leur charge, il en accrut le nombre et c'est sans doute sous son règne que les institutions musicales furent les plus florissantes.

En 1521, la somme de trente-huit francs est donnée à "Messire Humbert, prebtre, demeurant à Metz... pour une espinette double, que Monseigneur a fait prendre de luy pour mettre en sa chambre". En jouait-il lui-même en plus de la trompette ? Il aimait en tout cas réunir les musiciens autour de lui. L'année précédente, un versement est effectué :

à deux compaignons-chantres de Monseigneur le cardinal de Lorraine, vingt escuz d'or soleil que Monseigneur le duc leur a ordonnés pour aider à leurs despences en considération du passe-temps qu'ils ont fait à Monseigneur le duc.

Les chantres de la chapelle sont aussi bien considérés et le versement suivant est intéressant car il concerne la copie de livres de musique pour la chapelle du duc, livres aujourd'hui disparus.

à un compaignon qui a faict trois livres de musicque pour la chapelle, assavoir l'un desdits livres où sont plusieurs messes, l'autre les mottés et l'autre le magnificat et les heures, tant par sa despence que pour ses peines, la somme de vingt-six escus soleil.

Le nom d'Antoine est surtout lié à sa bibliothèque, une des plus fournies et la plus réputée en son temps[2] . Sans cesse augmentée à partir du fonds important constitué par son grand-père René 1er d'Anjou, cette bibliothèque a été inventoriée le 1er mars 1544 par François de Bassompierre "baily de Vosge", Jehan Beurges "controlleur général" et Didier Menget « greffier des comptes de Lorraine »[3] . Dans cet inventaire, deux numéros, sur les 183 recensant les 198 manuscrits ou livres, concernent la musique : Nous y trouvons entre autre le motet O vos omnes de Loyset Compère qui servira de modèle à la messe parodie de Pierquin de Thérache.

Les archives font apparaître de nouveaux instruments comme les luths ou les violes qui viennent d'Italie ou de Paris où Antoine se rend souvent (Il a été élevé à la cour royale) mais c'est à Metz qu'ils sont presque tous entretenus, les instruments comme les musiciens se déplaçant souvent. En effet en 1536, une somme est donnée "pour les haultz-boys de Toul qui allèrent jouer à Gondreville" (Archives, B.6167). Certaines traces comptables nous apprennent également que le prince Antoine pouvait être très familier avec ses musiciens. En 1542, il perdit une somme d'argent en "jouant à la paulme avec son haultz-boys et son organiste" (Archives, B. 1072).

Ayant succédé à Pierquin de Thérache, Jehan Patie ne reste en fait que quelques mois et quitte définitivement la Lorraine en avril 1529. Il est remplacé par un des chanteurs de la chapelle privée du duc, le ténor Mathieu Lasson qui sera est un des maîtres de chapelle les plus brillants de ce règne. Mathieu Lasson compose, c'est dans ses attributions, et bénéficie des nouvelles presses parisiennes de Pierre Attaingnant, le premier imprimeur de musique à Paris à partir de 1528. Il y publie quatre chansons isolées dans plusieurs recueils. Ses cinq motets le sont chez les imprimeurs Pierre Attaingnant (Paris), Jacques Moderne à Lyon, Antonio Gardane ou Girolamo Scotto à Venise. Nous avons des traces de son activité nancéenne jusqu'en 1553. Si le 3 juin 1553, il participe à une réunion capitulaire (Saint-Georges) qui lui octroie une maison neuve sise "rue de la Boudière", un chapitre du 30 décembre de la même année relate la vente de cette même maison "qui fust à Maistre Lasson". L'année suivante, son "obiit" est célébré le 26 septembre, date supposée de sa mort[4].

Le nom d'Antoine reste également présent grâce à un motet de Mathieu Lasson (Anthoni pater inclyte), hymne à Saint Antoine de Padoue et dont la secunda pars évoque plus particulièrement le duc régnant[5] :

O Anthoni pater, veni / Clara proles hispanie / Splendida lux Italie,
Serva ducem Anthonium / Conjugem cum prosapia / Ac nobilis consilium / Cum subdita plebe pia.
O père d'Antoine, viens, illustre enfant d'Espagne, splendide lumière d'Italie,
Sauver notre duc Antoine, son épouse et sa famille, ainsi que la noble assemblée et la pieuse plèbe soumise.

Antoine mourut à Bar le 14 juin 1544. Mathieu Lasson et les chantres participent aux services funèbres et aux nombreux offices organisés à Bar-le-Duc ainsi qu'aux funérailles célébrées le 19 septembre à Nancy à la collégiale Saint-Georges suivi de la cérémonie d'inhumation en l'église du couvent des Cordeliers.

François de Lorraine (1517-1545), son fils, lui succède mais ne règnera qu'un an. À sa mort en juin 1545, d'autres funérailles grandioses sont organisées. Les deux sont d'ailleurs relatées dans le Recueil des Cérémonies faictes aux enterremens et annalz de feug de bonne mémoire messeigneurs les ducs Antoine et François par le héraut d'armes Edmond du Boullay, recueil imprimé à Metz chez Jean Pallier en 1547.

François de Lorraine laisse un fils âgé de trois ans. La régence est assurée par sa mère Christine de Danemark avec le prince de Vaudémont, l'oncle du jeune prince et futur Charles III dont le règne commencera en 1562.

De nombreux échanges de chanteurs, d'instrumentistes, de livres de musiques ou d'instruments confirment une activité musicale soutenue entre Claude de Lorraine (1496-1550), premier duc de Guise et son frère Antoine. Sa mort le 12 avril 1550 donnera lieu, à Joinville, à d'autres funérailles elles aussi fastueuses d'autant plus qu'elles seront associées à celles de son frère Jean, le cardinal, qui meurt quelques semaines plus tard en rentrant de Rome où il venait d'échouer de peu à l'élection papale[6]. Du couvent des religieuses des faubourgs de Joinville où les corps sont exposés à l'église Saint-Laurent, la procession est estimée à 1200 personnes. Le 1er juillet, les trois dernières messes durent au total sept heures ! Edmond du Boullay, l'organisateur des funérailles, mentionne que

les chantres de la chapelle chantèrent la messe de l'enterrement et le libera en musique et non sans cause, car le feu prince aimait fort la musique, dont il avait en tous temps sa chapelle autant bien fournie que prince de France et faisoit de grands biens à ses chantres.

Il ajoute ailleurs que

li duc avoit ses chantres les petis et les grans lesquels les avoient menez, chascun jour devant luy chantoient tant en l'esglise comme es diners et repas, de les oyr chascun prenoit grand plaisir.

Concernant la messe de Requiem, il précise aussi "la douce harmonie de la musique en laquelle ceste dernière messe fut chantée par les chantres de la chapelle". Dans l'oraison funèbre de Claude Guillaud[7] sont évoqués "les chantres de sa chapelle très bien ornée et douée des meilleurs musiciens qui fussent en Europe, Asie ou Afrique".

La musique elle-même dans son contenu loue à plusieurs reprises, et ante mortem, la vaillance de cette branche illustrée particulièrement par le fils de Claude de Lorraine, le duc François (1519-1563), le vainqueur du siège de Metz et de Calais. Une chanson anonyme dont nous conservons différentes versions polyphoniques[8] présente le texte suivant :

Gentil duc de Lorraine, prince de grand renom,
Tu as la renommée jusques dela les mons,
Et toy et tes gens d'armes et tous les compaignons
Du premier coup qu'il frappe abbatit les donjons,
Tirez, tires bombardes et canons.

Le musicien Clément Janequin qui sera quelques années au service du cardinal Jean de Lorraine servira son neveu François à partir de 1550 et louera dans des chansons descriptives quelques uns de ses faits d'armes. La prinse et redduction de Boulongne (Nicolas du Chemin, 1551), La bataille de Metz (Nicolas du Chemin, 1555) et La guerre de Renty (Le Roy et Ballard, 1559). Guillaume Costeley (1531-160), un autre musicien à son service écrira Prinse et réduction de Calais, pour célébrer le fait d'armes du duc François qui enlève la citadelle le 4 janvier 1558. C'est curieusement dans un recueil de sonnets qu'est publiée en 1558 une chanson avec sa formule dédicatoire tout à l'honneur de cette délivrance de Calais :

Avec une chanson en l'honneur de mondict Seigneur de Guise, mise en musique par François Le Febvre...
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D'autres compositeurs de passage seront au service de François ou de son frère le fameux et très grand cardinal Charles de Lorraine (1524-1574). C'est le cas de Jacques Arcadet dont la carrière est davantage européenne que strictement lorraine. Le dernier évoqué ici sera Fabrice Marin Caietain, compositeur à redécouvrir absolument[9].

Maître des enfants du chœur de la cathédrale Saint-Étienne de Toul, ce fut également le maître de musique du fils de François de Guise, le duc Henri dit "Le balafré" (1550-1588) et qui fut assassiné à Blois dans les circonstances historiques que l'on sait.

Musicien d'origine italienne, c'est sans doute par l'intermédiaire du cardinal de Lorraine que ce "Fabritio Gaetano" vient à Toul dans les années 1570, succédant tout d'abord comme maître de musique du cardinal à Jacques Arcadelt, mort en 1568. Sans doute aurait-il voulu être engagé par Charles III à Saint-Georges de Nancy comme le révèle une lette dédicatoire d'un Livre de chansons nouvelles mises en musique à six parties. Malheureusement pour lui, le duc ne donnera pas suite, satisfait des musiciens qu'il emploie alors. En 1576, son nouveau protecteur sera donc le duc Henri qui réside soit à Joinville soit en l'hôtel de Guise à Paris. Il suit donc ce nouveau courant musical prôné à la "Nouvelle académie de musique et de poésie " par Jean-Antoine de Baïf et rend plusieurs fois hommage dans ses odes à Pierre de Ronsard. On perd sa trace par la suite et nul ne sait encore où, quand et comment il termina sa carrière musicale. Il nous a laissé outre ce premier livre de douze motets et cet autre de douze chansons nouvelles, deux livres d'Airs mis en musique, publiés à Paris en 1576 et 1578, soit une soixantaine de pièces.

Charles III (1543-1608)

Élevé à la cour de France où il épouse, en 1559, la princesse Claude, fille du roi Henri II, son règne sera considéré comme un des plus brillants. L'art musical privilégie la musique instrumentale dans ces nouvelles formes que sont les ballets comiques et autres intermèdes. En avril 1603, il y eut à Nancy des fêtes magnifiques en l'honneur du roi et de la reine de France, Henri IV et Marie de Médicis. Un ballet fut exécuté et accompagné par les musiciens, les pages et "les viollons du duc". Ces grands ballets costumés ponctuent les fêtes à la cour, fêtes éphémères dont il ne reste aujourd'hui que les factures... à l'exemple de celle de 1718 francs qui furent payés en 1606 :

à Baptiste Guichard, marchand, pour gaze, tocq, estoffes de soye et autres marchandises à faire robbe et habits pour les dames, damoiselles, musiciens, viollons et autres personnes du ballet (Archives, B. 1292).

Un luthiste Bouquet ou Boquet, originaire de Pont-à-Mousson touchera lui aussi cette même année :

Trente-deux francs six gros pour six jours qu'il a esté à Nancy y mandé du commandement exprès de S.A. pour donner l'air d'un ballet à la réception de madame la duchesse de Bar (Archives, B. 1592).

Le violon, instrument prisé en Italie dans la musique savante mais toujours considéré en France comme un instrument rustique, s'impose peu à peu dans les cours. Charles III en engage un certain nombre à sa cour, en fait venir d'Italie en 1567 comme "Claude et Nicolas de Fleurance", c'est de Florence qu'il s'agit. Déjà en 1561, 250 francs sont délivrés "aux cinq violons de Monseigneur pour subvenir aux frais qu'ils pourroient faire à la suite de Monseigneur en son voyage d'Allemaigne".

Le violon sert donc à la chambre du duc, instrument noble jouant de la musique savante, et pour les armées, conservant sans doute son caractère d'instrument populaire pour les manifestations extérieures. En 1592, un document précise :

est en despense, iceluy comptable, la somme de vingt-deux francs, qu'il a plu à Monseigneur de Vaudémont donner et octroyer aux tambours et violons de l'armée de son Altesse estan devant Chasteauvillain (Archives, B. 1272).

Il s'agit de bien de l'actuel Chateauvillain, située entre Chaumont et Châtillon/Seine. Les noms des violonistes sont connus pour cette période et nous savons aussi qu'un marchand genevois établi à Nancy fournissait toutes les marchandises nécessaires à cette pratique. Des luthiers s'implanteront alors dans une région favorable à cette pratique. Nous avons les traces du passage ou de la présence de luthiers italiens mais aussi bavarois comme Tywersus qui seront à l'origine de la fameuse école de Mirecourt qui fleurira particulièrement aux 17e et 18e siècles avec Laurent Lupot ou Jean Vuillaume. Les princes de Lorraine occupant un château de plaisance à Ravenel, aux abords de Mirecourt, Tywersus s'y installera et formera des élèves sur place...

En 1574, des cornettistes à bouquin viennent de Florence ou en 1589 d'Autriche :

à Philippe Windelin, chantre et joueur de cornet de monseigneur le cardinal d'Austriche, vingt-huit francs six gros sous pour, durant les Vespres, avoir joué du cornetz à boucquin devant S.A. et y ayant présenté le Magnificat en musique de sa composition.

et Charles III engage même des joueurs de sacqueboutes anglais en 1604 :

à Jean Presse, joueur de cornetz à boucquin, pour aller en Angleterre chercher diverses sortes d'instruments pour accomplir sa musicque ; à deux joueurs de sacquebottes anglois pour ayder à la despence de leur retour en Angleterre (Archives, B. 1309).

Règne glorieux que celui de Charles III. Sa mort, le 14 mai 1608, fut un deuil général pour la Lorraine et sa pompe funèbre inégalée. Les ambassadeurs étrangers en furent si émerveillés qu'ils prièrent le duc Henri II de faire graver toutes les cérémonies de la pompe funèbre (le 17 juillet !) pour que les souverains étrangers fussent informés de la magnificence de cette solennité.

Jacques BARBIER
Professeur au Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
Université François-Rabelais de Tours

Notes

  1. Pour plus d'information, Pascal Desaux, "Pierquin de Thérache...", Symphonies lorraines, p. 29-76.
  2. M. F. De CHANTEAU, "Collections lorraines aux XVIe et XVIIe siècles", Mémoires de la Société d'Archéologie Lorraine, VIII (1880, Nancy, p. 321.
  3. Albert COLLIGNON, "La bibliothèque du duc Antoine", Mémoires de l'académie de Stanislas, 1907, p. 89.
  4. Pour plus d'information, Pascal DESAUX, "Mathieu Lasson...", Symphonies lorraines, p. 77-112.
  5. Motet enregistré au moins deux fois. Cf. La Renaissance en Lorraine, CD Adda 184/ED 13012 ; La Chapelle des chantres des ducs de Lorraine, CD K617, média 7, s.d.
  6. Pour plus d'information, Benoît DAMANT, "le Requiem de Pierre Cléreau...", Horizons musicaux en Lorraine, p. 239-69.
  7. Claude GUILLAUD, L'Oraison funèbre déclarative des gestes, meurs, vie et trepas du très illustre prince Claude de Lorraine, duc de Guyse et d'Aumalle, pair de France...prononcée à l'enterrement du dict seigneur par maistre Claude Guillauld,... présens messieurs les cardinaulx et princes assemblez à jaynville pour ledict enterrement, Paris, 1550.
  8. Gaston PARIS, Chansons du XVe siècle, Paris, 1875. Petrucci dans l'Odhecaton A donne une version à trois voix. Elle est augmentée d'une quatrième partie dans un manuscrit anglais Add. Ms. 31922.
  9. Pour plus d'information, Pascal DESAUX, "Fabrice Marin Caietain...", Symphonies lorraines, p. 113-150.

Voir aussi

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