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TSI (2014) Créhange

De Wicri Informatique
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Titre
L'Informatique universitaire à Nancy : un demi-siècle de développement
Auteur 
Marion Créhange, Marie-Christine Haton
Marion Créhange et Marie-Christine Haton sont professeures émérites de l’université de Lorraine.
Date d'édition 
2014
En ligne
Sur le site de la société informatique de France

L'Informatique universitaire à Nancy

un demi-siècle de développement


 
 

L'article réédité dans cette page a été publié conjointement dans la revue TSI et dans le bulletin de la Bulletin de la société informatique de France, (numéro 3, mai 2014, pp. 59–74).

L'article original

Marion Créhange et Marie-Christine Haton[NDLR 1]

Cet article est co-publié avec la revue Technique et Science Informatique (TSI).</ref>

Quelques précurseurs éclairés avaient pressenti dès les années 1950 l’envol de l’informatique, mais ils n’envisageaient pas cette explosion extraordinaire qui, en peu de temps, a profondément bouleversé la société et dont nous avons eu la chance d’être les actrices dès le début.
Nous présentons ici une histoire de plus d’un demi-siècle, celle de l’informatique universitaire à Nancy, dans une version révisée et augmentée de notre article publié en 2007 dans la revue d’Histoire de la Lorraine, Le Pays Lorrain[1].



C’est grâce à l’intuition et à l’esprit d’entreprise d’un professeur de mécanique rationnelle et d’analyse numérique à la faculté des Sciences, Jean Legras [2], puis à l’intérêt rapidement manifesté par un professeur de mathématiques en classe préparatoire, Claude Pair, que Nancy a été une des pionnières de l’informatique universitaire. L’informatique nancéienne débute en 1957, lorsque Jean Legras pressent le potentiel important de ce qui s’appelle encore « calcul automatique », tant pour son utilité directe que, peut-être, pour son intérêt scientifique. À cette époque, comme l’a souligné plus tard Jean-Pierre Finance, l’informatique a pu être vue comme « une sous-discipline des mathématiques, ou de la logique, ou encore de l’électronique, ou de la gestion, ou encore de la linguistique [3] ».

Depuis ses balbutiements jusqu’à la création du Centre de recherche en informatique de Nancy (CRIN) puis du LORIA, l’histoire de l’informatique universitaire à Nancy illustre sa rapide ascension vers une reconnaissance disciplinaire. Alors que derrière Jean Kuntzmann [4] Grenoble a une longueur d’avance, Nancy, comme Paris, Toulouse et Nantes-Rennes [5] , prend place très tôt dans le paysage de l’informatique universitaire ; s’amorce alors une spirale ascendante des idées, de leur enseignement, de leurs applications, qui s’enrichissent mutuellement.

Des débuts artisanaux... au statut d’institution : de 1957 à 1965

À la rentrée 1957, convaincu de l’intérêt que peuvent présenter les calculateurs, à une époque où le mot Informatique n’existe pas encore, Jean Legras propose à Marion Créhange, alors en fin de licence de mathématiques, d’expérimenter avec lui l’utilisation d’une calculatrice électronique mise à sa disposition par IBM ; il considère que l’expérience est intéressante, même s’il n’est pas certain qu’elle puisse avoir des prolongements.

Cette machine est un IBM 604, pour lequel un programme se matérialise en reliant des trous d’un tableau de connexions par des fils munis de fiches ; ces fils sont nombreux car il faut désigner opérateurs et opérandes. « Un souvenir cuisant est resté gravé dans mes doigts [6] : pour préparer un nouveau programme, il faut commencer par enlever toutes les fiches, coincées par des confettis, en tirant si fort que la fin du démontage nous laisse les doigts en sang ! ».

L’année suivante, Jean Legras ouvre une option Analyse et Calcul Numériques dans le 3e cycle de mathématiques, qui gagnera le qualificatif Pures et appliquées. La première promotion comprend quatre élèves, dont Marion Créhange, également responsable des travaux pratiques de programmation. C’est alors qu’arrive à Nancy un IBM 650, qui permet la naissance de l’Institut Universitaire de Calcul Automatique (IUCA). Le support externe des informations de cette grosse machine à tubes, qui nécessite une réfrigération énorme, est la carte perforée, et la mémoire est un tambour magnétique de 2000 emplacements de 10 chiffres décimaux. Contrairement à l’IBM 604, le programme est enregistré en mémoire comme toute donnée, il peut ainsi être écrit en langage évolué et faire l’objet d’une traduction dans le langage machine du 650. Dans sa thèse de 3e cycle sur la création d’un langage facilitant l’écriture de programmes par des scientifiques non informaticiens, le code de programmation (CDP), Marion Créhange note : « Il faut d’abord indiquer dans les mémoires 1882 et 1883 les limites de la première plage de tambour disponible... Le paquet de cartes comprend le programme de chargement (13 cartes jaunes), le programme en CDP (cartes roses), etc. [7] ». Romantique !

L’activité de la toute petite équipe croît rapidement, les enseignements s’adressant aussi à des doctorants de diverses spécialités ou des professionnels adultes, parmi lesquels un nouvel auditeur qui se révèle doué et que l’on retrouve dans la suite de l’histoire... Claude Pair, professeur de mathématiques spéciales.

Les chercheurs d’autres disciplines commencent aussi à venir avec des demandes, comme se souvient la première assistante : « Deux souvenirs illustrent la difficulté à calibrer les demandes. D’abord, je dois calculer pour une physicienne une famille de formules dépendant d’un ordre n. Après avoir, méfiante, fixé n = 2, elle se risque à demander des ordres croissants, jusqu’à ce que s’impose un changement de méthode, évitable si elle m’avait dit plus tôt ses espoirs réels. Pour un cristallographe, à l’inverse, je passe de nombreux jours à programmer, puis je commence l’exploitation, pour m’apercevoir que le calcul va durer cent jours ! Enfin, une dernière anecdote, souriante. Un physicien vient me voir, paniqué : j’ai un papier à envoyer demain et des calculs essentiels sont faux, pouvez-vous me dépanner ? Après une nuit de travail, je lui annonce le succès : « Mademoiselle, vous êtes une envoyée du paradis ! Il fouille dans sa poche et me tend une poignée de cerises ». Vive le temps des pionniers ! Ce témoignage donne toute sa force aux propos de Jean Legras qui conclut en 1959 la présentation de « son Institut » en ces mots : « L’IUCA permettra aux centres de recherche universitaires et industriels d’améliorer les méthodes de recherche en profitant au mieux de la puissance de synthèse et d’analyse de l’outil mathématique [8] ».

La nouvelle décennie qui s’ouvre voit l’enseignement prendre de l’ampleur : naturellement, comme dans bien d’autres universités françaises, celui-ci est d’abord greffé sur la filière mathématique et a pour objet la programmation, les méthodes numériques et leurs applications. Il s’étend aux écoles d’ingénieurs. Très tôt, Jean Legras établit des contacts universitaires avec des médecins, physiciens et chimistes qui découvrent l’aide que l’outil peut apporter dans la résolution numérique approchée de problèmes d’analyse, de simulation, de statistiques. Il renforce aussi l’ouverture tôt amorcée vers le monde industriel, à travers stages et recherches conjointes et encadre des thèses sur l’analyse numérique et la programmation.

Si les traitements portaient uniquement au début sur des données numériques, l’écriture des compilateurs conduit à traiter des chaînes de caractères, ce qui ouvre vite la voie à d’autres domaines. Une collaboration s’établit avec des linguistes du Centre de Recherche pour un Trésor de la Langue Française (TLF) créé par le recteur Paul Imbs. Ce centre deviendra l’Institut National de la Langue Française (INaLF) puis une composante de l’ATILF.

Après cette période de découverte et d’élargissement rapide des champs d’étude et d’applications ainsi que des publics, la seconde moitié des années 1960 voit le statut de science peu à peu s’imposer pour l’informatique. On retrouve ici le nom de Claude Pair. Nommé attaché de recherche au CNRS en 1963, il organise alors un cours de Théorie des langages. En 1965, il soutient une thèse d’État ès Sciences Mathématiques sur l’Étude de la notion de pile, application à l’analyse syntaxique où il a déjà à l’esprit la structuration des données, la gestion de la mémoire et l’écriture de traducteurs de langages artificiels ou naturels. Cette thèse donne lieu à « la première réalisation informatique des chercheurs nancéiens, un compilateur du langage Algol 60 pour IBM 1620. Un exploit, puisque la machine de développement était située à Metz et accessible seulement certaines nuits. La faiblesse des moyens informatiques, la conscience de la nature profonde des problèmes et leur culture mathématique poussèrent Claude Pair et sa jeune équipe à s’intéresser à la théorie de l’informatique et de la compilation 10 ». Ce noyau de chercheurs enthousiastes veut réaliser un outil mais surtout développer des concepts (structures de données, compilation, modularité, récursivité...), les enrichir en les confrontant à leur réalisation et à leurs usages, et les enseigner.

1965 à 1976 : vers la naissance du CRIN

Dans la présentation du colloque de juin 1988 fêtant le 30e anniversaire de l’informatique nancéienne et les 15 ans de l’association avec le CNRS 11 , Claude Pair s’enthousiasme : « Expérience passionnante : cela n’arrive pas tous les jours d’assister à la naissance d’une science. . . ». Les travaux des équipes nancéiennes sur les aspects logiciels sont reconnus à la fois sur le plan théorique et à travers des applications interdisciplinaires : linguistique, dossiers médicaux, données géologiques... Ainsi, en collaboration avec les informaticiens, le doyen Jean Schneider joue un rôle clé dans la création du CRAL (Centre de recherche et applications linguistiques) en

Notes

  1. Le Pays Lorrain, septembre 2007, pp. 167–172, et décembre 2007, pp. 253–258.
  2. Le Pays Lorrain, hors série « Les Universités de Nancy », mai 2003. En particulier : A. Renaud, « Du rayonnement des mathématiques lorraines : J. Legras et l’aventure informatique », pp. 48–52 ; R. Martin, « Le Trésor de la langue française », pp. 65–68.
  3. J.-P. Finance, « Histoire de la recherche en informatique à Nancy », Le Pays lorrain, 1990, pp. 257–266.
  4. Sixième Colloque sur l’Histoire de l’informatique et des Réseaux, Grenoble (2002), voir http: //www.aconit.org/histoire/colloques/.
  5. J. André (Irisa/Inria-Rennes), « Préhistoire de l’informatique à l’université de Rennes, Des origines au Général de Gaulle », Actes du Septième Colloque sur l’Histoire de l’informatique et des Transmissions, 2004. http://www.aconit.org/histoire/colloques/.
  6. M. Créhange, « Au temps des pionniers », A tout CRIN no 55, mai 1990, revue interne CRIN.
  7. M. Créhange, « Code de programmation », Cahier no 1 du groupement des utilisateurs scientifiques des ordinateurs IBM 650, octobre 1960.
  8. J. Legras, « Institut Universitaire de Calcul automatique de Nancy », Revue de l’Enseignement Supérieur no 2, 1959, pp. 154–157.

Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Le bulletin de la société informatique de France insère ici une note sur le contexte de publication de l'article


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