Nuvola apps important.png Attention, suite à une faille de sécurité, les liens vers les serveurs d'exploration ont été désactivés. Des actions de régénération sont en cours et quelques serveurs sont à nouveau accessibles.

-

Mission à l'informatique (1998) Mercouroff

De Wicri Informatique
logo lien interne Cette page est en phase de création pour des raisons de cohérence des liens dans ce wiki (ou au sein du réseau Wicri).
Pour en savoir plus, consulter l'onglet pages liées de la boîte à outils de navigation ou la rubrique « Voir aussi ».
Mission-informatique-mercouroff.pdf

Source : http://www.lesquere.fr/pair/mission-informatique-mercouroff.pdf

La Mission à l'Informatique
au Ministère de l'Éducation Nationale
dans les années soixante-dix

par
Wladimir MERCOUROFF
Directeur des Relations Internationales
de l'École Normale Supérieure

En 1969, Olivier Guichard devient Ministre de l'Éducation Nationale, où il remplace
Edgar Faure (quand on l'interroge, il déclare de son prédécesseur qui a géré les
événements étudiants de mai 1968 : " il a pris le risque politique de supprimer le latin
en 6ème, je ne prendrai pas le risque politique de le rétablir ") ; son premier Directeur
de Cabinet est André Giraud, Grand commis de l'État, mort en juillet 1997. Pierre
Jacquard que je connais depuis que nous avons préparé les concours d'entrée des
Grandes Écoles ensemble, est à son Cabinet. P.Jacquard est ingénieur du Corps des
Mines, comme André Giraud et comme Maurice Allègre, mineur aussi, qui vient de
remplacer Robert Galley, devenu Ministre, au poste de Délégué à l'Informatique auprès
du Premier Ministre ; c'est une sorte de pro-Consul, un quasi-Ministre qui a en charge
le " Plan Calcul ".

Le Plan Calcul

Ce Plan Calcul a été imaginé sous la Présidence du Général de Gaulle, qui n'avait pas
supporté que les États-Unis refusent au C.E.A. la vente d'un gros ordinateur pour les
calculs de la bombe atomique française. C'est une entreprise colbertienne " à la
française " dont les pilotes sont des Ingénieurs du Corps des Mines. Ce que l'opinion
1


<a name=2></a>publique a retenu de ce Plan, c'est l'action industrielle qui visait à structurer une
industrie française de l'informatique : c'est en effet le cadre dans lequel on a tenté de
créer une entreprise d'informatique sous le nom pompeux de Compagnie Internationale
pour l'Informatique (CII), qui a regroupé des industriels qui en France fabriquaient des
machines informatiques. Après bien des avatars, cette tentative a échoué en 1974, sous
la Présidence de V.Giscard d'Estaing et sous l'influence de J-P.Brûlé, PDG de Bull-
General Electric qui a fait préférer la fusion Bull-GE avec la CII (qui a donné plus tard
la CII-Honeywell-Bull, et plus tard encore Bull) au regroupement européen Unidata
(avec Philips et Siemens), péniblement mis sur pied par Maurice Allègre. Mais le rôle de la Délégation à l'Informatique est également d'encourager
l'informatique sous toutes ses formes, d'en promouvoir une bonne utilisation, de
développer une industrie du logiciel et de faire progresser l'enseignement de
l'informatique.
La création de la Mission à l'Informatique :
En 1970, Pierre Jacquard me propose de devenir responsable de ce développement au
Ministère de l'Education Nationale ; pour me convaincre, il m'invite à déjeuner dans un
restaurant voisin du Ministère, une fois, deux fois ; au troisième déjeuner, j'accepte. A
l'époque, j'étais Conseiller Technique à la Direction de l'Enseignement Supérieur, au
Ministère de l'Éducation Nationale, auprès du Directeur Jean Sirinelli, qui m'a
conseillé d'accepter. Un problème se pose alors, le choix du titre qu'il faut me donner :
" Délégué " est pris, " Dictateur " est trop fort, " Connétable " trop précieux ; on prend
platement " Chargé de Mission à l'Informatique ". Quand il s'est agit plus tard
d'expliquer ce titre aux japonais lors d'une visite au Japon, il a fallu recourir à des
images ; finalement, ils ont compris quand je leur ai dit que j'avais été " Shogun à
l'Informatique " au Ministère. Je n'avais, comme beaucoup de personnes, aucune expérience en informatique ; mon
seul contact avait eu lieu à l'occasion les discussions pour l'acquisition d'un ordinateur
10 070 par Nancy, sous l'impulsion du Professeur Jacques Legras. Cette machine que
nous jugerions énorme maintenant, avait été placée dans le bureau prévu pour le
Directeur de l'immense " Bâtiment de l'Ordinateur " construit pour accueillir le
monstrueux Gamma 60 destiné au " Trésor de la Langue Française " imaginé par le
Recteur Imbs pour faire un dictionnaire du français par ordinateur. En fait, ces fonctions me donnent des responsabilités très larges au sein du Ministère :
l'enseignement de l'informatique dans tous les ordres d'enseignement, l'introduction de
l'informatique dans la gestion de l'Éducation Nationale, l'utilisation des ordinateurs
pour l'enseignement et pour la recherche ainsi que la gestion du parc de matériels
informatiques. C'est le deuxième parc français, après celui du Ministère des Finances.
J'ai rang de Directeur au Ministère, à moins de 36 ans ce n'était pas mal.
Si l'enseignement de l'informatique ne pose guère de problèmes de principe (encore
faut-il savoir ce que l'on veut enseigner, l'informatique théorique ou les applications de
l'informatique ?), l'utilisation de l'informatique pour l'enseignement en pose beaucoup
plus : les machines à enseigner ont fait beaucoup fantasmer (ce fantasme revient
périodiquement, avec le CD-ROM, avec Internet, …). Je me suis beaucoup méfié de
ces machines qui devaient remplacer les enseignants, peut-être parce que, sur le point
d'être nommé, j'ai été piégé par un journaliste de France-soir, qui avec l'aide de Jean
Donio et Jacques Perriot (chercheur en sciences humaines, qui a fait carrière à l'INRP),
2


<a name=3></a>m'a fait annoncer à la " une " du journal France Soir, alors que j'avais été très prudent
dans l'interview, l'introduction massive de l'Enseignement Assisté par Ordinateur,
l'EAO comme on disait alors, dans les écoles !
Ma nomination a été plutôt bien accueillie par la presse, non seulement la presse
professionnelle informatique, mais aussi la grande presse. Dans la grande presse, le
journal qui comptait était Le Monde, qui consacrait après mai 1968 presque une page
au Monde de l'Education. Au Cabinet, on me disait : il n'y a que le Ministre et vous à
trouver grâce auprès de la presse !
A la Délégation à l'Informatique, autour de Maurice Allègre, se succèdent des jeunes
gens ambitieux, en général de jeunes Ingénieurs du Corps des Mines. Il y a Christian
Marbach, jeune ingénieur qui a été mon premier correspondant à la Délégation à
l'Informatique, avec qui j'ai beaucoup travaillé, Bertrand Collomb, ingénieur du Corps
des Mines également, un peu lointain (il est devenue plus tard PDG de Lafarge), Jean-
Claude Lempereur, administrateur civil, Président d'une association de " plus légers
que l'air ", Jean-Pierre Fargette, universitaire venu de l'expérience d'enseignement
programmé développée à la Faculté de la Halle aux Vins, avec qui je me suis bien
entendu, un autre universitaire, Leduc, que connaissait bien Georges Poitou, Doyen
d'Orsay, car il a été Maître de Conférences à Orsay, puis est parti au Havre où il est
devenu Professeur et enfin Président d'Université (je l'ai retrouvé en 1997 à une CPU
qui s'est tenue à Cachan).
Marbach et moi, nous avons procédé un certain jour de mars 1970, à " un partage du
Monde ", c'est à dire une répartition des tâches en ce qui concerne l'enseignement de
l'informatique : trois chantiers ont été définis : l'enseignement secondaire, la formation
à l'informatique dans l'enseignement supérieur pour former des ingénieurs, et au
sommet de la pyramide, une " Grande Ecole d'Informatique ". Dans le partage, j'ai pris
le secondaire et les formations dans l'enseignement supérieur (ce qui a conduit
notamment aux MIAGes pour l'enseignement de l'informatique de gestion) ; à
Marbach la Grande Ecole (qui s'est appelée Collège d'Informatique sous la houlette de
Peaucelle à Compiègne, mais qui ne s'est pas pérennisée).
L'enseignement de l'informatique :
L'enseignement de l'informatique avait déjà commencé en France depuis quelques
années. L'Institut de Programmation de Paris avait été créé par le CNRS, puis repris
par la Faculté des Sciences de Paris à la fin des années cinquante ; l'enseignement de
l'informatique de gestion avait démarré dans les IUT vers 1965 ; l'informatique
scientifique était présente dans l'Université à travers des maîtrises d'informatique,
notamment à Grenoble, où Jean Kuntzmann professeur de mathématiques avait joué un
rôle de précurseur, et à Toulouse où régnait Michel Laudet ; celui-ci venait d'ailleurs
(au grand dam des grenoblois) d'être nommé Directeur de l'Institut de Recherche en
Informatique et Automatique, l'IRIA (le professeur Jean Lagasse, Directeur du
Laboratoire d'Analyse et Automatique Spatiale à Toulouse avait in extremis fait
rajouter l'Automatique), créé dans le cadre du Plan Calcul, et installé dans les anciens
locaux de l'OTAN à Rocquencourt ; l'IRIA s'est appelé plus tard INRIA en devenant
National.
L'enseignement de l'informatique avait déjà fait quelques ravages dans les lycées :
l'informatique avait en effet la réputation d'ouvrir les portes de l'emploi, et des
Inspecteurs de l'Enseignement Technique avaient fait créer, avec la complicité d'un
3


<a name=4></a>certain nombre de Recteurs, un Baccalauréat H " informatique ". Il y avait 58 lycées
techniques en France qui y préparaient : c'était une catastrophe ; on n'avait pas encore
compris que l'informatique technique était en fait un métier d'ingénieur, à la rigueur de
technicien supérieur mais à condition d'assurer une formation permanente.
L'enseignement de l'informatique professionnelle devait donc s'appuyer sur une solide
formation générale, notamment dans le secondaire, mais si l'enseignement restait
limité à ce niveau, on formait des techniciens rapidement dépassés par les progrès très
rapides de l'informatique, incapables de se recycler. Je n'ai pas réussi à supprimer les
bacs H, de peur de désespérer ceux qui croyaient à l'informatique.
A l'époque, la plaie de l'enseignement de l'informatique était constituée par des cours
privés, qui prétendaient former des informaticiens en trois mois (" Devenez
perforatrice ! " ou " Devenez programmeur "), par exemple en leur enseignant le
langage GAP. Il a fallu développer un arsenal législatif et réglementaire pour filtrer les
écoles sérieuses dans la marée des marchands de soupe. On a même dû créer une
officine spéciale, le CEPIA, qui rassemblait des données sur ces écoles, et donnait des
informations par téléphone, pour décourager les clients tentés par les moins sérieuses,
de s'y inscrire.
Initiation, Formation, Spécialisation :
La préparation du Vème Plan et les problèmes de formation m'ont occupé avant même
que je ne sois nommé. J'ai fait partie et j'ai largement animé la " Commission Ducray ",
du nom de son Président qui est devenu plus tard Directeur du CEREQ, chargée de
déterminer les besoins de formations nouvelles. C'est à cette occasion que j'ai défini
une doctrine qui m'a servi ensuite de ligne de conduite, et qui se résumait en trois
mots :" Initiation, Formation, Spécialisation ". L'Initiation était essentiellement la diffusion de la culture informatique dans le
secondaire, à travers les disciplines traditionnelles, en montrant l'apport de
l'informatique à leur pratique ; la Formation se plaçait dans l'Enseignement supérieur
pour maîtriser l'usage de l'informatique dans les disciplines enseignées dans les
Universités, mais sans que l'informatique soit dominante ; la Spécialisation enfin
devait former des informaticiens dans le supérieur (IUT, sections de Techiciens
supérieurs après le Bac dans les Lycées et ultérieurement les maîtrises MIAGe), mais
surtout pas dans le secondaire (pas de Bac H !). Cet ensemble était conçu comme une
pyramide, la Formation s'appuyant sur l'Initiation, et la Spécialisation couronnant le
tout ; naturellement, cette pyramide ne pouvait se mettre en place que progressivement,
l'Initiation étant dans un premier temps nécessaire même dans l'Enseignement
supérieur. Cette trilogie avait été reprise par l'hebdomadaire 01-Informatique, qui
était la principale publication professionnelle de l'époque.
Une fois nommé, on m'a attribué un bureau au Ministère, au 110 rue de Grenelle, le
long de la rue du Bac : j'était seul, sans secrétaire, et quand un coup de téléphone m'a
annoncé que le Ministre avait décidé de m'attribuer l'ordre du Mérite, j'ai explosé : " ce
n'est pas de l'ordre du Mérite dont j'ai besoin, c'est d'une secrétaire ! ". On m'a expliqué
que ce n'était pas incompatible, et j'ai eu rapidement une secrétaire, Mademoiselle
Maryvonne Radigois, bretonne qui venait du Rectorat de Nantes où elle avait assuré le
secrétariat du Recteur Schmidt. Elle devint rapidement l'âme de la Mission à
l'Informatique, veillant sur son patron avec jalousie et dévouement, consacrant tout son
temps à la Mission à l'Informatique (sauf celui qu'elle passait à Piriac où elle a une
maison et un bateau qu'elle partage avec sa sœur, sur les terres d'Olivier Guichard). 4


<a name=5></a>Le cadre réglementaire :
La Mission à l'Informatique était, comme son nom l'indique, une administration de
" mission ", c'est à dire créée pour un besoin particulier, le développement de
l'informatique, et destinée à disparaître une fois ce besoin satisfait. Elle a disparu après
quelques années sous mon successeur, Christian Chabbert, à l'occasion d'un
changement d'organigramme ; je ne sais pas si le besoin avait disparu, mais le
Ministère de l'Éducation Nationale avait été amputé de l'Enseignement Supérieur, et la
position du Chargé de Mission à l'Informatique était devenue délicate. La Mission à
l'Informatique n'avait d'ailleurs pas de tâches de gestion directes : elle devait les confier
aux Directions opérationnelles du Ministère, et les seuls crédits dont elle disposait
étaient des crédits " incitatifs ".
L'une de mes premières actions a été de créer un cadre réglementaire dans lequel mon
action pouvait se développer ; j'ai rédigé des textes signés par le Ministre qui créaient
des commissions que je présidais en tant que représentant du Ministre : Commission
de l'Enseignement de l'Informatique (arrêté du 17 juin 1971), Commission de
l'Informatique de Gestion (24 novembre 1970). Pour l'équipement, il y avait déjà la
Commission des Equipements Informatiques présidée par Lucien Malavard ; des sous-
commissions techniques complétaient le dispositif.
La Commission des Equipements Informatiques existait déjà ; elle examinait tous les
projets d'équipement informatique de quelque importance. Elle était, pour l'essentiel,
interne au Ministère, mais y siégeait cependant un représentant du Délégué à
l'Informatique, en vertu de ses fonctions de coordination interministérielle. Je
connaissais déjà le Professeur Lucien Malavard, par mes anciennes fonctions de
Conseiller Technique de la Direction des Enseignements Supérieurs au Ministère ; il
avait été Directeur de la Direction des Recherches et des Moyens d'Essais (DRME) du
Ministère de la Défense, et il était considéré comme un pionnier de l'informatique. Il
avait dirigé le Centre de Calcul Analogique commun à l'Office National d'Etudes et
Recherches Aéronautiques (ONERA) et au CNRS, et l'avait réorienté vers
l'informatique numérique, tout en le transportant sur le Campus d'Orsay.
Les séances de cette Commission étaient parfois pittoresques : il y avait un rapporteur,
et les responsables du projet étaient introduits à un certain moment en séance. Les
interventions du représentant du Délégué à l'Informatique étaient redoutées : il avait un
pouvoir de veto, qu'il faisait jouer plutôt en faveur de l'industrie nationale que de la
cohérence du projet, mais naturellement, il ne pouvait pas faire jouer son veto en
permanence. Une des premières séances assez pittoresques auxquelles j'ai assisté (je
représentais le Ministre), est celle où Pierre Bacchus, professeur d'astronomie, est venu
présenter l'équipement de Lille, un IBM sans doute, et comme on le titillait sur son
choix, il s'est écrié : " Je vois le représentant de la CII qui assiste à la Commission " en
désignant M.Delamare, représentant du Délégué à l'Informatique.
Naturellement, les séances de la Commission étaient précédées de tractations avec les
constructeurs et la Délégation à l'Informatique. Mon jeu consistait à obtenir le
maximum des constructeurs autres que la CII, et de mettre ensuite la CII au défi de
faire au moins aussi bien sur les plans technique et financier. Compte tenu de l'état de
la CII, ce jeu était souvent assez cruel, mais il me semblait indispensable si on voulait
un jour avoir une industrie compétitive ; malheureusement, elle était fortement
subventionnée, et le seul espoir était de la rendre compétitive sur le plan technique, ce
qu'elle peinait à faire. Mais le veto de la Délégation à l'Informatique, s'il était rare, n'en
5


<a name=6></a>était pas moins redoutable, car la Commission était suivie d'un passage à la
Commission des Marchés Informatiques, où se déchaînait un certain Noel Aucagne,
qui était un personnage assez incontrôlable, mais sensible à l'attention qu'on lui
témoignait ; j'ai fini par le calmer en allant lui exposer directement ma politique.
L'IRIA que j'ai cité plus haut servait de bras armé financier à la Délégation à
l'Informatique. J'y fus nommé Conseiller, ce qui a permis de me verser une prime
modeste, en complément de mon traitement de Professeur qui m'avait été conservé
dans mes fonctions (c'était une mesquinerie de la part du Ministère, qui d'habitude
donnait à ses Directeurs des postes mieux rémunérés). En échange de cette prime, je
pris la Présidence du COCOFI, Comité d'Orientation et de Coordination de la
Formation en Informatique ; ce Comité servait aussi de Comité de Rédaction au
Bulletin de l'IRIA, et c'est ainsi que j'ai travaillé avec Christian Bornes qui en était le
rédacteur. Quand j'ai quitté mes fonctions au COCOFI, on a organisé une réception, on
m'a offert un cadeau et j’ai été remplacé par Hubert Curien, ce qui finalement était
assez flatteur.
L'Enseignement Assisté par Ordinateur (EAO)
Parmi mes attributions, j'avais l'Enseignement à l'aide de moyens informatiques,
appelé EAO - Enseignement Assisté par Ordinateur ; à vrai dire, j'avais dès le départ
quelques réticences vis à vis de ce mode d'enseignement, mais il fallait cependant voir
ce qui pouvait en être tiré.
L'affaire intéressait les industriels, IBM en tête qui avait créé une division qui ne
s'occupait que de cela, et qui avait conçu tout un système d'EAO imaginé par un
certain Peuchot (il faut dire à sa décharge qu'IBM l'appliquait pour ses propres
formations, notamment dans son centre d'enseignement de Boulogne-Billancourt),
CDC qui avait inventé le Système PLATO, mais aussi Serge Dassault qui est venu un
jour me chercher au Ministère pour m'offrir un déjeuner à La Sologne, bistro à la
mode, pour me vendre (pour 20 MF) un système clef en mains de matériels et logiciels
d'enseignement par ordinateur fabriqué par Dassault Electronique. l'EAO intéressait
aussi les journalistes, qui rêvaient de machines à enseigner pour remplacer les
enseignants, ou pour pouvoir disserter sur l'irremplaçabilité des professeurs ; j'ai
rappelé comment je me suis fait piéger, avant d'être nommé, par Donio et Perriot qui
m'on fait annoncer dans France Soir l'installation de machines à enseigner dans les
classes. Mais elle intéressait aussi des enseignants qui trouvaient là un terrain
d'expérimentation pédagogique, parfois intéressant. Toutefois, l'expérience de l'enseignement d'Hématologie, mis au point par le
Professeur Levy à l'hôpital Saint-Louis, sous la houlette de Jean Bernard, préfigurait
un peu les systèmes experts en diagnostic médical. De même, le physicien Yves Le
Corre à la Halle aux Vins avait développé un service appelé l'OPE - l'Ordinateur Pour
Etudiant ; il vérifiait notamment des connaissances en physique, par une démarche
arborescente, avec des branchements selon les réponses des étudiants, les menant à une
nouvelle question, ou revenant en arrière, ou éclairant certains points du programme.
Mais les problèmes rencontrés touchaient souvent à l'intelligence artificielle, à la
compréhension du langage naturel notamment, car il fallait interpréter les réponses des
étudiants formulées sous une forme non canonique vraie ou fausse. Ces problèmes ne
pouvaient pas être résolus, en tout cas avec les moyens théoriques et pratiques de
l'époque ; pas plus que la traduction automatique par ordinateur que l'on croyait facile
6


<a name=7></a>à mettre en œuvre dès les années soixante ; ils ne sont pas solubles par les méthodes de
l'époque, car ce sont des problèmes NP-complets que l'on ne peut espérer résoudre que
par des méthodes heuristiques, c'est-à-dire empiriques. En fait, et la chose est bien
prouvée, l'enseignement programmé sur ordinateur est assez bien adaptée à
l'apprentissage, par exemple l'apprentissage du dépannage d'une voiture ou d'un
téléviseur, mais pas à l'enseignement de matières abstraites et conceptuelles.
A l'OPE travaillaient un certain nombre d'enseignants : Romain Jacoud, Hélène
Bestougeff qui a eu plus tard quelques responsabilités en informatique, Jean-Pierre
Fargette, qui a été ensuite chargé de mission à la Délégation à l'Informatique. Le
patron de l'OPE, Le Corre est devenu plus tard Président de Paris VII. L'OPE avait un
petit ordinateur IBM, et souhaitait le renforcer, naturellement avec des arguments
d'urgence et en menaçant de nous envoyer des étudiants ; j'ai négocié avec Le Corre ce
renforcement, à condition qu'il passe ensuite à un ordinateur CII. A ma connaissance, il
n'a jamais eu d'ordinateur CII. L'OPE a disparu car le problème ne se situait pas au niveau des machines : les
successeurs ont travaillé sur logiciels d'écriture de modules d'enseignements
programmé, balayé par l'Enseignement Intelligemment Assisté par Ordinateur (EIAO)
avec des traces d'intelligence artificielle, le tout balayé ensuite par la vague
multimédia. Pour ma part, mes préventions n'ont pas disparu : l'enseignement assisté
par ordinateur, Internet ou multimédia, est un complément intéressant pour
l'enseignement, mais ne peut en aucun cas remplacer la présence d'un professeur. 7


<a name=8></a>L'informatique dans l'Enseignement secondaire :
A peine nommé, pour ne pas manquer une année scolaire, je cosigne avec le Directeur
de l'Enseignement secondaire, une circulaire parue au BOEN (N°22, jeudi 28 mai
1970), la première de ma vie (et je crois bien aussi la dernière !) pour proposer à des
professeurs de lycées, voire de collèges, des stages de formation à l'informatique. Il y a
eu à la date limite, 1024 réponses à cette circulaire, soit 210, signe binaire du ciel. Pour
accuser réception, j'ai collé des enveloppes avec Mademoiselle Radigois jusqu'à fort
tard dans la soirée. En même temps, il faut livrer bataille pour sauver les 100 postes demandés au budget :
après la bataille, il en reste 80 ce qui est pas mal, bien que A.Giraud me prédise qu'ils
chercheront à partir une fois formés (en fait, ils ont très peu quitté l'Education
Nationale, ils sont parfois allés dans le Supérieur, et sont souvent devenu formateurs en
informatique eux-mêmes). Une commission de sélection constituée avec les Doyens de
l'Inspection Générale permet de les choisir en panachant les disciplines, en prenant
autant de scientifiques que de littéraires (et même un inspecteur général de lettres,
P.Gian), et quelques PEGC pour corser le tout. Il a fallu régler les problèmes de frais
de mission, de réorganisation de services, finalement tout a bien marché.
Des discussions avaient été menées au préalable avec les constructeurs ; on en place
donc 40 chez IBM, 20 chez Honeywell et autant à la CII. Je promets aux constructeurs
de faire mon possible pour leur payer leurs prestations, et effectivement, pendant 2 ou
3 ans je demande les sommes correspondantes au budget, on me les refuse
systématiquement, mais l'honneur est sauf ! Une réunion est organisée avec tous les stagiaires dans la grande salle de réunion du
Ministère (c'était une sorte de Salle des Fêtes, qui a disparu depuis) ; j'expose les
objectifs de la formation, et j'explique que les stagiaires de retour dans leurs
établissements devront réfléchir à l'introduction de l'informatique dans leur discipline
et dans leur enseignement, et initier leurs collègues qui n'ont pas reçu de formation. Je
déclare " qu'ils devront prendre des initiatives ", et une stagiaire scandalisée réplique
" qu'il n'était pas prévu qu'on prenne des initiatives ! ". Ces formations se sont poursuivies pendant quelques années, en particulier dès l'année
suivante, dans un cadre universitaire, à Grenoble à l'Institut de Mathématiques
Appliquées (IMAG), à l'IUT de Nancy, et à l'École Normale Supérieure de Saint-
Cloud (ou l'animateur André Poly était un jeune sportif, guide de Haute Montagne).
J'encourage la création d'une association appelée Enseignement Public et Informatique
(EPI), pour assurer un lien entre anciens stagiaires en dehors de l'administration ; elle
existe toujours aujourd'hui. Cette association très laïque et très républicaine a été bien
utile quand il s'est agit de généraliser la formation à l'informatique. J'eu alors
facilement un contact avec le Secrétaire Général du Syndicat National de
l'Enseignement Secondaire (SNES), qui a volontiers enfourché le cheval de la
modernisation de l'enseignement. Je me suis fâché quelques années plus tard avec
l'association, pour une raison obscure dont je n'ai pas gardé le souvenir.
La formation des professeurs n'était que le premier étage de l'introduction de
l'informatique dans l'Enseignement secondaire ; deux autres étages de la " fusée " ont
suivi. Le second a été l'écriture d'un langage de programmation spécial, le LSE
(Langage Symbolique pour l'Enseignement), par une équipe de l'École Supérieure
l'Électricité, dirigée par Jacques Hebenstreit ; je dois rendre hommage ici à Jacques,
qui a été mon inspirateur pour toute l'opération de l'Enseignement secondaire ; il a
8


<a name=9></a>même rédigé un cours d'informatique, qui a été diffusé par le Centre National
d'Enseignement par Correspondance. Les professeurs formés étaient invités à écrire
des programmes pour illustrer leurs disciplines, en utilisant le LSE ; ce langage avait
pour ambition de concurrencer le Basic, alors très à la mode. On nous a beaucoup
reproché, dans les milieux branchés, de lancer un langage interactif à syntaxe
française, plutôt que de prendre directement le Basic ; que nous aurait-on dit si on avait
choisi le Basic, qui foulait aux pieds notre bonne langue française.
Le dernier étage a été le lancement d'un appel d'offre en 1973 pour équiper les lycées
en machines. IBM m'a proposé de placer un 370-60 dans chaque rectorat, et des
terminaux passifs dans chaque établissement (c'était la grande époque time-sharing
d'IBM), mais je pensais déjà à des petites machines telles les PDP-8 que DEC venait
de lancer. Nous avons donc choisi deux machines de ce type que nous ont proposées
les constructeurs français : un MITRA 15 de la CII avec 4 K de mémoire et 8 consoles
de visualisation et avec un télétype comme imprimante, et un T-1600 de
Télémécanique avec 8 K de mémoire ; ce n'est que plus tard qu'on leur a ajouté un
disque dur.
Ces machines ont équipé au total 53 lycées, et ont constitué la première introduction
physique importante d'ordinateurs dans l'enseignement (si on exclue un IBM 1130
" sauvage " installé à la Celles-Saint-Cloud par un père d'enfant travaillant chez le
constructeur américain). Les Plans " 10 000 micro-ordinateurs dans les lycées " lancés
par André Giraud quand il était Ministre de l'Industrie et " Informatique pour tous "
lancé par Laurent Fabius, Premier Ministre, ont été en fait des rééditions moins bien
préparées, puisqu'aucune formation spéciale d'enseignants ne les a précédées ; on s'est
alors tout a coup souvenu de l'expérience déjà menée, et on s'est appuyé sur les
professeurs formés à partir de 1970 et sur les logiciels qu'ils avaient écrits.
L'affaire était suivie par Christian Lafond à l'INRP, qui faisait des bilans et les
diffusait. Ch.Lafond devait quitter l'INRP pour la Librairie Nathan qui voulait se lancer
dans l'informatique pour l'enseignement lorsque l'affaire a tourné court, j'ai perdu sa
trace.
La création des MIAGes :
Une autre urgence était l'enseignement de l'informatique de gestion, au niveau
ingénieur. Pour y répondre, j'ai estimé qu'il n'était pas nécessaire de créer de toute
pièce des Ecoles d'ingénieurs, et qu'on pouvait en marginal le faire dans les
Universités, en utilisant les moyens existants et en créant des Maîtrises proches du
modèle classique institué en 1965 par Pierre Aigrain dans le cadre de la réforme
" Fouchet ", éventuellement suivies d'un DEA ou d'un DESS. C'est dans cette optique
que les Maîtrises d'Informatique Appliquée à la Gestion (MIAGe) ont vu le jour. De
manière plus précise, leur naissance a été annoncée à l'occasion du SICOB 1970, par
un discours du Ministre O.Guichard : André Giraud, Directeur de Cabinet, avait
accepté que le Ministre vienne au SICOB, à condition que la séance ne soit pas
présidée par le Délégué à l'Informatique ( dont le rang était inférieur à celui du
Ministre) et à condition que j'écrive son discours. Naturellement, dans ce discours, le
Ministre annonçait qu'il venait de signer le décret de création des Maitrises de
Méthodes Informatiques Appliquées à la Gestion (les MIAGe dont le nom m'était venu
un joli matin de mai, en allant en voiture à Orsay, en pensant au Dôme de Miage dans
les Alpes ; pour le 20ème anniversaire de la création des MIAGes, une promotion de
Lyon, apprenant cette lointaine filiation, a décidé de lancer une cordée pour faire
9


<a name=10></a>l'ascension de ce Dôme). Ce décret était depuis quelque temps au Cabinet, et tardait à
en sortir signé ; le discours que j'avais préparé l'en fit sortir rapidement.
Ce décret, deux ans après mai 1968, instituait une sélection à l'entrée (" en raison des
contraintes de matériel ") ; c'est peut-être elle qui explique le succès des MIAGes. Il
prévoyait aussi un Conseil de Perfectionnement pour chaque MIAGe, avec
participation d'Industriels, et une Commission Pédagogique Nationale (CPN), sur le
modèle des IUT. La première MIAGe est mise en place dès la rentrée 1970 à Orsay, grâce à l'aide du
Doyen Poitou ; il est à ce point de vue lui aussi l'un des " pères " des MIAGes. Il a
fallu trouver un Directeur des Études ; Jean-Baptiste Joannin, Directeur technique de
PSI (Centre de Calcul d'Orsay) m'indique le nom de Christian Chabbert. Celui-ci avait
suivi une formation d'officier de la marine marchande, mais avait dévié vers
l'informatique professionnelle, et a accepté de tenter l'aventure ; il s'est donc retrouvé
universitaire à cette occasion, un peu par accident. Il a terminé sa carrière à Orsay en
1998. En même temps que la MIAGe d'Orsay était créée une MIAGe à Montpellier, en
adaptant sous ce nom un enseignement existant monté par Falguerette. En même
temps, je mis en place une CPN " provisoire " présidée par Poitou, avec notamment le
Doyen Charles de Montpellier.
Cette structure de MIAGe s'est révélée robuste ; plus de 25 ans plus tard, elle existe
toujours ; elle est bien connue des employeurs, les petites annonces réclament des
" Miagistes ". Pour la renforcer, dès la première année, je demande 3000 F de
subvention au Cabinet pour la création d'une Association d'anciens (futurs) élèves de la
MIAGe d'Orsay ; ces associations se multiplient, et sont utiles pour connaître le
devenir des anciens étudiants. La structure a résisté à des réformes successives : ainsi,
celle lancée en 1993 par Claude Allègre, alors Conseiller Spécial du Ministre Jospin,
qui a créé des Instituts Universitaires Professionnalisés (IUP) ; il a été dit que les
MIAGes leur auraient servi de modèle, alors que les IUP recrutaient après un an de
DEUG (et non à la fin du DEUG), et formaient des " Ingénieurs-Maîtres ", choses
inconnues dans les MIAGes. A la CPN, nous avions conclu : " faites tout ce que vous
voulez, mais ne changez pas le nom de MIAGe qui est maintenant connu ! "
Après avoir quitté en 1975 les fonctions de Chargé de Mission à l'Informatique, j'ai
continué à suivre le développement des MIAGes en prenant, à la suite de Georges
Poitou et du Doyen Charles, la Présidence de la Commission Pédagogique Nationale.
J'ai introduit à cette occasion deux pratiques qui perdurent encore aujourd'hui : je
présentais à chaque réunion de début d'année universitaire (en décembre), un tableau
des effectifs et résultats, année par année, MIAGe par MIAGe ; j'ai confectionné les
premiers tableaux à la main, les tableurs n'étant pas encore disponibles (Visicalc qui a
lancé l'Apple II date de la fin des années soixante-dix). J'organisais aussi à cette
occasion, dans une seconde partie de la réunion, une rencontre de la CPN avec tous les
Directeurs d'Études des MIAGes (bien que ceux-ci y soient déjà représentés). Ces deux
pratiques ont permis, aussi bien à la CPN qu'à l'Administration du Ministère, d'avoir
chaque année une vision d'ensemble de ce type de formation, de ses performances et
de ses difficultés, et d'être en contact avec " la base ".
L'enseignement de l'informatique ne se limitait naturellement pas aux MIAGes et à
l'Enseignement secondaire (j'avoue n'avoir rien fait pour cet enseignement ni en
Maternelle, ni dans le Primaire : il faut choisir ses priorités). J'ai naturellement soutenu
les Maîtrises d'Informatique qui se créaient assez spontanément dans les Universités, à
la suite de celles de Paris, Grenoble et Toulouse. A Paris, l'enseignement
10


<a name=11></a>d'informatique se concentrait surtout à la Halle aux Vins, dans l'Institut de
Programmation de Paris, dirigé par Jacques Arsac ; cet Institut était très agité, souvent
en grève, et Jacques Arsac débordé avait fuit en 1971-72 à l'étranger, laissant la maison
à son adjoint Jean Vignes, grand spécialiste des arrondis dans les calculs numériques.
Celui-ci me téléphonait en général le matin de bonne heure pour m'annoncer des
catastrophes, en général de nouvelles grèves ; je proférais quelques bonnes paroles, et
les choses s'arrangeaient d'elles-même.
Un jour cependant, on me signale que " les gauchistes " attaquent l'ordinateur de la
Halles aux Vins, le CDC 6600 des l'IN2P3 : un extincteur venait de traverser une
verrière et avait cabossé le carter d'un ordinateur. Avant que je ne puisse faire quoi que
ce soit (je ne pouvais pas envoyer les CRS dans l'Université, peut-être les Pompiers, et
il n'était pas facile de mettre la main sur les " appariteurs musclés " que l'on avait mis
dans les Universités), on m'informe que la situation est rétablie, que le service d'ordre
de la CGT a pris les choses en main et a repoussé les gauchistes au nom de la
protection de " l'outil de travail " !
Un autre endroit où l'on tentait d'enseigner l'informatique à Paris, était l'Université de
Vincennes, donnée aux éléments les plus gauchistes de l'Enseignement supérieur par
Edgar Faure, pas encore chassée à Saint-Denis. Le patron de l'informatique était Yves
Lecerf, ingénieur du Corps des Ponts détaché comme professeur à Vincennes. Il avait
organisé des enseignements d'informatique pour les étudiants non-bacheliers accueillis
à Vincennes, en réunissant une incroyable collection de CAB 500, une machine qui
avait été au début des années soixante l'un des tout premiers ordinateurs de bureau,
mais qui était maintenant complètement dépassée.
Les Instituts Universitaires de Technologie d'informatique avaient aussi été l'objet de
mon attention, mais ils avaient été lancés depuis quelques années, soigneusement
protégés par Michel-Yves Bernard qui y veillait comme sur la prunelle de ses yeux.
J'évoque plus loin leur équipement informatique, dans lequel je n'ai joué qu'un rôle
mineur, sauf peut-être pour les nouveaux départements.
Mais ma contribution la plus importante à l'enseignement de l'informatique, la moins
connue peut-être, c'est la création d'une Sous-Commission d'Informatique au Comité
Consultatif des Universités (CCU), l'organisme qui réglait entre pairs la carrière des
enseignants. L'informatique avait été prise sous l'aile protectrice et un peu envahissante
des mathématiques, qui sous prétexte de qualité y envoyaient leur moins bons
éléments, et en prenait prétexte pour accuser les informaticiens d'avoir des enseignants
de qualité médiocre. C'était parfois vrai, pour la raison indiquée, et aussi parce que
l'informatique avait attiré beaucoup d'autodidactes, venant parfois d'autres disciplines
où ils avaient souvent fait leurs preuves ; c'était notamment le cas de Jacques Arsac,
physicien spécialiste de l'optique, qui s'était reconverti dans la radioastronomie et était
devenu spécialiste des " Distributions ", théorie mathématique importante développée
par Laurent Schwartz ; il avait viré à l'informatique à la suite de calculs complexes
qu'il avait menés sur les antennes. Cette tutelle des mathématiciens devenait pesante ; un jour, j'ai publié un article dans le
Bulletin de l'INRIA (où j'étais Président du Comité de Coordination) pour marquer les
limites de l'informatique et la nécessité de couper le cordon ombilical. Mais surtout,
j'ai négocié avec Jean Luzi, Directeur des Personnels Enseignants de l'Enseignement
Supérieur, la création d'une Sous-Commission d'informatique au sein d'une
Commission de Mathématiques, au même titre que les Mathématiques Appliquées. Les
informaticiens pouvaient ainsi travailler entre eux, même si leurs propositions étaient
11


<a name=12></a>examinées ensuite globalement au sein de la Commission. Quelques années plus tard,
cette Sous-Commission s'est émancipée en devenant une Commission à part entière.
C'est elle qui, 20 ans plus tard, sans se souvenir de mon rôle en tant que Chargé de
Mission à l'Informatique, m'a promu Professeur de Classe Exceptionnelle.
La gestion informatique de l'Education Nationale :
J'ai rapidement compris que la gestion informatique de l'Education Nationale dont
j'étais en principe responsable, était en fait un enjeu de pouvoir. Elle était à l'époque
synonyme de puissance, car on redéfinissait les règles de gestion pour les adapter à
l'instrument ; cela ne me passionnait pas, mais j'essayais de faire de mon mieux.
Camille Duquenne, Directeur de l'Administration Centrale au Ministère avait rêvé d'en
être le responsable ; le sachant, je suis allé le voir, " pour lui demander conseil ", et il
m'a ouvert son cœur et dit son amertume de ne pas être chargé de cette responsabilité,
mais m'a assuré qu'en fonctionnaire obéissant, il ne me gênerait pas ; il a tenu parole.
Mais Michel Praderie, ancien élève de l'ENA, qui a eu son heure de gloire plus tard
comme DRH de Renault, et qui était alors adjoint du Directeur de la Prévision (le
Recteur Grohens) a joué un drôle rôle étrange dans cette affaire, me prévenant de
difficultés et me savonnant soigneusement la planche sur laquelle je devais marcher. Un des premiers contacts que j'ai eu avec la gestion est la proposition que j'ai reçue de
la SG2 (Société Générale de Services de Gestion) de me fabriquer des emplois du
temps par ordinateur ; quand on sait le travail que représente chaque été l'élaboration
de ces emplois du temps pour tous les censeurs de lycées de France, on pouvait être
tenté. Mais je me suis quand même méfié et j'ai bien fait : là aussi, on a démontré
depuis que c'est un problème NP-complet, insoluble en temps fini par des moyens
informatiques dans le cas général, mais soluble par les procédés heuristiques de
l'intelligence artificielle qu'on a développé beaucoup plus tard. Mais cela correspondait
à un joli rêve de Ministre de l'Education Nationale : faire faire au Ministère tous les
emplois du temps de tous les Lycées et Écoles de France, pour que le Ministre puisse
savoir à tout instant ce qu'étudient à cet instant les écoliers français.
Néanmoins, je fis fonctionner la Commission d'informatique de gestion, avec un
Comité technique qui préparent un plan d'équipement des rectorats, car à l'époque on
commençait par là, le matériel étant la composante la plus coûteuse. De plus il fallait
uniformiser les logiciels, et pour cela avoir des matériels uniformes ; enfin, il fallait
prendre en compte " la préférence nationale ", c'est à dire le matériel CII. Ce n'était pas
si facile que cela ; il y avait déjà trois Rectorats qui avaient été désignés comme
Rectorats-Pilotes : celui de Grenoble, où sous prétexte de gestion du patrimoine, le
polytechnicien François Peccoud (devenu en 1996 Président de l'Université
Technologique de Compiègne) comptait les prises de courant !, celui de Toulouse où
le Recteur Challin avait imaginé de se servir des ordinateurs du Centre régional d'EDF
(qui avait de la puissance disponible), celui de Dijon enfin qui s'était équipé d'un petit
ordinateur General Electric à l'initiative de Kornprobst, directeur de l'IUT. Le Rectorat
de Paris était équipé en IBM. Quant à l'ordinateur national, celui du Centre de
Montrouge, il était General Electric : une véritable mosaïque de matériels. Néanmoins, j'ai demandé l'arbitrage du Directeur de Cabinet du Ministre en ce qui
concerne la responsabilité de la gestion du Ministère (A.Giraud avait été remplacé
dans ce poste par Maurice Ulrich) : il a tranché en ma faveur en remarquant que j'étais
Président de la Commission d'Informatique de Gestion créée en novembre 1970. J'ai
pu définir les CIATI, Centres Inter-Académiques de Traitement de l'Information. Il
12


<a name=13></a>fallait préciser les regroupements de rectorats (il y en a eu 9) et ceux qui seraient des
CIATI et en auraient l'équipement ; certains d'entre eux étaient faciles à définir, tels
que celui de Grenoble, de Toulouse ou de Paris ; d'autres plus délicats, comme celui de
Bretagne, que j'ai fini par placer à Rennes (solution plus raisonnable que Nantes, qui
était pourtant le fief du Ministre). Le matériel défini pour ces CIATI a naturellement
été, sous la pression de la Délégation à l'Informatique, et malgré les grincements de
dents, un Iris 50 de la CII ; ce matériel a notamment équipé Grenoble, qui avait
construit un bâtiment spécial pour l'accueillir, malgré l'implantation universitaire
d'IBM qui avait créé un Centre Scientifique à l'IMAG sur le Campus universitaire.
J'ai évoqué plus haut le Centre de Montrouge, qui s'occupait de la gestion de
l'administration centrale ; il était sous la responsabilité de mon adjoint direct, Robert
François, qui m'était très dévoué car je l'avais aidé dans sa carrière en le faisant passer
Sous-Directeur. La grande affaire de gestion était le mouvement national des
professeurs du secondaire ; les enseignants, qui en général préféraient soit Paris, soit le
sud de la France, pouvaient faire des vœux de mutation, avec un ordre de préférence. On avait élaboré dans des organismes paritaires avec les syndicats, un barème qui
tenait compte de l'ancienneté, de la situation de famille, du rapprochement familial,
etc. Le mouvement était pratiquement impossible à réaliser à la main, car une case qui
se libérait pouvait remettre en cause des mutations déjà réalisées. Heureusement, il y
avait un algorithme imaginé par Aoustin, l'ingénieur qui dirigeait le centre, et qui
consistait à supposer le problème résolu, et à faire tourner les mutations. En quelques
itérations, le problème est résolu, mais on se gardait bien de résoudre tous les
problèmes, et on réservait un peu de grain à moudre pour les Commissions Paritaires et
les bonnes œuvres des syndicats.
La politique des matériels informatiques :
Naturellement, le domaine où la pression de la Délégation de l'Informatique était la
plus forte, était celui de l'équipement en machines : il fallait appliquer la préférence
nationale, alors que les pressions de nombreux industriels étaient très fortes : outre la
CII, il y avait naturellement IBM, qui se targuait d'être le premier exportateur national
(il y avait une usine IBM à Montpellier), mais aussi General Electric que j'ai déjà
évoqué, Honeywell qui avait une implantation importante, et qui a un moment à
fusionné avec GE, Univac qui équipait le Centre PSI d'Orsay, sans compter Digital
Equipment et d'autres encore. J'ai fait honnêtement appliquer la préférence nationale,
cédant parfois aux pressions, y résistant à d'autres occasions ; ainsi, le remplacement
du matériel IBM de l'Institut National d'Astronomie et de Géophysique a donné lieu à
des psychodrames : pour ne pas avoir l'air d'être trop lié à la CII, j'ai suscité une
proposition très intéressante d'Univac. Jean Kovalevsky, Président de la Section
d'Astronomie et de Géophysique du CNRS a été dépêché pour m'expliquer que si
j'imposais un autre matériel qu'IBM, tout le travail qui avait été fait pour les calculs
astronomiques du Bureau des Longitudes était par terre ; j'ai du m'incliner. Si je faisais pression en faveur du matériel CII, je faisais également des pressions
considérables sur la CII pour avoir des performances correctes, et des prix intéressants.
Chez IBM, j'étais connu comme le " mauvais " Mercouroff, le " bon " étant mon frère
Anatole qui travaillait chez IBM ; je crois que je n'étais guère plus apprécié à la CII !
IBM m'avait à plusieurs reprises invité dans le midi de la France, sous prétexte de
stages de formation. Un mois d'Août où j'étais à Paris, alors que ma famille se trouvait
au Cap d'Agde dans le Languedoc, j'ai accepté de visiter un vendredi le Centre de La
13


<a name=14></a>Gaude près de Nice, pensant rejoindre facilement ma villégiature voisine en soirée
pour y passer le week-end. C'est effectivement ce que j'ai pu faire, mais IBM qui s'en
était chargé avait été obligé de réserver un vol Nice-Montpellier, avec correspondance
à Orly ! L'invitation est venue de mon interlocuteur habituel Jacques Vernay, Directeur
Commercial d'IBM chargé des Administrations, qui venait souvent me voir pour me
vanter les mérites de sa Compagnie, et que j'ai fait sans doute beaucoup souffrir ; bien
que reçu fort courtoisement de ma part, il ne pouvait empêcher IBM de se sentir mal-
aimé à l'Education Nationale.
J'étais donc le " mauvais " Mercouroff, et M.Maisonrouge, Président d'IBM-France est
venu un jour se plaindre de moi et demander ma tête au Ministre. J'étais dans mes
petits souliers, mais O.Guichard, après l'avoir reçu, m'a simplement dit en me voyant
" Continuez " (il m'appelait " son phoque " à cause de mes moustaches).
Les Centres de Calcul Interuniversitaires : J'avais aussi défini la vocation des centres de calcul universitaires : ils devaient être des
centres de services pour l'enseignement, la gestion et la recherche, et regrouper
plusieurs Universités (en raison de la pénurie de matériel). On les a appelés des
Centres Interuniversitaires de Traitement de l'Information (CITI, dont le Citi 2 à
l'Hôpital Lariboisière a gardé longtemps le nom : en effet, j'avais défini 5
regroupements pour la région parisienne et celui-là était le deuxième). J'avais également défini une doctrine pour la facturation des heures de calcul dans les
CITI, qui m'avait été suggéré par les responsables du centre de Calcul d'Orsay (Loup
Verlet, Colette Connat et Jean-Baptiste Joannin) : les investissements consentis par le
Ministère ne devaient pas être facturés, mais le calcul ne devait pas pour autant être
gratuit : les calculs devaient donner lieu à une facturation (ce qui imposait une
comptabilité des heures de calcul) et au payement d'un ticket modérateur ; le coût de
l'heure était calculé à partir des frais de maintenance et de fonctionnement (circulaire
du 3 juillet 1972). Cette doctrine a été laborieuse à faire appliquer, mais elle est utile
pour éviter le gaspillage des heures de calculs si précieuses à cette époque, et donner
quelque aisance aux Centres. Là où j'ai eu le plus de mal à la faire appliquer, c'est au
CNRS, dans son grand Centre CIRCÉ d'Orsay, où l'heure était bien tarifée, mais à un
tarif arbitraire, non convertible, une sorte de " monnaie de singe ". Le Chargé de
Mission à l'Informatique que j'étais a écrit dans ce sens une belle lettre à Hubert
Curien, Directeur Général du CNRS qui l'a transmise, délicieuse ironie du sort, au
Directeur Scientifique du CNRS que j'étais en même temps à ce moment-là.
Parmi les centres ainsi créés ou développés, il y avait ceux de Paris : l'un d'entre eux
avait pour équipement le CDC 6600 de l'IN2P3, un autre faisait appel au CDC 3600 de
l'Institut de Programmation - machine dépassée mais indispensable ; j'avais négocié
son achat pour 1 MF et j'avais promis de payer l'année suivante peut-être (une vraie
négociation de marchand de tapis, qui ne tenait qu'à la parole donnée), et je l'ai
effectivement payé !, un autre encore, le CITI 2 autour du matériel PDP acquit pour la
recherche médicale à l'Hôpital Lariboisière, … En province, il y avait notamment le
centre de Lyon équipé d'un Iris 50, puis d'un Iris 80 grâce au dynamisme de Jean-
Claude Sabonnadière, et à Grenoble, le Centre Interuniversitaire de Calcul de
Grenoble, le CICG, équipé d'un ordinateur IBM 360-67 assez unique, sur lequel les
grenoblois avaient développé le premier système d'exploitation en temps partagé, le
CP/CMS ; ce centre était dirigé par un remarquable mathématicien, le professeur
N.Gastinel. 14


<a name=15></a>Cette histoire du CICG a eu une suite en ce qui me concerne en 1977. Le CICG était
toujours dirigé par Gastinel, mais s'il était un remarquable scientifique, il était un piètre
administrateur : les choses s'étaient aggravées depuis la mort de son adjoint dans un
accident de voiture ; il n'y avait aucune organisation au sein du centre, et les 70 agents
rendaient directement compte à Gastinel : c'était un organigramme " en râteau "
comme on le décrit dans les manuels de gestion. La situation allait tellement mal que le
Recteur avait dû " démissionner " le directeur, et demander au Ministère de nommer un
administrateur provisoire. J'avais quitté mes fonctions de Chargé de Mission depuis 2
ans, et j'étais à la faculté d'Orsay quand j'ai été convoqué par Pierre Juillet, délégué
régional lyonnais qui était au Cabinet du Ministre d'alors. Il m'a proposé de prendre la
Direction du CICG, ce que je refusais, en faisant remarquer que j'étais maintenant à
Orsay, loin de Grenoble. Néanmoins, deux semaines plus tard, de passage au
Ministère, j'appris qu'un télex avait prévenu le Recteur de ma nomination comme
Administrateur provisoire du CICG. Je ne pouvais plus refuser, mais je demandais à
être secondé par Jean-Claude Sabonnadière, qui avait été directeur du Centre de Calcul
Inter-Universitaire de Lyon et qui était devenu professeur à Grenoble et par Servolle,
Inspecteur de l'Administration. Cette Direction a duré quelques mois : je n'avais rien à perdre (ni rien à gagner) et j'ai
obtenu, avec l'aide de mes co-administrateurs, quelques dizaines de postes pour
reclasser des agents payés sur des crédits de fonctionnement (c'est de là que venait
l'essentiel des malheurs du CICG) ; nous avons mis en place un organigramme et
institué un ticket modérateur. J'avais, selon mes principes, organisé le CICG
essentiellement en centre de services, alors qu'il était jusqu'alors un instrument
d'expérimentation pour les informaticiens de l'IMAG ; j'avais eu une réunion un peu
dure avec les informaticiens qui m'avaient convoqué, et qui voulaient me dicter ce qu'il
fallait faire ; je leur répliquai que j'était prêt à les écouter, mais que je n'avais de
compte à rendre qu'au Ministre. Naturellement, cette situation était peu acceptable pour les Présidents des Universités
de Grenoble, qui y perdaient de leur autonomie. Un jour, quand la situation a été bien
rétablie, ils ont invité les Administrateurs provisoires à déjeuner, et nous ont présenté
notre successeur : le professeur Jean-Jacques Payan, qui par la suite devait m'avouer
qu'on lui avait laissé une situation extraordinairement florissante et saine. Cette
direction devait mener Payan à la Présidence de l'Université Scientifique et Médicale
de Grenoble, puis la Direction Générale du CNRS où l'a nommé son ami du CERES,
Jean-Pierre Chevènement, alors Ministre de la Recherche, puis enfin à la Direction
Générale de l'Enseignement Supérieur où l'a nommé son ami Alain Savary, Ministre de
l'Education Nationale, quand il s'est fâché avec son ami Chevènement pour les mêmes
raisons que celles qui avaient provoqué la démission de son prédécesseur.
Un autre équipement qui m'a causé beaucoup de soucis a été celui de Bordeaux. Il faut
rappeler qu'au moment de ma nomination, le Premier Ministre était Jacques Chaban-
Delmas. Il avait comme Conseiller à Matignon le Doyen Valade, que j'avais connu
quand j'étais Conseiller pour le Recherche de la Direction des Enseignements
Supérieurs ; il était venu me voir pour, selon son expression, " ouvrir tous ses placards
où il y avait des cadavres ". Jacques Valade est devenu par la suite le suppléant de
Chaban-Delmas, puis son successeur désigné, avant d'être mis sur la touche par Alain
Juppé.
L'Université de Bordeaux, sous l'impulsion du Doyen Valade, et autour du professeur
Hogazeau, a voulu créer un Centre de Calcul : c'était comme toujours la rivalité avec
Toulouse qui l'y poussait. IBM qui avait une petite implantation à Bordeaux, y a vu
15


<a name=16></a>une occasion de forcer la porte : l'Université a proposé d'installer un ordinateur IBM
370-60. Il ne pouvait être question de refuser de payer un ordinateur dans la ville du
Premier Ministre, mais pour l'exemple, il ne pouvait être question d'y mettre autre
chose que du matériel CII. J'ai été convoqué à Matignon par le Doyen Valade, et soumis à une pression terrible.
Avec le soutien de la Délégation de l'Informatique qui ne m'a pas lâché, j'ai proposé un
ordinateur CII Iris 80 (c'était le plus gros que fabriquait la CII), et je n'ai pas faibli.
Bordeaux a eu son Iris 80, n'en a rien fait, et a continué à rêver de concurrencer
Toulouse sur le plan de l'informatique.
De manière générale, j'ai fortement poussé l'équipement informatique des Universités.
Je n'avais à ma disposition que des crédits incitatifs, sauf ceux pour l'acquisition du
matériel qui étaient entièrement à ma disposition. Les matériels coûtaient cher,
quelques millions de francs l'unité. Je me souviens de l'équipement relativement
modeste des IUT d'informatique, à qui on avait avant mon arrivée, attribué une
enveloppe de 1,5 MF chacun, et dont l'Inspecteur Poulain avait mené l'équipement,
souvent en matériel IBM. La tradition soit disant " neutre ", était de faire choisir aux bénéficiaires d'un
équipement, soit un achat, soit une location sur 40 mois. L'offre n'était pas si neutre
que cela : l'achat permettait de garder le matériel presque indéfiniment, mais il fallait
payer sa maintenance ; la location comprenait les frais de maintenance, de 5 à 8 % du
prix de vente chaque année, mais le matériel disparaissait au bout de 40 mois ; il
commençait alors, il est vrai, à être dépassé. IBM avait lancé la pratique de la location
qui lui permettait de faire évoluer facilement l'équipement d'un utilisateur et de
recycler le matériel d'occasion retiré reconditionné, comme s'il était neuf, les matériels
se démodant cependant moins vite que maintenant, et un ordinateur restant quand
même souvent opérationnel après 40 mois de location. Après étude, nous avons donc
préconisé l'achat, quitte à faire " tourner " nous-même nos ordinateurs (et nous l'avons
effectivement fait, Lyon initialement équipé d'un Iris 50 a reçu un Iris 80, l'Iris 50
partant ailleurs), ou encore mieux, la location-vente avec option d'achat, qui nous
permettait d'acquérir en fin de contrat une machine à un prix très bas, si elle n'était pas
encore obsolète.
J'ai déjà dit que le premier Ministre était Jacques Chaban-Delmas ; il avait lancé la
" Nouvelle Société " et avait Jacques Delors comme Conseiller. Celui-ci avait lancé la
formation permanente, et fait voter une loi obligeant les entreprises a dépenser un
certain pourcentage de leur masse salariale pour cette formation. J'étais en contact avec
Guy Métais qui était un des adjoints de Jacques Delors ; il travaillait dans un hôtel
particulier de la rue de Varennes. Matignon rachetait systématiquement les vieux
immeubles qui se trouvaient à proximité et y installait des services du Premier
Ministre. C'est ainsi que j'ai préparé je ne sais plus quel plan au mois de mai 1971 sous
les combles de cet hôtel particulier ; les propriétaires d'origine avait conservé la
jouissance du rez-de-chaussée et du jardin, et nos travaux en plein Paris était
accompagnés du bourdonnement d'une tondeuse à gazon. L'informatique au CNRS :
Comme j'ai signalé plus haut, en 1971, à la demande d'Hubert Curien je deviens, tout
en restant Chargé de Mission au Ministère, Directeur Scientifique au CNRS : le secteur
qui m'échoit est le " secteur résiduel " quand on a délimité la physique, la chimie, la
16


<a name=17></a>biologie et les sciences humaines et sociales ; il reste alors les mathématiques,
l'astronomie, la géophysique et la géologie. L'informatique était alors incorporée aux
mathématiques. J'ai beaucoup apprécié de travailler avec Hubert Curien comme
Directeur Général ; il avait pris la succession de Pierre Jacquinot, qui avait sauvé le
CNRS en l'arrimant à l'Enseignement Supérieur, grâce à la création dans les
Universités des Laboratoires Associées au CNRS.
H.Curien m'a aidé à fermer le centre de calcul de Marseille-Luminy, dirigé par Morel ;
il était équipé d'un ordinateur IBM 360-40. J'avais les pires rapports sur le
fonctionnement de ce centre, mais ce centre avait aussi des défenseurs acharnés : le
Doyen Aragnol de Luminy, le chimiste Jugl qui faisait des calculs de chimie théorique,
Alain Colmérauer, un informaticien brillant qui a eu son heure de gloire en définissant
le langage d'intelligence artificielle PROLOG (très apprécié par les japonais). Nous
avons pris avec H.Curien un wagon-lit vers Marseille, pour assister à un Comité de
Direction houleux où nous avons annoncé la fermeture du Centre.
On ne pouvait pas laisser la Région de Marseille sans moyens de calculs. Mme Connat
avait accompagné son mari parti comme administrateur à Marseille ; elle travaillait au
Centre du CNRS de la rue Joseph Aiguier (où travaillait Jugl), et était en contact avec
le Professeur Gastaud, ancien Doyen de la Faculté de Médecine, Président de
l'Université d'Aix-Marseille II. Gastaud avait installé la Présidence de l'Université au
Palais du Pharo qui domine le Vieux Port. Un jour, de passage à Paris, il m'a invité à
dîner avec ma femme à l'Hôtel Plaza où il était descendu, et a joué le grand jeu de la
séduction pour obtenir l'implantation du nouveau Centre de calcul dans son Université.
Je n'ai pas pu résister au Mouton-Rotchild bu à la température de la cave, comme au
Château, et on a ouvert le Centre du Pharo, dirigé par Colette Connat, avec un CII
10070 : c'était le Centre de Calcul avec la plus belle vue du monde : le Vieux port que
j'ai admiré de nuit.
L'affaire ne s'est cependant pas terminée ainsi : on me signale que les milieux
politiques marseillais ont été remontés contre moi par Morel, aussi bien du côté
socialiste que gaulliste. Alors, un soir, je dois demander au Président Gastaud de l'aide
au téléphone pour calmer le jeu : " Ne craignez rien, je fais du bateau avec Defferre et
j'ai fait l'Internat avec Comiti " me dit-il. Effectivement, les choses se sont
immédiatement calmées. J'ai été invité par Gastaud chez lui, pour visiter sa collection
de têtes coupées réduites :c'était splendide et inquiétant, d'autant plus que Gastaud
avait un tic : il se passait l'index sur le cou, dans un geste qui faisait penser à un
égorgement. Heureusement, la collection de bijoux anciens de sa femme compensait le
caractère morbide des têtes coupées.
Outre le Centre de Calcul de l'INAG, j'ai aussi la tutelle de deux Centres de Calcul du
CNRS : le CIRCÉ (Centre Inter-Régional de Calcul Électronique) utilisé par les
scientifiques ; Georges Poitou a réussi à le faire installer à Orsay, en bordure du
Plateau du Moulon. Il est dirigé par Madame Janine Connes : elle n'a jamais vraiment
admis mon autorité, à tel point que le jour où on lui remit la Légion d'Honneur, je
n'étais pas invité ; toutefois, détail piquant, c'est moi qui avais écrit le discours
prononcé par Bernard Grégory, Directeur Général, en lui remettant sa décoration.
L'autre centre est le Centre de Calcul pour les Sciences Humaines, installé à la Maison
des Sciences de l'Homme boulevard Raspail et dirigée par Madame Cadoux, Conseiller
d'Etat ; il a réussi à se faire équiper en IBM, grâce à la complicité de Charles Berthet,
mon Conseiller que j'ai fait nommer rapporteur du dossier. En ce temps là, les trois
dames de l'informatique, Janine Connes, Louise Cadoux et Colette Connat se
détestaient cordialement.
17


<a name=18></a>Cependant, l'une des mes actions les plus significative pour l'informatique au CNRS
s'est concrétisée après mon départ. J'ai quitté les fonctions de Directeur Scientifique en
1975, au moment où se préparait le nouveau Comité National de la Recherche
Scientifique, et son découpage en sections : c'est là que j'ai fait inscrire une nouvelle
section d'Informatique et Modélisation, distincte de la section de Mathématiques Pures
et Appliquées malgré la résistance des mathématiciens. J'ai eu une discussion à ce
propos avec Jacques-Louis Lions qui m'a expliqué froidement que l'informatique
représentait pour les mathématiciens quelques moyens en plus de leur papier et leur
crayon ; j'ai obtenu sa neutralité en échange de la création d'une Action Thématique
Programmée de mathématiques appliquées.
Les personnes avec qui j'ai travaillé :
Les proches : Georges Poitou, le Doyen Charles, Robert François, Pierre Dubourdieu,
jeune administrateur civil frais émoulu de l'ENA, venant faire son année sociale (il
s'est retrouvé ensuite à la Direction Générale des Impôts, puis au Loto, et doit être
actuellement Trésorier Payeur Général), Melle Maryvonne Radigois, Yves Maillaux,
Vincent George devenu Secrétaire Général de l'Inria, Jacques Hebenstreit professeur à
SupElec, maintenant à la retraite, Charles Berthet ancien élève physicien de l'Ecole
Normale Supérieure, ayant réalisé son rêve en devenant médecin, mais continuant à
exercer comme Professeur d'informatique à Paris-Dauphine, Christian Chabbert,
premier Directeur de la MIAGe d'Orsay, Mme Colette Connat (qui a poursuivi le
travail de la Mission à l'Informatique au Ministère sans en avoir le titre, après mon
départ et celui de Christian Chabbert), Jean-Pierre Fargette, considéré comme trop
proche du Chargé de Mission à l'Informatique que j'étais, et donc " passé à l'ennemi "
par la Délégation à l'Informatique (ce qui donne le ton de mes relations avec la
Délégation : en effet, même si nous étions dans le même bateau, je défendais
l'indépendance de l'Education Nationale).
Second cercle : P.Poulain, Inspecteur du Technique pour les IUT, Jean Ballereau,
Président de la CPN des IUT, Jean-Claude Sabonnadière (qui en fait était à Lyon à
cette époque), professeur d'électrotechnique à l'Institut Polytechnique de Grenoble,
l'Inspecteur Général doyen des Maths au moment du lancement de la formation des
formateurs, Georges Amestoy, Inspecteur Général de l'Administration chargé de suivre
mon action au Cabinet, Camille Duquesne, Directeur de l'Administration au Ministère
de l'Education Nationale, André Giraud, Directeur de Cabinet du Ministre et son
successeur Maurice Ulrich, Jean Sirinelli et son successeur Raymond-François Le Bris,
devenu préfet ensuite, puis Directeur de l'ENA.
Troisième cercle, les universitaires : Jacques Arsac et Jean Vignes à l'Institut de
Programmation de Paris, Hélène Bestougeff qui y enseignait, le physicien Yves Le
Corre qui est devenu Président de Paris VII, Claude Pair à Nancy, futur Président de
l'INPG, futur Recteur et futur Directeur des Lycées et Collèges au Ministère. A
Grenoble, les professeurs d'informatique de Grenoble Jean Kuntzmann, Jean Gastinel
et Louis Boliet qui avait fait le choix de soutenir le Plan Calcul, alors que ses collègues
étaient plutôt pro-IBM, par la nature de leur équipement, un IBM 360-67 assez
exceptionnel sur lequel ils avaient développé un système d'exploitation en temps
partagé, le CP-CMS, Jacques Hebenstreit de SupElec, Jean Bouchet, Ingénieur Général
de l'Armement, … Les suites :
18


<a name=19></a>J'ai quitté les fonctions de Chargé de Mission à l'Informatique en 1974, quand
M.Fontaney était Ministre. Jean-Claude Moreau était Conseiller Technique au
Cabinet ; c'était un ingénieur du Corps des Mines qui avait été dans la même classe
préparatoire de mathématiques spéciales que moi : notre contact fut cordial, mais sans
suite. J'étais un peu las de toutes les affaires, de la bagarre pour la gestion informatique
et j'ai demandé à partir. J'ai proposé James Hiéblot comme successeur, mais devant le
peu d'enthousiasme, j'ai changé mon fusil d'épaule et j'ai proposé Christian Chabbert
qui a été accepté. Il a dû vivre des moments difficiles à la période où l'Enseignement
Supérieur a été détaché de l'Education Nationale pour former un Secrétariat d'Etat avec
Jean-Pierre Soisson comme Secrétaire d'Etat, implanté rue Dutot.
Pour ma part, je continue encore à travailler au CNRS, comme Directeur Scientifique.
Mais en 1975 je quitte le CNRS et j'organise ma reconversion à l'informatique, en
revenant à Orsay : d'une part, je m'installe au Laboratoire d'Informatique pour la
Mécanique et les Sciences de l'Ingénieur (LIMSI) dirigé par Lucien Malavard. D'autre
part, je me mets à enseigner l'informatique, je m'inscris dans la section d'informatique
du Comité Consultatif des Universités, et finalement, en 1982, je deviens Président du
Département d'Informatique de l'Université de Paris-Sud à Orsay.
Au Ministère, après le départ de Chabbert, il a subsisté un Secrétariat aux Equipements
Informatiques, dirigé par Madame Connat, assistée par Yves Maillot. Les Maîtrises MIAGes déjà évoquées, ont continué sur leur lancée. Une question est
revenue constamment : cet enseignement formait des techniciens qui avaient des
fonctions d'ingénieur, mais pas le titre ; la Commission du Titre d'Ingénieur était
d'ailleurs très réticente à donner ce titre à des techniciens qui ne travaillaient pas la
matière ; fallait-il transformer cette formation en deux ans après un premier cycle en
formation en trois ans en la complétant par un Diplôme d'Etudes Supérieures
Spécialisées (DESS). Comme les titulaires de MIAGe trouvaient facilement du travail,
la question n'était jamais urgente, et elle a été résolue par la création des Institut
Universitaires Professionnalisés (les IUP), qui forment 4 ans après le Bac, des
" Ingénieurs-Maîtres ".
La querelle sur l'enseignement de l'informatique dans l'enseignement secondaire ne
s'est pas terminée avec mon départ. En effet, Jacques Arsac a continué à militer pour
l'enseignement de l'informatique en tant que discipline, avec une agrégation pour bien
l'asseoir ; il a défendu les options "informatiques " dans certaines classes terminales,
allant même jusqu'à se faire nommer Inspecteur Général de l'Instruction Publique pour
pouvoir les encourager. Pour ma part, j'étais (et je reste) pour que l'informatique soit
enseignée dans l'enseignement secondaire à travers les autres disciplines, auquelle elle
apporte des outils ; l'informatique en tant que discipline ne trouve, à mon point de vue,
place que dans l'enseignement supérieur. Cette querelle a retrouvé vigueur à l'occasion d'un rapport sur l'enseignement de
l'informatique demandé par Giscard d'Estaing, Président de la République, à Jean-
Claude Simon, professeur à l'Université de Paris VI, polytechnicien comme le
Président. Une réunion de préparation à ce rapport a eu lieu avec Arsac et Simon d'un
côté, Hebenstreit et moi de l'autre : ce fut l'occasion d'une engueulade mémorable et
violente sur la doctrine de l'enseignement de l'informatique dans le secondaire. Le
rapport Simon a préconisé l'enseignement de la discipline informatique, mais je crois
qu'il n'est guère suivi.
19


<a name=20></a>L'introduction de l'informatique dans l'enseignement a fait rêver un certain nombre
d'éditeurs. L'un d'entre eux, Jean-Jacques Nathan, a proposé de lancer une revue
consacrée à la question : " Education et Informatique ". Je suis devenu Rédacteur en
Chef de la revue, qui a eu une quinzaine de numéros, et s'est arrêtée faute de
lecteurs….
L'enseignement de l'informatique, notamment dans le secondaire, était un problème
qui avait un retentissement international. Un Colloque de l'OCDE sur cette question
avait eu lieu en 1969 avant ma nomination, et nous nous y référions beaucoup, bien
que ce soit l'enseignement de l'informatique en tant que discipline qui en fut le thème.
En 1971, je suis allé avec un certain nombre de français, exposer nos idées au Congrès
international de Portland. Mais le retentissement international le plus important a eu
lieu au Congrès de Lausanne (World Conference on Computer Education) ; à la suite
de ce congrès, la Suisse francophone a décidé d'introduire une " ration de fer "
d'informatique (considérée comme une vitamine) dans l'enseignement des écoles
suisses.
Je pense que nous avons fait un travail important à la Mission à l'Informatique,
répondant à la mission qui nous a été confiée. Un article m'a été consacré dans une
hebdomadaire, mettant l'accent sur le fait qu'il était rare que l'on trouve autant de
dynamisme dans l'administration pour la faire bouger.
L'informatique est entrée largement dans les mœurs de nos jours. D'autres questions se
posent  : le multimédia, Internet, … et plus généralement ce que l'on appelle " les
nouvelles technologies ". je ne sais pas si on peut leur appliquer le même traitement
qu'à l'informatique au début des années soixante-dix.
20