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Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier (1850) Méthivier/Chapitre V

De Wicri France

Comment je fus bien vite ennuyé des honneurs et donnai ma démission


 
 

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    Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier mort au service de la République (2e édition) / par l'abbé J.-S. Méthivier.
Chapitre V

 

<= Comment je quittai mon village et devins un personnage politique. . <=

 

=> Histoire nouvelle qui démontre une vieille vérité ; savoir, que les forts rencontrent tôt ou tard leur maître. =>
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Comment je fus bien vite ennuyé des honneurs et donnai ma démission


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Être à sa place, n'en pas sortir, et s'y plaire : trois conditions sans lesquelles ni l'or ni les grandeurs ne nous rendent heureux.

Ces hommages éclatants, ce culte suprême me surprirent, mais ne m'éblouirent pas; et tandis


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que Crémieux, Marie, Garnier-Pagès et les autres, étourdis par quelques médiocres honneurs provisoires, se prenaient pour des immortels, et pensaient avoir ouvert en février l'ère des prospérités toujours croissantes, moi à travers les nuages d'encens, de poésie et de fleurs qui tourbillonnaient autour de ma tête, je voyais clairement que mon règne serait court, et court aussi serait l'enthousiasme des ouvriers, et l'enivrement du peuple et le rêve des révolutionnaires. Que faire donc? La nécessité rend ingénieux : tourmenté du besoin de revoir mon pays, je rédigeai bien vite une démission , dont la vérité et la douleur faisaient toute l'éloquence. Ce n'était pas lâcheté, c'était conscience ; je prévoyais les orages, et je n'étais pas assez fort pour les attendre. En me retirant du pouvoir j'usai, du reste, de générosité, et je remis mon mandat à l'arbre sacré qui seul peut dire : « Je plie et ne romps pas. [1]» Dès lors confiant dans le bon sens des Français dont on m'avait beaucoup parlé, je pus me bercer de l'espérance de revoir au plus tôt les lieux que l'absence m'avait rendus plus chers, et j'envoyai à tous mes électeurs, et


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au gouvernement en particulier, cette démission ainsi conçue :

Français !

La main de Dieu m'avait placé au bord d'un étang. Là, mes racines buvaient à longs traits fraîcheur et vie, et quand les vents inclinaient ma tête élevée, j'admirais dans la glace des eaux la richesse de ma taille et la beauté de ma verdure, et j'étais heureux.

Un jour, je ne sais pourquoi, vous accourûtes bruyamment m'arracher à ma bien-aimée solitude, et me transportant sur vos triomphantes épaules, vous me plantâtes au milieu des places publiques comme le symbole et l'image de votre révolution.

Mille acclamations saluèrent mon élévation subite et glorieuse ; les bénédictions du ciel descendaient, les bénédictions de la terre montaient pour s'unir ensemble autour de ma tête, ceindre mon front d'une couronne de grâces, et me consacrer représentant de la liberté.

A mes pieds vous vous embrassiez comme des frères. Français, que vous étiez aimables ce jour-là!

Que de discours ! que d'hymnes ! que de dithyrambes à la prospérité désormais assurée de la république ! Vous me regardiez, et des larmes de bonheur remplissaient vos yeux attendris. Dans votre enthousiasme, vous me preniez à témoin de la vivacité , de la sincérité de votre patriotisme. Moi qui n'avais encore jamais été mêlé à la politique, je


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croyais à vos protestations, à vos larmes, à vos serments, et j'agréais avec complaisance les honneurs presque divins que vous me rendiez, parce que je voyais mes destinées et les destinées de la république désormais unies dans notre commun triomphe de février, se dérouler prospères, glorieuses, interminables sur notre beau pays de France.

Que dis-je, interminables !

A peine trois mois se sont écoulés, et vous passez et repassez près de moi indifférents, oublieux de vos premières tendresses : plus de salut d'honneur, plus de rondes joyeuses, plus de fanfares militaires. Je dessèche, je meurs d'ennui, et mon drapeau penché, décoloré, déchiré, partage mes tristesses et vos froideurs.

Il sera donc toujours vrai, peuple généreux et léger à la fois, que votre enthousiasme fatigué précipite le lendemain ceux que votre capricieux engouement avait placés la veille dans les hauteurs de la souveraineté, et que, le troisième jour, oubliant et admiration et colère, vous enveloppez vos idoles abattues du froid linceul de votre dédain pour n'avoir plus à y penser.

Que sont devenus Flocon, Albert, Louis Blanc, Ledru, qui naguère savouraient avec moi les honneurs de la place publique? Qu'est devenu Lamartine, ce poétique cèdre du Liban transplanté pour son malheur à l'Hôtel-de-Ville de Paris?.


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Que suis-je devenu moi-même depuis qu'en dépit de la raison vous avez voulu que le peuplier fût l'emblème de votre république, et le lieutenant général de votre liberté?

Hélas ! avant ce choix fatal, je défiais la tempête, et drapé dans mon touffu feuillage, bien affermi sur mes énergiques racines, j'abandonnais aux vents les plis onduleux de ma robe de verdure sans craindre de perdre une seule feuille ! Aujourd'hui sans force comme sans beauté, citadin malgré la nature et républicain malgré le bon sens, je languis et la vie m'abandonne. Voyez plutôt la nudité de mon grand corps amaigri surmonté de quelques branches arides où tremblent quelques feuilles jaunissantes et maladives.

Douloureuse situation qui attendrirait le cœur des Scythes et qui ne m'attire que les branlements de tête de la foule et les sarcasmes acérés des malins ; car, aimables Français, vous êtes impitoyables envers les grandeurs humiliées.

Pour moi l'outrage a surpassé l'honneur, et mes adorateurs insultant ma misère, se vengent de leur première admiration. Chaque passant se fait un jeu de me lancer une injure. Les uns, dans ma langueur voient la fidèle image du crédit expirant ; pour d'autres je suis le triste symbole des promesses aussi grandes que stériles faites aux ouvriers crédules : pour tous, la vivante figure de tant d'ambitieux montés subitement au pouvoir où ils


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étalent une resplendissante incapacité, comme j'étale ici les trop visibles infortunes d'un peuplier déplacé.

Rendez-moi donc le bord de mon étang et les eaux vitales où je baignais mes pieds ; rendez-moi ma place au bienfaisant soleil qui m'a vu naître; le vôtre me brûle ici. Que le sol de la politique dévore vite ses habitants ! Déjà mes forces sont toutes épuisées, je n'ai plus qu'un souffle de vie, je veux au moins le rendre à mon berceau. D'ailleurs, qu'ai-je donc ici à représenter encore?.

La liberté?

— Mais vous ne la comprenez pas et vous ne l'avez pas.
— L'égalité?
— Mais vous n'y croyez pas.
— La Fraternité?
— Hélas! hier encore son sang coulait à flots dans les rues de Paris, et demain.

Assez de déceptions! Français, ayons le plus élevé des courages. Moi, celui de n'être plus un mensonge ; vous, celui de n'être plus trompés. Eh bien ! voulez-vous un représentant plus sincère et plus éloquent que moi? Voulez-vous un signe qui produise ce qu'il exprime? Voulez-vous un impérissable symbole de la véritable liberté, égalité, fraternité? Choisissez la croix du clocher de votre église.

Ce conseil est le dernier et le plus important service que vous rend un ami en vous disant adieu.

Maintenant je demande à me retirer et je vous donne ma démission.

Notes de l'article

  1. Cet arbre sacré, qui ne rompt pas, est la croix de J.-C., et ses fruits sont la vie, la civilisation, la rédemption, la liberté, la charité : tout peuple qui s'en nourrira, fut-il barbare, se civilisera et vivra; tout peuple qui les dédaignera, fut-il civilisé, redeviendra barbare et périra.

Compléments iconographiques

Plantation et Bénédiction de l'arbre Fichot Dessinateur btv1b53014114g 1.jpeg
Gouvernement provisoire du 24 février 1848.jpg

<= Plantation d'un arbre de la liberté à l'Hôtel de Ville de Paris

=> Le gouvernement provisoire

Voir aussi

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