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HISTCNRS (2000) Wyart : Différence entre versions

De Wicri France
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(Comment le CNRS a t-il été créé ?)
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Donc Perrin et son groupe ne savaient en fait pas trop quoi faire. Subitement, quelqu'un a eu une idée lumineuse : des médailles pour le prestige de la science. On va créer un grand prix, dans le style du Nobel, un Nobel et des petits sous-Nobel, des tas de médailles, le vrai gag ! Mais des appétits se sont éveillés. A Paris, le milieu scientifique était plutôt pour les médailles. Mais assez rapidement, l'affaire a fait scandale. On savait qui allait avoir la première, il s'agissait de Georges Urbain. Puis on a vu arriver une masse de types qui faisaient de la lèche à Urbain pour avoir les suivantes. Là-dessus mon camarade normalien André Weil est intervenu pour contrer cette affaire de médailles. C'était le frère de la philosophe Simone Weil, un professeur de mathématiques à l'université de Strasbourg, le pape des Bourbaki, le groupe de mathématiciens qu'il avait créé. C'est un type qui avait la foi de sa soeur (elle est morte tragiquement en Angleterre pendant la guerre) et qui, étant pacifiste, a refusé d'être mobilisé à la déclaration de guerre. Comme officier, il a été dégradé, puis il est parti en Amérique où il est devenu l'un des grands mathématiciens mondiaux avant d'être élu à l'Académie des Sciences. Avec Weil, dans le camp des anti-médailles, il y avait Yves Rocard et toute une bande de normaliens provinciaux dont mon grand ami Jean Delsarte professeur à Nancy.  
 
Donc Perrin et son groupe ne savaient en fait pas trop quoi faire. Subitement, quelqu'un a eu une idée lumineuse : des médailles pour le prestige de la science. On va créer un grand prix, dans le style du Nobel, un Nobel et des petits sous-Nobel, des tas de médailles, le vrai gag ! Mais des appétits se sont éveillés. A Paris, le milieu scientifique était plutôt pour les médailles. Mais assez rapidement, l'affaire a fait scandale. On savait qui allait avoir la première, il s'agissait de Georges Urbain. Puis on a vu arriver une masse de types qui faisaient de la lèche à Urbain pour avoir les suivantes. Là-dessus mon camarade normalien André Weil est intervenu pour contrer cette affaire de médailles. C'était le frère de la philosophe Simone Weil, un professeur de mathématiques à l'université de Strasbourg, le pape des Bourbaki, le groupe de mathématiciens qu'il avait créé. C'est un type qui avait la foi de sa soeur (elle est morte tragiquement en Angleterre pendant la guerre) et qui, étant pacifiste, a refusé d'être mobilisé à la déclaration de guerre. Comme officier, il a été dégradé, puis il est parti en Amérique où il est devenu l'un des grands mathématiciens mondiaux avant d'être élu à l'Académie des Sciences. Avec Weil, dans le camp des anti-médailles, il y avait Yves Rocard et toute une bande de normaliens provinciaux dont mon grand ami Jean Delsarte professeur à Nancy.  
 
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Yves Rocard était un type génial. Alors qu'il n'avait que 25 ans, il avait élucidé un terrible accident de chemin de fer, le déraillement inexplicable d'un train qui avait provoqué des centaines de morts. Rocard était extrêmement fort pour tout ce qui concernait les phénomènes vibratoires. Le bon physicien, c'est le type qui devant un phénomène, sait classer les paramètres par ordre de grandeur. Dans le cas du déraillement, il a réussi à éliminer toutes les causes superflues pour arriver à une équation extrêmement simple, celle du pendule amorti. Mais pour arriver là, il faut être génial. Quand il a annoncé son résultat, personne ne l'a cru, une blanc-bec qui sortait à peine de la faculté. Mais des expériences sur modèles réduits ont prouvé qu'il avait raison. Par la suite, on a eu recours à lui pour la construction d'un pont sur la Seine. Puis pour concevoir des ailes d'avion. Bref, il a joué un rôle énorme dans la recherche.
 
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=== Retour sur l'affaire des médailles ===
 
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Moi, j'étais le seul anti-médailles parisien. Il y avait aussi Henri Cartan dans ce groupe. Bref, je me souviens des démarches à la Chambre des députés et au Sénat. Nous étions très remontés, notamment Rocard qui publiait des pamphlets anonymes ! Nous avions la conviction que ce système de médailles était en contradiction avec l'idée qui aboutirait au CNRS. Nous pensions que plutôt qu'un système de récompenses, il fallait organiser un service qui puisse acheter de l'appareillage scientifique, financer des mission, payer des collaborateurs techniques, etc. Finalement, c'est cette situation qui a prévalu. Nous étions très jeunes à l'époque, nous étions donc assez accrocheurs, mais il y avait tout de même avec nous des gens plus rassis comme Henri Laugier, un vrai politique. Laugier avait un titre de Professeur, mais en fait il n'a jamais fait de cours.
 
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Indiscutablement, Laugier a joué un rôle considérable dans la mise en place du CNRS. C'était un type éblouissant, extraordinaire, mais il est évident qu'il était moins scientifique que politicien. Cela dit, il aimait la science et nous disait même comment il fallait faire des cours. C'était un radical socialiste, l'éminence grise d'Yvon Delbos qui avait été ministre de l'Education nationale et qui a joué un grand rôle sous la troisième République. C'était un humoriste qui adorait tendre des piéges aux gens. Il aimait voir comment ils allaient réagir quand il distribuait les fonds secrets, ça l'amusait. Il prenait la vie sous une certaine forme, il était resté célibataire, mais il était lié à la femme d'un sénateur d'Oran (mme Cutoly), une personne qui s'occupait de peinture et Laugier était très amateur d'art. Il lié à Picasso, à Matisse. Il avait une collection de tableaux sensationnelle dont il a fait don à l'Etat à sa mort. Quand les médailles ont étés balayées, Henri Laugier et le comité des normaliens qui avait oeuvré contre, ont créé le CNRS Appliqué en 1938. Laugier s'est alors établi Quai d'Orsay au service de la Recherche, devenu depuis quai Anatole France (le siège du CNRS). Il y avait là un appartement au quatrième étage. Il s'agissait d'assurer la succession du sous-secrétariat d'Etat de madame Joliot qui s'en était débarrassée sur Laugier. Il a pris madame Mineur comme secrétaire et comme directeur adjoint, chargé des applications techniques, Henri Longchambon.
 
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Version du 18 août 2014 à 08:35

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Cette page contient un texte publié sur le site HISTCNRS[1] en 2000. Il reprend le contenu d'un entretien réalisé en 1986 par Jean-François Picard et E. Pradoura les les 5, 12 et 20 mars 1986.

L'article original

Né le 16 octobre 1902 à Avion, décédé le 13 mars 1992 à Paris. Professeur à l'université de Paris VI, UER des sciences de la terre, laboratoire de minéralogie. En 1923, il fut reçu à Normale et à Polytechnique. Il choisit la première. Après l'agrégation, il occupa un poste d'assistant de la chaire de minéralogie. En 1933 il devient le plus jeune maitre de conférences de l'université. Co-éditeur d Acta Crystallographica dès 1947, il fut dix ans plus tard Président de 'Union Internationale de Cristallographie. Il réalise pour le Palais de la Découverte la salle de cristallographie. il a installé en 1941 le Centre de Documentation du CNRS, dont il resta directeur jusqu'à sa retraite. Membre de l'Académie des sciences, 1959 - 1992.


Vous avez été témoin de la naissance du CNRS...

...et aujourd'hui, le CNRS est mort. Enfin, je veux dire qu'il n'a plus cette liberté du début, qu'il est devenu très administratif. Maintenant, quand on veut une mission, il faut prévenir deux ans à l'avance, c'est grotesque. Le CNRS après de beaux débuts a eu des fonctionnaires qui jouaient les importants et qui ont empêché les scientifiques de travailler. Il avait été créé par des professeurs d'université qui voulaient une certaine liberté. La recherche a besoin de liberté. Avec le CNRS, on a voulu se libérer du poids de l'administration. J'ai connu cette première période, c'était magnifique. Il y avait des types responsables, Laugier et Longchambon, ensuite Jacob et Dupont, après ce fut Joliot. La belle période, ça a été ça. C'est une question d'hommes.


N'y a t'il pas également à l'origine du CNRS, le rôle de certaines disciplines scientifiques ?

A l'origine, l'affaire était purement dirigée vers les sciences exactes et un peu vers la biologie, mais en retrait. La biologie n'avait pas encore subi sa transformation moléculaire. La biologie moléculaire est d'ailleurs une conséquence des progrès apportés par les méthodes physiques - et en particulier les rayons X - dans la détermination des structures atomiques. La biologie a pris son essor bien après la guerre, lorsque l'on a commencé à faire l'analyse de structures de molécules compliquées à partir des cristaux, de la diffraction cristalline des rayons X. Au début donc, c'étaient les sciences exactes, les mathématiques et l'astronomie tenaient la vedette, puis venaient la physique et la chimie.


Comment le CNRS a t-il été créé ?

L'origine du CNRS remonte au Front Populaire. Le président du Conseil, Léon Blum, avait demandé à Jean Perrin ce qu'il voulait faire. Perrin était un type merveilleux, mais il était un peu pagaye. Il donnait un rendez-vous et il ne venait pas. Il était d'une gentillesse extrême, mais ce n'était pas un administrateur, au contraire. Très rapidement, il a conseillé au gouvernement de créer un sous-secrétariat d'Etat à la Recherche scientifique qui a été confié à madame Joliot. Mais ça embêtait celle-ci et elle ne savait pas trop quoi faire. Au gouvernement non plus, on ne savait pas. Puis, il y a eu l'histoire des médailles. Le gouvernement avait dit à Jean Perrin et aux savants qui l'entouraient et avaient la réputation d'une sensibilité de gauche : on va vous donner un budget et vous vous débrouillerez. Vous êtes mieux au courant que nous de ce qu'on doit faire pour aider la recherche. Au début, on a donc créé quelques postes de techniciens pour les mettre à la disposition des chercheurs. J'ai eu l'un des premiers en 1937. On a donc embauché une dizaine de 'travailleurs scientifiques', des ingénieurs chômeurs intellectuels. J'ai donc eu l'un des tout premiers, Salaignac, un type admirable qui travaillait auparavant dans un laboratoire médical où il faisait des clichés aux rayons X. Je l'ai recruté par l'intermédiaire de Pierre Urbain, le fils de Georges Urbain, le pontife qui faisait un peu la loi avec Jean Perrin dans le monde scientifique de l'époque. Il y avait donc déjà vaguement l'idée de créer ce qui est devenu ensuite le CNRS. C'est à dire un organisme qui recruterait des gens qui pourraient faire carrière dans la recherche (comme aujourd'hui) en leur donnant des moyens de fonctionnement en dehors de la lourdeur de l'Education Nationale.


L'affaire des médailles

Donc Perrin et son groupe ne savaient en fait pas trop quoi faire. Subitement, quelqu'un a eu une idée lumineuse : des médailles pour le prestige de la science. On va créer un grand prix, dans le style du Nobel, un Nobel et des petits sous-Nobel, des tas de médailles, le vrai gag ! Mais des appétits se sont éveillés. A Paris, le milieu scientifique était plutôt pour les médailles. Mais assez rapidement, l'affaire a fait scandale. On savait qui allait avoir la première, il s'agissait de Georges Urbain. Puis on a vu arriver une masse de types qui faisaient de la lèche à Urbain pour avoir les suivantes. Là-dessus mon camarade normalien André Weil est intervenu pour contrer cette affaire de médailles. C'était le frère de la philosophe Simone Weil, un professeur de mathématiques à l'université de Strasbourg, le pape des Bourbaki, le groupe de mathématiciens qu'il avait créé. C'est un type qui avait la foi de sa soeur (elle est morte tragiquement en Angleterre pendant la guerre) et qui, étant pacifiste, a refusé d'être mobilisé à la déclaration de guerre. Comme officier, il a été dégradé, puis il est parti en Amérique où il est devenu l'un des grands mathématiciens mondiaux avant d'être élu à l'Académie des Sciences. Avec Weil, dans le camp des anti-médailles, il y avait Yves Rocard et toute une bande de normaliens provinciaux dont mon grand ami Jean Delsarte professeur à Nancy.


Rocard et Delsarte n'étaient pas du même bord politique que Perrin

Yves Rocard était un type génial. Alors qu'il n'avait que 25 ans, il avait élucidé un terrible accident de chemin de fer, le déraillement inexplicable d'un train qui avait provoqué des centaines de morts. Rocard était extrêmement fort pour tout ce qui concernait les phénomènes vibratoires. Le bon physicien, c'est le type qui devant un phénomène, sait classer les paramètres par ordre de grandeur. Dans le cas du déraillement, il a réussi à éliminer toutes les causes superflues pour arriver à une équation extrêmement simple, celle du pendule amorti. Mais pour arriver là, il faut être génial. Quand il a annoncé son résultat, personne ne l'a cru, une blanc-bec qui sortait à peine de la faculté. Mais des expériences sur modèles réduits ont prouvé qu'il avait raison. Par la suite, on a eu recours à lui pour la construction d'un pont sur la Seine. Puis pour concevoir des ailes d'avion. Bref, il a joué un rôle énorme dans la recherche.


Retour sur l'affaire des médailles

Moi, j'étais le seul anti-médailles parisien. Il y avait aussi Henri Cartan dans ce groupe. Bref, je me souviens des démarches à la Chambre des députés et au Sénat. Nous étions très remontés, notamment Rocard qui publiait des pamphlets anonymes ! Nous avions la conviction que ce système de médailles était en contradiction avec l'idée qui aboutirait au CNRS. Nous pensions que plutôt qu'un système de récompenses, il fallait organiser un service qui puisse acheter de l'appareillage scientifique, financer des mission, payer des collaborateurs techniques, etc. Finalement, c'est cette situation qui a prévalu. Nous étions très jeunes à l'époque, nous étions donc assez accrocheurs, mais il y avait tout de même avec nous des gens plus rassis comme Henri Laugier, un vrai politique. Laugier avait un titre de Professeur, mais en fait il n'a jamais fait de cours.


Henri Laugier

Indiscutablement, Laugier a joué un rôle considérable dans la mise en place du CNRS. C'était un type éblouissant, extraordinaire, mais il est évident qu'il était moins scientifique que politicien. Cela dit, il aimait la science et nous disait même comment il fallait faire des cours. C'était un radical socialiste, l'éminence grise d'Yvon Delbos qui avait été ministre de l'Education nationale et qui a joué un grand rôle sous la troisième République. C'était un humoriste qui adorait tendre des piéges aux gens. Il aimait voir comment ils allaient réagir quand il distribuait les fonds secrets, ça l'amusait. Il prenait la vie sous une certaine forme, il était resté célibataire, mais il était lié à la femme d'un sénateur d'Oran (mme Cutoly), une personne qui s'occupait de peinture et Laugier était très amateur d'art. Il lié à Picasso, à Matisse. Il avait une collection de tableaux sensationnelle dont il a fait don à l'Etat à sa mort. Quand les médailles ont étés balayées, Henri Laugier et le comité des normaliens qui avait oeuvré contre, ont créé le CNRS Appliqué en 1938. Laugier s'est alors établi Quai d'Orsay au service de la Recherche, devenu depuis quai Anatole France (le siège du CNRS). Il y avait là un appartement au quatrième étage. Il s'agissait d'assurer la succession du sous-secrétariat d'Etat de madame Joliot qui s'en était débarrassée sur Laugier. Il a pris madame Mineur comme secrétaire et comme directeur adjoint, chargé des applications techniques, Henri Longchambon.


Henri Longchambon

Longchambon avait ceci de particulier que c'est moi qui lui ai succédé à la Sorbonne. Quand j'étais à l'ENS, je faisais de la physique avec Eugène Bloch (qui est mort plus tard dans un camp allemand) et qui était lié avec Charles Mauguin, professeur de minéralogie cristallographie de la Sorbonne. En 1925, c'est Bloch qui m'a envoyé chez Mauguin, lequel avait besoin de quelqu'un pour faire ses calculs. C'est comme cela que j'ai été attiré par les rayons X puisqu'il était alors le seul à en faire en France. Comme assistant dans ce laboratoire, il y avait Henri Longchambon qui venait d'être nommé maître de conférence, puis il a été nommé à Montpellier et enfin à Lyon ou il est devenu le plus jeune doyen de fac de sciences de France. Bref, c'est Longchambon qui m'a conseillé de rester à l'université plutôt que de retourner à l'ENS. Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que Longchambon est devenu ministre par la suite (ministre du ravitaillement après la guerre), donc que j'ai eu comme prédécesseur un ministre, mais aussi comme successeur dans ma chaire de Jussieu, avec Hubert Curien ministre de la Recherche dans les années 1980. En 1938, Longchambon arrive donc de Lyon pour s'occuper de la recherche appliquée dans ce CNRS qui n'était guère plus que cet appartement du 4 ème étage du Quai d'Orsay. Dans son équipe il y avait Boutillier, un très brave type, mademoiselle Lapierre sa secrétaire et un troisième dont le nom ne me revient pas (il avait vaguement été ingénieur des T.P. à Lyon), mais qui a joué un grand rôle notamment pour s'occuper des travaux lancés par le CNRS. A l'époque, j'étais maître de conférence, ayant été nommé en 1933 à la Sorbonne. Dès son arrivée, Longchambon m'a appelé pour me demander si je pouvais l'aider. C'était un copain, on se tutoyait. C'est comme cela que j'ai assisté à la naissance du CNRS.




Voir aussi

Notes