Les métamorphoses de la lecture : Différence entre versions

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==Aspects techniques et innovants==
 
==Aspects techniques et innovants==
Catherine ANDREUCCI. « L’autoédition met le pied dans la porte ». ''Livres Hebdo''. 4 novembre 2013. [Consulté le 6/12/2013], <http://www.livreshebdo.fr/article/lautoedition-met-le-pied-dans-la-porte>
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===Les terminaux de lecture ===
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Si la commercialisation des premières liseuses remonte à  1999 (Rocket eBook, SoftBook), c’est l’apparition en 2010 et 2011 de l’iPad et du Kindle qui a marqué les véritables débuts des ''ebooks'' grand public en France. Aujourd’hui, on distingue plusieurs terminaux de lecture numérique : l’ordinateur, les liseuses, les tablettes et les smartphones. Ces derniers ont le vent en poupe, particulièrement au Japon et en Chine car les idéogrammes,  à surface égale, sont plus denses de sens. Peu adaptés à la lecture attentive, les  smartphones tendent depuis 2011 être doté d’écrans plus grands et embarquent de nombreux formats (ePub, PDF, formats Word). On peut notamment citer le Galaxy Note, avec son écran 5,3 pouces parfois qualifié de Phablet (contraction de phone et de tablette).<br/>
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Les liseuses et tablettes (Kindle, Ipad) sont parfois liés à une seule source de contenu et de services : leur écosystème est clos. Des modèles intermédiaires sont associés à une librairie en ligne et sont capables de gérer le format ePub (Kobo avec la Fnac, Nolimbook+ avec Carrefour). D’autres, comme les liseuses Sony ou Archos, sont ouverts à tous formats et librairies. La liseuse est encore un des rares objets numériques à usage unique. Dans une tendance générale qui vise à la polyvalence et à la convergence des fonctions, on peut s’interroger sur la pérennité d’un tel modèle. Assus produit des hybrides entre ordinateurs et tablettes, Amazon a déposé un brevet en 2012 pour une tablette-liseuse présentant deux écrans. Le Yotaphone, smartphone russe à double écran, tactile et e-ink, est lancé pour noël 2013. Avec l’évolution des technologies d’écran, on pourrait aussi envisager l’apparition d’objets à écran unique, capables de basculer d’un mode liseuse pour le texte à un mode tablette rétro-éclairé, plus adapté aux usages multimédias. Enfin, les nouveaux usages de lecture dynamique appellent d'autres innovations pour interagir toujours plus avec les contenus, les approfondir, les annoter, les commenter… en réseau.<br/>
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Le papier électronique, qui est aujourd’hui capable d’associer couleurs, supports flexibles, tailles variables et faible consommation d’énergie, s'affirme comme un support d'avenir. Sony, Bridgestone, ont présenté de nombreux prototypes, sans avoir franchi le pas de la production industrielle.
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===Les formats, une jungle technologique===
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Les formats sont au cœur d'une guerre commerciale menée par les principaux acteurs pour imposer leurs produits et services. Amazon enferme ses clients dans les formats associé au Kindle (AZW, Mobi-pocket et Kindle Format 8), Adobe soutient son format PDF, et ses DRM inclus, Sony, leader en son temps, a abandonné le BBS.<br/>
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L'ePub a le vent en poupe, plébiscité par les éditeurs français et américains : il facilite l’interopérabilité et la diffusion des catalogues, mais il laisse aussi le choix à l’éditeur d’exploiter le fichier pour un produit papier et / ou numérique. Contrairement au PDF, ce format permet de redimensionner le contenu en fonction de la taille d’écran. L’arrivée de l’ePub3 permet de gérer les contenus enrichis, mais il ne prend pas en charge les DRM.<br/>
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Il est soutenu au niveau mondial par L’IDPF (groupement international de normalisation) qui souhaiterait l'universaliser pour les livres numériques. Le Projet Readium, lancé d'abord au sein de l'IDPF, est devenu un consortium à part entière en mars 2013. Il comprend une trentaine de membres fondateurs (dont les français Editis et Hachette Livre) et vise à pallier le manque d'applications de lecture pour le format ePub3. L'application qu’il a développée permet d'afficher un livre numérique comme sur un site web, ce qui pose la question de la spécificité de la filière livre et de l’objet livre par rapport à un contenu web.
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===Les plateformes===
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Une plateforme est un système matériel et logiciel de diffusion, de distribution, de vente et d'achat du livre numérique. On en distingue différents types :<br/>
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*Le modèle Google où les livres sont stockés dans les nuages, ce qui favorise l'interactivité et le développement de services venant enrichir le livre de fonctionnalités qui peuvent lui être extérieures.
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*le modèle Amazon qui est le plus courant, proposant une boutique unique où les fichiers sont achetés et téléchargés
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*le modèle Apple vend des applications pour proposer des contenus plus hybrides.
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*Le modèle Elsevier, qui offre des bouquets d'abonnements à un ensemble de contenus, en vogue pour les revues, mais aussi pour les livres scientifiques, techniques ou de niche (Safari d'Oreilly, Publie.net...)<br/>
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A ces modèles de distribution centralisés où l'acteur dominant maîtrise toute la chaîne du livre numérique, les éditeurs indépendants cherchent à opposer un système qui leur permettrait de garder le contrôle de leurs fichiers. Immatériel, ePagine, Eden-Livre sont des plateformes intermédiaires qui ne stockent pas les fichiers des éditeurs. Ce modèle, qui nécessite une entente entre éditeurs indépendants, peine à se mettre en place. Il semble devoir se concrétiser dans un partenariat avec Gallica, qui pourrait donner lieu à une plateforme publique, co-gérée avec les éditeurs, et qui permettrait d'accéder d'un seul coup à l'ensemble de l'offre numérique, qu'elle soit marchande ou non.
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===Les métadonnées et le concept de visibilité===
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Les métadonnées permettent d'identifier et de classer des contenus numériques dans les librairies en ligne. Elles donnent la meilleure visibilité possible à chaque fichier et en facilitent l’accès. Par rapport au papier, le livre numérique manque de visibilité. Virginie Clayssen, directrice de la stratégie numérique chez Editis, souligne le rôle essentiel des métadonnées pour le référencement web des livres numériques, ce qui demande aux éditeurs un effort technique considérable. Les bibliothèques sont confrontées à la même problématique et leur nouveau modèle FRBR vise à donner une visibilité sur le web à leurs notices tout en favorisant l'interopérabilité, notamment avec protocole d'édition ONIX (ONline Information eXchange, échange d'informations en ligne). La mutualisation des métadonnées entre bibliothèques, libraires et éditeurs permettra à terme de constituer une plateforme nationale unique de consultation et d'achat pour le livre numérique.
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'''Sources :'''
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* Guillaume BELFIORE. « Amazon : un brevet pour la tablette à deux écrans recto-verso ». ''Clubic.com''. 31 août 2012. [Consulté le 15/12/2013], <http://www.clubic.com/tablette-internet-mid/actualite-508597-amazon-brevet-tablette-ecrans-recto-verso.html>
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*Virginie CLAYSSEN. « Les éditeurs se mettent à la page web ». Publication(s), ''Journal trimestriel de l’Agence régionale du livre et de la lecture de Haute-Normandie''. 18 octobre 2012, <www.arl-haute-normandie.fr/upload/medias/publications18.pdf>
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* Yves DESRICHARD. « Vers la convergence des formats bibliographiques ? ONIX, application XML du monde de l'édition ». ''BBF.  2004, n° 3, p. 55-63''. [Consulté le 17 décembre 2013], <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2004-03-0055-010>
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* Yann GAILLARD. La politique du livre face au défi du numérique. ''Sénat, un site au service du citoyen''. 25 février 2010.  [Consulté le 12/12/2013],  <http://www.senat.fr/rap/r09-338/r09-3387.html>
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* Hubert GUILLAUD. « Les modèles de plateformes du livre numérique ». ''La Feuille''. 29 mars 2010. [Consulté le 12/12/2013], <http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2010/03/29/les-modeles-de-plateformes-du-livre-numerique/>
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* Hervé HUGUENY, avec HH. « Un consortium pour développer des applications de lecture ePub3 ». ''Livres Hebdo'', 25 mars 2013.
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* Silvère MERCIER. « Verrouiller le HTML5, ou le DRM comme salut du livre numérique ».'' ActuaLitté'',  11 décembre 2013. [Consulté le 12/12/2013], <http://www.actualitte.com/legislation/verrouiller-le-html5-ou-le-drm-comme-salut-du-livre-numerique-46898.htm>
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* Stéphane MOUSSIE. « Asus Taichi, l'ordinateur tablette à deux écrans ». ''Macg.co''. 4 juin 2012. [Consulté le 15/12/2013], <http://www.macg.co/content/asus-taichi-lordinateur-tablette-%C3%A0-deux-%C3%A9crans
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* Antoine OURY. « Les métadonnées, enjeu considérable pour le livre numérique ».'' ActuaLitté''. 26 mars 2013. [Consulté le 17 décembre 2013], <http://www.actualitte.com/usages/les-metadonnees-enjeu-considerable-pour-le-livre-numerique-41262.htm>
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*Bernard PROST, Xavier MAURIN, Mehdi LEKEHAL. « Le livre numérique ». Paris :''Editions du cercle de la librairie'', 2013. 120 p. ISBN : 978-2-7654-1389-
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*Bruno RIVES, ''Papier électronique'', [Consulté le 17 décembre 2013], <http://papierelectronique.blogspot.fr/>
  
 
==Le livre numérique, une question de droit ? ==
 
==Le livre numérique, une question de droit ? ==
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La question du droit encadrant les pratiques autour du livre numérique fait l'objet de vifs débats depuis plusieurs années. Les différents protagonistes réunis en groupes de pression s'affrontent au niveau européen et national autour d'importants enjeux politiques et économiques. Il s'agit non seulement de statuer sur la définition du livre numérique, mais aussi sur sa valeur et sur le périmètre de ses usages licites. L'urgence à légiférer, notamment face au développement des pratiques de piratage, a entraîné une avalanche de mesures : loi sur le prêt en bibliothèque (2003), DADVSI (2006), HADOPI 1 et 2 (2009), PULN (2011), TVA (2013).<br/>
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Les ayant-droit, les sociétés de gestion des droits d'auteur (ou société de perception et de répartition des droits - SPRD), la Société des Gens de Lettres (SGDL), le Syndicat national de l'édition (SNE) défendent le paiement à l'acte d'appropriation. Ils s'opposent frontalement aux intérêts des consommateurs et de quelques SPRD, partisans d'une gestion globale qui serait financée par une taxe sur les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Les défenseurs du logiciel libre, des usages communs et de la copie privée leur sont associés. Enfin, les collectivités territoriales et les enseignants militent pour une exception pédagogique qui consisterait en un accord forfaitaire entre l'état et les ayant-droit.<br/>
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Malgré un important travail de lobbying mené à travers l'IABD (Interassociation Archives Bibliothèques, Documentation), les nouvelles lois restent contraignantes pour les bibliothèques. La DADVSI et l'HADOPI ont en effet tourné le dos à une gestion globale pour favoriser l'usage des DRM. Ces deux lois ne prévoient pas l'usage collectif des livres numériques en bibliothèque et autorisent la copie d'une œuvre, uniquement pour des raisons techniques, pour les appareils destinés aux handicapés et pour la conservation ou la communication des œuvres épuisées, mais sur un seul poste dédié et local.
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Pour constituer des fonds numériques pertinents, les bibliothèques peuvent :
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*Souscrire à un abonnement fixe proposé par un libraire comme Numilog et payer chaque ouvrage prêté et équipé d'un DRM qui rend le fichier chronodégradable ou utilisable sur un seul système.
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*Souscrire à abonnement annuel, permettant l'accès illimité en streaming sur tout ou partie du catalogue comme chez Cyberlybris ou Publienet.
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*Proposer des contenus sous domaine public ou sous Licence Creatives commons.
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Les établissements peuvent rarement recourir au code des marchés publics qui impose un seul prestataire car les catalogues des éditeurs et libraires ne sont pas adaptés aux bibliothèques. Le choix a ainsi tendance à se concentrer sur quelques-uns, ce qui favorise l'appauvrissement du marché. Les contrats de gré à gré ne sont pas satisfaisants car les catalogues se recoupent. Au final, le choix du fournisseur est devenu un enjeu de politique documentaire ! C'est la raison pour laquelle l'association CAREL (Coopération pour l'Accès aux Ressources numériques en bibliothèques) s'est constituée en 2012 afin de fédérer les bibliothèques publiques et de s'instituer comme interlocuteur national auprès des éditeurs. D'autre part, le projet interprofessionnel Prêt Numérique en Bibliothèque (PNB) piloté par Dilicom, est en cours d'évaluation.<br/>
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Il s'agit d'un tiers de confiance entre éditeurs, libraires et bibliothèques, qui facilite leurs échanges de données (commerciales, métadonnées descriptives, juridiques et techniques, données de gestion : état des droits de consultation, statistiques…), garantit la validité des droits acquis par les bibliothèques et le respect des conditions d'accès et d'usage des livres numériques définies par les éditeurs. Si PNB gère les différents modèles de prêts qui coexistent toujours, elle n'intervient cependant pas dans les négociations sur les prix. Dans les premiers compromis, éditeurs et bibliothécaires semblent s'orienter vers la consultation sur place en streaming et le téléchargement à distance d'un fichier chronodégradable, payé pour un certain nombre de prêts.<br/>
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Ce système permet de prêter simultanément le même ouvrage numérique, mais à un prix parfois supérieur au prix public...<br/> Aussi le réseau Carel espère-t-il une solution de type nationale qui permettrait de réduire les coûts collectifs, à l'image des bibliothèques de l'Ohio qui, depuis 1992, disposent d'une licence nationale pour des contenus chargés et pérennes, archivés collectivement, acquis par une centrale d'achat, gérés dans un catalogue collectif : une organisation qui a multiplié par quatre leur pouvoir d'achat.<br/>
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'''Sources :'''
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*Philippe AIGRAIN, « Illégitimité et confusion : l’HADOPI et le partage non marchand », ''Commons'', [Consulté le 6/12/2013], <http://paigrain.debatpublic.net/?p=7934>
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*Véronique C., « Suppression de l’amendement sur la TVA réduite sur les ebooks, tant mieux ! ».  ''IDBOOX''. 18 novembre 2013. [Consulté le 6/12/2013], <http://www.idboox.com/economie-du-livre/tribune-libre-suppression-de-lamendement-sur-la-tva-reduite-sur-les-ebooks-tant-mieux>
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*Réseau CAREL, [Consulté le 6/12/2013], <http://www.reseaucarel.org/pnb>
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*Yves DESRICHARD (dir.), « Le droit contre les bibliothèques » , ''Bulletin des bibliothèques de France, n° 3, 2011, 119 p.'' [Consultable sur : http://bbf.enssib.fr/sommaire/2011/3].
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*Michel FAUCHIE,  Livres numériques et bibliothèques publiques en 2013,  ''Feedsbooks'',  [Consulté le 6/12/2013], <http://fr.feedbooks.com/userbook/32645.pdf>
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*Lionel MAUREL, « Et si une directive européenne permettait de financer la numérisation du domaine public ? », ''SI. Lex'',  [Consulté le 6/12/2013], <http://scinfolex.com/2013/12/03/utiliser-les-irrepartissables-des-societes-de-gestion-collective-pour-financer-la-numerisation-du-domaine-public/>
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*Cécile MAZIN, « Des E-book en bibliothèque, certes, mais à certaines conditions »,'' ActuaLitté'', [Consulté le 6/12/2013], <http://www.actualitte.com/bibliotheques/des-ebooks-en-bibliotheque-certes-mais-a-certaines-conditions-45564.htm>
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*Antoine OURY, « Le projet numérique en bibliothèque expliqué aux libraires » et « La bibliothèque municipale de Grenoble, pilote pour le prêt numérique »,'' ActuaLitté'', [Consulté le 6/12/2013], <http://www.actualitte.com/bibliotheques/le-projet-pret-numerique-en-bibliotheque-expose-aux-libraires-42521.htm>, <http://www.actualitte.com/bibliotheques/la-bibliotheque-municipale-de-grenoble-pilote-pour-le-pret-numerique-46695.htm>
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==Les pratiques de lecture==
 
==Les pratiques de lecture==
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===Une élite de lecteurs===
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Les pratiques de lecture sont déterminées par des clivages idéologiques très forts, du moins parmi les lecteurs les plus avertis qui font l'objet de la dernière étude du Motif. Les défenseurs d'un modèle français (prix unique du livre numérique, préservation des libraires) s'opposent à ceux qui sont prêts à accepter la domination des grands opérateurs. Les défenseurs du libre et gratuit, forment un troisième front.<br/>
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Les pratiques d'achats et de lecture semblent aussi être liées au type de terminal choisi par les lecteurs. <br/> Dans une étude, Michael Tamblyn, responsable des ventes chez Kobo Reader, distingue quatre types de lecteurs. '''Le lecteur de liseuses''', qui représente 11% des français contre 17 % équipés de tablettes (étude Audipresse et Deloitte, 2013), dépense beaucoup et revient en moyenne 7 fois par mois dans sa boutique pour y dépenser 20 à 25 $ à chaque visite.<br/>
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Il s'agit là de la même élite de “grands lecteurs”, bien équipés et bien renseignés qui a fait l'objet de l'étude du Motif : 43 % d'entre eux savent convertir les fichiers ou supprimer les DRM. Ils s'orientent majoritairement vers de grands opérateurs, mais savent aussi trouver les plateformes pure-players ou l'offre gratuite légale ou illégale (28%). Pour 36 % des répondants, cette dernière catégorie d'ouvrages compose entre 70 % et 90 % de leur bibliothèque. Les fonctions d'annotation et de personnalisation du texte sont peu utilisées. Malgré leur expertise, ces lecteurs ne trouvent pas toujours les informations souhaitées ou même les livres cherchés, ne parviennent pas tous à télécharger et à transférer les fichiers, peinent à mettre le texte en forme et se perdent dans les problèmes d'incompatibilités entre les terminaux. Pour attirer une clientèle plus vaste, il apparaît urgent de simplifier les procédures d'accès, d'archivage et de personnalisation.<br/>
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En effet, sur la boutique Kobo, '''les lecteurs smartphones''' sont majoritaires, mais il dépensent moins (15 $) et reviennent 7 fois moins dans leur boutique que les adeptes de liseuses. Ils consomment beaucoup plus de titres gratuits. '''Les adeptes de l'iPad''' dépensent quant à eux en moyenne 16 $ par commande et font 4,5 commandes par mois. Enfin, les '''inconditionnels du gratuit''' possèdent souvent plusieurs terminaux et consomment exclusivement ou très majoritairement des contenus libres ou gratuits.
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===Les lecteurs de demain...===
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Alors que les tablettes s'invitent à l'école, elles sont aussi en passe de devenir des jeux éducatifs pour les plus petits. Les parents s'inquiètent de voir leurs enfants devenir récalcitrants à la lecture. La tablette serait le moyen de retenir leur intérêt et leur attention en apprenant sur un mode ludique. Selon une enquête Ipsos/CGI, 84% des parents sont convaincus de l'impact des tablettes, des livres interactifs et des jeux ludo-éducatifs sur les modes d'apprentissage. Si l'on s'inquiète parfois des risques sanitaires provoqués par des usages non accompagnés (41%), une familiarité s'instaure entre l'objet et les lecteurs de demain. Ainsi, 71 % des enfants de moins de 12 ans utilisent cet instrument.<br/>
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Les enfants de 9-10 ans passent en moyenne 71 minutes par jour sur Internet contre 164 minutes pour les 15-16 ans. Les enfants de milieu défavorisé passent plus de temps sur Internet que leurs camarades plus favorisés (135 minutes contre 110 minutes).<br/>
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Contrairement aux idées reçues, les jeunes ne sont pas plus attirés par le livre numérique que par le papier. Les jeunes anglais ne le considéreraient pas comme un bien culturel attirant. Dans une étude du cabinet d'analyse Voxburner, 62 % des répondants assurent aimer mieux les livres imprimés et 92 % sont en désaccord avec le tarif de vente proposé. 55% d'entre eux disposeraient d'un lecteur ''ebook'', alors que 85 % possèdent un'' smartphone''.<br/>
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Les jeunes de 18-24 ans sont aussi les plus grands lecteurs de BD électroniques (29%), mais cette pratique reste très minoritaire : seul 14 % des lecteurs de bandes dessinées âgés de 11 ans et plus déclarent en lire sur ce support (soit 4 % de la population). L'attachement au papier tient aussi au manque de valeur ajoutée de l'édition numérique qui pourrait ouvrir aux bulles et aux cases tout un champ de créativité interactive. La bande dessinée est le support le plus piraté : 20 à 25 % de titres piratés parmi l’offre légale globale. Toutefois, les nouveautés sont épargnées et les titres concernés –  classiques franco-belges, mangas et comics à grand succès médiatique – n'ont généralement pas d'équivalent légal.<br/>
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Comme chez les adultes, les pratiques des jeunes dépendent en grande partie du contexte de la lecture. Les compétences en terme de lecture documentaires ne sont pas toujours réinvesties en milieu scolaire, la lecture « sérieuse », étant associée au papier et à l'institution. Si la littérature classique est délaissée, l'usage du livre se diversifie et se dissocie de l'objet livre. La lecture devient un savoir et une culture : savoir maîtriser les différents types de lecture, savoir les combiner en fonction de l’objectif. Cette compétence apparaît socialement beaucoup plus discriminante que le simple déchiffrage d'antan.
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===Lire dans un environnement numérique : des enjeux cognitifs sous-jacents ?===
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L’avènement de l’ère numérique bouscule profondément l’écosystème du livre. Cette mutation interpelle de nombreux spécialistes (sociologues, cogniticiens, philosophes, anthropologues, essayistes,…) qui s’intéressent à l’évolution des contenus numériques et de leur réception : la lecture sur écran.<br/>
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Ce qui est en jeu avec la généralisation des écrans, c’est la transformation de la lecture traditionnelle. Dans sa forme actuelle, issue de la Renaissance, la lecture « profonde », linéaire, réflexive, est remise en cause. Cette conception, est souvent assimilée à une pratique authentique par opposition à une lecture sur écran qui serait moins appliquée.<br/>
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Dans un article resté célèbre, « Is Google making us stupid » (2008), repris et développé sous forme de livre en 2010, le cybercritique Nicolas Carr se désespère de ne plus pouvoir lire « en profondeur » : «'' Maintenant, ma concentration commence à se relâcher après deux ou trois pages. Je deviens impatient, perds le fil, commence à chercher autre chose à faire. Je me sens comme si j’étais sans cesse en train de ramener de force mon cerveau volage au texte. La lecture profonde qui me venait jadis tout naturellement est maintenant devenue un combat'' ». Constatant que ce phénomène s'accentue, Carr en vient à penser que le web demande un effort pour maintenir notre attention sur de longs textes. En mobilisant des données issues des sciences cognitives sur les capacités d’adaptation rapide du cerveau, l'auteur craint une perte généralisée de notre capacité à lire en profondeur. Le web serait donc un instrument d’abrutissement collectif.<br/>
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Cette position polémique a mis en lumière certains travaux d’experts, mais elle a eu tendance à polariser le débat. La controverse s’est rapidement focalisée sur des aspects cognitifs qui opposent la lecture linéaire aux développements de nouveaux processus de lecture numérique induits par la prégnance de l’écran (ordinateurs, tablettes, smartphones). Aux critiques récurrentes qui associent écrans et culture du zapping, immédiateté, superficialité et papillonnement, s’opposent des vues plus nuancées. Ainsi Christian Vandendorpe, chercheur spécialisé en sémiotique cognitive, s’intéresse au développement d’une lecture sélective, dynamique, interactive et ergative (du grec ergon, le travail, orientée vers l’action, qui vise à modifier la structuration d’un texte ou laisser une trace de son activité à travers l’annotation par exemple).<br/>
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Pour le cognitiviste Thierry Baccino, la lecture sur écran demande un surcroît de travail au cerveau et un fonctionnement différent. Les zones de l’encéphale qui contrôlent les prises de décisions et les raisonnements complexes sont bien plus sollicitées qu’avec la lecture papier. Plus nous serons habitués à l’écran, plus la lecture papier risque de nous donner, un peu comme le cinéma noir et blanc, une impression de régression, car « le lecteur écran est butineur et impatient ». Tout en considérant l’apport potentiellement intéressant d’hyperliens et d’hyper-médias, Baccino souligne le risque de surcharge cognitive et de perte de repères spatiaux, liés aux jeux de renvois propres aux contenus numériques.<br/>
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La psychologue Claire Bélisle insiste quant à elle sur le temps particulier de la lecture ; l’usage de nouveaux outils numériques en modifierait le rythme : « Lire ce n’est plus aller du début à la fin, ce n’est plus lire l’intégralité d’un texte, d’un document, d’un livre. » Mais Christian Vandendorpe ne rappelle-t-il pas que Montaigne flânait déjà dans sa bibliothèque ? : « Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues » (Essais, III, 3)... et Jean-François Bianco que Diderot avait déjà « inventé le web » ?<br/>
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Les études les plus récentes paraissent s'accorder sur l'idée que la lecture se diversifie : savantes, documentaires, récréatives, participatives, elles se modulent en fonction du contexte. Si le livre papier garde une aura symbolique, les supports à venir seront ainsi les plus polyvalents, offrant aussi bien un espace de déconnexion qu'une possibilité d'interagir, tout cela avec le confort du papier électronique.<br/>
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'''Sources :'''
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*AFP. « 71 % des enfants de moins de 12 ans utilisent des tablettes ». ''01.net''. 26/09/12.  [Consulté le 15/12/2013], <http://www.01net.com/editorial/573871/une-majorite-des-moins-de-12-ans-rompus-a-lusage-des-tablettes/>
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*Claire BELISLE (dir). Lire dans un monde numérique. Villeurbanne : ''Presses de l’enssib'', 2012. - 295 p.
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*Jean-François BIANCO. « Diderot a-t-il inventé le Web ? ».  ''Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie'', 31-32. Avril 2002. 13 juin 2006. [Consulté le 16 octobre 2012], <http://rde.revues.org/13#sthash.l8hhP6u7.dpuf>
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*Antoine COMPAGNON. « Lire numérique ».  ''Le Débat, n° 170, 2012. - p. 103-106''.  [Consulté sur Cairn le 15/12/2013],  <www.cairn.info/revue-le-debat-2012-3-page-103.htm>
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*Julie DEMARCONNAY. « La bande dessinée électronique en France : le marché peine à trouver sa place ».  ''Le Monde du livre''. 11/02/2013. [Consulté le 15/12/2013],  < http://mondedulivre.hypotheses.org/1075>
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*FLORA. « 1/3 des lectures numériques se font sur smartphones et tablettes ».  ''Edilivre''. 26/11/2013.  [Consulté le 15/12/2013], <http://www.edilivre.com/communaute/2013/11/26/tablettes-et-smartphones-font-les-yeux-doux-aux-lectures-numeriques/>
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*Nicolas GARY. « Rendre attractif le prix de vente d'ebooks pour les jeunes : Le jeune, radin ? ». ''ActuaLitté''.  21/11/2013, [consulté le 15/12/2013], <http://www.actualitte.com/usages/rendre-attractif-le-prix-de-vente-d-ebooks-pour-les-jeunes-46457.htm>
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*Hubert GUILLAUD. « A chaque support son lecteur. ''La feuille''. 16/03/2011 ».  [Consulté le 15/12/2013], <http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2011/03/16/a-chaque-support-son-lecteur/>
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*IPSOS public affairs, Les parents, les apprentissages et les jouets. Une enquête Ipsos SGI pour LeapFrog, ''Ipsos'', 2013.  [Consulté le 15/12/2013],  <http://www.ipsos.fr/sites/default/files/attachments/rapport_leapfrog.pdf>
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*Sylvie OCTOBRE. « La lecture à l’ère numérique : Au commencement était le livre. Et à la fin le texte ». ''Etudes, revue de culture contemporaine'', tome 418-5. Mai 2013.  [Consulté le 15/12/2013], <http://www.cairn.info/revue-etudes-2013-5-page-607.htm>
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*Didier SANZ. « La tablette pour enfants se réinvente ».'' Le Figaro.fr''. 14/10/2013.  [Consulté le 15/12/2013], <http://www.lefigaro.fr/conso/2013/10/14/05007-20131014ARTFIG00319-la-tablette-pour-enfants-se-reinvente.php>
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*Emilie SYLVESTRE. De la lecture papier à la lecture numérique, Lecture d’écrits documentaires chez des élèves de cycle 3, ''Mémoire de master 2 recherche, Sciences du langage'', Grenoble 3, 2012-2013.  [Consulté le 15/12/2013], http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/83/89/04/PDF/MEMOIRE_Emilie_Sylvestre_M2R_DDF.pdf
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==Un nouveau rôle pour le lecteur : autoédition, édition accompagnée, lecture sociale et impression à la demande. ==
 
==Un nouveau rôle pour le lecteur : autoédition, édition accompagnée, lecture sociale et impression à la demande. ==
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===L'autoédition===
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L'autoédition contribue à étendre l'offre d'ouvrages disponibles et connaît un essor important aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, où l’ebook est plus solidement installé. Elle représenterait 17% du CA du marché du livre aux États-Unis, contre 3% en France. Le succès international de ''Fifty Shades of Grey'' de E.L. James, a contribué à la mettre sur le devant de la scène. Amazon et Apple ont su capter ce mouvement en créant leur propre plateforme d'autoédition numérique.<br/>
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Ce type de publication, qui court-circuite l’évaluation de l’éditeur, ne s’assimile néanmoins pas à l'édition à compte d'auteur traditionnelle : elle permet de toucher un public plus large, est moins coûteuse, et le texte peut bénéficier d’une promotion sur les réseaux sociaux. Les oeuvres risquent cependant d’être noyées dans la masse du web. L’autoédition ne libère pas non plus l'auteur de toutes contraintes : certaines librairies numériques comme la plateforme Kindle Direct Publishing d’Amazon exigent une exclusivité pendant une période donnée.<br>
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En revanche, les auteurs déjà connus peuvent en tirer de plus gros bénéfices quitte à concurrencer les maisons traditionnelles. Loin d’être menacées, celles-ci développent leurs propres structures d’autoédition et puisent volontiers dans ce « vivier d’auteurs » qui minimise leurs risques éditoriaux en format papier. Aux Etats-Unis, Penguin a racheté en 2012 le leader du secteur, Author solution. En France, Hachette n'envisagerait pas pour l'instant d'investir dans une plateforme d'autoédition ; il existe en revanche de nombreuses plateformes "pure player", dont le modèle économique repose sur la masse d'ouvrages publiés, l'automatisation des processus de mise en ligne des livres et l'achat presque systématique d'ouvrages par l'auteur et son entourage.
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===Edition accompagnée et lecture sociale===
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Le ''co-publishing'' ou édition accompagnée constitue une voie intermédiaire entre édition traditionnelle et autoédition. En France, Editis travaille sur un nouveau label dédié aux premiers romans, baptisé Chemin vert. Un concours permet aux participants de déposer leur roman sur une plateforme. La sélection des meilleurs textes se fait sur le principe collaboratif : les lecteurs évaluent les contributions, puis un jury composé de professionnels élit le manuscrit gagnant parmi les mieux notés. L’ouvrage sera ensuite distribué au format numérique via la plateforme Kobo By Fnac. Certains textes pourront également être imprimés à la demande, voire édités de manière traditionnelle.<br/>
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Cette évolution s'inscrit dans le développement de la lecture sociale qui désigne l’évaluation et la création collaborative de contenus critiques. En France, Babelio propose à ses utilisateurs d'échanger des informations sur la composition de leur bibliothèque et d'attribuer des notes aux livres. Les adhérents sont mis en relation suivant leurs goûts littéraires. Le site s'appuie sur les chroniques littéraires d’une communauté de blogueurs.<br/>
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Les possibilités d'échanges offertes par des applications de lecture sociale sur les tablettes, liseuses ou smartphones peuvent cependant être restreintes par les stratégies des producteurs, notamment si le livre utilisé n'a pas été acheté sur une plateforme donnée (par exemple sur Amazon pour le Kindle). En détenant une solution industrielle complète (boutique, support, livre, réseau social...), ces grands acteurs laissent peu de place aux structures plus modestes.
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===L'impression à la demande===
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L'impression à la demande permet d'étendre l'offre de lecture à des textes pointus, épuisés, ou à des ouvrages autoédités.<ref name="Enquête plateformes BOD"> Enquête commandée par la plateforme Books on Demand en 2012.</ref>.<br/>
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Elle concerne avant tout des impressions numériques, à petits tirages. Son émergence a entraîné la constitution de partenariats. En 2009, Google s'est associé avec le fabriquant de l’ « Espresso Book Machine », une machine capable d'imprimer un livre en quelques minutes, pour offrir tous les titres de son catalogue tombés dans le domaine public.<br>
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La même année, Hachette et Lightening source, leader mondial de l'impression à la demande, ont créé ''Lightning Source France'', une co-entreprise d'impression à la demande. Elle a  signé en 2011 un accord non exclusif sur l’impression papier à la demande de livres numériques libres de droit présents sur Gallica.  <ref name="Signature accord bnf"> D'autres entreprises ont signé des accords avec la BNF allant dans le même sens.</ref>.<br/>
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Certaines bibliothèques ont installé dans leurs locaux des Espresso Book Machine. 62 machines de ce type seraient utilisées dans le monde en 2013 , mais leur coût élevé limite encore leur développement.
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'''Sources :'''
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*Catherine ANDREUCCI. « L’autoédition met le pied dans la porte ». ''Livres Hebdo''. 4 novembre 2013. [Consulté le 6/12/2013], <http://www.livreshebdo.fr/article/lautoedition-met-le-pied-dans-la-porte>.
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*Vincianne D'ANNA. « L’impression à la demande ». ''Lettres numériques''.  22 mars 2013. [Consulté le 01/12/2013], <http://www.lettresnumeriques.be/2013/03/22/limpression-a-la-demande/>.
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*Hervé BIENVAULT. « Le livre ‘social’ au Labo de l'Edition ». ''Aldus''. 18 avril 2012. [Consulté le 01/12/2013], < http://aldus2006.typepad.fr/mon_weblog/2012/04/le-livre-social-au-labo-de-ledition.html >.
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*Hervé BIENVAULT. « Espresso Book Machine: pas pour les libraires ». ''Aldus''. 22 mai 2012. [Consulté le 7/12/2013], <http://aldus2006.typepad.fr/mon_weblog/2012/05/espresso-book-machine-pas-pour-les-libraires.html>.
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*Christoph BLÄSI, Franz Rothlauf. De l’interopérabilité des formats du livre numérique. ''European and International Booksellers Federation''.  2013. [Consulté le 4/12/2013], <http://www.syndicat-librairie.fr/images/documents/interoperabilite_formats_livre_numerique_pdf_16641.pdf>
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*Centre d’analyse stratégique. La note d’analyse, N°270. Les acteurs de la chaîne du livre à l’ère du numérique. Les auteurs et les éditeurs.'' CAS''.  Mars 2012. [Consulté le 4/12/2013], <http://www.strategie.gouv.fr/content/les-acteurs-de-la-chaine-du-livre-lere-du-numerique-notes-danalyse-270-271-272-mars-2012>.
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*Hubert GUILLAUD. « Comprendre ce que la lecture sociale impacte ». ''La Feuille''. 6 octobre 2011. [Consulté le 01/12/2013], <http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2011/10/06/comprendre-ce-que-la-lecture-sociale-impacte/>.
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*Julien HELMLINGER. « Mémoire de lectures, outil de partage, d'expression : Babelio, le premier ». ''ActuaLitté''. 3 juin 2013. Consulté le 01/12/2013, <http://www.actualitte.com/societe/memoire-de-lectures-outil-de-partage-d-expression-babelio-le-premier-42537.htm>.
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*Julien HELMLINGER. « Concours d'écriture : Nos lecteurs ont du talent ».  ''ActuaLitté''. 16 juillet 2013. [Consulté le 01/12/2013], <http://www.actualitte.com/international/concours-d-ecriture-nos-lecteurs-ont-du-talent-43887.htm>.
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*Julien HELMLINGER. « Implantation et professionnalisation : l'autoédition progresse en Europe ». ''ActuaLitté''. 21 novembre 2013. [Consulté le 4/12/2013], <http://www.actualitte.com/international/implantation-et-professionalisation-l-autoedition-progresse-en-europe-46471.htm>.
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*Julie MALAURE.  « Quand les éditeurs "papier" s'arrachent le numérique ». ''Le Point''. 19 avril 2013. [Consulté le 6/ 12/2013], <http://www.lepoint.fr/livres/quand-les-editeurs-papier-s-arrachent-le-numerique-19-04-2013-1657037_37.php>.
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*Adeline RAJCH. «  Le co-publishing : entre édition et autoédition, une troisième voie ? ». ''Labo de l’édition''. 20 novembre 2013. [Consulté le 6/12/2013], <http://labodeledition.wordpress.com/2013/11/20/le-co-publishing-entre-edition-et-autoedition-une-troisieme-voie/>.
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*Wikipedia. « Espresso Book Machine ». [Consulté le 01/12/2013], <http://fr.wikipedia.org/wiki/Espresso_Book_Machine >
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== Conclusion ==
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<p>La démocratisation de l'accès à internet a profondément modifié notre rapport à la lecture. Si la lecture traditionnelle est délaissée par bon nombre de nos concitoyens, nous lisons tous davantage, mais autrement. Lire, c'est désormais savoir mobiliser différentes manières de lire en fonction des circonstances, mais aussi savoir trouver la lecture dont on a besoin, identifier ce besoin et maîtriser son outil de lecture : un panel de compétences qui ruine le mythe de l'accessibilité numérique.</p>
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<p>Les industriels se sont adaptés aux nouvelles exigences du nomadisme intellectuel et l'avenir semble être aux supports de lecture hybrides et multifonctionnels. Pour retenir un lectorat volatile, il apparaît urgent de simplifier les procédures d'accès aux livres électroniques en élaborant une plateforme nationale unique. L’interopérabilité des formats, la mutualisation des métadonnées entre bibliothèques, librairies et éditeurs sont ainsi des enjeux majeurs pour la démocratisation de la lecture numérique.</p>
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<p>Face à une offre éditoriale numérique confuse et rarement créative, les lecteurs paraissent camper dans une position attentiste : les ménages sont très largement équipés de terminaux, mais ils se tournent plutôt vers l'offre libre ou gratuite, en attendant une baisse significative des tarifs. Le papier donne toujours un confort de lecture apprécié, mais, avec le développement de l'autoédition et de l'impression à la demande, il pourrait aussi constituer « un terminal comme un autre ». L'internet favorise potentiellement la désintermédiation et le partage social, mais l'autoédition est un marché largement capté par les plus gros acteurs qui sont aussi ceux qui, avec des formats propriétaires et des systèmes clos, dressent des barbelés dans le champ de la culture. Si l'état cherche à ménager un place à tous les acteurs traditionnels de la chaîne du livre, il semble que les logiques marchandes ne favorisent pas toujours la diversité culturelle.</p>
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== Références ==
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<references/>

Version actuelle datée du 20 décembre 2013 à 17:16

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Aspects techniques et innovants

Les terminaux de lecture

Si la commercialisation des premières liseuses remonte à 1999 (Rocket eBook, SoftBook), c’est l’apparition en 2010 et 2011 de l’iPad et du Kindle qui a marqué les véritables débuts des ebooks grand public en France. Aujourd’hui, on distingue plusieurs terminaux de lecture numérique : l’ordinateur, les liseuses, les tablettes et les smartphones. Ces derniers ont le vent en poupe, particulièrement au Japon et en Chine car les idéogrammes, à surface égale, sont plus denses de sens. Peu adaptés à la lecture attentive, les smartphones tendent depuis 2011 être doté d’écrans plus grands et embarquent de nombreux formats (ePub, PDF, formats Word). On peut notamment citer le Galaxy Note, avec son écran 5,3 pouces parfois qualifié de Phablet (contraction de phone et de tablette).

Les liseuses et tablettes (Kindle, Ipad) sont parfois liés à une seule source de contenu et de services : leur écosystème est clos. Des modèles intermédiaires sont associés à une librairie en ligne et sont capables de gérer le format ePub (Kobo avec la Fnac, Nolimbook+ avec Carrefour). D’autres, comme les liseuses Sony ou Archos, sont ouverts à tous formats et librairies. La liseuse est encore un des rares objets numériques à usage unique. Dans une tendance générale qui vise à la polyvalence et à la convergence des fonctions, on peut s’interroger sur la pérennité d’un tel modèle. Assus produit des hybrides entre ordinateurs et tablettes, Amazon a déposé un brevet en 2012 pour une tablette-liseuse présentant deux écrans. Le Yotaphone, smartphone russe à double écran, tactile et e-ink, est lancé pour noël 2013. Avec l’évolution des technologies d’écran, on pourrait aussi envisager l’apparition d’objets à écran unique, capables de basculer d’un mode liseuse pour le texte à un mode tablette rétro-éclairé, plus adapté aux usages multimédias. Enfin, les nouveaux usages de lecture dynamique appellent d'autres innovations pour interagir toujours plus avec les contenus, les approfondir, les annoter, les commenter… en réseau.

Le papier électronique, qui est aujourd’hui capable d’associer couleurs, supports flexibles, tailles variables et faible consommation d’énergie, s'affirme comme un support d'avenir. Sony, Bridgestone, ont présenté de nombreux prototypes, sans avoir franchi le pas de la production industrielle.

Les formats, une jungle technologique

Les formats sont au cœur d'une guerre commerciale menée par les principaux acteurs pour imposer leurs produits et services. Amazon enferme ses clients dans les formats associé au Kindle (AZW, Mobi-pocket et Kindle Format 8), Adobe soutient son format PDF, et ses DRM inclus, Sony, leader en son temps, a abandonné le BBS.

L'ePub a le vent en poupe, plébiscité par les éditeurs français et américains : il facilite l’interopérabilité et la diffusion des catalogues, mais il laisse aussi le choix à l’éditeur d’exploiter le fichier pour un produit papier et / ou numérique. Contrairement au PDF, ce format permet de redimensionner le contenu en fonction de la taille d’écran. L’arrivée de l’ePub3 permet de gérer les contenus enrichis, mais il ne prend pas en charge les DRM.

Il est soutenu au niveau mondial par L’IDPF (groupement international de normalisation) qui souhaiterait l'universaliser pour les livres numériques. Le Projet Readium, lancé d'abord au sein de l'IDPF, est devenu un consortium à part entière en mars 2013. Il comprend une trentaine de membres fondateurs (dont les français Editis et Hachette Livre) et vise à pallier le manque d'applications de lecture pour le format ePub3. L'application qu’il a développée permet d'afficher un livre numérique comme sur un site web, ce qui pose la question de la spécificité de la filière livre et de l’objet livre par rapport à un contenu web.

Les plateformes

Une plateforme est un système matériel et logiciel de diffusion, de distribution, de vente et d'achat du livre numérique. On en distingue différents types :

  • Le modèle Google où les livres sont stockés dans les nuages, ce qui favorise l'interactivité et le développement de services venant enrichir le livre de fonctionnalités qui peuvent lui être extérieures.
  • le modèle Amazon qui est le plus courant, proposant une boutique unique où les fichiers sont achetés et téléchargés
  • le modèle Apple vend des applications pour proposer des contenus plus hybrides.
  • Le modèle Elsevier, qui offre des bouquets d'abonnements à un ensemble de contenus, en vogue pour les revues, mais aussi pour les livres scientifiques, techniques ou de niche (Safari d'Oreilly, Publie.net...)

A ces modèles de distribution centralisés où l'acteur dominant maîtrise toute la chaîne du livre numérique, les éditeurs indépendants cherchent à opposer un système qui leur permettrait de garder le contrôle de leurs fichiers. Immatériel, ePagine, Eden-Livre sont des plateformes intermédiaires qui ne stockent pas les fichiers des éditeurs. Ce modèle, qui nécessite une entente entre éditeurs indépendants, peine à se mettre en place. Il semble devoir se concrétiser dans un partenariat avec Gallica, qui pourrait donner lieu à une plateforme publique, co-gérée avec les éditeurs, et qui permettrait d'accéder d'un seul coup à l'ensemble de l'offre numérique, qu'elle soit marchande ou non.

Les métadonnées et le concept de visibilité

Les métadonnées permettent d'identifier et de classer des contenus numériques dans les librairies en ligne. Elles donnent la meilleure visibilité possible à chaque fichier et en facilitent l’accès. Par rapport au papier, le livre numérique manque de visibilité. Virginie Clayssen, directrice de la stratégie numérique chez Editis, souligne le rôle essentiel des métadonnées pour le référencement web des livres numériques, ce qui demande aux éditeurs un effort technique considérable. Les bibliothèques sont confrontées à la même problématique et leur nouveau modèle FRBR vise à donner une visibilité sur le web à leurs notices tout en favorisant l'interopérabilité, notamment avec protocole d'édition ONIX (ONline Information eXchange, échange d'informations en ligne). La mutualisation des métadonnées entre bibliothèques, libraires et éditeurs permettra à terme de constituer une plateforme nationale unique de consultation et d'achat pour le livre numérique.


Sources :

Le livre numérique, une question de droit ?

La question du droit encadrant les pratiques autour du livre numérique fait l'objet de vifs débats depuis plusieurs années. Les différents protagonistes réunis en groupes de pression s'affrontent au niveau européen et national autour d'importants enjeux politiques et économiques. Il s'agit non seulement de statuer sur la définition du livre numérique, mais aussi sur sa valeur et sur le périmètre de ses usages licites. L'urgence à légiférer, notamment face au développement des pratiques de piratage, a entraîné une avalanche de mesures : loi sur le prêt en bibliothèque (2003), DADVSI (2006), HADOPI 1 et 2 (2009), PULN (2011), TVA (2013).

Les ayant-droit, les sociétés de gestion des droits d'auteur (ou société de perception et de répartition des droits - SPRD), la Société des Gens de Lettres (SGDL), le Syndicat national de l'édition (SNE) défendent le paiement à l'acte d'appropriation. Ils s'opposent frontalement aux intérêts des consommateurs et de quelques SPRD, partisans d'une gestion globale qui serait financée par une taxe sur les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Les défenseurs du logiciel libre, des usages communs et de la copie privée leur sont associés. Enfin, les collectivités territoriales et les enseignants militent pour une exception pédagogique qui consisterait en un accord forfaitaire entre l'état et les ayant-droit.

Malgré un important travail de lobbying mené à travers l'IABD (Interassociation Archives Bibliothèques, Documentation), les nouvelles lois restent contraignantes pour les bibliothèques. La DADVSI et l'HADOPI ont en effet tourné le dos à une gestion globale pour favoriser l'usage des DRM. Ces deux lois ne prévoient pas l'usage collectif des livres numériques en bibliothèque et autorisent la copie d'une œuvre, uniquement pour des raisons techniques, pour les appareils destinés aux handicapés et pour la conservation ou la communication des œuvres épuisées, mais sur un seul poste dédié et local.

Pour constituer des fonds numériques pertinents, les bibliothèques peuvent :

  • Souscrire à un abonnement fixe proposé par un libraire comme Numilog et payer chaque ouvrage prêté et équipé d'un DRM qui rend le fichier chronodégradable ou utilisable sur un seul système.
  • Souscrire à abonnement annuel, permettant l'accès illimité en streaming sur tout ou partie du catalogue comme chez Cyberlybris ou Publienet.
  • Proposer des contenus sous domaine public ou sous Licence Creatives commons.

Les établissements peuvent rarement recourir au code des marchés publics qui impose un seul prestataire car les catalogues des éditeurs et libraires ne sont pas adaptés aux bibliothèques. Le choix a ainsi tendance à se concentrer sur quelques-uns, ce qui favorise l'appauvrissement du marché. Les contrats de gré à gré ne sont pas satisfaisants car les catalogues se recoupent. Au final, le choix du fournisseur est devenu un enjeu de politique documentaire ! C'est la raison pour laquelle l'association CAREL (Coopération pour l'Accès aux Ressources numériques en bibliothèques) s'est constituée en 2012 afin de fédérer les bibliothèques publiques et de s'instituer comme interlocuteur national auprès des éditeurs. D'autre part, le projet interprofessionnel Prêt Numérique en Bibliothèque (PNB) piloté par Dilicom, est en cours d'évaluation.

Il s'agit d'un tiers de confiance entre éditeurs, libraires et bibliothèques, qui facilite leurs échanges de données (commerciales, métadonnées descriptives, juridiques et techniques, données de gestion : état des droits de consultation, statistiques…), garantit la validité des droits acquis par les bibliothèques et le respect des conditions d'accès et d'usage des livres numériques définies par les éditeurs. Si PNB gère les différents modèles de prêts qui coexistent toujours, elle n'intervient cependant pas dans les négociations sur les prix. Dans les premiers compromis, éditeurs et bibliothécaires semblent s'orienter vers la consultation sur place en streaming et le téléchargement à distance d'un fichier chronodégradable, payé pour un certain nombre de prêts.

Ce système permet de prêter simultanément le même ouvrage numérique, mais à un prix parfois supérieur au prix public...
Aussi le réseau Carel espère-t-il une solution de type nationale qui permettrait de réduire les coûts collectifs, à l'image des bibliothèques de l'Ohio qui, depuis 1992, disposent d'une licence nationale pour des contenus chargés et pérennes, archivés collectivement, acquis par une centrale d'achat, gérés dans un catalogue collectif : une organisation qui a multiplié par quatre leur pouvoir d'achat.

Sources :

Les pratiques de lecture

Une élite de lecteurs

Les pratiques de lecture sont déterminées par des clivages idéologiques très forts, du moins parmi les lecteurs les plus avertis qui font l'objet de la dernière étude du Motif. Les défenseurs d'un modèle français (prix unique du livre numérique, préservation des libraires) s'opposent à ceux qui sont prêts à accepter la domination des grands opérateurs. Les défenseurs du libre et gratuit, forment un troisième front.

Les pratiques d'achats et de lecture semblent aussi être liées au type de terminal choisi par les lecteurs.
Dans une étude, Michael Tamblyn, responsable des ventes chez Kobo Reader, distingue quatre types de lecteurs. Le lecteur de liseuses, qui représente 11% des français contre 17 % équipés de tablettes (étude Audipresse et Deloitte, 2013), dépense beaucoup et revient en moyenne 7 fois par mois dans sa boutique pour y dépenser 20 à 25 $ à chaque visite.

Il s'agit là de la même élite de “grands lecteurs”, bien équipés et bien renseignés qui a fait l'objet de l'étude du Motif : 43 % d'entre eux savent convertir les fichiers ou supprimer les DRM. Ils s'orientent majoritairement vers de grands opérateurs, mais savent aussi trouver les plateformes pure-players ou l'offre gratuite légale ou illégale (28%). Pour 36 % des répondants, cette dernière catégorie d'ouvrages compose entre 70 % et 90 % de leur bibliothèque. Les fonctions d'annotation et de personnalisation du texte sont peu utilisées. Malgré leur expertise, ces lecteurs ne trouvent pas toujours les informations souhaitées ou même les livres cherchés, ne parviennent pas tous à télécharger et à transférer les fichiers, peinent à mettre le texte en forme et se perdent dans les problèmes d'incompatibilités entre les terminaux. Pour attirer une clientèle plus vaste, il apparaît urgent de simplifier les procédures d'accès, d'archivage et de personnalisation.

En effet, sur la boutique Kobo, les lecteurs smartphones sont majoritaires, mais il dépensent moins (15 $) et reviennent 7 fois moins dans leur boutique que les adeptes de liseuses. Ils consomment beaucoup plus de titres gratuits. Les adeptes de l'iPad dépensent quant à eux en moyenne 16 $ par commande et font 4,5 commandes par mois. Enfin, les inconditionnels du gratuit possèdent souvent plusieurs terminaux et consomment exclusivement ou très majoritairement des contenus libres ou gratuits.

Les lecteurs de demain...

Alors que les tablettes s'invitent à l'école, elles sont aussi en passe de devenir des jeux éducatifs pour les plus petits. Les parents s'inquiètent de voir leurs enfants devenir récalcitrants à la lecture. La tablette serait le moyen de retenir leur intérêt et leur attention en apprenant sur un mode ludique. Selon une enquête Ipsos/CGI, 84% des parents sont convaincus de l'impact des tablettes, des livres interactifs et des jeux ludo-éducatifs sur les modes d'apprentissage. Si l'on s'inquiète parfois des risques sanitaires provoqués par des usages non accompagnés (41%), une familiarité s'instaure entre l'objet et les lecteurs de demain. Ainsi, 71 % des enfants de moins de 12 ans utilisent cet instrument.

Les enfants de 9-10 ans passent en moyenne 71 minutes par jour sur Internet contre 164 minutes pour les 15-16 ans. Les enfants de milieu défavorisé passent plus de temps sur Internet que leurs camarades plus favorisés (135 minutes contre 110 minutes).
Contrairement aux idées reçues, les jeunes ne sont pas plus attirés par le livre numérique que par le papier. Les jeunes anglais ne le considéreraient pas comme un bien culturel attirant. Dans une étude du cabinet d'analyse Voxburner, 62 % des répondants assurent aimer mieux les livres imprimés et 92 % sont en désaccord avec le tarif de vente proposé. 55% d'entre eux disposeraient d'un lecteur ebook, alors que 85 % possèdent un smartphone.

Les jeunes de 18-24 ans sont aussi les plus grands lecteurs de BD électroniques (29%), mais cette pratique reste très minoritaire : seul 14 % des lecteurs de bandes dessinées âgés de 11 ans et plus déclarent en lire sur ce support (soit 4 % de la population). L'attachement au papier tient aussi au manque de valeur ajoutée de l'édition numérique qui pourrait ouvrir aux bulles et aux cases tout un champ de créativité interactive. La bande dessinée est le support le plus piraté : 20 à 25 % de titres piratés parmi l’offre légale globale. Toutefois, les nouveautés sont épargnées et les titres concernés – classiques franco-belges, mangas et comics à grand succès médiatique – n'ont généralement pas d'équivalent légal.

Comme chez les adultes, les pratiques des jeunes dépendent en grande partie du contexte de la lecture. Les compétences en terme de lecture documentaires ne sont pas toujours réinvesties en milieu scolaire, la lecture « sérieuse », étant associée au papier et à l'institution. Si la littérature classique est délaissée, l'usage du livre se diversifie et se dissocie de l'objet livre. La lecture devient un savoir et une culture : savoir maîtriser les différents types de lecture, savoir les combiner en fonction de l’objectif. Cette compétence apparaît socialement beaucoup plus discriminante que le simple déchiffrage d'antan.

Lire dans un environnement numérique : des enjeux cognitifs sous-jacents ?

L’avènement de l’ère numérique bouscule profondément l’écosystème du livre. Cette mutation interpelle de nombreux spécialistes (sociologues, cogniticiens, philosophes, anthropologues, essayistes,…) qui s’intéressent à l’évolution des contenus numériques et de leur réception : la lecture sur écran.

Ce qui est en jeu avec la généralisation des écrans, c’est la transformation de la lecture traditionnelle. Dans sa forme actuelle, issue de la Renaissance, la lecture « profonde », linéaire, réflexive, est remise en cause. Cette conception, est souvent assimilée à une pratique authentique par opposition à une lecture sur écran qui serait moins appliquée.

Dans un article resté célèbre, « Is Google making us stupid » (2008), repris et développé sous forme de livre en 2010, le cybercritique Nicolas Carr se désespère de ne plus pouvoir lire « en profondeur » : « Maintenant, ma concentration commence à se relâcher après deux ou trois pages. Je deviens impatient, perds le fil, commence à chercher autre chose à faire. Je me sens comme si j’étais sans cesse en train de ramener de force mon cerveau volage au texte. La lecture profonde qui me venait jadis tout naturellement est maintenant devenue un combat ». Constatant que ce phénomène s'accentue, Carr en vient à penser que le web demande un effort pour maintenir notre attention sur de longs textes. En mobilisant des données issues des sciences cognitives sur les capacités d’adaptation rapide du cerveau, l'auteur craint une perte généralisée de notre capacité à lire en profondeur. Le web serait donc un instrument d’abrutissement collectif.

Cette position polémique a mis en lumière certains travaux d’experts, mais elle a eu tendance à polariser le débat. La controverse s’est rapidement focalisée sur des aspects cognitifs qui opposent la lecture linéaire aux développements de nouveaux processus de lecture numérique induits par la prégnance de l’écran (ordinateurs, tablettes, smartphones). Aux critiques récurrentes qui associent écrans et culture du zapping, immédiateté, superficialité et papillonnement, s’opposent des vues plus nuancées. Ainsi Christian Vandendorpe, chercheur spécialisé en sémiotique cognitive, s’intéresse au développement d’une lecture sélective, dynamique, interactive et ergative (du grec ergon, le travail, orientée vers l’action, qui vise à modifier la structuration d’un texte ou laisser une trace de son activité à travers l’annotation par exemple).

Pour le cognitiviste Thierry Baccino, la lecture sur écran demande un surcroît de travail au cerveau et un fonctionnement différent. Les zones de l’encéphale qui contrôlent les prises de décisions et les raisonnements complexes sont bien plus sollicitées qu’avec la lecture papier. Plus nous serons habitués à l’écran, plus la lecture papier risque de nous donner, un peu comme le cinéma noir et blanc, une impression de régression, car « le lecteur écran est butineur et impatient ». Tout en considérant l’apport potentiellement intéressant d’hyperliens et d’hyper-médias, Baccino souligne le risque de surcharge cognitive et de perte de repères spatiaux, liés aux jeux de renvois propres aux contenus numériques.

La psychologue Claire Bélisle insiste quant à elle sur le temps particulier de la lecture ; l’usage de nouveaux outils numériques en modifierait le rythme : « Lire ce n’est plus aller du début à la fin, ce n’est plus lire l’intégralité d’un texte, d’un document, d’un livre. » Mais Christian Vandendorpe ne rappelle-t-il pas que Montaigne flânait déjà dans sa bibliothèque ? : « Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues » (Essais, III, 3)... et Jean-François Bianco que Diderot avait déjà « inventé le web » ?

Les études les plus récentes paraissent s'accorder sur l'idée que la lecture se diversifie : savantes, documentaires, récréatives, participatives, elles se modulent en fonction du contexte. Si le livre papier garde une aura symbolique, les supports à venir seront ainsi les plus polyvalents, offrant aussi bien un espace de déconnexion qu'une possibilité d'interagir, tout cela avec le confort du papier électronique.


Sources :

Un nouveau rôle pour le lecteur : autoédition, édition accompagnée, lecture sociale et impression à la demande.

L'autoédition

L'autoédition contribue à étendre l'offre d'ouvrages disponibles et connaît un essor important aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, où l’ebook est plus solidement installé. Elle représenterait 17% du CA du marché du livre aux États-Unis, contre 3% en France. Le succès international de Fifty Shades of Grey de E.L. James, a contribué à la mettre sur le devant de la scène. Amazon et Apple ont su capter ce mouvement en créant leur propre plateforme d'autoédition numérique.

Ce type de publication, qui court-circuite l’évaluation de l’éditeur, ne s’assimile néanmoins pas à l'édition à compte d'auteur traditionnelle : elle permet de toucher un public plus large, est moins coûteuse, et le texte peut bénéficier d’une promotion sur les réseaux sociaux. Les oeuvres risquent cependant d’être noyées dans la masse du web. L’autoédition ne libère pas non plus l'auteur de toutes contraintes : certaines librairies numériques comme la plateforme Kindle Direct Publishing d’Amazon exigent une exclusivité pendant une période donnée.

En revanche, les auteurs déjà connus peuvent en tirer de plus gros bénéfices quitte à concurrencer les maisons traditionnelles. Loin d’être menacées, celles-ci développent leurs propres structures d’autoédition et puisent volontiers dans ce « vivier d’auteurs » qui minimise leurs risques éditoriaux en format papier. Aux Etats-Unis, Penguin a racheté en 2012 le leader du secteur, Author solution. En France, Hachette n'envisagerait pas pour l'instant d'investir dans une plateforme d'autoédition ; il existe en revanche de nombreuses plateformes "pure player", dont le modèle économique repose sur la masse d'ouvrages publiés, l'automatisation des processus de mise en ligne des livres et l'achat presque systématique d'ouvrages par l'auteur et son entourage.

Edition accompagnée et lecture sociale

Le co-publishing ou édition accompagnée constitue une voie intermédiaire entre édition traditionnelle et autoédition. En France, Editis travaille sur un nouveau label dédié aux premiers romans, baptisé Chemin vert. Un concours permet aux participants de déposer leur roman sur une plateforme. La sélection des meilleurs textes se fait sur le principe collaboratif : les lecteurs évaluent les contributions, puis un jury composé de professionnels élit le manuscrit gagnant parmi les mieux notés. L’ouvrage sera ensuite distribué au format numérique via la plateforme Kobo By Fnac. Certains textes pourront également être imprimés à la demande, voire édités de manière traditionnelle.

Cette évolution s'inscrit dans le développement de la lecture sociale qui désigne l’évaluation et la création collaborative de contenus critiques. En France, Babelio propose à ses utilisateurs d'échanger des informations sur la composition de leur bibliothèque et d'attribuer des notes aux livres. Les adhérents sont mis en relation suivant leurs goûts littéraires. Le site s'appuie sur les chroniques littéraires d’une communauté de blogueurs.

Les possibilités d'échanges offertes par des applications de lecture sociale sur les tablettes, liseuses ou smartphones peuvent cependant être restreintes par les stratégies des producteurs, notamment si le livre utilisé n'a pas été acheté sur une plateforme donnée (par exemple sur Amazon pour le Kindle). En détenant une solution industrielle complète (boutique, support, livre, réseau social...), ces grands acteurs laissent peu de place aux structures plus modestes.

L'impression à la demande

L'impression à la demande permet d'étendre l'offre de lecture à des textes pointus, épuisés, ou à des ouvrages autoédités.[1].
Elle concerne avant tout des impressions numériques, à petits tirages. Son émergence a entraîné la constitution de partenariats. En 2009, Google s'est associé avec le fabriquant de l’ « Espresso Book Machine », une machine capable d'imprimer un livre en quelques minutes, pour offrir tous les titres de son catalogue tombés dans le domaine public.

La même année, Hachette et Lightening source, leader mondial de l'impression à la demande, ont créé Lightning Source France, une co-entreprise d'impression à la demande. Elle a signé en 2011 un accord non exclusif sur l’impression papier à la demande de livres numériques libres de droit présents sur Gallica. [2].

Certaines bibliothèques ont installé dans leurs locaux des Espresso Book Machine. 62 machines de ce type seraient utilisées dans le monde en 2013 , mais leur coût élevé limite encore leur développement.


Sources :

Conclusion

La démocratisation de l'accès à internet a profondément modifié notre rapport à la lecture. Si la lecture traditionnelle est délaissée par bon nombre de nos concitoyens, nous lisons tous davantage, mais autrement. Lire, c'est désormais savoir mobiliser différentes manières de lire en fonction des circonstances, mais aussi savoir trouver la lecture dont on a besoin, identifier ce besoin et maîtriser son outil de lecture : un panel de compétences qui ruine le mythe de l'accessibilité numérique.

Les industriels se sont adaptés aux nouvelles exigences du nomadisme intellectuel et l'avenir semble être aux supports de lecture hybrides et multifonctionnels. Pour retenir un lectorat volatile, il apparaît urgent de simplifier les procédures d'accès aux livres électroniques en élaborant une plateforme nationale unique. L’interopérabilité des formats, la mutualisation des métadonnées entre bibliothèques, librairies et éditeurs sont ainsi des enjeux majeurs pour la démocratisation de la lecture numérique.

Face à une offre éditoriale numérique confuse et rarement créative, les lecteurs paraissent camper dans une position attentiste : les ménages sont très largement équipés de terminaux, mais ils se tournent plutôt vers l'offre libre ou gratuite, en attendant une baisse significative des tarifs. Le papier donne toujours un confort de lecture apprécié, mais, avec le développement de l'autoédition et de l'impression à la demande, il pourrait aussi constituer « un terminal comme un autre ». L'internet favorise potentiellement la désintermédiation et le partage social, mais l'autoédition est un marché largement capté par les plus gros acteurs qui sont aussi ceux qui, avec des formats propriétaires et des systèmes clos, dressent des barbelés dans le champ de la culture. Si l'état cherche à ménager un place à tous les acteurs traditionnels de la chaîne du livre, il semble que les logiques marchandes ne favorisent pas toujours la diversité culturelle.

Références

  1. Enquête commandée par la plateforme Books on Demand en 2012.
  2. D'autres entreprises ont signé des accords avec la BNF allant dans le même sens.