Collection ALS/Mémoires/Tome 5/L. 1/Lereboullet écrevisses
Société des sciences naturelles de Strasbourg // Société des sciences de Nancy // Académie lorraine des sciences |
Description de deux nouvelles espèces d'écrevisses de nos rivières
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Sommaire
L'article en mode texte
[1]
Les écrevisses qu'on livre à la consommation et qu'on expédie en grande
quantité de Strasbourg à Paris, appartiennent toutes à l’espèce ordinaire, Astacus fluviatilis des auteurs. Mais, outre cette espèce, qui est sans contredit la plus
répandue et qu'on pêche en abondance dans tous nos cours d’eau, on apporte au
marché de Strasbourg deux autres sortes d'écrevisses que les pêcheurs, comme
les marchands désignent sous des dénominations particulières et regardent comme
des espèces distinctes. Moins savoureuses et moins délicates que les écrevisses
ordinaires, elles sont généralement de plus petite taille et employées pour les
soupes, les sauces et les ragoûts.
J'ai déjà signalé l'existence de ces deux formes particulières dans une Note sur les variétés rouge et bleue de l'écrevisse fluviatile, présentée à l'Académie des sciences dans la séance du 6 octobre 1851[1][NDLR 1]. L'une d'elles, dont je donne, dans cette note, les caractères les plus saillants, porte à Strasbourg le nom de Steinkrebs (écrevisse des pierres); l'autre, que je ne regardais alors que comme une simple variété, est désignée sous la dénomination de Dohlenkrebs (écrevisse des égouts, du mot allemand Dole, égout).
J'ai examiné, depuis lors, et aux diverses époques de l'année, un nombre
considérable d'individus appartenant à chacune de ces deux formes, et j'ai acquis
la certitude qu'elles constituent deux bonnes espèces et non de simples variétés.
On verra, par la description détaillée que je vais faire de chacune d'elles, que les
caractères distinctifs sont tirés non des couleurs, mais des formes extérieures ;
ces caractères sont constants, attendu que j'en ai constaté l'existence sur un nombre
[2]
suffisant d'individus; enfin j'ai signalé des différences dans la couleur des œufs,
dans l’époque de la ponte et dans celle de l'éclosion. Il résulte de toutes ces
circonstances un ensemble de traits caractéristiques qui ne peut, ce me semble,
laisser subsister le moindre doute sur la valeur de ces deux nouvelles espèces.
Première espèce, l'écrevisse longicorne
Diagnose (). — Antennes épaisses et très-longues, ayant, dans le mâle, la longueur
du corps, dépassant le thorax dans la femelle ; pinces robustes, épaisses, légèrement recourbées; rostre court, muni de trois épines équidistantes.
- Antennæ crassæ, longissimæ, in mare corporis longitudinem adæquantes, in femina thoracem superantes; pedes antici validi, valdè crassi, leviter incurvat ; rostrum abbreviatum , spinis tribus æqualiter distantibus instructum.
- Description.
- Cette écrevisse se reconnait facilement et au premier coup d'œil à la longueur de ses antennes, à la force de ses pinces et à ses couleurs toujours claires et marbrées. Le mâle différant beaucoup de la femelle, je décrirai successivement les deux sexes.
Mâle
1° Antennes externes.
Elles ont, dans le mâle, une longueur remarquable ; repliées en arrière elles atteignent et quelquefois dépassent même la nageoire caudale[2]. Elles sont aussi plus épaisses que dans les deux autres espèces, mais leur pointe est très effilée et se casse facilement; aussi est-il assez rare de trouver des individus qui aient les deux antennes parfaitement intactes.
Dans un mâle dont le corps avait 0,090 m. de longueur, depuis la pointe du rostre jusqu'à la queue, les antennes externes mesuraient 0,092 m..
L'article basilaire () de ces antennes, ou pédoncule antennaire (b, fig. 2, pl. III) est
plus long et plus fort que dans l'écrevisse fluviatile, car il dépasse de beaucoup le
rostre, comme on peut le voir dans les deux figures de notre planche I.
Il porte à sa base deux petites épines, comme dans l'espèce ordinaire; l'une,
inférieure, très-petite (pl. III, fig. 2 b et 1 b) se voit au-dessous de la base de
l’'appendice lamelleux, l’autre supérieure, existe en dehors de cette même base.
[3]
L'appendice lamelleux (a) atteint la base ou même le milieu du dernier article du pédoncule antennaire, il est terminé par une pointe très-aiguë et porte inférieurement une carène marquée de fines dentelures ; cette carène est au contraire lisse dans l’écrevisse fluviatile.
2° Antennes internes
Elles sont plus fortes, à proportion, que dans les autres espèces, mais ce qui les distingue, c’est que le bord inférieur de leur article basilaire ne porte aucune épine, tandis qu'il en existe une très prononcée, dans les deux autres espèces vers le tiers antérieur et inférieur du pédoncule antennaire.
3° Epistome
Sa portion antérieure (pl. III, fig. 2 d) est en forme de spatule arrondie en avant, à large base et légèrement creusée en cuiller; elle diffère beaucoup de la forme triangulaire allongée de cette mème partie de l'épistome, dans l'espèce commune (fig. 1 d).
4° Rostre
(Gg. 2 a, pl. ID.—I est élargi en arrière; ses bords assez relevés se rapprochent insensiblement l'un de l'autre, et se terminent en avant chacun par une dent.
La pointe de ce rostre est courte[3] ; elle atteint à peine la base du 2€ article du pédoncule des antennes externes, et elle forme avec les deux autres dents un trianglé à peu près équilatéral. Dans l’écrevisse ordinaire, au contraire, les bords du rostre sont parallèles et la pointe terminale est beaucoup plus longue (fig. 1 a).
Enfin la région moyenne du rostre, dans notre Longicorne, est munie d'une saillie longitudinale linéaire à peine sensible et manque tout à fait de la carène dorsale dentelée qui surmonte l'extrémité du rostre, dans l'espèce commune. (Com- parez les fig. 1 et ? et les fig. La et 24 de la pl. IL.)
5° Carapace
Elle est lisse, sans épines à la partie antérieure et latérale de la région branchiale, tandis qu'il existe dans cette même région des épines bien marquées dans les deux autres espèces (fig. 4, 2 et 3 delapl. I). °
6° Pattes
Les pinces sont très-fortes, plus grosses à proportion que dans les
autres espèces, ruqueuses, couvertes de gros tubercules lisses, de couleur foncée,
entre lesquels se trouvent quelques poils courts. Le doigt immobile est recourbé
vers le doigt mobile ex forme de serpette. Le bord interne des deux doigts est garni
de gros tubercules, lisses, de couleur jaunâtre, disposés en série (fig. 1 et2, pl. 1).
La base du doigt mobile porte un gros tubercule à sa région dorsale et à sa face
inférieure. Un autre tubercule se voit à la base de la pince, près de son articulation
[4]
avec la jambe. Ces tubercules sont moins développés dans l’écrevisse fluviatile et
n'existent pas dans notre pallipes.
Quant aux autres pattes, elles sont un peu plus fortes que dans l’écrevisse ordi-
naire. Des poils raides, assez nombreux et assez gros, se voient au tarse et autour
des petites pinces. :
7° Nageoire caudale
La lame médiane de cette nageoire porte aux angles latéraux de son premier article wne seule dent ou épine, tandis qu'il en existe deux dans l’écrevisse ordinaire. Les autres épines qui se voient aux angles des lames natatoires latérales, sont moins fortes que dans cette dernière, mais en nombre égal.
Femelle
Les caractères qui distinguent la femelle, outre l'absence des organes copulateurs et la plus grande largeur des segments abdominaux, consistent surtout dans la longueur des antennes externes. Celles-ci sont toujours plus courtes et plus grèles que celles du mâle. Repliées en arrière, elles atteignent tout au plus le 4° segment abdominal (généralement du moins), mais elles dépassent toujours le thorax, ce qui montre, que même chez la femelle, elles sont plus longues que dans l'écrevisse fluviatile. J'ai trouvé des femelles dont les antennes mesuraient 7 centimètres , le corps ayant 8 centimètres de longueur.
On peut encore signaler comme différence sexuelle la petitesse des épines du pédoncule, des antennes externes et des dentelures de la carène inférieure de l'ap- pendice lamelleux En général, chez les femelles, toutes les épines sont moins fortes et les appen- dices plus petits, à proportion, que dans les mâles.
Couleurs
La teinte générale est d’un vert sale, marbré et comme sablé de petites taches blanches ou grises. Assez souvent c’est la couleur grise qui prédomine ; le corps est alors marbré de verdâtre sur un fond gris. Rostre et partie moyenne de la région stomacale de couleur plus sombre, brunâtre. Côtés de la carapace très-pâles, unicolores, avec une teinte bleuâtre. Ordinairement, le bord postérieur de la carapace est teint d’un très beau bleu d'azur.
L'abdomen est marbré, comme le thorax; mais de plus, chaque anneau est
marqué d’une grosse tache brune, au milieu de la région tergale, d'où résulte une
bande longitudinale brune plus ou moins prononcée, sur la ligne médiane. De
chaque côté de cette bande brune se voit une série de taches blanchâtres, quelquefois peu apparentes et comme effacées. Les extrémités latérales des segments
[5]
sont toujours d’une couleur claire, blanchâtre. Très souvent le premier segment
abdominal a son bord antérieur coloré en bleu comme le bord postérieur de la carapace. Pinces, de couleur gris de fer plus ou moins foncé en dessus, pâles,
blanchâtres el uniformes en dessous. Une teinte bleue très-prononcée, quelquefois
verte, se voit autour de la base du doigt mobile, près de son articulation. Les
parties inférieures de la cuisse et de la jambe montrent aussi des endroits colorés
en bleu ou en vert. L’extrémité des doigts est orangée, ainsi que les tubercules
qui les garnissent en dedans.
Pattes, claires, blanchâtres, faiblement lavées de teintes bleuâtres. Antennes d'un brun clair, tirant sur le rouge, leur article basilaire mélangé de bleu.
Ces colorations diverses varient beaucoup suivant la prédominance de telle ou de telle teinte, mais ce qui est caractéristique pour cette espèce, c'est son aspect marbré; c'est aussi la seule qui offre dans diverses régions du corps de belles teintes bleues, remplacées quelquefois par du vert.
Séjour et mœurs.
L'écrevisse longicorne se tient surtout, au dire des pêcheurs, dans les eaux très courantes, à fond caillouteux. Celles qu'on apporte au marché de Strasbourg se prennent avec des paniers ou à la main, dans l'Ill et dans la Bruche. C’est surtout pendant les mois de septembre et d'octobre qu'on en voit au marché ; il paraît que la pêche en est alors plus facile que pendant le reste de l’année. À partir du mois de novembre et pendant tout l'hiver, on ne peut plus s'en procurer, soit à cause des grandes eaux, soit pour d’autres motifs que j'ignore, tandis que la seconde espèce, dont je vais bientôt parler, se pêche toute l’année en abondance.
L'écrevisse longicorne a une grande force dans ses pinces; elle est très vorace et attaque les écrevisses plus faibles, pour les dépecer; aussi les pêcheurs quand ils en conservent, sont-ils obligés de les renfermer dans des réservoirs particuliers.
La femelle pond de bonne heure. Dès la seconde moitié de septembre, on commence à apercevoir, sous l'abdomen, les taches blanches, laiteuses, auxquelles on
reconnaît la formation du dépôt granuleux qui précède toujours la sortie des œufs.
Huit ou quinze jours plus tard, on trouve entre les pattes postérieures un amas de
substance blanche, vermicellée, formée de tubes déliés, sortes de spermalophores
déposés par le mâle. La présence de cette matière entre les pattes de la femelle
annonee que l’accouplement a eu lieu et que la ponte est prochaine. En effet, au
commencement d'octobre, ou au plus tard dans les deux premières semaines de
ce mois, les femelles ont leurs œufs sous l'abdomen. Ces œufs sont d'un gris clair
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avec une légère teinte verdâtre; ils diffèrent donc sensiblement des œufs de l'écre-
visse fluviatile qui sont d’un brun rougeâtre foncé.
Les œufs éclosent au commencement de mai, c'est-à-dire un mois plus tôt que ceux de l'espèce commune.
Observations critiques.
Les détails dans lesquels je viens d'entrer sont, je pense, plus que suffisants pour faire admettre notre écrevisse longicorne comme une espèce parfaitement distincte de l'écrevisse fluviatile. J'ai fait toutes les recherches possibles dans les ouvrages que j'ai pu me procurer, pour savoir si peut-être, elle n'aurait pas déjà été dé- crite par quelque auteur.
Oken[4] dans l'histoire qu'il donne de l’écrevisse fluviatile*, en dit quelques mots en la désignant par son nom vulgaire de Steinkrebs, mais il ne la décrit pas comme espèce. « Ces écrevisses, dit Oken, qui vivent dans les ruisseaux à fond pierreux, «ne deviennent pas rouges par la cuisson, mais restent foncées et tachetées. » Cette dernière assertion est inexacte; j'ai fait cuire cette écrevisse et je l’ai vue devenir tout aussi rouge que l’espèce commune.
M. Herrich-Schæffer[5] décrit deux espèces particulières d’écrevisses qu'il appelle l'une Astacus saxatils, Koch ; l’autre A', tritis Koch.
Les descriptions de cet auteur ne sont pas assez précises pour qu’on puisse décider si ces espèces sont les mêmes que celles que je publie sous d'autres noms On pourrait croire cependant que son Ast. saxatils est le Steinkrebs des pêcheurs. En effet, M. Herrich-Schæffer mentionne la brièveté du rostre, la couleur vert- bleuâtre du premier anneau de l'abdomen, la teinte bleuâtre des pinces, la double rangée de taches grises de l'abdomen, etc. Mais il ne parle ni de la longueur si remarquable des antennes, ni de la force extraordinaire et de la forme particulière des pinces. La figure ne représente non plus ni l'une ni l’autre de ces particularités. Mais ce qui me fait surtout douter de l'identité des deux espèces, c'est que l'auteur dit que son A. saxatilis a une carène frontale distincte et constante, quoique basse et non dentelée, ce qui la distingue, ajoute-t-il, de l'A. torrentium, Schrenk, qui est privée de cette carène. Or, cette carène frontale manque aussi dans notre A. longicornis. Quant à l'A. torrentium , je n’ai pas l'ouvrage de Schrenk, et je n'ai pu en comparer la description à la mienne.
La seconde espèce décrite par M. H. Schæffer (A. tristis) ne me paraît différer essentiellement de la précédente que par ses couleurs généralement très-foncées.
[7]
L'auteur ne donne aucun caractère qu'on puisse, en réalité, considérer comme
spécifique; sa description repose presque exclusivement sur les couleurs; or, on
sait combien les caractères de cet ordre sont variables et incertaines.
Voici du reste, les diagnoses données par l’auteur que nous citons ; on pourra les comparer aux nôtres.
A. saxatilis, Koch. — À. cœsius, ferrugineo-tinclus, caudeæ serie duplici macularum flavescentium, spina frontali ciliisque caude lateralibus brevibus.
A. tristis, Koch. — À. nigro-fuseus, maculis albidis ad anqulos anticos testarum caude ; spina frontali brevi; ciliis lateralibus caudæ longis.
M. Milne-Edwards[6]. signale deux variétés de l’écrevisse ordinaire :
- « dans l’une, le rostre se rétrécit graduellement dès sa base et ses dents latérales sont situées près de son extrémité.» Ces deux caractères conviennent à nos deux espèces et surtout à notre longicorne. »
- «Dans l'autre variété, ajoute M. Milne-Edwards, les bords latéraux du rostre sont parallèles dans leur moitié postérieure et les dents latérales sont plus fortes et plus éloignées de son extrémité. » Cette variété ne me paraît devoir se rattacher à aucune de nos deux espèces, car dans l’une et dans l’autre les bords du rostre sont plus écartés en arrière qu’en avant.»
On voit, par ces remarques, que je ne puis moi-même décider la question de savoir si l’écrevisse que je propose d'appeler longicorne, est réellement nouvelle. Mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'aucun auteur ne l’a décrite avec des caractères de diagnose suffisants et c'est sous ce rapport surtout que je la présente aux naturalistes comme espèce particulière et distincte de notre écrevisse fluviatile.
Deuxième espèce, l'écrevisse pallipède
- Diagnose.
- Rostre court, muni de trois épines à peu près équidistantes, pinces rugueuses, velues, blanchâtres en dessous; doigts larges, épais; appendice lamelleux de l'antenne externe muni d'une courte épine ; bord interne de cet appendice arrondi, cultriforme; trois à cinq épines en avant de la région branchiale de la carapace. Face inférieure des pinces pâle, blanchâtre.
- Rostrum breve, spinis tribus penè æquidistantibus instructum ; pedes antici rugosi, villosi, infra pallidi; digité lati, crassi; appendix lamellaris antenne spinà
[8]brevi instructus; hujus appendicis margo internus rotundatus, cultriformis;: tres ad quinque spinæ tn regione branchiali anticä. Pedes antici infra pallidi.
Description.
Cette espèce se reconnaît moins facilement que la précédente, parce qu’elle se rapproche davantage de l’écrevisse fluviatile. Cependant la couleur blanchâtre de la face inférieure des pinces, qui la distingue de cette dernière, la couleur uniforme du corps, la brièveté du rostre et l'épaisseur des doigts de la pince la font encore reconnaître avec assez de facilité.
1° Antennes externes
Elles ont les dimensions ordinaires des antennes de l'espèce commune. Repliées en arrière, elles atteignent, dans le mâle, le milieu du 3e segment abdominal; leur épaisseur n’a rien de remarquable. Leur article basi- laire est moins développé que dans l’écrevisse longicorne; la pointe de la lamelle antennaire atteint, en effet, le niveau du bord antérieur de cet article basilaire, (, fig. 34, pl. II.) La lamelle antennaire a son bord interne plus arrondi que dans les deux autres espèces et elle porte à son angle externe et inférieur une épine qui n'existe pas dans celles - ci (fig. 3 4, a). La carène de cette: lamelle est lisse, sans trace de dentelures.
2° Antennes internes
Elles sont munies d’une épine à leur article basilaire, comme dans l’écrevisse fluviatile.
3° Epistome
Sa partie antérieure (a fig. 34. pl. IL.) est rétrécie et comprimée latéralement en une lamelle qui pénètre entre la base des antennes internes. Cette extrémité antérieure offre à sa base deux petits lobes ou oreillons qui n'existent pas dans les deux autres espèces.
4° Rostre
(pl. I, fig. 3 a.). — II est élargi à sa base et se rétrécit peu à peu, comme dans l’écrevisse longicorne. Cependant ses bords sont moins élevés et les trois épines qui le terminent ne sont pas tout à fait équidistantes, parce que la pointe terminale est un peu plus longue; cette pointe du rostre porte un rudiment de carène non dentelée, garnie de quelques poils.
5° Carapace
(pl. UT, fig. 3 et 3 4.). — Elle porte, de chaque côté, 3 à 5 épines disposées sur le bord du sillon qui sépare les régions branchiale et stomacale.
6° Pattes
Les pinces (fig. 3 c.) de grosseur médiocre, sont rugueuses, velues, couvertes de tubercules très-rapprochés les uns des autres, et desquels se détachent de petites touffes de poils. Ces tubercules, moins gros que dans l’écrevisse longirostre, sont beaucoup plus serrés, principalement sur les doigts.
Les doigts sont proportionnellement plus épais, surtout le doigt mobile qui est presque aussi large à sa terminaison qu'à son origine. Le bord interne des deux doigts est garni de gros tubercules jaunâtres, comme dans l'écrevisse longicorne. Les autres pattes n’ont rien de particulier.
7° Nageoire caudale
Elle est conformée comme dans l'espèce ordinaire; les épines qui garnissent ses lobes sont les mêmes. . La femelle ne diffère pas sensiblement du mâle, si ce n’est par des dimensions plus petites, par une plus grande largeur des segments abdominaux, et par l’ab- sence des pièces cornées qui servent au rapprochement sexuel.
Couleurs
La plupart des individus qui appartiennent à cette espèce ont une couleur uniforme olivâtre tirant sur le brun. Pinces brunes, blanchâtres en dessous. Abdomen marqué sur le dos de deux séries longitudinales de taches brunes interrompues, qui s’effacent peu à peu en arrière. Bord antérieur des extrémités latérales des segments abdominaux de couleur blanc-grisätre, comme le dessous des pinces. Toutes les parties inférieures du corps sont pâles.
On trouve assez communément des individus qui ont une çouleur brun-clair ou fauve uniforme. Chez ces derniers, la double rangée des taches brunes de l’abdomen ressortent davantage sur le fond clair.
On pourrait désigner cette variété sous le nom de fauve: Astacus pallipes, var. flavus.
Séjour et mœurs
Cette espèce habite de préférence les eaux moins courantes et à fond vaseux. On la trouve en abondance dans les nombreux canaux qui entourent Strasbourg et dans les fossés des fortifications. Elle se tient habituellement dans des trous, le long des berges. Cependant on la prend dans des paniers, à l’aide d’appâts, comme les deux autres espèces. Elle ne paraît pas susceptible d'atteindre une forte taille ; du moins les écrevisses de cette espèce qu'on apporte au marché, sont-elles tou- Jours assez petites ; quelques mâles seulement ont une taille un peu forte, mais toujours inférieure à celle de l'écrevisse fluviatile.
Cette espèce est peu savoureuse, on l'emploie exclusivement pour les soupes,
les sauces, etc. Un fait assez singulier, c'est que ses branchies sont constamment
couvertes de branchiobdelles; sur plusieurs centaines d'individus qui m'ont passé
par les mains, je n’en ai pas rencontré un seul qui n'ait pas ces parasites. Ceux-ci
existent aussi, mais d'une manière moins constante et en moins grande quantité,
[10]
sur les branchies de l’écrevisse longicorne.. Dès que l'animal est mort, les bran-
chiobdelles abandonnent leur séjour habituel et se promènent sur les diverses
parties du corps de l’écrevisse.
Les œufs de l’écrevisse pallipède sont d’une couleur foncée, tantôt d’un gris de fer prèsque noirâtre, tantôt bruns. Ils se distinguent facilement par leurs couleurs des œufs toujours clairs de l'espèce précédente et des œufs à teintes rougeâtres de l'écrevisse fluviatile. Ces œufs sont pondus une ou deux semaines plus tard que ceux de l’écrevisse longicorne. C’est vers la fin d'octobre, ou au plus tard dans les premiers jours de novembre qu’on trouve les œufs sous l’abdomen. Ils éclosent au mois de mai quelques semaines avant l’éclosion de l’écrevisse fluviatile. Je dirai, en passant que cette dernière espèce pond aussi ses œufs beaucoup plus tôt qu’on ne le croit communément. C’est déjà dans la seconde moitié de novembre que cette opération a lieu ; elle est précédée comme dans les deux autres espèces, de l'apparition des taches blanches sous-abdominales dont j'ai parlé plus haut et dont j'ai indiqué la nature dans une communication faite à la Société d'histoire natu- relle de Strasbourg.
En résumé, l'écrevisse pallipède se rapproche par plusieurs caractères de l’écre- visse fluviatile, mais elle en diffère par des caractères de forme extérieure suffi- sants pour constituer une espèce, par ses couleurs générales, par la;pâleur con- stante de ses pinces, par l’époque de la ponte, la couleur des œufs et même par le séjour.
DES VARIÉTÉS BLEUE ET ROUGE DE L'ÉCREVISSE.
Les écrevisses bleues et les écrevisses rouges constituent des variétés de couleur qui appartiennent à deux espèces : l’écrevisse fluviatile et notre écrevisse pallipède. La variété bleue appartient à l'écrevisse fluviatile. Elle est d'un bleu d'azur uni- forme plus où moins prononcé, quelquefois incertain et comme sali, d’autres fois au contraire d’un bleu très-vif, surtout vers le bord postérieur de la carapace. Le dessus du corps est ponctué de petites taches foncées, qui sont les mêmes taches dispersées sur un fond vert, dans l’écrevisse fluviatile. La base des pattes et toutes les parties inférieures du corps sont blanchâtres ; le dessous des pinces a la même couleur, avec une teinte couleur de chair très-légère. Gette variété n’est pas rare, on la trouve assez souvent dans l’Ill avec l’écrevisse fluviatile, et elle atteint une assez forte taille. La variété rouge se rapporte à notre écrevisse pallipède. Elle est d'un magni- fique rouge vermillon, d’une grande vivacité. Les parties inférieures sont plus
pâles, mais ont encore cependant, une teinte rosée assez prononcée. Malgré la comparaison la plus minutieuse, je n'ai trouvé aucune différence de forme entre celte variété rouge et notre écrevisse pallipède. La couleur rouge se montre de très-bonne heure et même dès l'éclosion, au dire des pêcheurs. J'ai indiqué dans la note citée plus haut les causes de ces deux systèmes de coloration qui tiennent à l'absence des pigments rouge et vert dans l'écrevisse bleue et à l'absence des pigments bleu et vert dans la variété rouge. Cette dernière variété est devenue très-rare dans nos environs. On la prenait au- trefois dans un canal des fortifications de Strasbourg, mais ce canal ayant été mis à sec pendant quelque temps, les écrevisses ont péri; de sorte qu'aujourd'hui, c’est à peine si de temps à autre on en trouve une seule au marché. Le petit nombre d’écrevisses rouges que j'ai vues jusqu'à présent, étaient toutes de petite taille; elles ne dépassaient guère un décimètre; la coloration était la même dans les deux sexes. EXPLICATION DES PLANCHES, PLancue 1. — Elle représente le mäle et la femelle de l’écrevisse longicorne. PLancue IL — Écrevisse pallipède, mâle et femelle. PLancue II. — Elle représente les caractères extérieurs des deux espèces nouvelles comparés à ceux de l’écrevisse fluviatile. 1,2, 3, carapace des trois espèces vue de profil. la, 24,3 a, carapace vue d’en haut. 1b,2b, 3b, antennes externes; a, appendice lamelleux ; b, pédoncule antennaire: €, filet de l'antenne. 1e, 2e, 3e, pinces. 14,24, 34, épistome- # sa portion antérieure; b, sa base. Strasbourg, imprimerie de Ve Berger-Levrault
Notes de l'article
- ↑ Comptes rendus 4851, 2° semestre, t. 33, p. 376. D l
- ↑ On a imprimé en italiques les caractères qui sont particuliers à l'espèce et qui servent surtout à la distinguer.
- ↑ M.Milne-Edwards signale la brièveté du rostre comme caractère dans une variété qui est peut-être l'une des deux espèces que nous décrivons ici comme nouvelles. (Histoire naturelle des crustacés , t.2,p. 331.)
- ↑ Naturgeschichte ; Thierreich, 1, 2, p. 638.
- ↑ Deutschland’s Crustaceen, T° cahier, n°s 4 et 2.
- ↑ Histoire naturelle des crustacés, t. 2, p. 331
Notes de la rédaction
Planches
Planche I
Planche II
Planche III
Voir ausssi
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