Collection ALS/Série 7/Tome 3/N. 1/Condé Rémy

De Wicri Académies Grand Est

Paul Remy (1894-1962)


 
 

Titre : Paul Remy (1894-1962)
Auteur:Bruno Condé
In: Bulletin de l'Académie lorraine des sciences, Série 7, Tome 3, numéro 1 (1963)
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Paul Remy (1894-1962)

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Paul Remy[1]

(1894-1962)

par B. CONDE

La disparition brutale et prématurée du Professeur Paul Remy, mort à Makokou (Gabon), dans la nuit du 18 au 19 mars 1962, a été cruellement ressentie par les naturalistes du monde entier qui le tenaient en très haute estime, mais elle fut particulièrement douloureuse pour ses collègues et disciples de Nancy, sa ville d'adoption où il accomplit l'essentiel de son œuvre scientifique et de sa carrière universitaire. L'Académie et la Société Lorraines des Sciences, dont Paul Remy était membre, rend aujourd'hui l'hommage dû au savant éminent et à l'homme exemplaire qu'il fut au milieu de nous.

Paul A. Remy est né le 7 novembre 1894 au Magny-Maubert, hameau de Servance, en Franche-Comté, au pied des derniers contreforts des Vosges méridionales. Il fréquente l'école communale du Moisseaubeau où l'instituteur, M. CLAUDEL, reconnaissant en lui un élève exceptionnel, conseille à ses parents de lui faire poursuivre ses études au Lycée de Vesoul. Paul-Remy n'accepte cependant ce privilège que si son frère Marcel en bénéficie lui aussi ; il en fut ainsi et Remy n'oubliera jamais le Maître qui décida de son avenir.

Bachelier en 1913, Remy entre en Sorbonne pour préparer une licence de Sciences naturelles que la guerre ne lui laissera pas le temps d'achever. Appelé en 1914 dans un régiment d'artillerie, il fait partie du Corps expéditionnaire des Dardanelles, puis des Armées d'Orient et de Hongrie. Il combat dans des batteries de campagne pendant trois ans et demi, parcourant des régions dont l'intérêt zoologique ne lui échappe pas et qu'il se promet de venir explorer plus tard. Sa brillante conduite au front lui mérite la Croix de Guerre, la Médaille d'Or Serbe « pour la bravoure », ALS 1963 1.pdf[42] la Médaille des Dardanelles et la Médaille d'Orient ; son goût de la recherche s'exerce aussi dans ce nouveau métier et il propose une méthode de détermination du champ de tir en portée d'un canon qui sera adoptée et deviendra réglementaire. En même temps, Remy prépare l'examen du Certificat de Botanique en herborisant autour de ses positions de batterie ; l'herbier qu'il constitue alors est la première manifestation des talents de collecteur qui lui vaudront tant de découvertes de premier ordre.

Démobilisé en novembre 1919 , Remy se fixe à Nancy. Licencié en 1920 , il apprend qu'un poste de Préparateur de Zoologie est vacant à la Faculté des Sciences et se présente au Pr. Lucien Cuenot.

L'estime réciproque qui naît alors entre le Maître et l'élève ne se démentira jamais, en dépit de certaines apparences, et leur fructueuse collaboration se développera pendant près de quinze ans. Au laboratoire, Remy se lie avec notre collègue R. Lienhart, Chef des Travaux, qui s'intéressait alors à certains aspects faunistiques de la Lorraine. Excellent entomologiste, Lienhart attire l'attention de Remy sur des groupes encore négligés, les Orthoptères par exemple, dont la géonémie, particulièrement instructive, met en évidence des relictes glaciaires et des apports méridionaux.

Les premières recherches concernent la biologie des Argas reflexus Fabr., parasites de Pigeons voyageurs qui logeaient dans les combles du Laboratoire, installé à l'époque au dernier étage du bâtiment de l'Université sur la rue de la Ravinelle ; elles sont bientôt suivies (1922-1926) de travaux fort variés, les uns exposant les résultats de recherches expérimentales sur le mécanisme de certains processus biologiques (actes réflexes, métamorphoses, athrocytose et phagocytose), les autres traitant la faunistique régionale et la géonémie des groupes zoologiques les plus divers (Orthoptères, Gastropodes, Protozoaires, Mammifères, Arachnides, Crustacés, Sangsues, Oligochètes, Bryozoaires, Lamellibranches, etc.).

C'est toutefois l'étude de l'appareil respiratoire et de la respiration chez les Invertébrés, menée conjointement avec certains des travaux que nous venons de rappeler, qui est la matière d'une remarquable thèse de Doctorat ès-Sciences, soutenue le 9 juillet 1925 . Utilisant une méthode de coloration physiologique fondée sur les propriétés des leucodérivés (solution alcaline d'indigo blanc en particulier), Remy met en évidence sur le vivant, de façon irréfutable, les lieux d'hématose. Ceux-ci n'étaient, le plus souvent, que présumés chez les Invertébrés, les naturalistes s'étant fondés simplement sur des considérations anatomiques de vraisemblance ; Remy a souvent pu confirmer la valeur respiratoire que l'on attribuait à certains appareils, mais il a démontré aussi celle de certains organes passée jusque là inaperçue et, inversement, il a reconnu que ALS 1963 1.pdf[43] des régions avaient été considérées à tort comme des lieux d'hématose. Chemin faisant, il découvrait ou précisait quantité de structures ou de dispositifs anatomiques, tous admirablement représentés en des planches qui témoignent de rares dons d'observateur et de dessinateur.

Assistant de Zoologie et, à partir de 1926, chargé des Travaux pratiques de Zoologie agricole, nommé Sous-Directeur du Musée de Zoologie, Remy consacre à l'enseignement une grande part de son activité. Il y manifeste un talent pédagogique tout à fait exceptionnel,' alliant la précision et la clarté à une grande hauteur de vues, et reposant l'auditoire par des anecdotes qui sont dans la mémoire de tous ses élèves.

L'année 1926 marque aussi pour Remy le début des voyages zoologiques qui le conduiront des terres arctiques aux tropicales, souvent en solitaire, menant une vie rude, éclairée par les joies de la découverte dans lesquelles il oublie fatigue et dangers. Naturaliste du Pourquoi-Pas ? il visite les Faero, Jan Mayen, la côte orientale du Groenland, l'Islande et rapporte des documents zoologiques et ethnographiques dont beaucoup enrichissent les collections du Laboratoire et du Musée de Nancy.

A la même époque, l'attention de Remy est sollicitée par le domaine encore peu exploré des fissures du sol et des milieux connexes : humus, couverture morte des forêts, fentes profondes et cavernes. Une foule de très petits Arthropodes terrestres, encore incomplètement affranchis des variations hygrométriques du monde épigé, vivent depuis fort longtemps dans ces asiles, véritables conservatoires de faunes archaïques. Parmi les Myriapodes qu'il rencontre, les Symphyles et surtout les Pauropodes, les plus petits de tous, attirent Remy. Les difficultés de récolte et d'observation, à la limite de la résolution du microscope, ne le rebutent pas, bien au contraire. En quelques années, Remy deviendra le spécialiste mondial de ce groupe si difficile ; il y découvrira plusieurs types entièrement nouveaux et fera passer le nombre des espèces recensées de 60 à près de 500. L'exploration des grottes, commencée en Lorraine, se poursuivra dans les Balkans, le Jura, la Corse et l'Afrique du Nord ([2]).

En 1933 , Remy est nommé Maître de Conférences, puis Professeur sans Chaire à Strasbourg ; il se partage entre l'enseignement de la propédeutique, pour lequel il éprouvera toujours un attrait particulier et celui du certificat de Zoologie ; il collabore ainsi avec le Pr. P. DE BEAUCHAMP; dont l'extraordinaire érudition ALS 1963 1.pdf[44] zoologique le remplissait d'admiration, et laisse, de son bref passage, des traces profondes que le Doyen H. VIVIEN me rappelait tout récemment.

En novembre 1937 , P. Remy succède à L. Cuénot dans la Chaire de Zoologie générale de la Faculté des Sciences de Nancy, et à la direction du Musée. Les services qu'il dirigera pendant vingt-trois ans ont été installés, entre temps, dans le bâtiment neul et de conception moderne de la rue Sainte-Catherine.

Remy a su faire du Laboratoire et du Musée de Nancy l'un des centres internationaux de l'étude de la faune du sol et des grottes. Avec des moyens matériels très réduits, mais au prix d'un labeur incessant et d'une stricte discipline, ses travaux et ceux de ses élèves éveillèrent l'attention des chercheurs de tous les pays ; les grandes institutions scientifiques ne tardèrent pas à confier leurs matériaux les plus précieux ; le réseau des correspondants ne cessera de s'étendre, fournissant tous les types de comparaison indispensables à des recherches qui prennent en considération la faune mondiale.

Presque chaque année, Remy mettait à profit les vacances universitaires pour accomplir quelque mission lointaine : l'Afrique septentrionale en 1946 , 1950 , 1951 , 1953 et 1954 ; Madagascar, La Réunion et Maurice en 1947 et 1957 ; les États-Unis d'Amérique en 1955 , l'Inde et Ceylan en 1959 . Sa parfaite connaissance des biotopes sous toutes les latitudes lui permettait d'effectuer des récoltes d'une richesse et d'une variété incomparables, là où tant d'autres se contentaient d'un maigre butin. Certaines des collections ainsi réunies comptent parmi les plus importantes du monde, mais la somme des observations faites sur le terrain les dépasse encore en intérêt. Le naturaliste complet et l'observateur méticuleux qui étaient en lui trouvaient, loin des villes et singulièrement sous les tropiques, leur véritable raison d'être.

En 1960 , P. Remy nous quittait, non sans quelques regrets, pour occuper la Chaire d'Ecologie générale du Muséum national d'Histoire naturelle. Il emmenait avec lui, outre sa dévouée collaboratrice, Mlle Cl. AUTRECHAPAUT, plusieurs jeunes chercheurs nancéiens et dans le cadre du Petit-Château de Brunoy, dont le calme contraste agréablement avec l'agitation toujours croissante du Laboratoire de notre Faculté, Remy poursuit ses chères études avec une ardeur encore accrue. De nouveaux Pauropodes, Palpigrades et Tartarides virent le jour, malgré les soucis d'installation, d'aménagement et d'agrandissement du nouveau Service

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Remy n'oubliait pas pour autant Nancy, profitant d'une participation au Jury d'un ancien élève pour retrouver « son » Laboratoire et entretenant une correspondance très active avec ses proches collaborateurs d'hier. En septembre 1961, quelques-uns d'entre eux se retrouvaient avec lui en Autriche, à l'occasion du IIIe Congrès international de Spéléologie réuni à Vienne, et les récoltes faites là-bas ont été l'objet d'une communication présentée devant notre Société, le 8 mars 1962 , par le Pr. A. Veillet .Ce devait être, hélas, le dernier mémoire de Paul Remy ( [3] )

Le 1 6 février, P. Remy conduisait au Gabon une petite équipe chargée d'étudier la faune endogée de la grande forêt, dans le cadre de la Mission biologique du C.N.R.S. que dirige le Pr. Pierre-P. Grassé. Peu de jours avant le départ, il avait ressenti, sans y prendre garde, la première atteinte du mal qui devait l'emporter. Il y prêta d'autant moins attention que son esprit était alors occupé tout entier par les préparatifs d'un voyage dont il attendait beaucoup et auquel il lui aurait été très dur de renoncer. L'enthousiasme des premiers jours fut grand : à Makokou, base de la Mission, tout laissait espérer les plus grands succès ; dans des biotopes variés et d'accès facile, la faune abondait sous un climat presque tempérée et, trois semaines plus tard, on rallierait les crêtes de Belinga, au cœur même de la forêt

Le 25 février, quelques instants après avoir présenté les membres de la Mission au Président Léon MBA, en visite à Makokou. Paul Remy s'affaissait, victime d'un grave accident cardiaque. Transporté à l'hôpital de Libreville dans l'avion présidentiel, P. Remy y est traité une semaine, sans que la nature exacte du mal puisse être précisée, en l'absence d'électrocardiographe. De retour à Makokou par l'avion régulier, P . Remy tente de reprendre une vie active, malgré la fièvre qui persiste. Sa dernière sortie sur le terrain a lieu le 10 mars ; allongé à l'ombre d'un grand arbre, au bord de l'Ivindo, il explore sous la loupe frontale les branches mortes et les pierres que lui présente son aide gabonais. Nous découvrons là des Ricinules, ces étranges Arachnides que Remy désirait tant étudier vivants.

La dernière semaine fut marquée par de violents orages ; le 15 , une tornade arrachait le toit du laboratoire situé en face de la case d'habitation où reposait Remy. Le 16, Paul Remy rédigeait ALS 1963 1.pdf[46] un testament dans lequel le sort de son héritage scientifique est minutieusement réglé ; la moitié de sa précieuse bibliothèque de tirés-à-part y est offerte au Laboratoire de Nancy. Le 18 au soir, Paul Remy demandait qu'on le laissât seul ; le lendemain matin, il semblait dormir. Il était âgé de 67 ans.

Le service funèbre fut célébré par le R.P . A. Claer, Supérieur de la Mission catholique toute proche, qui avait assisté Remy avec dévouement tout au long de sa maladie. Une compagnie de gendarmes rendait les honneurs quand la dépouille mortelle fut placée à bord d'un avion mis à disposition par le gouvernement gabonais pour rejoindre Libreville. A Orly, le 24 mars, en présence d'une assistance recueillie, Paul Remy reçut l'hommage du Muséum national et de l'Université par la voix du Pr. R. H E I M et celle du Pr. P.-P. G R A S S E , entourés de nombreux collègues. Une dernière cérémonie réunissait à Servance, le 26 mars, d'autres amis, parmi lesquels des collègues de la Faculté des Sciences de Nancy, conduits par le Doyen M. ROUBAULT, et de la Faculté des Sciences de Dijon, groupés autour du Pr. J. R. D E N I S ([4])

Est-il besoin de rappeler devant vous, qui l'avez tous connu, les qualités humaines de Paul Remy qui égalaient au moins celles du chercheur. Sa simplicité souriante et sa modestie frappaient tous ceux qui l'ont approché. Il aimait d'ailleurs lier conversation avec les personnages les plus humbles, s'intéressant à leurs activités, à leurs difficultés matérielle ou morales. Son intégrité totale se révoltait en particulier devant les injustices sociales qu'il rencon- trait souvent au cours de ses voyages. Au-dessus de tout, il plaçait l'amour du travail bien fait, du devoir accompli jusqu'à ses dernières limites. L'exemple qu'il donnait à tous, dans sa vie familiale comme dans ses activités professionnelles, est de ceux que l'on n'oublie pas. Il était le chef que l'on respecte et que l'on aime librement, sans concession aucune, et auquel on accorde une confiance absolue parce que l'on sait qu'il ne pourra décevoir.

La discrétion de Paul Remy le poussait à redouter les honneurs et les manifestations publiques qui les accompagnent d'ordinaire, mais ses mérites si éminents et l'estime dont il jouissait partout lui valurent les plus hautes distinctions : lauréat de l'Institut (prix Millet-Ronssin) en 1937, pour l'ensemble de son œuvre ALS 1963 1.pdf[47] zoologique, Officier de l'Instruction publique en 1938, Membre honoraire de l'Académie malgache en 1947, Officier de la Légion d'Honneur en 1952, Membre honoraire de l'Institut Grand-Ducal de Luxembourg en 1955, Président de la Société zoologique de France pour 1957, Associé correspondant de l'Académie de Stanislas en 1958, Membre honoraire de la Société entomologique de France en 1960.

Par sa vie exemplaire comme par son œuvre scientifique, P. Remy fut le modèle de l'Homme de Science, désintéressé et généreux, se sacrifiant jusqu'aux dernières limites de ses forces à l'idéal qu'il s'était tracé. Sa fin fut de celles qu'il souhaitait, en pleine activité, sur les lieux mêmes de ses ultimes travaux. Par le monde, des disciples et des collègues de P . Remy poursuivent son œuvre, et les recherches qu'il a inspirées témoignent de l'influence qu'il exerçait en France comme à l'étranger. Le souvenir de Paul Remy est désormais lié à une étape de la Zoologie et nul ne saurait l'oublier.

Références de l'article

  1. Notice nécrologique présentée lors de la séance du 8 novembre 1962
  2. Voir Paul A . Remy (1894-1962). L'œuvre spéléologique, Spelunca, 2, 1962, pp. 5-7.
  3. Synopsis des Pauropodes d'Autriche, additions à cette faune. Bull. Soc. Lorr. Se, 2 (1962), p. 4 2 - 5
  4. Les textes des allocutions prononcées à Orly et à Servance ont été réunis dans une plaquette mémorial éditée par les soins de M. le Professeur CHRÉTIEN, de la Sorbonne, et de M. BRESSON, avec l'aide du Muséum national d'Histoire naturelle

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