Le Siège et la bataille de Nancy (1860) Lacombe, 1

De Wicri Nancy
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Le
Siège et la Bataille
de Nancy

I
Considérations sur la bataille de Nancy

'
  I   : Considérations sur la bataille...
II  : Causes de la guerre ...
III : De l'art militaire ...
IV : Topographie de le ville de Nancy ...
V   : Composition de l'armée de Charles le Téméraire ...
VI  : Opérations du siège ...
VII  : Situation critique de Nancy ...
VIII : Arrivée de René devant Nancy ...
IX  : Description du terrain ...
X  : La Bataille et la Poursuite, ...
XI  : Ce qui suivit la bataille...
XII : Conséquences des événements ...
Annexes

Cette page est une réédition numérique du premier chapitre de l'ouvrage du Colonel Ferdinand de Lacombe.

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Iconographie introductive

Note : cette iconographie ne fait pas partie de l'ouvrage original.

Les protagonistes

René II de Lorraine
Charles le Téméraire
Louis XI

Texte original


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LE SIÉGE ET LA BATAILLE DE NANCY

(1476-1477).

ÉPISODES DE L'HISTOIRE DE LORRAINE.

« Une reconnaissance, un combat singulier terminent moins heureusement un poème que cette grande bataille de Nancy, qui devait changer les destinées de l'Europe entière en préparant la grandeur de la maison d'Autriche et l'établissement de la monarchie absolue sur les ruines de la féodalité. »
(SCHUTZ, Examen philosophique de la Nancéide.)
« Or, Dieu voulut achever ce mystère, »

I.

Considérations sur la bataille de Nancy. — Charles le Téméraire. — René II, duc de Lorraine. — Louis XI.

Il est peu d'événements dans les annales du XVe siècle qui soient plus dignes d'inspirer les méditations du philosophe ou la plume de l'écrivain que cette sanglante bataille de Nancy, où succomba le dernier


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des ducs de Bourgogne, Charles le Téméraire. Une vaste puissance engloutie dans ce revers de fortune, l'antique et illustre maison de Lorraine, affermie dans sa gloire et sauvée de la ruine par un triomphe éclatant, le royaume de France contribuant à écraser les vestiges du pouvoir féodal dans l'adversaire le plus ambitieux, le plus arrogant, le plus redoutable pour sa future unité, et élargissant sa domination des sources de l'Yonne aux limites de la Franche-Comté ; l'empire d'Allemagne, héritant à son tour des riches débris de la maison de Bourgogne, et touchant de son sceptre aux océans du Nord, telles sont les principales déductions de l'histoire, telles sont les faits qui bouleversent la carte de l'Europe occidentale.

L'usurpation la plus flagrante en lutte contre les droits les plus respectables, la témérité la plus audacieuse se heurtant contre la fidélité d'un peuple épris de la jeunesse et des vertus de son prince, et qui protège de son glaive le foyer de ses pères, la raison aveuglée par une volonté opiniâtre, insensée, et par


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une confiance irréfléchie, l'inimitié des combattants, élevée au paroxysme de la fureur, le châtiment le plus terrible infligé à l'orgueil le plus inouï, la trahison épiant l'heure de l'infortune, voilà les enseignements que ce mémorable drame livre à l'admiration ou à la pitié du philosophe.

Si l'on considère le fait militaire en lui - même, il prête une large part à la critique et à l'observation. L'esprit se perd en conjectures devant l'inconcevable oubli que montra le duc de Bourgogne des principes les plus élémentaires de l'art de la guerre. Cette absence et ce mépris des règles accélérèrent sa défaite, et changèrent en une affreuse déroute la retraite de ses malheureux compagnons d'armes. D'une autre part, on constate l'impuissance d'une artillerie lourde et médiocrement dirigée à ses débuts; mais elle est décisive l'action de cette solide infanterie qui apparaît sur le champ de bataille à la façon des phalanges antiques, comme elles enflammée par le souffle généreux d'un esprit national, et triomphant des nobles prouesses d'une cavalerie dont la prépondérance


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expire. De tels détails sont d'un vif intérêt pour la science militaire.

Les princes qui prirent une part directe ou indirecte à la bataille, Charles le Téméraire, Réné II et Louis XI, roi de France, tiennent une place élevée parmi les plus grandes figures historiques de leur siècle. Le rôle qu'ils vont jouer appelle sur chacun d'eux une esquisse dont nous saisirons les traits les plus caractéristiques dans les peintures laissées à la postérité par leurs contemporains.

Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, issu des fleurs de lys, appartenait à la plus noble race du monde. Son bisaïeul, Philippe le Hardi, fils du roi Jean, avait fondé la troisième maison de Bourgogne dite de Valois, qui éclipsait par sa splendeur la maison royale de France, sa suzeraine, et la tenait en échec par sa puissance. Des mains de Philippe le Hardi, l'opulent héritage du fief de Bourgogne s'était transmis de père en fils à Jean sans Peur, à Philippe le Bon et enfin à Charles le Téméraire.

Ce prince, d'une taille moyenne, d'une carrure


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vigoureuse, avait puisé dans le sang de sa mère, Isabelle de Portugal, le teint bruni et la flamme du regard des hommes du Midi. Dur à la fatigue, toujours le premier debout et le dernier couché dans son camp, sobre, chaste comme un des sages de l'antiquité, admirateur passionné des grands hommes de Plutarque, vénérant surtout la mémoire d'Annibal, qu'il s'imposait comme modèle, guerroyeur par nature, entreprenant à l'excès et intrépide à la bataille, Charles possédait les qualités du soldat sans avoir celles d'un chef de guerre. La nature l'avait cependant doté avec largesse des dons brillants qui font l'ornement d'un trône ; mais ébloui par l'étonnante fortune de sa maison, par le faste de la cour paternelle, par les jouissances faciles d'un pouvoir absolu, la juste fierté de son haut rang n'avait pas tardé à dégénérer en un orgueil intolérable, sa valeur en folle témérité, sa loyauté en perfidie, son autorité en tyrannique et injurieux emportement. Sa volonté était devenue inflexible, et rien ne pouvait la tempérer, ni les leçons de la fortune adverse, ni les avis


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de ses plus sages capitaines. Les obstacles irritaient ses désirs au lieu de les faire plier, et quand un projet germait en son âme, il marchait vers l'exécution avec la foi la plus aveugle et la plus obstinée dans son propre destin. Si la jeunesse l'avait trouvé compatissant pour le malheur de ceux qui vivaient au-dessous de lui et ami de la justice, l'âge mûr le rendait indifférent pour le sort de ses soldats, peu inquiet des fatigues de sa noblesse et des lourds impôts qui pesaient sur ses peuples. Avec une main de fer, il était arrivé à une bonne discipline dans son armée, et il savait lui communiquer comme un souffle de sa hardiesse qui imposait au moins pusillanime. Ses ordonnances prouvent du savoir dans les détails de son métier de soldat et des connaissances tactiques perfectionnées ; néanmoins il montra peu d'habileté dans les conceptions du capitaine. Il avait su se créer avant le désastre de Granson l'artillerie la mieux fournie de la chrétienté. « Voici les clefs des villes de France, disait-il, aux ambassadeurs d'Angleterre en leur montrant ses canons. »


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Il ne bornait pas son ambition au domaine de ses pères. Maître de la Bourgogne, de la Franche-Comté, du comté de Ferrette, des duchés de Brabant de Limbourg et de Luxembourg, du comté Palatin, du comté de Flandre, de Namur, du Hainaut, de l'Artois, de la Hollande, du marquisat d'Anvers et de la seigneurie de Malines, il convoitait avidement la Lorraine, qui disjoignait ses États du Luxembourg au duché de Bourgogne, et dont la possession lui eût permis de marcher sur ses terres depuis Lyon jusqu'à la Hollande. Avec cet immense empire, il rêvait une couronne royale pour son front superbe ; mais cette satisfaction n'eût point encore rassasié les aspirations de son cœur, car il prétendait ensuite devenir maître des bords du Rhin, du comté de Ferrette aux rivages du Zuyderzée. Philippe de Commines, qui vécut à sa cour et traça son histoire, avoue que la moitié de l'Europe ne l'eût pas contenté, et que la vie d'un homme n'eût pas suffi à l'accomplissement de ses vastes desseins.

Le succès toutefois n'arrivait pas à la hauteur de


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la témérité ni du courage indomptable du duc de Bourgogne. Ni ses armes ni sa politique n'étaient heureuses, et après un règne de près de dix ans, après de plus longues années de guerres et de négociations dans lesquelles il avait apparu, soit comme comte de Charolais, soit comme duc de Bourgogne, il s'était épuisé en efforts stériles pour agrandir ses États. Dernier champion de la féodalité, ce rude jouteur avait en vain armé son bras contre le pouvoir du roi de France et avait fini par engloutir dans une lutte insensée contre les Suisses et les Allemands, ses fidèles alliés d'autrefois, ses trésors, ses armées et sa magnifique artillerie. C'est à la suite de ces désastres que nous devons le retrouver devant Nancy.

René II, duc de Lorraine, de la branche des Vaudémont, est représenté par les historiens comme l'un des princes les plus accomplis de son siècle. Descendant des rois de Jérusalem selon les uns ([13 1]), comptant, selon d'autres, Charlemagne parmi ses ancêtres ([13 2]), il venait de recueillir par suite'des alliances


  1. De Blarru.
  2. Henriquez, Histoire de Lorraine.

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de ses aïeux le double héritage des princes de Lorraine et des ducs d'Anjou, rois de Naples et de Sicile. Dans le sang des premiers, il avait puisé la générosité, le goût du beau et la magnificence, apanage de cette illustre famille. De son grand-père, René d'Anjou, il tenait la clémence, l'ardeur de la justice, et cette bonté proverbiale que la postérité reconnaissante a consacrée par un bronze immortel ([14 1]). Il abhorrait les traîtres, mais il savait discerner les bons serviteurs et se les attacher autant par les grâces de ses manières et l'affabilité de sa personne que par de larges récompenses ; car il se plaisait à donner à chacun de bonnes paroles, et se disait plus heureux que Titus qui perdait quelquefois sa journée. Sobre, religieux, ami des lettres et des arts, uni par des liens d'affection à Améric Vespuce qui lui dédia la relation de ses voyages, exempt des superstitions de son époque, il avait peu de goût pour le sang et condamnait rarement au dernier supplice ; mais ces douces qualités n'enlevaient rien aux nécessités[1]


  1. La statue du bon roi René à Angers.

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du champ de bataille qui le trouvaient toujours énergique et terrible devant l'ennemi.

Il possédait d'ailleurs les conceptions du génie guerrier, et son épée fut réputée, dans l'Occident, celle du plus grand capitaine de son époque. La nature ne l'avait pas moins favorisé quant aux qualités extérieures ; il avait le visage beau quoique empreint de la pâleur commune aux hommes du Nord, le corps bien formé, dispos et agile dans les exercices de la chevalerie.

Ses sujets lui vouaient une affection qui défia les coups de la fortune, et il faut ajouter à sa louange que si ce sentiment prenait naissance dans un culte légitime pour une maison d'un gouvernement paternel et glorieux, elle se consolidait de toutes les espérances que ce prince d'élite promettait à la Lorraine.

A vingt-deux ans, René II héritait du duché de Lorraine ; à vingt-quatre, il commençait les hostilités contre le duc de Bourgogne, et se voyait dépouillé par celui-ci de ses États. Ce fils des rois était alors réduit, pour recouvrer l'héritage paternel, à solliciter


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les services des Suisses ses alliés, à la tête desquels il avait fait des prodiges de valeur et contribué à détruire à Morat l'armée de Charles le Téméraire. Une si grande jeunesse , jointe à une infortune et à des vertus aussi précoces, fixait les regards et la sympathie des peuples et de ceux qui les gouvernaient.

Derrière le duc de Bourgogne et celui de Lorraine apparaît la figure astucieuse et dissimulée du Roi de France. Nul plus que Louis XI n'était intéressé à la chute de Charles le Téméraire, qui avait tenté de changer sa couronne de duc contre un sceptre royal, et qui ne cachait pas son dessein de léguer un royaume puissant aux enfants de sa fille, qu'il pretendait unir au prince le plus capable de défendre cet héritage. Il s'agissait donc pour le Roi soupçonneux et jaloux de son pouvoir d'empêcher l'érection de ce menaçant empire. Il s'agissait encore de porter un dernier coup à la grande féodalité personnifiée dans Charles, dont l'esprit hostile et fier était un ombrage perpétuel pour la sécurité du royaume.


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D'ailleurs la domination rivale du duché de Bourgogne, le souvenir de Montlhéry, de Beauvais et de Péronne, l'alliance de son feudataire avec les Anglais et le poids de lourdes trèves irritaient de plus en plus l'âme atrabilaire du Roi. Il eût bien déclaré la guerre au duc de Bourgogne ; cependant il la redoutait, non par manque de valeur, mais parce que la fortune inconstante pouvait trahir ses armes, tandis qu'il retirait toujours quelque profit des négociations. Au règne de la force, il substituait, dans une diplomatie subtile, le pouvoir de l'intelligence. Peu scrupuleux dans le choix des moyens, il s'avançait vers le but qu'il se proposait d'atteindre en saisissant avec adresse toutes les occasions de succès.


Iconographie complémentaire

Cette iconographie ne fait pas partie de l'ouvrage original

La statue du Roi René

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Le texte fait allusion à la statue du bon roi René à Angers.

Le château d'Angers et la statue
Cette statue a été érigée en 1853, soit quelques années avant la rédaction du texte ci-dessus.

Voir aussi

Notes de la rédaction
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