Le Château de la Malgrange (1852) Lallement/Chapitre II

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Le Château de la Malgrange
notice historique et descriptive,
par Louis Lallement

Chapitres : I - II - III - IV - V ; conclusion
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Le texte original

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Près d'un siècle après la bataille de Nancy, en 1563, la Malgrange devint propriété de la Maison ducale de Lorraine.

On comprend facilement que ce lieu agreste, agréablement situé sur un coteau peu élevé d'où l'on jouit de toutes parts d'une vue magnifique, ait plû par sa position. Environnée de belles plaines, de frais coteaux et de riants vallons,— la Malgrange offrait naturellement aux ducs de Lorraine un séjour commode pour jouir de la vie champêtre, — en même temps qu'elle touchait à leur capitale, à leur résidence souveraine (1).


(1) La Malgrange est à trois quarts de lieue sud de Nancy, ban de Jarville, entre Bon-Secours et le village de Heillecourt, dans la paroisse duquel était ce château.— Elle n'est qu'à un kilomètre de l'extrémité du faubourg Saint-Pierre, entre la route d'Epinal et celle deStrasbourg. — Bon-Secours ayant été érigé en paroisse en 1844, la Malgrange dépend aujourd'hui de la paroisse de Notre-Dame de Bon-Secours et de la commune de Jarvilie.

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C'est le grand duc Charles III qui en fit l'acquisition pour la Maison régnante. Le contrat de vente, daté du 15 juin 1563, constate que : « Tres illustre et excellent prince et seigneur Mgr Nicolas de Lorraine, Comte de Vaudemont, de Chailligny, baron et seigneur de Mercœur, Nomeny, etc. (1), et très illustre et excellente dame et princesse madame Jehanne de Savoye, Comtesse et dame desdits lieux, sa femme et espouse, déclarent vendre, - au prix de cinquante mil frans monnoye de Lorraine, - à Tres hault puissant excellent prince et seigneur Monseigneur CHARLES, par la grâce de Dieu, Duc de Calabre, Lorraine, Bar, Gueldres, etc., leur souverain seigneur, et à tres haulte puissante et excellente Dame et princesse Madame CLAUDE DE FRANCE par la mesme grâce, Duchesse et Dame desdits Duchez : LE PAVILLON ET MAISON NOEUFVE DE LA MALLEGRANGE LES NANCY, ensemble les gaignaiges, vielles maisons, et bastiements, granges, estables, bœufveries, bergeries, meix et jardins, circuyt et pourprix, les deux boys appartenants et deppendants de la dite Mallegrange, assavoir le hault boys descendant au bas du costé de Jareville, et l'aultre boys en montant hault du côté de Vendeuvre, avec toutes les terres labourables, preys, hayes et buyssons et généralement tous


(1) Nicolas de Lorraine, fils du bon duc Antoine et de Renée de Bourbon, et par conséquent frère du duc François Ier, avait d'abord été évêque de Verdun et de Metz ; puis était devenu comte de Vaudémont et de Chaligny, marquis de Nomeny, etc., et tige de la branche de Mercœur ; beau-père du roi de France Henri III. Il fut régent de Lorraine, avec Christine de Danemarck, pendant la minorité de Charles III: aussi Saint-Urbain l'a gravé dans son Médaillier de Lorraine, sur irne médaille dont le revers porte l'effigie de Christine de Danemarck.

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aultres héritaiges quelconques, appartenans et deppendans de ladite Mallegrange quelz ilz soient, et comment on les puisse dire, nommer et déclarer, etc. » Ce titre (1), comme on le voit, nous fait connaître l'état de la Malgrange et l'étendue de ses dépendances à cette époque.

Plusieurs mentions de divers comptes conservés aux Archives, attestent qu'après avoir acquis le domaine de la Malgrange, le duc Charles III s'occupa de son entretien et de son embellissement. Ainsi, les comptes du Cellerier de Nancy, pour 1564-65, renferment tout un chapitre relatif aux dépenses faites à la « neufve et vieille Mallegrainge (sic) », notamment pour des travaux faits à la fontaine, à la « haronniêre », etc. Une note des comptes du Receveur du domaine pour 1569, révèle l'existence à la Malgrange d'une tour dite Tour de l'Horloge. Dans les comptes du Receveur du domaine pour 1580, on trouve une somme de 16 fr. payée à « Didier Woirion, horologier de Monseigneur, pour avoir racoustré et mis en ordre et fait sonner l'horologe de la Malgrange. » D'autres mentions nous apprennent que, dès l'époque de Charles III, il y a voit un haras à la Malgrange.

Une mention des comptes du Domaine de Nancy pour 1596-97 porte : « 4 resaux de blé délivrés à Pierre Bordeau, ayde des toilles (de filets de chasse) de Son Altesse, pour les peines et despence qu'il a supportées à la conservation des nidz de hairons du bois de la Mallegrange, et faire abattre les nidz de corbeaux qui y estoient. »

En 1587, pendant les guerres civilès religieuses, durant la guerre dite des trois Henri, le duc Charles III vint se poster dans le bois près de la Malgrange pour observer le passage d'une armée de quarante mille Reîtres (cavaliers protestants


(1) Conservé aux Archives, layette Nancy 2, N° 62.

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d'Allemagne) qui furent battus plus loin par le duc Henri de Guise.

Dans la division du duché de Lorraine en 1594, d'après le président Alix, la Malgrange est indiquée comme Château et maison de plaisir, appartenant au Domaine, dépendant des bailliage, prévôté et châtellenie de Nancy.

Le mariage du fils aîné de Charles III avec une princesse protestante, en 4599, vint donner une destination au château de la Malgrange , qui changea de face pour servir de résidence à l'épouse de l'héritier présomptif de la couronne ducale. Henri, qui prit le titre de duc de Bar à l'occasion de ce mariage, épousa, le 29 janvier 1599, Catherine de Bourbon, fille d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre (mort en 1562) et de Jeanne d'Albret (morte en 1572), et sœur unique du roi de France Henri IV. Ce mariage, mal assorti par la différence d'âge, de caractère et surtout de religion (1), faillit brouiller la cour de Lorraine avec la cour de Rome , (le Saint-Siège était alors occupé par Clément VIII), — et déplut profondément aux Lorrains, dont l'orthodoxie, comme celle de leurs souverains, avait jusqu'alors été constante. Cette princesse, étant calviniste, inspira dans toute la Lorraine des inquiétudes extraordinaires. Comme elle ne pouvait, à cause des répugnances du peuple nancéien, qui était tout catholique, pratiquer le culte réformé dans la capitale du duché, ni recevoir à la cour de son beau-père les honneurs dûs à son rang, on fut obligé de la loger à la Malgrange, qui réunissait à tous les agréments d'un beau séjour l'avantage d'être située


(1) Henri avait 36 ans ; Catherine en avait 40, et avait failli, après le décès de Claude de France, arrivé en 1575, devenir la belle-mère de celui qu'elle épousait. Henri était un prince d'une rare piété et d'une parfaite orthodoxie ; Catherine était zélée huguenote.

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aux portes mêmes de la résidence ducale. Pour qu'elle y fût convenablement logée, Charles III et son fils Henri y firent bâtir, suivant la plupart de nos historiens, ou seulement beaucoup augmenter et embellir, d'après quelques écrivains (1), un beau castel que Callot a représenté pour servir de fond au portrait en pied de Deruet et de son fils, qu'il a gravé à Nancy en 1632 (2). C'est la plus ancienne vue qui existe de la Malgrange (3).

L'hérésie de Catherine n'empêcha pas que cette princesse ne fût reçue à Nancy avec une magnificence extraordinaire, puis conduite aussitôt au Château-Sans-Soucy ou Malgrange. — On s'était flatté, en Lorraine, de convertir Catherine de Bourbon, et d'obtenir plus aisément dispense lorsque le mariage aurait eu lieu. Il n'en fut rien. Catherine, qui était zélée huguenote, résista à tous les moyens de conversion employés par son beau-père, son beau-frère (Charles, cardinal de Lorraine), et son époux. Vainement des conférences religieuses eurent lieu, dès le 13 novembre 1599 et en 1600, à la Malgrange, entre le P. Comelet, docteur jésuite de l'Université


(1) Dom Calmel dit, dans sa Notice de Lorraine, à l'art. Malgrange : « que Henri de Bar y fit bâtir un château pour Catherine de Bourbon, son épouse » ; tandis qu'à l'art. Heillecourt il dit : « La maison de plaisance de la Malgrange a été beaucoup embellie et augmentée par le grand duc Charles III, pour loger Catherine de Bourbon, épouse du prince Henri de Lorraine, son fils. »


(2) « Dans ce portrait, dit le P. Hnsson, Cordelier (Eloge historique de Callot, page aS), le peintre Claude de Ruet est représenté en pourpoint et brodequins, avec son fils à sa droite ; dans le lointain, les fortifications de Nancy, la Malgrange et ses enclos..... »


(3) Lionnois dit, dans son Histoire de Nancy (tome II, p. 594), qu'Israël Sylvestre a laissé, entr'autres Vues de Nancy et des environs : Deux Vues de la Vieille-Malgrange. C'est une erreur : ces gravures n'existent pas ; personne ne les a jamais vues, et les premiers collectionneurs lorrains ne les connaissent pas.

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de Pont-à-Mousson, et le frère Esprit, capucin, d'une part ; et deux ministres calvinistes (Couet et de la Touche), d'autre part. Le Duc, le Cardinal de Lorraine, la princesse Catherine et plusieurs seigneurs, prirent part à ces conférences ; on prétend même que le P. Fourier de Mattaincourt intervint à ce sujet. Tout fut inutile. L'historien Mézeray dit de ces conférences : « Pour se bien remettre avec son mari, Catherine de Bourbon souffrit plusieurs fois des disputes de religion entre des docteurs catholiques et ses ministres ; mais sans aucun succès que celui que de pareilles Conférences ont accoutumé de produire, savoir : d'obscurcir la vérité (1). Elle avait même laissé espérer qu'elle se ferait instruire : néanmoins, elle persista opiniâtrement dans sa croyance jusqu'à sa mort. » Henri, désolé de cette inflexibilité d'une femme hérétique qu'il n'avait épousée qu'avec une répugnance extrême, entreprit le voyage de Rome incognito, en 1600, à l'occasion du Jubilé de la fin du siècle, pour aller demander absolution au Pape et dispense pour l'avenir ; mais il ne put être remis dans la communion des fidèles qu'en promettant de ne jamais retourner avec sa femme et de la répudier si elle ne se faisait catholique. Aussi Catherine demeura quelque temps seule au milieu de son mariage. Toutefois, elle persista constamment dans son hérésie. De la Malgrange, elle correspondait avec les chefs du parti protestant : elle écrivait au fameux Duplessis-Mornay, surnommé le pape des protestants, « qu'elle irait à la messe quand il la dirait. » Elle ne se borna pas à faire faire à la Malgrange les exercices du culte calviniste ; elle alla plus loin, elle y fit prêcher des ministres protestants. Ainsi c'est au château de la Malgrange que,


(1) Nous n'avons pas besoin de dire que nous sommes fort loin d'admettre comme règle générale l'opinion de Mézeray sur les résultats de la controverse.

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pour la première fois, sous un prince de la maison de Lorraine, la Réforme put élever une chaire en Lorraine.

La Cour de Nancy était toujours dans le plus grand embarras au sujet de ce malheureux mariage, lorsque la Malgrange reçut, à cette occasion même, la visite du roi de France Henri IV. Ce prince, qui ne possédait paisiblement le trône que depuis son abjuration, vint de Metz au château de la Malgrange, au mois de mars 1603, pour voir la Duchesse, sa sœur. Son but était peut-être d'engager celle-ci à suivre son exemple, en rentrant dans le sein de l'Eglise. Le roi de France voulait aussi, dit-on, dissuader le Duc de Bar, son beau-frère, de rompre son mariage. Mais, le 13 février 1604, Catherine mourut au château de la Malgrange. Son corps embaumé fut conduit de la Malgrange à Vendôme, où les calvinistes, ses co-religionnaires, lui firent des funérailles magnifiques. Ainsi, le corps de la seule Duchesse huguenote alliée à la famille ducale, ne reposa point dans le caveau de la catholique maison de Lorraine.

Ce qu'il y a de curieux, c'est que la dispense si vivement sollicitée avait enfin été accordée, dit-on, par le pape Clément VIII, au mois de décembre 1603 ; mais le courrier qui en apportait la nouvelle, n'arriva en Lorraine qu'après la mort de Catherine de Bourbon ! Deux ans après cette mort, Henri épousa Marguerite de Gonzague, nièce de la femme d'Henri IV.

Une note des Comptes du Trésorier générat de Lorraine pour 1604 (1), nous apprend que Charles III entretenait un haras à la Malgrange :


(1) Une mention des comptes du Trésorier général fait connaître qu'en 1609 des comédies furent jouées à la Malgrange par des comédiens français nommés La Fortune, Gillet, etc., pendant le séjour de Madame à ce château.