Collection Pays lorrain/1904/n. 21/Chanson de Saint Nicolas, Sadoul

De Wicri Nancy
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La chanson de Saint Nicolas


 
 

Titre
La chanson de Saint Nicolas
Auteur
Charles Sadoul
In
La Pays Lorrain.
Dates
  • création : 1904
  • mise en lecture 20 février 2020
En ligne

Avant propos

Cette page est une réédition numérique d'un article paru en 1904 et qui est disponible sur Gallica. Nous avons respecté le découpage en pages de l’œuvre originale. Pour chaque saut de page un lien vers Gallica permet de voir l'original.

Vous noterez la transcription (en LilyPond) d'une partition qui peut maintenant être écoutée.

Éléments introductifs

L'article fait allusion au fait que les proportions ne sont pas respectées dans l'iconographie des légendes de Saint Nicolas. Voici un exemple à propos du miracle à la nef.

Le miracle de la nef en péril évoquée dans l'article.

L'article

Les intertitres sont de la rédaction de Wicri/Nancy


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Le Pays Lorrain 1904 image 404.png

Tout le monde connait la vieille légende du bon saint Nicolas, ressuscitant trois innocents qu'un boucher sanguinaire et rapace avait mis méchamment à mort et placé dans son saloir où il les oublia.

Les images des légendes de Saint Nicolas

Toutes les images du patron populaire de la Lorraine le représentent en belle tenue d'évêque, ayant à ses côtés le tragique cuveau d'où se relèvent en joignant les mains les petits qu'il vient de tirer d'un éternel sommeil. C'est en raison de ce miracle, ajouté à d'autres, où il montra son amour de l'enfance, que saint Nicolas fut invoqué comme protecteur de la jeunesse et a conservé chez nous le privilège de récompenser les enfants de leur sagesse, laissant à un saint Fouettard, qu'on chercherait en. vain dans le catalogue des élus, des attributions de croquemitaine répugnant à sa bonté.

Cette légende des trois innocents n'est pas très ancienne. Siméon le Métaphraste et les hagiographes grecs et latins ne la racontent point, et on n'en trouve la première mention qu'au XIIe siècle. Il faut sans doute en chercher l'origine dans l'explication donnée par le peuple à des attributs dont on accompagnait en ces temps anciens les images de l'évêque de Myre et qui symbolisaient un épisode de sa vie. Un jour il sauva de la mort trois officiers de Constantin condamnés par la justice. Une autre fois, il fit miraculeusement arriver au port une nef en péril, ce qui lui valut de devenir patron des nautonniers et plus tard de nos anciennes corporations lorraines de woilous ou flotteurs. On dut pour cette raison le figurer avec une tour à ses côtés, du sommet de laquelle émergeaient les trois condamnés; ou bien bénissant un vaisseau qui portait des passagers implorant le ciel. Vers les XIe et XIIe siècles, les proportions dans l'art étaient peu observées.


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Tours et nefs aux côtés du saint furent représentées plus petites que lui et pas plus grandes que les personnages qu'elles contenaient. Réduites à ces proportions elles furent facilement prises pour un baquet ou cuveau, par des personnes peu renseignées sur la légende du thaumaturge.

Les légendes en poésie

Le peuple cherchant toujours à expliquer ce qu'il ne comprend pas, inventa l'histoire des trois petits enfants tués par le boucher, histoire qui en passant de bouches en bouches, s'amplifia peu à peu et s'embellit de détails nombreux. Le poète Wace, mort en 1185 la recueillit le premier dans un petit poème en vers octosyllabiques. Elle fut développée dans un court mystère 1atin, puis par saint Bonaventure, 'dans un sermon, et elle fut peinte sur de curieux vitraux qui subsistent encore à Bourges (1).

Quoiqu'il en soit. la. poésie populaire .dut s'emparer très vite de cette légende, peut être même Wace et les autres lui empruntèrent-ils ce thème. Des lèvres des grand'mères les petits enfants l'apprirent, et elle arriva jusqu'à nous formulée en une naïve complainte. En 1842, Gérard de Nerval en retrouva une version dans l'Ile de France et la publia dans un journal d'alors la Sylphide. Elle fut rééditée par lui dans les Filles de feu et la Bohême galante. Elle fit fortune plus tard quand le compositeur Gouzien, qui l'avait lue dans le Petit Journal, la publia sous le titre de Légende de saint Nicolas, avec une mélodie très éloignée de l'original et des couplets transformés. Les frères Lionnet la répandirent dans les salons d'où elle pénétra dans les campagnes, détrônant peut-être des versions traditionnelles plus naïves. Le texte de Gérard de Nerval fut reproduit par Tarbé, dans son Romancéro de Cbampagne ; par Rolland, dans son Recueil de chansons populaires ; par Berthoumieu, dans ses Fêtes et dévotions pupulaires, etc. Lors de la grande enquête de 1853-57 sur les chansons de France, Nozot retrouva une variante de la complainte dans la partie de la vallée de la Meuse, confinant à la Belgique. Elle a été transcrite au recueil de la Bibliothèque nationale, nos 3343-3348 du fonds français (tome VI et éditée par Vieyrac, dans ses Traditions, légendes et contes des Ardennes (2). Comme la plupart des chansons pieuses, la complalnte de saint Nicolas, servait de chanson de quête. Jusque vers 1730, les enfants de choeur de Braux, Monthermé, Fumay, Revin, etc., allaient de porte en porte, le jour de la saint Nicolas, chanter la gloire de leur patron (3).

M. Doncieux, qui en donne une version critique dans son Rormancéro, s'étonne que cette complainte n'ait été recueillie que deux fois à la source traditionnelle. H est encore plus surprenant que jusqu'ici elle n'ait pas été retrouvée en Lorraine,


(1) Ces légendes créées pour expliquer des symboles sont fréquentes. Saint Denis ayant été décapité, on le représenta tenant sa tête dans ses mains. Le peuple alors inventa l'histoire de saint Denis promenant sa tête après sa décollation. M. Doncieux trouve l'origine de notre légende de saint Nicolas dans le vaisseau le P. Cahier, Caractéristique des Saints, p. 304, Y voit une interprétation de la délivrance des trois prisonniers ; lligr Barbier de Nioiittult l'explique par une scène de bapteme. Voy. encore sur l'origine de la légende. Dom J. de l'Isle, Hisloirr de sairet .icu-lns, Nancy, Cusson, 1745. Le P. de Bralion, l'ie arlmiral~lc ~le saint 1\'i:ulas, Paris, Téchener, 1859. et Doncieux, Ronrnn~ro ~opuloire rle lu Frauce, Paris, Bouillon, 19°4, p. 3~6 et suivantes.
(2) Charleville, imprimerie du Petit .9rrl~·urrnis, 189°, p. 2H et 5~9.
(3) L'usage des chansons de quéte était fréquent chez nous aux Rois (voy. les n8. l, 2 et 3 du

l'a~~s lorrairt), le jour du Vendredi-Saint, au I`~ mai, etc. Nous ne savons si chez nous la cum- /~lainre de snirtt .icolns fut chantée aussi de porte en porte par des enfants carrraudnnt des pommes cra/ries ou des noix sèches pour leur peine. Le dernier couplet pourrait le faire croire. En tout cas

leur usage a du disparaitre depuis longtemps.


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où le culte de l'évêque de Lycie fut autrefois si répandu et si vivace. Quand il y a trois ans nous avons commencé à rechercher nos poésies populaires, nous pensions que la complainte de saint Nicolas serait une des premières retrouvée. Mais, à nos questions, on nous chantait presque toujours des bribes de la version arrangée de Gouzien. Il y a quelques mois, au moment où nous avions presque. abandonné l'espoir de découvrir une version populaire lorraine de notr com- plainte, elle nous fut chantée aux portes de Nancy, à Seichamps, en une forme qui nous a paru intéressante comme ayant un caractère plus naïf et plus archaïque que les versions connues. La voici transcrite sous la dictée de Mmes Mézier (1) et Mayaux, de Seichamps, avec sa mélodie notée fidèlement par M. Louis Thirion, professeur au Conservatoire de Nancy, dont on connaît la science musicale.

La chanson

Musique


\new Staff \with {
  midiInstrument = #"Flute"
  instrumentName = #"S "
  shortInstrumentName = #"S "
  } {
  \relative c' {  
   \time 2/4 \key c \major 
     \tempo 4 = 80
     \autoBeamOff
       r4 e8 e16 f16
       e8 d g a16 [b]
       c4 c8 d16 c
       a4 c8 b16 a
       g4 r8 g
       a8 c g16 g e a
       a4 (d,)    
       g8 g16 f e8 [d]
       a'8 b16 a g4
       a8 b16 c g8 g
       f8 g16 [ f ] e d e8 
  }  }
 \addlyrics { 
               Saint Ni -- co -- las a trois clé -- riaux,
              Sont tous les trois du même ar -- reau 
             Un jour ont de -- man -- dé con -- gé

            Pour al -- ler sur la mer jou -- er

           Saint Ni -- co -- las leur y - a don -- né.
            }

Paroles

Saint Nicolas a trois clériaux (2)
Sont tous les trois du même arreau (3)'
Un jour ont demandé congé
Pour aller sur la mer jouer
Saint Nicolas leur y a donné.

Ces trois clériaux ont cheminé
Tant que le soleil fut couché.
Ils ont entré chez un boucher
Boucher, donne-nous à souper,
Bouclier, voudrais-tu nous loger.

Ah 1 ce, répondit le boucher
Nous n'avons rien à vous donner.
Mais c'est sa femm' qui est derrièr' lui
cc Sont bien chaussés, sont bien vêtus,
Or logeons les pour cette nuit ».


(1) Mm. Méziers, âgée de 86 ans, tenait cette chanson de sa grand'mère.
(2) Cliriaux, clergal, clerjon ou clerguux a le sens de jeune clerc.
(3) Var, du méme baron. Arreau, l~irearr, pièce de terre, d'oü par extension contrée. Ce vieux

mot s'est conservé dans n~~rault, du patois poitevin, avec la signification de cour ou jardin eutour:rut

la maison.


Quand c'cst venu vers les minuit-
Que les enftnts fur'nt endormis
Le boucher prit son grand couteau
Les a découpés par morceaux
Les a salés dans un cuveau.

Saint N:colas a cheminé
Tant que le soleil a donné,
Il est entré chez le boucher
« Boucher donne moi z'a souper,
Boucher donne moi z'a coucher».

A ce, répondit le boucher,
Nous n'avons rien à vous donner.
Dunne moi de mes trois clériaux
Que t'as découpés par morceaux,
Que t'as salés dans un cuveau.

Quand le bouclier entend cela
Par le derrière il s'enfuya,
N't'enfuis pas, boucher, n't'enfuis pas
Deniatid' pardon à Dieu, l'auras,
,%fais pour ta femm' ne l'aura pas.

Saint Nicolas prit son cordeau ( i)
Trois coups il frappa-zau-cuveau
Eveillez-vous, enfants, éveillez-vous
N'avez-vous pas assez dormi.
N'avez-vous pas assez dormi ?

Ce dit Claudon j'ai bien dormi,
Ce dit Philippe et moi z'aussi,
Ce dit Jacquot (2), le plus petit
Je croyais être en Paradis,
Entre les bras de Jésus-Christ.

C'est la chanson d'saint Nicolas
Ce ou cell' qui la ~liantera
Quinze pardons il gagnera
Ceux ou cell' qui l'écouteront
Tout autant ils en gagneront.

Comme nous l'avons dit, la poésie populaire qu'on vient de lire, différant assez sensiblement des versions connues. parait se rapprocher plus qu'elles de la légende primitive. Elle a gardé une allure ancienne et I:aive que celles-ci n'ont pas. Des vieux mots, que ne comprcnaient plus nos chanteuses s'y sont conservés, et la forme même avec ses couplets de cinq syllabes est demeurée arcl.aïque. L'action s'y déduit simplement et logiquement sans s'embarrasser des détails oiseux et inutiles qui stircliaigeiit la version ardennaise. Comme dans Wace et (1) Probablement son étole.

(2) l'nr. Simun. 23*

Bonaventure, les héros sont des clercs et non plus des enfants quelconques « s'en allant glaner aux champs J comme chez eux, la résurrection suit presque illillié- diatement le meurtre, tandis qu'ailleurs une période inexplicable et fatidique de sept années sépare les deux événements.

M. Doncieux n'osait faire remonter au delà du 1~'IIe siècle, l'origine des ver- sions qu'il a connues. Celle de la nôtre, ce semble, pourrait être recherchée au siècle précédent, et cela nous permettrait d'attribuer à la courplaiute de saini Nicolas une origine lorraine que iN-1. Doncieux hésitait à lui assigner en l'absence de variantes recueillies chez nous. Il pensait la trouver en Champagne, contrée limitrophe de la Lorraine.

L'histoire du culte de saint Nicolas fortifie notre opinion. C'est des bords de la Vieurthe, que de la basilique de Simon Moycet fut porté jusqu'en Wallonie, en Champagne, en Bo"urgogne et dans les Ardennes, le renom des miracles du thaumaturge de Lycie. De pays très lointains venaient dans le Portois de nom- breux pèlerins, implorer des guérisons ou rendre des actions de grâce. Il était naturel qu'en cet endroit les louanges du saint fussent chantées, et que toute une littérature se créât pour le célébr er. Notre complainte sans doute, fit partie de ce cycle.

Le dernier couplet, avec ses promesses d'indulgences, en fait bien une chan- son destinée à de pieux pèlerins. Il est à présumer que ceux-ci l'apprirent des nombreux mendiants qui ne pouvaient manquer en un lieu si fréquenté, et qui essayaient d'attirer sur eux d'abondantes aumônes en faisant espérer (1 quinze pardons à ceux qui les écoutaient. Cette promesse d'indulgences ne dut pas peu contribuer à la diffusion de la conr~lainte.

Charles SADOUL.


Illustrations contenues dans l'article

Le Pays lorrain 1904 image 407.png
Le Pays lorrain 1904 image 408.png
Le Pays lorrain 1904 image 409.jpeg

Voir aussi