Critique de livre/2020/Münch/La Forteresse de Gurkor (Arthur Duvoid)

De Émérites Lorraine
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Auteurs : Arthur DUVOID, Julien DUVOID, Jacqueline TRINCAZ

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LES ÉMÉRITES AIMENT LIRE

   
Titre : La Forteresse de Gurkor (critique)
Auteur : Arthur Duvoid
Éditeur : L’Harmattan Jeunesse (2019)
Lecteur : Marc-Mathieu Münch
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La Forteresse de Gurkor


Arthur Duvoid

Avant-propos

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Cette critique a été écrite en 2020 pendant la période de confinement.

Voir l'ensemble des publications de cette série.

Rapport de lecture par Marc-Mathieu Münch

Les retraités de l’université de Lorraine, qui ont la chance d’avoir des petits enfants ou qui ont gardé la fraîcheur de leur âme juvénile, liront et feront lire avec émerveillement un roman du genre "heroic fantasy" pensé, conçu et écrit à six mains.

Notre collègue, Jacqueline TRINCAZ, professeure émérite en sociologie à l’université Paris-Est Créteil et anthropologue africaniste au début de sa carrière, avait l’habitude de se promener chaque semaine en forêt avec ses deux petits fils Arthur et Julien DUVOID et cela depuis leur jeune âge.

Au début, dans le cadre propice de la forêt mystérieuse, elle leur racontait des légendes, des contes et des mythes d’Afrique et du monde entier. Ils ont ensuite demandé des histoires plus modernes avec, par exemple, des extra-terrestres et des robots. Pour finir leur est venu le désir d’écrire eux-mêmes avec leur grand-mère une grande, une longue histoire merveilleuse.

Le bon rythme fut rapidement trouvé. A chaque promenade on imaginait en commun un nouvel épisode qui était ensuite noté le soir même. Le résultat est l’histoire extraordinaire de deux princesses jumelles de treize ans, choisies par le destin pour sauver les différents peuples du Nomane Sland dominé par le pire des dictateurs dont le nom seul m’a fait frémir comme un crachat remonté de l’enfer : Gurkor.

En effet, longtemps avant la naissance des jumelles, qui répondaient aux prénoms mélodieux de Floriane et de Kaïna, cet affreux Gurkor avait volé le sceptre de paix garantissant le bonheur édénique, éternel des peuples du Nomane Sland et leur avait imposé, ivre de pouvoir, la maladie, la mort, la mésentente, la guerre et l’esclavage.

Or comme le sceptre de paix avait été volé au peuple des Nymelphes qui en était alors le dépositaire et comme nos deux princesses humaines avaient une ancêtre nymelphe, c’est à elles que revint la mission de reprendre le sceptre et de libérer les peuples opprimés.

Tout le roman est construit sur cette donnée qui reprend le thème de la lutte du Bien contre le Mal. Le lecteur a donc le plaisir de se laisser entraîner par le suspense qui va aboutir, bien sûr, à la victoire finale sur Gurkor, mais à travers d’innombrables péripéties qui font qu’à chaque instant on prend peur pour les jeunes héroïnes. C’est un festival de surprises, de retournements, voire d’interventions magiques. Au dernier moment, quand la victoire sur Gurkor semble acquise, une ultime péripétie lui permet d’utiliser un passage secret creusé sous son trône, de se réfugier dans son "Repaire du Rapace", de profiter de la folie du pouvoir de ses lieutenants qui s’entretuent et s’arrachent mutuellement le sceptre passant ainsi de main de traître en main de traître… avant de trouver enfin les mains pures qui le font remonter jusqu'à nos deux princesses.

Le suspense de la lutte du Bien contre le Mal n’est pas le seul intérêt de La Forteresse de Gurkor. Il y règne, quoique discrètement, une atmosphère de protection surnaturelle. Nos deux jeunes princesses ne vont pas à la guerre avec les seules provisions de bouche qu’on a mises dans leurs sacs. Elles ont aussi un médaillon protecteur, un livre très ancien qui les renseigne sur le Nomane Sland et une pierre fée qui leur permet de retourner instantanément dans un lieu dont elles prononcent le nom. Elles tombent souvent, comme par hasard, sur la nourriture, l’élixir ou l’onguent dont elles ont justement besoin. Et elles rencontrent heureusement les guerriers qui vont combattre avec elles contre la terrible armée de Gurkor. A côtoyer ces éléments fantastiques et à ressentir l’émotion qu’ils provoquent en marge des éléments factuels du récit, on découvre combien le monde moderne manque de sacré et d’absolu. On comprend aussi les raisons du grand succès actuel de la "heroic fantasy".

Oui, nous manquons d’idéal car ce ne sont ni le consumérisme trompeur, ni la démesure technologique qui nous rassurent. Or cette démesure est présente dans La Forteresse de Gurkor. Elle l’est par exemple dans le rêve de Gurkor de faire fabriquer à partir des 152 humains capturés par ses soldats des hommes parfaits capables de séduire les belles Nymelphes éternellement jeunes. C’est qu’il cache au fond du cœur la cruelle déception, lui, le maître du Nomane Sland, de n’avoir pas su se faire aimer. Une autre démesure concerne évidemment les armes, les nouveaux métaux, les techniques de destruction et les formules chimiques d’une arme absolue que les lecteurs s’amuseront à découvrir.

En attirant plus haut l’attention sur le mouvement du sceptre passant de main de traître en main de traître puis remontant de main pure en main pure, j’ai fait allusion à l’un des nombreux choix formels réussis du roman. En fait, c’est toute l’intrigue qui est construite de main de maître. Comme les péripéties inventées sont très nombreuses et s’imbriquent de manière complexe, comme elles concernent la longue marche jusqu'à la forteresse, comme elles permettent la rencontre de peuplades et même d’espèces différentes sans compter les batailles, les prisonniers, l’esclavage et la vengeance, ce roman avait besoin d’une architecture lumineuse. Le lecteur spontané en profitera sans s’en rendre compte, mais celui qui s’intéresse à la forme des œuvres d’art en appréciera la virtuosité. Elle est faite de séquences successives et imbriquées construisant peu à peu tout un monde magiquement cohérent. On appréciera peut-être surtout l’art avec lequel les gros plans rares mais régulièrement focalisés sur les colères de Gurkor intensifient le dégoût qu’il provoque et renouvellent l’intérêt dramatique. On admirera de même la manière habile dont le foisonnement de l’histoire est régulièrement recentré autour de passages qui situent clairement l’enjeu de ce qui est en cours et de ce qui reste à accomplir.

Mais le coup de génie de ce roman se trouve peut-être dans les symboles. Les sciences humaines ont bien montré l’importance des symboles pour l’équilibre des sociétés. Les jeunes comme les adultes en trouveront dans ce roman. Je ne veux pas ici en révéler le grand nombre. Mais le plus génial concerne sans doute celui du papillon. Voici comment. Nos deux princesses, qui sont humaines par leur père, mais nymelphes par leur mère, la reine Ysa, portent sur l’épaule un dessin "couleur du ciel au soleil levant et semblable à des ailes de papillon". On le retrouve dans la prophétie annonçant les destin des jumelles. On le retrouve aussi dans l’énigme qu’elles doivent résoudre au début de leur parcours. Et puis… et puis… constitué physiquement de cinq pierres précieuses, il est non pas caché, non pas présent mais manquant à la base de la muraille protégeant la forteresse de Gurkor. Pourquoi manquant ? D'abord sans doute parce que la quête difficile de ces cinq morceaux dynamise l’intrigue et fait penser à d’autres quêtes célèbres, mais aussi parce que le moment où, enfin reconstitué, il sera replacé à la base de la muraille entraînera sa destruction, comme si le symbole du Bien, du Vrai et du Beau ne pouvait que détruire le le Mal.

En somme, sous le couvert d’une "heroic fantasy" à la mode parmi la jeunesse, ce roman à six mains nous peint le tableau moderne mais éternel de la diversité des caractères, du foisonnement des cultures et de l’unité de la condition humaine. L’art même y est présent puisque les Myrlithons sont des artistes dont les sculptures "semblent s’animer" !