La Complainte d'outremer

De Wicri Chanson de Roland
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Extrait de : Œuvres complètes de Rutebeuf, Texte établi par Achille Jubinal, Chez Édouard Pannier, 1839, 1 (p. 91-99).

Pour Jubinal ce poème a été composé entre 1264 et 1268.

Le texte

Transcription

Ce texte a été établi en 1839 par Achille Jubinal, chez Édouard Pannier.

La Complainte d’Outre-Mer,
ou
C’EST LA COMPLAINTE D’OUTRE-MEIR[1].

Mss. 7218, 7633, 7615.
Séparateur


Empereor et roi et conte,
Et duc et prince à cui l’en[2] conte
Romanz divers por vous[3] esbatre
De cels qui se seulent combatre
Çà en arriers por sainte Yglise,
Quar me dites par quel servise
Vous cuidiez avoir paradis.
Cil le gaaignièrent jadis
Dont vous oez ces romans lire,

Par la paine et par le martire
Que li cors souffrirent sor terre.
Vez ci le tems ; Diex vous vient querre,
Braz estenduz de son sanc tains,
Par qui li feus vous ert destains[4]
Et d’enfer et de purgatoire !
Recommenciez novele estoire :
Servez Dieu de fin cuer entier,
Quar Diex vous monstre le sentier
De son païs et de sa marche,
Que l’en, sanz raison, li sormarche[5].
Por ce si devriiez entendre
A revengier et à deffendre
La terre de promission
Qui est en tribulacion,
Et perdue, se Diex n’en pensse,
Se prochainement n’a deffensse.
Soviegne-vous de Dieu le Père
Qui por souffrir la mort amère
Envoia en terre son Fil ;
Or est la terre en grant péril
Là où il fu et mors et vis.
Je ne sai que plus vous devis :
Qui n’aidera en ceste empointe,
Qui ci fera le mésacointe,
Poi priserai tout l’autre afère,
Tant sache le papelart fère ;
Ainz dirai mès et jor et nuit :
« N’est pas tout or quanqu’il reluit. »

Ha ! rois de France, rois de France,
La loi, la foi et la créance
Va presque toute chancelant !
Que vous iroie plus celant ?
Secorez-la, c’or est mestiers ;
Et vous et li quens de Poitiers[6]
Et li autre baron ensamble :
N’atendez pas tant que vous emble
La mors l’âme, por Dieu seignor ;
Mès qui voudra avoir honor
En paradis, si le déserve,
Quar je n’i voi nule autre verve.
Jhésu-Criz dist en l’Évangile,
Qui n’est de trufe ne de guile :
« Ne doit pas paradis avoir
« Qui famé et enfanz et avoir
« Ne lest por l’amor de celui
« Qu’en la fin ert juges de lui. »

 

Assez de gent sont mult dolant
De ce que l’en trahi Rollant,
Et pleurent de fausse pitié,

Et voient à iex l’amistié
Que Diex nous fist qui nous cria,
Qui en la sainte croiz cria
Aus Juys qu’il moroit de soi[7] :
Ce n’ert pas por boivre à guersoi[8] ;

Ainz avoit soi de nous réembre.
Celui doit l’en douter et criembre,
Por tel seignor doit l’en plorer[9]
Qu’ainsinc se lessa devoier[10],
Qui se fist percier le costé
Por nous oster du mal osté :
Du costé issi sanc et ève[11]
Qui ses amis nétoie et lève.

Rois de France, qui avez mis
Et vostre avoir et voz amis
Et le cors por Dieu en prison[12],
Ci aura trop grant mesprison
S’à la sainte terre failliez.
Or covient que vous i ailliez
Ou vous i envoiez de gent,
Sanz espargnier or ne argent,
Dont li droiz Dieu soit calengiez[13].
Diex ne veut fère plus lons giez[14]
A ses amis, ne longue lenge[15] ;
Ainçois i veut metre calenge,
Et veut cels le voisent véoir
Qu’à sa destre voudront séoir.

</poem>

 
...

Notes de l'article

  1. J’ai fait imprimer cette pièce, ainsi que celle qui suit, avec une notice sur Rutebeuf (Paris, Téchener et Silvestre, 1834). Je disais dans la notice qui précède le texte roman que la date de La Complainte d’Outre-mer me semblait être environ de 1264 à 1268. Rutebeuf y parle en effet de secours demandés par Geoffroi de Sargines : or précisément à cette époque Bibars enlevait l’une après l’autre toutes leurs conquêtes aux chrétiens, dont les chefs ne cessaient de s’adresser aux princes d’occident afin d’obtenir qu’ils vinssent à leur aide. Ce qu’il y a de certain c’est que cette pièce ne peut être postérieure à 1269, puisque Rutebeuf y parle de Geoffroî de Sargines comme commandant encore en Terre-Sainte ; et que ce chevalier mourut le 21 avril de cette même année. (Voyez pour la date de sa mort la note J, à la fin du volume.)
  2. Ms. 7633. Var. Hom.
  3. Ms. 7633. Var. Eux.
  4. Ms. 7615. Var. Nos est estains.
  5. Ms. 7615. Var. Démarche.
  6. Il y a ici en note dans le Ms., de la main de Fauchet : « Saint Loys et son frère. » (Alphonse.)
  7. De soi pour de soif.
  8. A guersoi, à ivrognerie, par gourmandise. — Ce mot, qui est composé de 'guère et de soif me semble une raillerie philologique pour désigner l’action de boire beaucoup. C’est ce que prouve un petit poème intitulé De guersay, qu’on trouvera dans mon Recueil de contres et de fabliaux. On rencontre aussi cette expression guersoi dans Le roman du renart.
  9. Ms. 7615. Var. Orer.
  10. Ms. 7633, 7615. Var. Dévorer.
  11. Ms. 7633. Var. Eigue.
  12. Allusion à la captivité de saint Louis pendant la première croisade.
  13. Ms. 7615. Var. Espargniez. — Calengiez est pris ici dans le sens de défendu, protégé.
  14. Giez, liens, attache.
  15. Lenge, longe.

Fac-similés

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Manuscrit Regius 7218

Voir https://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc51085n

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Gallica btv1b55013464t-f616.jpg
Gallica btv1b55013464t-f615.jpg

Ouvrage de Jubunal

Gallica ark bpt6k6438649s F129.jpg

Voir aussi

Sources