HIS 2021 Casablanca/Atelier Wicri/Partie I vTD
Ceci est une proposition alternative de partie I pour l'article pour HIS 2021 Casablanca.
La Chanson de Roland : une expérimentation de bibliothèque hypertexte au service du patrimoine.
PARTIE I : Un projet autour de la Chanson de Roland
Le 15 aout 778, de retour d'Espagne, Charlemagne perd son arrière-garde, attaquée, à titre de représailles, par les troupes des seigneurs Basques dont il a attaqué les possessions. Lors de la bataille de Roncevaux, l'arrière-garde est écrasée, provoquant la mort de nombreux braves de l'entourage de Charlemagne, dont celle de Roland, préfet de la Marche de Bretagne. On peut imaginer - mais la tradition orale en a perdu la trace - que ce fait d'armes ait été l'objet de chansons de geste et d'épopées, qui ont circulé, au gré de l'errance des troubadours, de seigneurie en seigneurie. Quoi qu'il en soit, la légende de Roland (avec par exemple la traitrise de Ganelon, le son du cor, ou l'épée Durandal qui brise le rocher) refait surface et s'inscrit matériellement sur parchemin au XIIe siècle, les Basques ayant, pour des raisons probablement opportunistes, laissé la place dans le récit aux Sarrasins.
Un corpus riche et varié
De la Chanson de Roland et de ses transcriptions médiévales, on connait aujourd'hui sept versions, et trois fragments. La version considérée comme la plus ancienne et la plus proche d'un hypothétique "texte initial" est le manuscrit conservé à la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford (Digby, 23, f. 1r-72r). Communément daté du deuxième quart du XIIe siècle, ce manuscrit a suscité plusieurs dizaines d'éditions modernes, depuis le début du XIXe siècle, a été traduit dans de nombreuses langues, et été l'objet de plusieurs centaines d'études[1].
Une analyse même sommaire des versions manuscrites de la chanson de geste permet immédiatement de comprendre la situation. Là où le manuscrit d'Oxford compte 4002 vers répartis en 291 laisses, la version Venise 4 - datée du XIIIe siècle - en compte 6011, pour 419 laisses, la version de Châteauroux 8201 vers et 449 laisses, le manuscrit Venise 7 rassemble 8395 vers organisés en 445 laisses. Les manuscrits de Paris, Cambridge et Lyon, pour leur part, comptent respectivement 6828, 5695 et 2932 vers, répartis en 375, 354 et 216 laisses.
Une sérieuse diversité, donc, qui pose d'entrée de jeu la question de l'alignement des textes. Sans même parler des études, dont nous avons déjà signalé le grand nombre, on comprend aisément qu'avec la Chanson de Roland et ses éditions modernes, on dispose d'un corpus riche à la fois en volume et en complexité.
Mais la création artistique autour des exploits et de la mort du "neveu" de Charlemagne ne s'arrête pas à sa mise en vers ou à ses traductions : elle a également pris la forme de diverses mises en musique, avec là aussi de nombreuses productions au fil des siècles.
Une expérience pilote en 2014
La bibliothèque universitaire du Campus Lettres et sciences humaines de l'université de Lorraine à Nancy dispose d'un fonds Paul Meyer. Celui-ci, diplômé de l'École des Chartes, philologue et romaniste, spécialiste de littérature romane, a notamment travaillé à la Bibliothèque nationale. Élu au Collège de France en 1876, il prend la direction de l'École des Chartes en 1882. À sa mort, en 1917, il choisit de léguer sa bibliothèque à l'université de Strasbourg, mais, celle-ci étant soumise aux mouvements de frontières que l'Alsace et la Moselle connaissent depuis 1870, c'est la bibliothèque de l'université de Nancy qui est chargée de l'accueillir, par mesure de précaution. C'est ainsi qu'un fonds Paul Meyer, composé de 4222 titres de monographies et d'environ 7700 brochures, tirés-à-art et petites publications.
Dans ce fonds figurent plusieurs éditions de la Chanson de Roland, dont certaines sont annotées de la main de Paul Meyer. On peut supposer qu'il s'agissait là d'un travail préparatoire à la publication de sa propre édition de la Chanson de Roland - laquelle est survenue en XXXX.
En 2014, saisissant l'opportunité d'un stage,
...
(texte de départ)
L'expérience sur la Chanson de Roland est issue d'un concours de circonstances qui mérite d'être rapporté car il illustre la réactivité des approches étudiées dans ce projet. Voici donc les points de départ de cette aventure.
Le projet Wicri, cadre de dette expérimentation, s'est appuyé sur le phénolène Wikipédia où des milliers de volontaires trouvent du plaisir à construire un service de diffusion de connaissances. Cette approche a dons été utilisée pour monter un ensemble d'encyclopédies thématiques ou régionales, dédiées à la valorisation des recherches en cours. Des expérimentations, menées en sciences humaines. ont conduit à réaliser des rééditions numériques, par exemple en musique ou sur l'histoire de la Lorraine. Cette démarche a conduit à la notion de bibliothèque encyclopédique. Francisque Michel annoté par Paul Meyer
En 2011, suite à la réédition d'un ouvrage d'Henri Lepage édité en 1852 sur le Palais Ducal de Nancy, l'équipe Wicri a été sollicitée pour assister un stagiaire en philologie. Annotation type.jpg
En effet, la Bibliothèque universitaire de Lettres de Nancy (BUL) est dépositaire d'un fonds Paul Meyer dont l'un des ouvrage de référence est « La Chanson de Roland et le Roman de Roncevaux des XIIe et XIIIe siècles » écrit par Francisque Michel et annoté par Paul Meyer. En 2014, l'équipe Wicri a donc apporté un soutien logistique pour rééditer cet ouvrage en numérique avec une prise en compte des annotations manuscrites. D'Irish Mass à la Chanson de Roland
De façon totalement indépendante, sur un wiki dédié à la musique, en 2018, l'équipe Wicri a procédé à une mise en ligne des partitions d'une œuvre du compositeur Gilles Mathieu. Cette pièce, nommée Irish Mass (Messe irlandaise), avait fait l'objet d'une œuvre régionale pour les chorales de la fédération « A Cœur Joie Lorraine ». Cette action a été menée pour permettre aux choristes de trouver des outils d'apprentissage et surtout, pour les chanteurs ou auditeurs curieux, de découvrir le contexte culturel et musical de l’œuvre.
Or Gilles Mathieu a aussi réalisé une suite musicale sur la Chanson de Roland (qui avait été interprétée par la Chorale Universitaire de Nancy). Un stage déclencheur
En 2021, le projet Wicri a été sollicité pour accueillir des stages d’étudiants en L3 sciences cognitives. Un des candidats avait une bonne culture musicale. Une mission de stage a été définie pour étudier le rapprochement numérique de la réédition de Francisque Michel avec une transcription de la suite musicale de Gilles Mathieu.
Plus précisément, l'idée était de s'appuyer sur un manuscrit faisant référence, le manuscrit d'Oxford (facilement accessible sur Wikimedia Commons) comme ouvrage de médiation.
Le problème s'est révélé beaucoup plus complexe (et plus intéressant) qu'il n'avait été imaginé. En effet, Gilles Mathieu, s'est appuyé sur une autre transcription du manuscrit, réalisée par Paul Gautier. Le stage a révélé que Francisque Michel avait des profondes divergences d'interprétation avec Paul Meyer ou Léon Gautier. Par exemple, ces philologues ne sont pas d'accord sur la numérotation (et donc l'identification) des couplets du manuscrit.
A ce point, il est utilise de préciser que ce sujet a été abordé avec des acteurs qui n'avaient aucune connaissance du monde des chansons de geste. Nous avons cependant réalisé très rapidement l'ampleur le sujet et son intérêt. Il a donc été décidé de mener une étude de faisabilité d'un projet de grande ampleur autour des multiples sources et travaux sur la Chanson de Roland. Quelques repères sur la Chanson de Roland
Le 15 aout 778, de retour d'Espagne, Charlemagne perd son arrière garde, dont Roland, préfet de la Marche de Bretagne, dans la bataille de Roncevaux. Dans une floraison de chansons et d'épopées à la gloire de l'empereur nait la légende de Roland (avec par exemple la traitrise de Ganelon, le son du cor, ou l'épée Durandal qui brise le rocher). Cette épopée est transcrite en manuscrits, objets de multiples copies (et adaptations), dont l'une datée du XIIe siècle est conservé dans un bon état à la bibliothèque Bodléienne à Oxford.
Elle sera cependant oubliée pendant plusieurs siècles. La légende donnera lieu à d'autres poèmes épiques comme par exemple l'Orlando furioso de l'Arioste qui donnera lieu à de multiples compositions musicales ; mais avec un récit assez éloigné du poème initial.
En 1835, Francisque Michel identifie à Oxford le plus ancien manuscrit sur la Chanson de Roland. Il s'en suit une très vive activité de transcriptions et de traductions (en France Léon Gautier, Paul Meyer...), avec des confrontations avec d'autres manuscrits.
Cette activité se poursuit au poursuit au XXe siècle avec de nouvelles traductions (Joseph Bédier...), de multiples adaptations et des publications scientifiques. Sur Google Scolar la requête « Chanson de Roland » sélectionne 30.000 références. Manuscrits, transcriptions, traductions, investigations
L'organisation des manuscrits parait relativement simple. Un manuscrit est un ensemble de vers qui sont, d'une part, répartis sur un ensemble de feuillets recto verso, et d'autre part regroupés en couplets (laisses). Une laisse contient des vers en assonance et commence par une lettrine. Dans le manuscrit d'Oxford elles se terminent par une mention mystérieuse « [Aoi] ». Une laisse peut être à cheval sur 2 pages. Un enchaînement de 3 laisses, avec 2 lettrines (D et L) et 2 mentions Aoi en fin de ligne
En fait, dès que l'on cherche à aligner plusieurs ouvrages primaires (transcription) avec un manuscrit, les divergences de numérotation deviennent omniprésentes. Ainsi la dernière laisse est numérotée CCXCI chez Roland Bédier, CCXCIII chez Edmund Stengel, CCXCVI chez Francisque Michel et CCXCVII chez Léon Gautier. En effet, le contenu de certaines laisses pose des problèmes d'interprétation.
Par exemple le feuillet 43 verso ne contient ni lettrine, ni mention AOI, mais est visiblement une charnière dans le récit. Il contient un vers de transition entre la partie dédiée à la mort de Roland et celle qui est dédiée au retour de Charlemagne :
Morz est Rollant, Deus en ad l’anme es cels. [2]
Or elle ne contient ni lettrine, ni mention AOI. En revanche un point apparait sur le manuscrit. Chanson de Roland Oxford 43v extrait.png
Les médiévistes ont des interprétations divergentes. Bédier et Gautier considèrent ce vers comme le début d'une nouvelle laisse. Michel en fait la fin de la précédente et Stengel propose une version sans changement de laisse (et donc avec un décalage dans le numérotation).
Chaque philologue travaille donc sur une modélisation du manuscrit qui lui est propre. Comment rapprocher les travaux pour les comparer ?
Nous avons cité le manuscrit d'Oxford, qui n'est qu'un exemplaire parmi d'autres (une dizaine). Pour chaque manuscrit, le même type de problème se pose. Si maintenant nous nous intéressons à l'histoire de cette oeuvre, il faut considérer les multiples productions des épopées liées à Charlemagne.
Comment traiter cette multiplicité de couplets dans une bibliothèque numérique ?
- ↑ La consultation de la bibliographie proposée sur le site arlima.net est éclairante quant à la richesse et la diversité des écrits sur et autour de la Chanson de Roland.