Chanson de Roland/Manuscrit d'Oxford/Laisse LXXVIII/Gautier/994. Cheval
Laisse LXXVIII, vers 994
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Étude sur le cheval
Après le chevalier, il est très-juste de parler ici du cheval. — Le cheval est l’ami du chevalier ; mais cette affection ne se fait pas jour dans la Chanson de Roland. En revanche, dans Ogier le Danois, poëme un peu postérieur et dont la légende est à peu près aussi ancienne, cette amitié trouve son expression. Quand le héros, après de longues années de captivité, demande à revoir son bon cheval Broiefort, on parvient à le lui retrouver, mais épuisé, pelé, la queue coupée : « Ogier le voit, de joie a soupiré. Il le caresse sur les deux flancs : « Ah ! Broiefort, dit Ogier, quand j’étais sur vous, j’étais, Dieu me pardonne, aussi tranquille que si j’eusse été enfermé dans une tour. » Le bon cheval l’entend ; il avise tout de suite son bon seigneur qu’il n’a pas vu depuis sept ans passés, hennit, gratte le sol du pied, puis se couche et s’étend par terre devant Ogier, par grande humilité. Le duc le voit, il en a grand’pitié. S’il n’eût pleuré, le cœur lui eût crevé. » (Vers 10688 et suivants). Et dans Aliscans, Guillaume ne parle pas moins tendrement à son cheval Baucent : « Cheval, vous êtes bien las. Je vous remercie, mon cheval, et vous rends grâces de vos services. Si je pouvais arriver dans Orange, je voudrais qu’on ne vous démontât point ; vous ne mangeriez que de l’orge vanné, vous ne boiriez qu’en des vases dorés. On vous parerait quatre fois par jour, et quatre fois on vous envelopperait de riches couvertes. » (B. N., 753, f° 212.) Et Renaus de Montauban s’écrie dans les Quatre fils Aymon : « Si je te tue, Bayard, puissé-je n’avoir jamais santé ! Non, non : au nom de Dieu qui a formé le monde, je mangerais plutôt le plus jeune de mes frères. » (B. N. 7183, f° 76.) Le héros qui a donné son nom à Aubri le Bourgoing regrette son cheval avec les mêmes larmes : Ah ! Blanchart, tant vous aveie chier. — Por ceste dame ai perdu mon destrier. (B. N., 7227, f° 173.) D’ailleurs, le cheval rend bien cette affection au chevalier. Bayard, dans Renaus de Montauban : S’a veü son seigneur Renaut, le fil Aimon. — Il le conust plus tost que feme son baron, etc. etc. Lav., 39, f° 22.) Étant donnée cette affection réciproque, il est à peine utile d’ajouter, d’après les textes précédents, que le cheval a un nom. C’est Veillantif (Chanson de Roland, vers 2160), Tencendur (vers 2993), Tachebrun. (Vers 347.) C’est Saut-perdu, Marmorie, Passe-Cerf, Sorel, etc. Du reste, si l’on veut avoir le « portrait en pied » d’un cheval, si l’on veut connaître l’idéal que s’en faisaient nos pères, il faut lire les vers 1651 et suivants : « Pieds copiez, jambes plates, courte
[126] cuisse, large croupe, flancs allongés, haute échine, queue blanche, crinière jaune, petite oreille, tête fauve. » Dans Gui de Bourgogne existe un portrait analogue : Il ot le costé blanc comme cisne de mer, — Les jambes fors et roides, les piés plas et coupés, — La teste corte et megre et les eus alumés — Et petite oreillette, et mult large le nés. (Vers 2326, 2329.) ═ Les chevaux célébrés dans nos poëmes étaient des chevaux entiers. ═ Le chevalier se rappelait volontiers où et comment il avait conquis son bon cheval : Il le conquist es guez de suz Marsune, etc. (Vers 2994.) ═ Malgré son amour pour la bête, le chevalier ne lui ménage pas les coups d’éperon : Mult suvent l’esperonet. (Vers 2996.) Le cheval brochet. (Vers 3165, etc.) Ces mots reviennent mille fois dans notre poëme : ce sont peut-être les plus souvent employés. Et il l’éperonne jusqu’au sang : Li sancs en ist luz clers. (Vers 3165.) Avant la bataille, il lui laschet les resnes et fait son eslais (vers 2997, 3166), c’est-à-dire qu’il se livre à un « temps de galop ». Quelquefois, dans cet exercice, il fait sauter à son cheval un large fossé. C’est un petit carrousel. (Vers 3166.) ═ Le cheval de guerre s’appelle « destrier ». Le cheval de somme s’appelle sumier, palefreid (paraveredus), et l’on emploie aussi les mulets à cet usage : Laissent les muls et tuz les palefreiz. — Es destrers muntent. (Vers 1000, 1001. V. aussi les vers 755, 756.) ═ Notre vieux poëme nous parle plus d’une fois des étriers, mais sans nous en préciser la forme, et c’est ici que les monuments figurés viennent à notre aide. (V. les fig. 2, 3, 4, 7.) ═ Pour faire honneur à quelqu’un, et particulièrement au roi, on lui tient l’étrier : L’estreu li tindrent Naimes et Jocerans. (Vers 3113.) ═ Les selles étaient richement ornées gemmées à or (vers 1373), orées (vers 1605). La Chanson nous parle souvent des arçons, qui sont primitivement les deux arcs formant la charpente principale de la selle. (Vers 1229, etc.) Quant aux aubes de la selle, elles sont d’argent, quand elle est d’or. (Vers 1605) ═ Les détails nous manquent sur les freins, qui sont également dorés (vers 2491), et sur les sangles. (Vers 3573.) Les sceaux du xiie siècle nous sont ici d’un précieux secours.