Chanson de Roland/Manuscrit d'Oxford/Laisse LXXVIII/Gautier/994. Armures

De Wicri Chanson de Roland
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Étude sur les armures

Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 123.jpg[116] Une étude spéciale sur les armures décrites dans la Chanson de Roland peut offrir un double intérêt. Elle mettra le lecteur à même de saisir plus aisément mille passages de notre poëme, où il est question de helmes, d’osbercs, d’espiez, de gunfanuns, etc. Sans doute, nous avons essayé de rendre notre traduction claire et limpide pour tout le monde, pour les femmes mêmes et pour les enfants. Mais ils comprendront encore mieux la vieille Chanson, quand nous en aurons expliqué tous les termes difficiles. Une seconde utilité de ce travail frappera davantage les savants : la description de ces armures se rapporte évidemment au temps où fut écrit le poëme, et par conséquent peut servir à fixer cette époque d’une manière plus ou moins précise. — Commençons par décrire l’armure offensive.

1° La pièce principale est l’épée. L’épée est l’arme noble, l’arme chevaleresque par excellence. On est fait chevalier per spatam (comme aussi per balteum, par le baudrier, et per alapam, par le soufflet ou le coup de paume donné au moment de l’adoubement). Mais c’est l’épée qui demeure le signe distinctif du chevalier. ═ L’épée est, en quelque manière, une personne, un individu. On lui donne un nom : Joyeuse est celle de Charlemagne (vers 2989) ; Almace, celle de Turpin (2089) ; Durendal, de Roland (988) ; Halteclere, d’Olivier (1363) ; Précieuse, de l’Émir (3146), etc. ═ Chaque héros garde, en général, la même épée toute sa vie, et l’on peut se rappeler ici la très-longue énumération de toutes les victoires que Roland a gagnées avec la Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 124.jpg[117]

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seule Durendal : Si l’en cunquis e Peitou e le Maine. — Jo l’en cunquis Normandie la franche, etc. (2315 et ss.) ═ L’épée est tellement importante aux yeux du chevalier, que Dieu l’envoie parfois à nos héros par un messager céleste. C’est ainsi qu’un Ange remit à Charlemagne la fameuse Durendal pour le meilleur capitaine de son armée. (2319 et suiv.) ═ Aussi ne faut-il pas s’étonner si nos héros aiment leur épée et parlent avec elle comme avec une compagne intelligente, avec un être vivant et raisonnable… Mais il faut ici passer aux détails matériels. ═ Il semble que l’épée des chevaliers de notre poëme ait été longue. Le Sarrazin Turgis dit quelque part : Veez m’espée ki est e bone e lunge. (925.) C’est d’ailleurs le seul texte qu’on puisse citer sur ce point. ═ L’épée se ceignait au côté gauche : Puis ceint s’espée à l’senestre costet. (3143.) Elle était enfoncée dans un fourreau (V. la fig. 5) qui est nommé une seule fois dans toute la Chanson. Au moment où Ganelon est insulté par Marsile : Mist la main à s’espée ; — Cuntre dous deiz l’ad del’ furrer getée. (444-445.) Et Olivier se plaint, dans le feu de la mêlée, de n’avoir pas le temps de tirer son épée : Ne la poi traire. (1365.) ═ Nulle part il n’est ici question du baudrier. ═ L’épée est en acier. Pour louer une épée, on dit qu’elle est bien fourbie. (1925.) Joyeuse, l’épée de Charlemagne, a une clarté splendide : Ki cascun jur muet XXX. clartez (2502) ; Ki pur soleill sa clartet ne muet. (2990.) Une des qualités de Durendal, c’est d’être « claire et blanche ». (1316.) L’acier de Vienne paraît avoir été particulièrement célèbre (997), à moins que ce mot (ce qui est fort possible) n’ait été placé là pour les besoins de l’assonance. Il est dit ailleurs que les bonnes épées sont de France et d’Espagne. (3889.) ═ La pointe de l’épée ou du brant a le même nom que la pointe de la lance : c’est l’amure : De l’brant d’acer l’amure li presentet. (3918.) ═ L’épée se termine par un helz et un punt. Précisons la valeur de ces mots : D’or est li helz e de cristal li punz. (1364.) Le helz, c’est la garde ; le punz, c’est le pommeau. Ce pommeau est de cristal, c’est-à-dire, orné de pierres précieuses (1364, 3435), ou plus souvent doré : En l’oret punt l’ad faite manuverer. (2506 et aussi 2344.) Ce pommeau est assez considérable. Il est creux, et c’est la coutume des chevaliers d’y placer des reliques : En l’oret punt asez i ad reliques. (2344, et aussi 2503 et ss.) Charlemagne a fait mettre dans le pommeau de son épée l’amure de la lance avec laquelle Notre-Seigneur a été percé sur la croix. (2503 et ss.) L’auteur, comme on le voit, ne connaissait pas la légende de la Table Ronde : Asez savum de la lance parler — Dunt nostre Sire fut en la cruiz naffret. — Carles en ad l’amure, mercit Deu. — En l’oret punt l’ad faite manuverer. — Pur ceste honur e pur ceste bontet. Li nums Joiuse l’espée fut dunet. Quant au pommeau de Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 125.jpg[118]

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Modèle:Tiret2, il contient quatre reliques précieuses : du vêtement de la Vierge, une dent de saint Pierre, du sang de saint Basile et des
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cheveux de saint Denis. (2343 et ss.) Bref, le pommeau est ou peut devenir un Reliquaire. ═ Le helz, avons nous dit, est la garde de l’épée. Elle est généralement dorée ; d’où l’expression : d’espées enheldées d’or mier. (3866.) Il paraît plus difficile, au premier abord, de comprendre les mots suivants : Entre les helz ad plus de mil manguns. (621.) Mais le texte de Versailles nous en donne une explication acceptable : Entre le heut et le pont qui est en son ; — De l’or d’Espaigne vaut dis mile mangon. (V. 891.) ═ Entre les helz, entre le helz et le punt, se trouve la « poignée ». Elle est généralement très-étroite, très-grêle, comme on pourra s’en convaincre d’après les figures ci-contre, qui donneront d’ailleurs une idée très-suffisante de l’épée de notre Chanson...

La lance et l’espiet. — D’une étude fort attentive de notre texte, il résulte que les deux mots lance et espiet y désignent tantôt le même objet (vers 1033, 3818, etc.), et tantôt deux objets distincts. (Vers 541, 3080.) Mais, neuf fois sur dix, la synonymie est complète, et le mot lance, qui est d’ailleurs bien plus rare dans notre poëme que le mot espiet, a presque partout exactement le même sens. ═ La lance se compose de deux parties : le bois, qui s’appelle la hanste et le fer, dont l’extrémité s’appelle amure. ═ La hanste est en bois de frêne : Entre ses poinz tenait sa hanste fraisnine (vers 720), ou en pommier : Ardant cez hanstes de fraisne e de pumer. (Vers 2537. Cf. la Chronique de Turpin, cap. ix.) Est-ce pour l’assonance ? — La hanste se tenait droite quand on ne se battait pas ; d’où l’expression si fréquente : Dreites cez hanstes. (Vers 1143 et passim.) Mais, dans le combat, on la boutait pour renverser ses adversaires : d’où le mot plus fréquent encore : pleine sa hanste de l’ cheval l’abat mort. (Vers 1204, 1229, etc.) On la tenait au poing droit : En lur puinz destres unt lur trenchanz espiez. (Vers 3868.) On la faisait rouler dans la paume de sa main : Sun espiet vait li ber palmeaint. (Vers 1155.) ═ Nous n’avons aucun