Le Buffon choisi de Benjamin Rabier/Poissons/Brochet
Le brochet
Le Buffon choisi de Benjamin Rabier (1924) L'homme - Animaux domestiques - Animaux sauvages - Oiseaux - Poissons - Cétacés - Tables |
Planche
Le brochet
[250]
Le brochet est le requin des eaux douces ; il y règne en tyran dévastateur, comme le requin au milieu
des mers. Insatiable dans ses appétits, il ravage avec une promptitude effrayante les viviers et les
étangs. Féroce sans discernement, il n'épargne pas son espèce; il dévore ses petits. Goulu sans choix, il
déchire et avale avec une sorte de fureur le reste même des cadavres putréfiés.
L'ouverture de sa bouche s'étend jusqu'à ses yeux. Les dents qui garnissent ses mâchoires sont fortes, acérées, et inégales : les unes sont immobiles, fixes, et plantées dans des alvéoles; les autres mobiles, et seulement attachées à la peau, donnent au brochet un nouveau rapport de conformation avec le requin. On a compté sur le palais sept cents dents de différentes grandeurs, et disposées sur plusieurs rangs longitudinaux, indépendamment de celles qui entourent le gosier.
Le sens de l'ouïe du brochet est plus parfait que celui de presque tous les autres poissons osseux.
La vessie natatoire du brochet est simple, mais grande.
C'est dans les rivières, les fleuves, les lacs et les étangs, qu'il se plaît à séjourner ; on l'a observé dans presque toutes les eaux douces de l'Europe.
Il parvient jusqu'à la longueur de deux ou trois mètres, et jusqu'au poids de quarante ou cinquante kilogrammes.
Le brochet est dangereux par la grandeur de ses dimensions, la force de ses muscles, le nombre de ses armes, les finesses de la ruse et les ressources de l'instinct.
Lorsqu'il s'est élancé sur de gros poissons, sur des serpents, des grenouilles, des oiseaux d'eau, des rats, des jeunes chats, ou même des petits chiens tombés ou jetés dans l'eau, et que l'animal qu'il veut dévorer lui oppose un trop grand volume, il le saisit par la tête, le retient avec ses dents nombreuses et recourbées, jusqu'à ce que la portion antérieure de sa proie soit ramollie dans son large gosier ; il en aspire ensuite le reste et l'engloutit.
Sa chair est agréable au goût.