Histoire naturelle (Buffon)/Tome P5/Ésoce/Brochet

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L'ésoce brochet et l'ésoce américain



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L'ésoce brochet et l'ésoce américain

Buffon Hist Nat E.O. Tome P5 f387.jpg[297]

L'ésoce brochet
et
l'ésoce américain

L'ésoce brochet

Le brochet est le requin des eaux douces ; il y règne en tyran dévastateur, comme le requin au milieu des Buffon Hist Nat E.O. Tome P5 f388.jpg[298] mers.

S’il a moins de puissance, il ne rencontre pas de rivaux aussi redoutables ; si son empire est moins Buffon Hist Nat E.O. Tome P5 f389.jpg[299] étendu, il a moins d'espace à parcourir pour assouvir sa voracité ; si sa proie est moins variée, elle est souvent plus abondante, et il n'est point obligé, comme le requin, de traverser d'immenses profondeurs pour l'arracher à ses asyles. Insatiable dans ses appétits, il ravage avec une promptitude effrayante les viviers et les étangs. Féroce sans discernement, il n'épargne pas son espèce, il dévore ses propres petits. Goulu sans choix, il déchire et avale, avec une sorte de fureur, les restes mêmes des cadavres putréfiés. Cet animal de sang est d'ailleurs un de ceux auxquels la nature a accordé le plus d'années : c'est pendant des siècles qu'il effraie, agite, poursuit, détruit et consomme les faibles habitants des eaux douces qu'il infeste ; et comme si, malgré son insatiable cruauté, il devait avoir reçu tous les dons, il a été doué non seulement d'une grande force, d'un grand volume, d'armes nombreuses, mais encore de formes déliées, de proportions agréables, de couleurs variées et riches.

L'ouverture de sa bouche s'étend jusqu'à ses yeux. Les dents qui garnissent ses mâchoires sont fortes, acérées et inégales : les unes sont immobiles, Buffon Hist Nat E.O. Tome P5 f390.jpg[300] fixes et plantées dans les alvéoles ; les autres, mobiles, et seulement attachées à la peau, donnent au brochet un nouveau rapport de conformation avec le requin. On a compté sur le palais sept cents dents de différentes grandeurs, et disposées sur plusieurs rangs longitudinaux, indépendamment de celles qui entourent le gosier. Le corps et la queue, très allongés, très souples et très vigoureux, ont, depuis la nuque jusqu'à la dorsale, la forme d'un prisme à quatre faces dont les arêtes seraient effacées.

Pendant sa première année, sa couleur générale est verte ; elle devient, dans la seconde année, grise et diversifiée par des taches pâles, qui, l'année suivante, présentent une nuance d'un beau jaune. Ces taches sont irrégulières, distribuées presque sans ordre, et quelquefois si nombreuses, qu'elles se touchent et forment des bandes ou des raies. Elles acquièrent souvent l'éclat de l'or pendant le temps du frai, et alors le gris de la couleur générale se change en un beau vert[1]. Lorsque le brochet séjourne dans des eaux d'une nature particulière, qu'il éprouve la disette, ou qu'il peut se procurer une nourriture trop abondante, ses nuances varient. On le voit, dans certaines circonstances, jaune avec des taches noires. Au reste, parvenu à une certaine grosseur, il a presque toujours le dos noirâtre et le ventre blanc avec des points noirs. Buffon Hist Nat E.O. Tome P5 f391.jpg[301]

L’œsophage et l'estomac montrent de grands plis pâles ou rouges, par le moyen desquels l'ani- mal peut rejeter à volonté les substances qu'il avale dans les accès de sa voracité, et qu'il ne peut pas digérer. Cette faculté lui est commune avec la morue, ainsi qu'avec les squales, et particulièrement avec le requin, dont elle le rapproche encore. L'estomac est d'ailleurs très long ; et, comme de ses grandes dimensions résulte une très grande abondance de sucs digestifs, dont l'action très-vive se manifeste par les appétits violents qu'elle produit, il n'est pas surprenant que le canal intestinal proprement dit soit très court, et n'offre qu'une sinuosité, comme dans un très grand nombre d'animaux féroces et carnassiers.

Le foie est long et sans division ; la vésicule du fiel grosse ; le fiel jaune ; la laite double, ainsi que l'ovaire ; le péritoine blanc et brillant ; l'épine dorsale composée de soixante-une vertèbres ; le nombre des côtes est de soixante.

L'organe de l'ouïe renferme un troisième osselet pyramidal, garni à sa base d'un grand nombre de petits aiguillons, et placé dans la cavité qui sert de communication aux trois canaux demi-circulaires. Cet organe contient aussi une sorte de rudiment d'un quatrième canal demi-circulaire, qui communique avec le sinus par lequel se réunissent les trois canaux auxquels le nom de demi-circulaire a été donné. Buffon Hist Nat E.O. Tome P5 f392.jpg[302] Voilà donc le sens de l'ouïe du brochet plus parfait que celui de presque tous les autres poissons osseux. Cet avantage lui donne un nouveau trait de ressemblance avec le requin et les squales ; il lui donne de plus la facilité d'éviter de plus loin un ennemi dangereux, ou de s'assurer de l'approche d'une proie difficile à surprendre ; et, d'après l'organisation particulière de son oreille, on doit être moins étonné que l'on ait remarqué, du temps même de Pline, la finesse de son ouïe, et que, sous Charles IX, roi de France, des individus de l'espèce que nous décrivons, réunis dans un bassin du Louvre, vinssent, lorsqu'on les appelait, recevoir la nourriture qu'on leur avait préparée.

La vessie natatoire du brochet est simple, mais grande ; et sans cet instrument, ce poisson ne parcourrait pas avec la rapidité qu'il développe, les espaces qu'il franchit, contre les courants des fleuves impétueux, et au milieu des eaux les plus pures, et par conséquent les moins pesantes et les moins propres à le soutenir.

C'est en effet dans les rivières, les fleuves, les lacs et les étangs, qu'il se plaît à séjourner. On ne le voit dans la mer que lorsqu'il y est entraîné par des accidents passagers, et retenu par des causes extraordinaires, qui ne l'empêchent pas d'y dépérir ; mais on l'a observé dans presque toutes les eaux douces de l'Europe.

Belon a écrit qu'il l'avait vu dans le Nil, où il croyait que les anciens lui avaient donné le nom d'Oxyrhynchus [2] Buffon Hist Nat E.O. Tome P5 f393.jpg[303] (museau pointu). Mon collègue, M. Geoffroy, professeur du Muséum d'histoire naturelle, va publier une dissertation très savante sur les animaux de l'Égypte, dans laquelle on trouvera à quel poisson, différent de celui que nous examinons, les anciens avaient réellement appliqué cette dénomination d'Oxyrhynque.

Notes de l'article

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Note associée au titre
  • Esox lucius.
  • Lançon, quand il est très-jeune.
  • Lanceron, id.
  • Poignard, quand il est d’une grosseur moyenne.
  • Carreau, quand il est plus gros.
  • Béquet, dans quelques départements de France.
  • Bechet, ibid.
  • Lucs, ibid.
  • Lupule, ibid.
  • Luccio, en Italie.
  • Luzzo, ibid.
  • Trigle, à Malte.
  • Grashecht (quand il n’a qu’un an), en Allemagne.
  • Hecht, ibid.
  • Stukha, en Hongrie.
  • Csuka, ibid.
  • Szuk, en Pologne.
  • Szuka, ibid.
  • Zurcha, chez les Calmouques.
  • Tschortan, en Tatarie.

Buffon Hist Nat E.O. Tome P5 f388.jpg[298]

  • Aug, en Livonie.
  • Tschuk, en Russie.
  • Tschuw, ibid.
  • Schurtan, ibid.
  • Scheschuk, ibid.
  • Giadde, en Suède.
  • Gidde, en Danemark.
  • Snoek, en Hollande.
  • Geep-visch, ibid.
  • Pike, en Angleterre.
  • Pikerelle, ibid.
  • Kamas, au Japon.
  • Esox lucius. Linné, édition de Gmelin.
  • Ésoce brochet. Daubenton et Haüy, Encyclopédie méthodique.[NDLR 1]
  • Id. Bonnaterre, planches de l’Encyclopédie méthodique.[NDLR 2]
  • Bloch, pl. 32.
  • Faun. Suecic. 355.
  • Meiding. Ic. pisc. Austr. t. 10.
  • Esox rostro plagioplateo. Artedi, gen. 10, spec. 53, syn. 26.
  • Lucius. Auson. Mos. v. 122.
  • Id. Wotton. lib. 8, cap. 190, fol. 169.
  • Brochet. Rondelet, des poissons de rivière, chap. 11.

Lucius. Salvian. fol. 94, b. 95. Id. Gesn. p. 500, 501, et (germ.) 175 b. Id. Schonev. p. 44. Id. Aldrovand. lib. 5, cap. 39, p. 630, 635. Id. Jonston. lib. 3, tit. 3, cap. 5, tab. 29, fig. 1. Thaum. p. 417. Id. Charleton, p. 162. Id. Willughby, p. 236. Id. Raj. p. 112. Gronov. Mus. 1, n. 28. Bellon, Aquat. p. 292, It. p. 104. Brochet. Camper, Mémoires des Savans étrangers, 6. p. 177. Pike. Brit. Zoology, 3, p. 270, n. 1. Brochet. Valmont-Bomare, Dictionnaire d’histoire naturelle. 2 Esox americanus. Esox lucius americanus, B. Linné, édition de Gmelin.

Autres notes
  1. Page 300, note 1
    Voyez ce que nous avons dit des couleurs des poissons, dans le Discours sur la nature de ces animaux.
  2. Page 302, note 1
    Bellon, livre 2, chapitre 32.

Notes de la rédaction Wicri

Voir aussi

Source