Le Buffon choisi de Benjamin Rabier/Homme

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L'homme



L'homme

Le Buffon choisi de Benjamin Rabier, page f9.jpg[1]

L'Homme ressemble aux animaux par ce qu'il a de matériel.

En comparant l'homme avec l'animal, on trouvera dans l'un et l'autre un corps, des chairs et du sang et du mouvement ; mais ces ressemblances sont extérieures et ne suffisent pas pour nous faire prononcer que la nature de l'homme est semblable à celle de l'animal.

On conviendra que le plus stupide des hommes suffit pour conduire le plus spirituel des animaux ; il le commande et le fait servir à ses usages, et c'est moins par force et par adresse que par supériorité de nature, et parce qu'il a un projet raisonné, un ordre d'action et une suite de moyens par lesquels il contraint l'animal à lui obéir, car nous ne voyons pas que les animaux qui sont plus forts et plus adroits commandent aux autres et les fassent servir à leur usage : les plus forts mangent les plus faibles, mais cette action ne suppose qu'un besoin, un appétit. Il n'y a parmi tous les animaux aucune marque de subordination, aucune apparence que quelqu'un d'entre eux connaisse ou sente la supériorité de sa nature sur celle des autres ; par conséquent, on doit penser qu'ils sont en effet tous de même nature, et en même temps on doit conclure que celle de l'homme est non seulement fort au-dessus de celle de l'animal, mais qu'elle est aussi tout à fait différente.

L'homme rend par un signe extérieur ce qui se passe au dedans de lui ; il communique sa pensée par la parole; ce signe est commun à toute l'espèce humaine. L'homme sauvage parle comme l'homme policé, et tous deux parlent naturellement, et parlent pour se faire entendre ; aucun des animaux n'a ce signe de la pensée : ce n'est pas, comme on le croit communément, Le Buffon choisi de Benjamin Rabier, page f10.jpg[2] faute d'organe ; la langue du singe a paru aux anatomistes aussi parfaite que celle de l'homme ; le singe parlerait donc, s'il pensait ; il parlerait aux autres singes ; mais on ne les a jamais vus s'entretenir ou discourir ensemble.

Il est si vrai que ce n'est pas faute d'organes que les animaux ne parlent pas, qu'on en connaît de plusieurs espèces auxquels on apprend à prononcer des mots et même à répéter des phrases assez longues, et peut-être y en aurait-il un grand nombre d'autres auxquels on pourrait, si on voulait s'en donner la peine, faire articuler quelques sons ; mais jamais on n'est parvenu à leur faire naître l'idée que ces mots expriment : ils semblent ne les répéter, ou même ne les articuler que comme un écho ou une machine artificielle les répéterait ou les articulerait.

S'ils étaient doués de la puissance de réfléchir, ils seraient capables de quelque espèce de progrès, ils acquerraient plus d'industrie; les castors d'aujourd'hui bâtiraient avec plus d'art et de solidité que ne bâtissaient les premiers castors, l'abeille perfectionnerait encore tous les jours la cellule qu'elle habite.

D'où peut venir cette uniformité dans tous les ouvrages des animaux ? Pourquoi chaque espèce ne fait-elle jamais que la même chose, de la même façon, et pourquoi chaque individu ne la fait-il ni mieux ni plus mal qu'un autre individu ? Y a-t-il de plus fortes preuves que leurs opérations ne sont que des résultats mécaniques et purement matériels ? Car s'ils avaient la moindre étincelle de la lumière qui nous éclaire, on trouverait au moins de la variété si l'on ne voyait pas de la perfection dans leurs ouvrages.

En voilà plus qu'il n'en faut pour nous démontrer l'excellence de notre nature, et la distance immense que la bonté du Créateur a mise entre l'homme et la bête. L'homme est un être raisonnable, l'animal est un être sans raison; il est évident que l'homme est d'une nature entièrement différente de celle de l'animal, et que le juger par l'analogie matérielle, c'est se laisser tromper par l'apparence et fermer volontairement les yeux à la lumière qui doit nous la faire distinguer de la réalité.