Histoire naturelle (Buffon)/Tome 7/La loutre

De Wicri Animaux
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Georges-Louis Leclerc de Buffon
Histoire Naturelle (1749)
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La loutre (par Monsieur de Buffon)

Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f170.jpg[134] La loutre[1]

La Loutre est un animal vorace, plus avide de poisson que de chair, qui ne quitte guère le bord des rivières ou des lacs, et qui dépeuple quelquefois les étangs ; elle a plus de facilité qu’un autre pour nager, plus même que le castor, car il n’a des membranes qu’aux pieds de derrière, et il a les doigts séparés dans les pieds de devant, tandis que la loutre a des membranes à tous les pieds ; elle nage presqu’aussi vite qu’elle marche ; elle ne va point à la mer, comme le castor, mais elle parcourt les eaux douces, et remonte ou descend les rivières à des distances considérables : souvent elle nage entre deux eaux, et y demeure assez long-temps ; elle vient ensuite à la surface, afin de respirer. A parler exactement, elle n’est point animal amphibie, c’est-à-dire, animal qui peut vivre également et dans l’air et dans l’eau ; elle n’est pas conformée pour demeurer dans ce dernier élément, et elle Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f171.jpg[135] a besoin de respirer, à peu près comme tous les autres animaux terrestres : si même il arrive qu’elle s’engage dans une nasse à la poursuite d’un poisson, on la trouve noyée, et l’on voit qu’elle n’a pas eu le temps d’en couper tous les osiers pour en sortir. Elle a les dents comme la fouine, mais plus grosses et plus fortes relativement au volume de son corps. Faute de poisson, d’écrevisses, de grenouilles, de rats d’eau, ou d’autre nourriture, elle coupe les jeunes rameaux, et mange l’écorce des arbres aquatiques ; elle mange aussi de l’herbe nouvelle au printemps ; elle ne craint pas plus le froid que l’humidité ; elle devient en chaleur en hiver, et met bas au mois de mars : on m’a souvent apporté des petits au commencement d’avril ; les portées sont de trois ou quatre. Ordinairement les jeunes animaux sont jolis : les jeunes loutres sont plus laides que les vieilles. La tête mal faite, les oreilles placées bas, des yeux trop petits et couverts, l’air obscur, les mouvements gauches, toute la figure ignoble, informe, un cri qui paroît machinal, et qu’elles répètent à tout moment, sembleraient annoncer un animal stupide ; cependant la loutre devient industrieuse avec l’âge, au moins assez pour faire la guerre avec grand avantage aux poissons, qui pour l’instinct et le sentiment sont très inférieurs aux autres animaux ; mais j’ai grand peine à croire qu’elle ait, je ne dis pas les talents du castor, mais même les habitudes qu’on lui suppose, comme celle de commencer toujours par remonter les rivières, afin de revenir plus aisément et de n’avoir Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f172.jpg[136] plus* qu’à se laisser entraîner au fil de l’eau lorsqu’elle s’est rassasiée ou chargée de proie ; celle d’approprier son domicile et d’y faire un plancher, pour n’être point incommodée de l’humidité ; celle d’y faire une ample provision de poisson, afin de n’en pas manquer ; et enfin la docilité et la facilité de s’apprivoiser au point de pêcher pour son maître, et d’apporter le poisson jusque dans la cuisine. Tout ce que je sais, c’est que les loutres ne creusent point leur domicile elles-mêmes, qu’elles se gîtent dans le premier trou qui se présente, sous les racines des peupliers, des saules, dans les fentes des rochers, et même dans les piles de bois à flotter ; qu’elles y font aussi leurs petits sur un lit fait de bûchettes et d’herbes ; que l’on trouve dans leur gîte des têtes et des arêtes de poisson ; qu’elles changent souvent de lieu ; qu’elles emmènent ou dispersent leurs petits au bout de six semaines ou de deux mois ; que ceux que j’ai voulu priver cherchoient à mordre, même en prenant du lait, et avant que d’être assez forts pour mâcher du poisson ; qu’au bout de quelques jours ils devenoient plus doux, peut-être parce qu’ils étoient malades et foibles ; que loin de s’accoûtumer aisément à la vie domestique, tous ceux que j’ai essayé de faire élever sont morts dans le premier âge

qu’enfin la loutre est, de son naturel, sauvage et cruelle ; que quand elle peut entrer dans un vivier,

elle y fait ce que le putois fait dans un poulailler ; qu’elle tue

Notes de la partie rédigée par Buffon

  1. [page 134 note * ] Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f170.jpg[134] La Loutre ; en Grec,  ; en Latin, Lutra, vel Lytra, vel etiam Lutris, Lutrix ; en Italien, Lodra, Lodria, Loutra ; en Espagnol, Nutria ; en Allemand, Fischotter ; en Anglois, Otter ; en Suédois, Wtter ; en Polonois, Wydra ; en Savoie, Leure. Lutra. Gesner. Hist. quadrup. pag. 684. Icon. animal. quadrup. pag. 85. Lutra. Ray. Synops. animal. quadrup. pag. 187. Lutra digitis æqualibus. Linnæus. Lutra. Klein. de quadr. pag. 91. Lutra castanei coloris.… Lutra. Brisson. Regn. animal. pag. 277.