Histoire naturelle (Buffon)/Tome 1/Article 8

De Wicri Animaux
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Georges-Louis Leclerc de Buffon
Histoire Naturelle (1749)
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Article VIII :Sur les coquilles et les autres productions de la mer qu’on trouve dans l’intérieur de la terre


 

Article VIII

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PREUVES
DE LA
THEORIE DE LA TERRE
ARTICLE VIII
Sur les coquilles et les autres productions de la mer qu’on trouve dans l’intérieur de la terre

Buffon Lanessan Tome 1 page f611.jpg[l 47] J’ai souvent examiné des carrières du haut en bas, dont les bancs étaient remplis de coquilles ; j’ai vu des collines entières qui en sont composées, des chaînes de rochers qui en contiennent une grande quantité dans toute leur étendue. Le volume de ces productions de la mer est étonnant, et le nombre de ces dépouilles d’animaux marins est si prodigieux, qu’il n’est guère possible d’imaginer qu’il puisse y en avoir davantage dans la mer ; c’est en considérant cette multitude innombrable de coquilles et d’autres productions marines, qu’on ne peut pas douter que notre terre n’ait été pendant un très long temps Buffon Hist Nat E.O. Tome 1 f290.jpg[266] un fond de mer peuplé d’autant de coquillages que l’est actuellement l’océan : la quantité en est immense, et naturellement on n’imaginerait pas qu’il y eût dans la mer une multitude aussi grande de ces animaux ; ce n’est que par celle des coquilles fossiles et pétrifiées qu’on trouve sur la terre, que nous pouvons en avoir une idée. En effet, il ne faut pas croire, comme se l’imaginent tous les gens qui veulent raisonner sur cela sans avoir rien vu, qu’on ne trouve ces coquilles que par hasard, qu’elles sont dispersées çà et là, ou tout au plus par petits tas, comme des coquilles d’huîtres jetées à la porte ; c’est par montagnes qu’on les trouve, c’est par bancs de 100 et de 200 lieues de longueur ; c’est par collines et par provinces qu’il faut les toiser, souvent dans une épaisseur de 50 ou 60 pieds, et c’est d’après ces faits qu’il faut raisonner.

Nous ne pouvons donner sur ce sujet un exemple plus frappant que celui des coquilles de Touraine : voici ce qu’en dit l’historien de l’Académie (année 1720, pages 5 Modèle:Et suiv.) : « Dans tous les siècles assez peu éclairés et assez dépourvus du génie d’observation et de recherche, pour croire que tout ce qu’on appelle aujourd’hui pierres figurées, et les coquillages mêmes trouvés dans la terre, étaient des jeux de la nature, ou quelques accidents particuliers, le hasard a dû mettre au jour une infinité de ces sortes de curiosités que les philosophes mêmes, si c’étaient des philosophes, ne regardaient qu’avec une surprise ignorante ou une légère attention, et tout cela périssait sans aucun fruit pour le progrès Buffon Hist Nat E.O. Tome 1 f291.jpg[267] des connaissances. Un potier de terre, qui ne savait ni latin ni grec, fut le premier[1], vers la fin du xvie siècle, qui osa dire dans Paris, et à la face de tous les docteurs, que les coquilles fossiles étaient de véritables coquilles déposées autrefois par la mer dans les lieux où elles se trouvaient alors ; que des animaux, et surtout des poissons, avaient donné aux pierres figurées toutes leurs différentes figures, etc., et il défia hardiment toute l’école d’Aristote d’attaquer ses preuves ; c’est Bernard Palissy, Saintongeois, aussi grand physicien que la nature seule en puisse former un : cependant son système a dormi près de cent ans, et le nom même de l’auteur est presque mort. Enfin les idées de Palissy se sont réveillées dans l’esprit de plusieurs savants ; elles ont fait la fortune qu’elles méritaient, on a profité de toutes les coquilles, de toutes les pierres figurées que la terre a fournies ; peut-être seulement sont-elles Modèle:Tiret Buffon Hist Nat E.O. Tome 1 f291.jpg[267] Modèle:Tiret2 aujourd’hui trop communes, et les conséquences qu’on en tire sont en danger d’être bientôt trop incontestables.

» Malgré cela, ce doit être encore une chose étonnante que le sujet des observations présentes de Modèle:M. : une masse de 130 680 000 toises cubiques, enfouie sous terre, qui n’est qu’un amas de coquilles ou de fragments de coquilles sans nul mélange de matière étrangère, ni pierre, ni terre, ni sable ; jamais jusqu’à présent les coquilles fossiles n’ont paru en cette énorme quantité, et jamais, quoique en une quantité beaucoup moindre, elles n’ont paru sans mélange. C’est en Touraine que se trouve ce prodigieux amas à plus de 36 de la mer : on l’y connaît, parce que les paysans de ce canton se servent de ces coquilles qu’ils tirent de terre, comme de marne, pour fertiliser leurs campagnes, qui sans cela seraient absolument stériles. Nous laissons expliquer à Modèle:M. comment ce moyen assez particulier, et en apparence assez bizarre, leur réussit ; nous nous renfermons dans la singularité de ce grand tas de coquilles.

» Ce qu’on tire de terre, et qui ordinairement n’y est pas à plus de 8 ou 9 pieds de profondeur, ce ne sont que de petits fragments de coquilles, très reconnaissables pour en être des fragments ; car ils ont les cannelures très bien marquées, seulement ont-ils perdu leur luisant et leur vernis, comme presque tous les coquillages qu’on trouve en terre, qui doivent y avoir été longtemps enfouis. Les plus petits fragments, qui ne sont que de la poussière, sont encore reconnaissables pour être des fragments de coquilles, parce qu’ils sont parfaitement de la même matière que les autres, quelquefois il se trouve des coquilles entières. On reconnaît les espèces, tant des coquilles entières que des fragments un peu gros : quelques-unes de ces espèces sont connues sur les côtes de Poitou, d’autres appartiennent à des côtes éloignées. Il y a jusqu’à des fragments de plantes marines pierreuses, telles que des madrépores, des champignons de mer, etc. : toute cette matière s’appelle dans le pays du falun.

» Le canton qui, en quelque endroit qu’on le fouille, fournit du falun, a bien neuf lieues carrées de surface. On ne perce jamais la minière de falun ou falunière au delà de vingt pieds ; Modèle:M. en rapporte les raisons, qui ne sont prises que de la commodité des laboureurs et de l’épargne des frais ; ainsi les falunières peuvent avoir une profondeur beaucoup plus grande que celle qu’on leur connaît : cependant nous n’avons fait le calcul des 130 680 000 toises cubiques, que sur le pied de 18 pieds de profondeur et non pas de vingt, et nous n’avons mis la lieue qu’à 2 200 toises ; tout a donc été évalué fort bas, et peut-être l’amas de coquilles est-il de beaucoup plus grand que nous ne l’avons posé ; qu’il soit seulement double, combien la merveille augmente-t-elle !

» Dans les faits de physique, de petites circonstances que la plupart des gens ne s’aviseraient pas de remarquer, tirent quelquefois à conséquence et donnent des lumières. Modèle:M. a observé que tous les fragments de coquilles sont dans leur tas posés sur le plat et horizontalement ; de là il a conclu que cette infinité de fragments ne sont pas venus de ce que dans le tas, formé d’abord de coquilles entières, les supérieures auraient par leur poids brisé les inférieures, car de cette manière il se serait fait des écroulements qui auraient donné aux fragments une infinité de positions différentes. Il faut que la mer ait apporté dans ce lieu-là toutes ces coquilles, soit entières, soit quelques-unes déjà brisées, et, comme elle les apportait flottantes, elles étaient posées sur le plat et horizontalement ; après qu’elles ont été toutes déposées au rendez-vous commun, l’extrême longueur du temps en aura brisé et presque calciné la plus grande partie sans déranger leur position.

» Il paraît assez par là qu’elles n’ont pu être apportées que successivement, et, en effet, comment la mer voiturerait-elle tout à la fois une si prodigieuse quantité de coquilles,

Notes de Buffon

  1. Je ne puis m’empêcher d’observer que le sentiment de Palissy avait été celui des anciens : Conchulas, arenas, buccinas, calculos variè infectos frequenti solo, quibusdam etiam in montibus reperiri, certum signutn maris alluvione eos coopertos locos volunt Herodotus, Plato, Strabo, Seneca, Tertullianus, Plutarchus, Ovidius, et alii. (Vide Dausqui, Terra et aqua, Modèle:Pg.)

Voir aussi

Sources
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