Le Buffon choisi de Benjamin Rabier/Sauvages/Ruminants/Chevreuil
Le chevreuil
Le chevreuil
Le cerf, comme le plus noble des habitants des bois, occupe dans la forêt les lieux ombragés par les cimes élevées des plus hautes futaies : le chevreuil, comme étant d'une espèce inférieure, se contente d'habiter sous des lambris plus bas, et se tient ordinairement dans le feuillage épais des plus jeunes taillis; mais s'il a moins de noblesse, moins de force, et beaucoup moins de hauteur de taille, il a plus de grâce, plus de vivacité, et même plus de courage que le cerf; il est plus gai, plus leste, plus éveillé; il bondit, sans effort, avec autant de force que de légèreté. Sa robe est toujours propre, son poil net et lustré; il ne se roule jamais dans la fange comme le cerf.
Il diffère du cerf et du daim par le naturel, par le tempérament, par les mœurs, et aussi par presque toutes les habitudes de nature : au lieu de marcher par grandes troupes, il demeure en famille; le père, la mère et les petits vont ensemble, et on ne les voit jamais s'associer avec des étrangers.
Les chevreuils sont très délicats sur le choix de la nourriture ; ils ont besoin de mouvement, de beaucoup d'air, de beaucoup d'espace, et c'est ce qui fait qu'ils ne résistent que pendant les premières années de leur jeunesse aux inconvénients de la vie domestique. On peut les apprivoiser, mais non pas les rendre obéissants, ni même familiers. Ils ne raient pas si fréquemment ni d'un cri aussi fort que le cerf. En hiver, les chevreuils se tiennent dans les taillis les plus fourrés, ils vivent de ronces, de genêt, de bruyère et de chatons de coudrier, de marsaule, etc. Au printemps, ils vont dans les taillis plus clairs, et broutent les boutons et les feuilles naissantes de presque tous les arbres : cette nourriture chaude fermente dans leur estomac et les enivre de manière qu'il est alors très aisé de les surprendre.
En été, ils restent dans les taillis élevés, et n'en sortent que rarement pour aller boire à quelque fontaine dans les grandes sécheresses ; car pour peu que la rosée soit abondante, ou que les feuilles soient mouillées par la pluie, ils se passent de boire. Ils
cherchent les nourritures les plus fines ; ils ne viandent pas avidement comme le cerf, ils ne broutent pas indifféremment toutes les herbes, ils mangent délicatement.
La chair de ces animaux est, comme l'on sait, excellente à manger ; cependant il y a beaucoup de choix à faire ; la qualité dépend principalement du pays qu'ils habitent.