Brochet (Dictionnaire des alimens - Aulagnier)
Extrait de : Dictionnaire des alimens (1839) Aulagnier
Brochet
brochet (Esoæ lucius, L. ). Les anciens ne font pas mention de ce poisson. Il n’habite pas la mer, on le rencontre rarement dans les rivières, mais bien dans les lacs et les étangs.
Il est long et a le dos presque carré. Quand il est gros, on le
nomme brochet carreau. Sa gueule est très-grande et tendue jus
qu’aux yeux. Il est très-rusé et carnassier. C’est le requin des
eaux douces; il y règne en tyran dévastateur, dit Lacépède ; il
n’épargne pas même son espèce et dévore jusqu’à scs petits. On
ne le voit qu'accidentellement dans la mer ; mais presque tou
jours dans les eaux douces de l’Europe, surtout vers le nord,
ainsi qu’en Asie et en Amérique. Il est non seulement dange
reux par ses dimensions et sa force musculaire, mais aussi par
les finesses de sa ruse. Dans le lac de Zirknitz, en Carniole, il
y a des brochets du poids de quarante livres, dans l’estomac
desquels on trouve des canards entiers. Ce poisson peut
parvenir à la longueur de vingt pieds et peser jusqu’à cent
livres. En 1749, on en prit un à Kayserslautern, long de dix-
[118]
neuf pieds, pesant trois cent cinquante ; on conservait son
squelette à Manheim. La fécondité du brochet est si prodigieuse que dans une femelle de moyenne grandeur on
trouve jusqu’à cent quatre vingt mille œufs. Du temps de
Charles IX, il y avait, sous le vivier du Louvre, un brochet
qui, quand on criait lupule, lupule, se montrait aussitôt pour
venir prendre le pain qu’on lui jetait. L’empereur Frédéric II
en avait mis un dans un étang, le 5 octobre 1230, il fut pris
dans le même étang deux cent soixante-sept ans après.
Une pièce intitulée le Proverbe nous apprend que les brochets de Châlons étaient ceux qui, au treizième siècle, jouissaient de plus de réputation. Caulieu, ambassadeur de l’empereur Maximilien en 1510, auprès de Louis XII, raconte, qu’à
son passage à Blois, pour se rendre à Tours, où était le roi, la
reine lui envoya de fort bon vin et quatre grands lux, brochets.
Paul Jovius, dans son traité de piscibus romanis, a mis ce
poisson au nombre des alimens pour le peuple, et même du
temps d'Ausone , il n’était point estimé, sans doute parce qu’à
Rome et à Bordeaux on les prenait dans des étangs vaseux.
Aujourd’hui, lorsque le brochet a toutes les qualités requises,
sa chair est très-estimée ; elle est blanche, ferme, feuilletée,
de bon goût et de facile digestion, lorsqu’elle n’est pas trop
grasse. Son foie est aussi un excellent morceau. Les brochets,
que l’on prend dans certains lacs en Allemagne et en Suisse,
jouissent d’une grande réputation. Les œufs de ces poissons
excitent des nausées, des vomissemens ou purgent violemment. D’après l’analyse de Vauquelin, ils contiennent
beaucoup d’albumine, de matière huileuse, de substance
animale ayant quelque rapport avec la gélatine, du phos
phore, etc. On est obligé d’admettre la présence du phos
phore dans les œufs des brochets, et il y a une grande analo
gie entre la composition de ses œufs et celle de la matière
cérébrale, la moelle allongée et les nerfs. Vauquelin fait remarquer que les œufs de poisson ont les mêmes élémens que I
ceux des oiseaux, mais que la nature de l’huile qui existe 1
dans ceux du brochet n’est pas la même que celle des œufs
d’oiseaux ; celle-ci est douce, d’une odeur agréable, de bon
goût, tandis que la première est âcre , nauséabonde et désa
gréable ; c’est peut-être, dit-il, à cette huile qu’on doit at
tribuer leur effet vomitif.
BROCHETON {Luciolus}. C’est le petit brochet, dont la
chair est encore plus délicate.